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Les centres d’aide en français, d’hier à demain

Propos de Colette Buguet-Melançon et de Colette Ruest recueillis par Dominique Fortier et Jean-Sébastien Ménard
Entretien
L’entretien qui suit reprend l’essentiel des propos que se sont échangés Colette Buguet-Melançon et Colette Ruest dans le cadre de l’édition 2017 de l’Intercaf, le 26 mai, au campus de l’École nationale d’aérotechnique du cégep Édouard-Montpetit. Les réflexions des « deux Colette » ont mis en perspective les discussions qui ont suivi entre les responsables de CAF du réseau collégial sur les actions fructueuses dans les centres d’aide, les défis à relever et les pistes pour y parvenir.
Colette Buguet-Melançon
Auteure de la première publication du « programme de français » du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), le Pifen – Parcours individualisé en français normatif, Mme Buguet-Melançon plaidait déjà en 1997 dans les pages de Correspondance pour « une pédagogie de la langue dans toutes les disciplines », cette tendance confirmée aujourd’hui dans les cégeps. Professeure de langue et littérature, et maintenant retraitée, du cégep Édouard-Montpetit, elle y a fondé le premier centre d’aide du réseau en 1986, une formule qui a inspiré des initiatives partout à travers le Québec.
 
Colette Ruest
Professeure au Département de littérature et communication du cégep de Trois-Rivières, Mme Ruest a élargi l’accès du CARL (Centre d’apprentissage et de ressources linguistiques) au personnel de son collège en 1997, dix ans après avoir cofondé ce centre dédié aux élèves. Comme animatrice linguistique, elle a mis sur pied un programme de perfectionnement comprenant un cours modulaire de grammaire, produit 18 microleçons web sur la virgule et rédigé les fascicules PAS (un Problème, une Astuce, un Site) pour le CCDMD. Depuis 2012, sous l’égide du Carrefour de la réussite, elle anime le Réseau Repfran, communauté des répondantes et répondants du dossier du français dans les collèges. À ce titre, elle a publié plusieurs articles dans Correspondance. « Se mettre en marche, avancer à petits pas et ne pas s’arrêter », voilà le message qu’elle porte vaillamment depuis le début de sa carrière.

Colette Buguet-Melançon (à gauche) et Colette Ruest (à droite). L’entretien des « deux Colette » a été suivi d’une période de questions de l’assistance, d’une vingtaine de minutes (à partir de la 50e minute).

Colette Ruest (C. R. ) et Colette Buguet-Melançon (C. B.-M.)  Nous sommes très heureuses et honorées de participer à l’Intercaf 2017. Un merci sincère pour cette invitation.

C. R. Tu as été à la tête du CAF d’Édouard-Montpetit pendant une douzaine d’années. Qu’est-ce que cette expérience représente pour toi?

C. B.-M. – Les CAF représentent pour moi le plaisir d’avoir pu mettre en œuvre une idée simple qui allie la responsabilité professionnelle et une forme d’engagement social. Cette expérience pédagogique est enrichissante : elle rompt avec la tradition du cours magistral pour répondre de façon efficace aux besoins individuels et précis des élèves. Pour que la langue soit moins un obstacle qu’un trait d’union.

Et pour toi?

C. R. Mon expérience au Centre d’apprentissage et de ressources linguistiques, le CARL, a été un pur bonheur. J’éprouvais déjà une grande satisfaction à donner régulièrement un cours de français écrit à des élèves en difficulté. En participant à la création du centre d’aide, j’ai connu les joies de la relation d’aide et j’ai décuplé mon plaisir en faisant découvrir la grammaire de l’erreur[1] aux élèves aidants[2] et, par la suite, à mes collègues.

Quand la direction de mon collège a voulu mettre sur pied un CAF, mon collègue Michel Bélanger et moi avons alors pris rendez-vous avec la fondatrice du premier centre d’aide, une femme qui n’a cessé de m’inspirer par son dynamisme et sa capacité d’innovation : toi, Colette Buguet-Melançon.

Peux-tu nous dire quelques mots sur la création du CAF d’Édouard-Montpetit?

C. B.-M. – Cette aventure pédagogique est née, en 1985, de l’inquiétude grandissante de professeurs du département quant à la mauvaise maitrise de la langue de nombre d’élèves, ce qui constituait un obstacle regrettable à l’expression de leur pensée. La volonté de remédier à cette situation ne devait cependant pas empiéter sur l’enseignement de la littérature. C’était notre grand défi, d’autant que nous avions la conviction profonde que la maitrise de la langue conditionnait l’accès à la littérature.

De plus, nous voulions assumer, au collégial, notre part de l’effort collectif et ne pas rejeter systématiquement sur le secondaire la responsabilité des lacunes en français.

Une réflexion fut d’abord amorcée dans divers comités du département, puis confiée à Daniel Lanthier et moi. Notre recherche d’une voie différente des cours d’appoint, jugés de plus en plus inefficaces parce qu’ils ne répondaient pas aux besoins de chaque élève, nous a conduits vers une approche d’enseignement résolument distincte, voire « révolutionnaire » avant la lettre : la méthode mutuelle.

C. R. D’où venait cette méthode mutuelle?

 C. B.-M. Innové en 1747 à Paris, soit 40 ans avant la Révolution française, puis exporté en Angleterre, ce concept d’enseignement mutuel propose une pédagogie active et coopérative. Comme quoi, le passé peut être le garant de l’avenir…

C. R. A-t-on des témoignages de son efficacité?

C. B.-M. – « Dès l’année 1747, ce mode d’instruction était en vigueur à Paris dans une école de plus de 300 élèves, établie, par M. Herbault, à l’hospice de la Pitié, en faveur des enfants pauvres. Des témoins oculaires, dignes de foi, ont cité avec éloge, en différentes occasions, les succès obtenus alors par cette méthode […]. En 1772, la charité ingénieuse du chevalier Paulet conçut et exécuta le projet d’appliquer une semblable méthode à l’éducation d’un grand nombre d’enfants que la mort de leurs parents laissait sans appui dans la société. Ses généreux efforts ayant attiré les regards de Louis XVI, bientôt la munificence éclairée de ce vertueux prince permit au bienfaiteur de l’orphelin d’assoir son établissement sur une base à la fois plus solide et étendue.

« Dans l’école mutuelle, l’organisation est totalement différente des méthodes d’enseignement simultané qui prévalaient alors : un seul maitre est nécessaire pour faire fonctionner une école […] (jusqu’à plus de 800 élèves). Ce système peut fonctionner à plusieurs étages avec des moniteurs généraux, des moniteurs intermédiaires, etc., jusqu’au niveau le plus bas des élèves débutants, tout le monde apprenant à son niveau et enseignant au niveau inférieur. […]

« Cette pédagogie active et coopérative fonctionne assez bien et permet d’apprendre à lire et à écrire en deux ans au lieu de cinq à six ans requis dans l’enseignement reposant sur la méthode en usage[3]. »

C. R. Vous vous êtes donc tournés vers cette expérience passée pour innover…

C. B.-M. – Oui. La réciprocité des bénéfices de la relation d’aide entre pairs nous a semblé prometteuse : d’une part, l’élève en difficulté est aidé par un pair, qui intervient sur une base personnalisée et conviviale, et, d’autre part, l’assistant découvre qu’« enseigner, c’est apprendre ».

Les bases du concept étant jetées, nous avons rédigé le plan d’implantation pédagogique du fonctionnement du centre : création d’un cours de formation des assistants et conception des outils nécessaires.

Encouragés chaleureusement par notre cégep et, pour la création du matériel, avec le soutien de Charles Gravel[4] du CCDMD, nous avons produit les fascicules Pifen pour la relation d’aide et l’autocorrection et le Parfen pour l’autocorrection[5]. Nous avons conçu la mise en place du fonctionnement du centre : personnel, locaux, financement, organisation matérielle, sensibilisation du milieu et recrutement des assistants.

L’ouverture officielle eut lieu début 1986. Dès lors, d’autres cégeps s’intéressèrent à la formule et emboitèrent le pas, chacun adaptant la formule à sa réalité. Le premier fut Saint-Laurent, suivi de Rosemont.

C. R. À Trois-Rivières, nous avons ouvert les portes du CARL en octobre 1988.

Est-ce que cette forme d’aide a été reprise ailleurs que dans les cégeps?

C. B.-M. – D’autres établissements au Québec, notamment HEC Montréal, et hors Québec, adoptèrent la formule.

C. R. Au CAF, à l’origine, y avait-il plusieurs démarches?

C. B.-M. – À l’origine, trois démarches étaient proposées :

  • La relation d’aide où chaque assistant ou assistante encadre trois élèves;
  • L’autocorrection encadrée par le technicien ou la technicienne du centre, avec notamment le Pifen, un prétest et un test final, et le recours aux diverses ressources développées par le CCDMD;
  • Les ateliers en petits groupes.

Le ou les professeurs responsables étaient toujours présents au CAF.

Et de nos jours, quelles formules offre-t-on?

C. R. À ma connaissance, les trois mêmes démarches ont continué d’être offertes dans les centres d’aide. Au fil des années, le contexte a évolué et la réalité des CAF a changé.

En juin 1994, un an avant la fin du plan d’action quinquennal du Ministère, plan accordé, entre autres, pour la création des CAF, le rapport Aubin a conclu que « les centres d’aide sont efficaces en ce sens qu’ils permettent à ceux qui les fréquentent d’améliorer leur production écrite en français, notamment en ce qui a trait au vocabulaire, à l’orthographe et à la syntaxe ». Toutefois, relativement à leur efficience, c’est-à-dire l’évaluation des résultats obtenus (taux d’amélioration et taux de fréquentation par rapport aux ressources financières consacrées), il estimait que « les sommes investies n’[avaient] pas porté les fruits escomptés[6] ». Alors que les élèves commençaient à se présenter au centre d’aide sans qu’on aille les chercher dans les classes, le Ministère a malheureusement cessé le financement de cette mesure. Cette situation a provoqué la disparition de plusieurs CAF.

Ceux qui ont survécu ou qui sont revenus plus tard ont cherché des façons de faire pour s’adapter à leur nouveau contexte, ce qui a donné des variantes et des solutions innovantes.

  • Le remplacement de responsables, par exemple, s’est parfois accompagné d’une transformation de l’orientation des services : le tutorat est devenu de l’aide aux devoirs ou du soutien aux élèves du cours Mise à niveau.
  • La difficulté à rejoindre les élèves de certains programmes a fait naitre les CAF mobiles (qui se déplacent dans les programmes – Soins infirmiers et équipe sportive).
  • L’enseignement de la stratégie de correction sur les travaux de l’élève a remplacé la grammaire de l’erreur.
  • Pour répondre à plus d’élèves, à des besoins de plus en plus particuliers et pour réduire la liste d’attente, les responsables ont assumé davantage d’encadrement : ont été ouverts le programme autonome supervisé et le jumelage avec des professeurs.
  • Ensuite, la multiplication des centres d’aide en math, en sciences, en philo a eu pour conséquence une pénurie d’élèves aidants, ce qui a forcé la recherche de solutions de rechange, entre autres leur rémunération et l’engagement d’étudiants de l’université.
  • Depuis que des profs dans toutes les disciplines corrigent la langue, certains CAF offrent la postcorrection et la consultation ponctuelle.

Ce portrait est sans doute incomplet. Mais ce qui me semble décrire le mieux les centres d’aide actuellement, ce sont la diversité des formules offertes et les différences d’un établissement à un autre. Les besoins des élèves et les moyens financiers d’un petit collège diffèrent grandement des besoins et moyens d’un cégep de 6000 élèves.

Au moment de la création des CAF au début des années 80, nous pensions que les problèmes liés à la qualité du français s’aggravaient. Crois-tu que le niveau continue de baisser avec le temps, comme on l’entend encore dire?

C. B.-M. – Si nous le pensions en 1985, c’est que le grand boum de la démocratisation de l’enseignement en était à ses débuts et la population étudiante des cégeps devait suivre l’élan de la nouvelle société québécoise. Nous pensons aujourd’hui que cette mission a été accomplie : alors, non, le niveau ne baisse pas, il monte, à mon point de vue!

C. R. Comme toi, je ne crois pas que le niveau baisse. En tout cas, nous n’en avons pas de preuve parce que nous n’avons aucun moyen de comparer objectivement les mêmes catégories d’élèves selon les mêmes critères. Affirmer que c’était bien mieux quand nous étions étudiants ou dans nos premières années d’enseignement, c’est oublier que nous continuons de nous améliorer chaque année et que, personnellement, nous étions déjà performants en français, alors que les jeunes qui entrent au collégial ont toujours 17 ans, 11 années de scolarisation et un intérêt peu marqué pour la langue. Je me méfie beaucoup de la nostalgie du beau passé, la mémoire est tellement sélective pour nos souvenirs!

Même si les bons élèves maitrisent la langue, crois-tu qu’un cours est nécessaire à la formation des tuteurs et tutrices?

C. B.-M. – Certainement! Pour des raisons pédagogiques, notamment un encadrement rigoureux, et une raison financière essentielle à la « survie » matérielle des centres.

  • Sur le plan pédagogique, la formation des tuteurs implique non seulement une maitrise solide de la langue et des outils, mais une introduction à la relation d’aide. Un cours complémentaire en relation d’aide constitue sans aucun doute une initiation au métier d’enseignant.
  • Sur le plan financier, c’est un moyen récurrent d’assurer la formation des tuteurs dans un cadre pérenne.

C. R. Je suis d’accord avec toi, une formation est essentielle. Nous ne le répèterons jamais assez : il ne suffit pas de connaitre les règles de grammaire pour écrire correctement, et surtout, il ne suffit pas d’écrire correctement pour aider quelqu’un à s’améliorer. Sinon, les CAF ne seraient pas nécessaires!

Pour combler des lacunes linguistiques, une personne doit progresser dans son apprentissage selon certains principes pédagogiques élémentaires. C’est ce que j’appelle les séquences d’apprentissage (diagnostic fin, consolidation des préalables et reconnaissance des causes d’erreurs). Par exemple, il est inutile de demander à un élève d’accorder ses participes passés si son manque d’habileté en analyse l’empêche de repérer correctement temps composé, sujet, complément direct et attribut. Même si l’aidé considère comme une perte de temps le détour par la consolidation des notions de phrase de base et de groupes fonctionnels, on ne peut en faire l’économie, sinon on ne fait que mettre un pansement sur une cassure. C’est ce que disait Gaétan Clément en 1998 dans son ouvrage pour les CAF Clés pour la relation d’aide[7].

C. B.-M. – Est-ce que le cours Relation d’aide sert encore pour la formation des aidants?

C. R. Le cours existe encore, mais la réalité est plus complexe et tellement différente d’un établissement à un autre! Certains CAF éprouvent des difficultés à recruter 25 élèves aidants, alors que d’autres donnent une formation d’un semestre complet avant que les tuteurs ne commencent leur intervention avec des pairs. Certains collèges le créditent en cours complémentaire, d’autres en remplacement du cours Pratique de la communication. Dans quelques cas, c’est un emploi rémunéré, voire du bénévolat dans d’autres établissements.

L’accompagnement des aidants/tuteurs varie aussi d’un cégep à un autre. Ici, la responsabilité repose sur une équipe de professeurs à temps plein; ailleurs, la personne responsable assume concurremment une tâche quasi complète d’enseignement de littérature. Là-bas, le centre est bien hébergé et une agente de bureau assure une permanence tous les jours; ailleurs, rien de tout cela.

Toi et moi avons eu la chance de travailler avec des directions des études qui croyaient dans notre projet et qui nous appuyaient de façon très concrète.

C. R. En parlant de nos points communs, toi et moi avions rêvé au départ que le projet prévoie une ouverture du centre aux professeurs désireux d’améliorer leur maitrise de la langue. Peux-tu nous rappeler la conviction qui a fait naitre ce projet d’un CAF-prof?

C. B.-M. – Dans tous les domaines, la langue est l’outil de la pensée : elle est le vecteur de l’intégration, de la structuration, du réinvestissement et de la communication des connaissances.

La qualité du français est une responsabilité collective qui doit se concrétiser dans une politique de valorisation de la langue interpelant toutes les disciplines, le monde de l’enseignement et la société. Une telle politique fut mise en œuvre au cégep Édouard-Montpetit en 1988 et donna lieu à l’ouverture du CAF 2, destiné à tout le personnel.

La valorisation du français passe par la contribution essentielle de chaque discipline dans la perspective de son champ disciplinaire : vocabulaire et type de texte, notamment. La qualité de la langue n’est pas une exigence des seuls professeurs de français!

C. R. Cette vision large de la maitrise de la langue, que les chercheurs nomment maintenant les compétences langagières, tu as été une des premières, sinon la première, à en faire la promotion, entre autres, à travers le matériel que tu as produit pour Performa avec Francine Bergeron en 1996.

Savais-tu que j’ai fait référence à toi comme la précurseure des repfrans? Il m’est arrivé de demander à des conseillères pédagogiques de chercher dans leur collège tes deux cartables pour la formation sur les compétences langagières : Pour une maitrise de la langue essentielle à la réussite. Un programme de développement d’une pédagogie de la langue dans toutes les disciplines[8].

Aujourd’hui, ce sont généralement les repfrans qui accompagnent le personnel enseignant dans cette démarche.

C. B.-M. – Explique-moi un peu ce qu’est le Réseau Repfran.

C. R. Le Réseau Repfran, c’est le regroupement des répondantes et répondants de la valorisation et de l’amélioration du français dans les collèges. En juin 2011, le Ministère a financé un cadre de mesures visant « la mise en place d’une offre accrue de services permettant d’améliorer la maitrise du français […] des élèves, du personnel enseignant et des membres de la communauté en général ». Les repfrans peuvent jouer à peu près le même rôle que toi dans ton CAF 2 ou dans mon CARL volet membres du personnel.

Les visées du Ministère étaient très larges au départ et ouvraient des possibilités à tous les champs d’intervention favorisant l’amélioration du français. En mai 2017, le financement vient d’être renouvelé pour les deux prochaines années en laissant aux collèges la liberté de définir leurs objectifs.

Le domaine d’intervention des repfrans peut couvrir trois champs : le perfectionnement linguistique du personnel, mais également la valorisation de la langue et la promotion de la politique du français.

Leurs actions peuvent toucher une dizaine d’aspects allant de l’actualisation et de l’application de la PVLF [NDLR – Politique de la valorisation de la langue française, parfois nommée autrement] jusqu’au soutien pour l’enseignement explicite des genres textuels dans les cours de toutes les disciplines en passant par le suivi du test à l’embauche, le tutorat auprès du personnel, les activités de perfectionnement en groupe, l’accompagnement des départements pour la correction et l’évaluation de la langue, et cela, tout en animant le milieu avec la publication de chroniques, la promotion de l’orthographe rectifiée, la formation au logiciel Antidote et la tenue d’activités ludiques et culturelles.

C. B.-M. – N’est-ce pas trop ambitieux?

C. R. Évidemment, personne ne peut jouer sur tous ces tableaux et ne peut assumer toutes ces fonctions. Selon la culture et l’organisation du travail des collèges, la conviction des directions et le budget disponible, les repfrans reçoivent des mandats différents. Le Ministère a choisi de laisser les collèges définir leurs objectifs : si cette attitude montre une ouverture confiante, elle peut rendre difficile la concertation par manque de leadeurship, et éphémères ou superficielles certaines actions par manque de vision.

Quoi qu’il en soit, je crois que, depuis 2012, les repfrans ont fait avancer l’idée que l’amélioration de la langue, c’est l’affaire de toutes les disciplines. Il leur faut cependant encore convaincre les autorités que l’adoption d’une politique produira peu de fruits si l’on ne donne pas l’accompagnement, voire la formation, dont les enseignants et enseignantes ont besoin pour contribuer efficacement au développement des compétences langagières des élèves dans leurs cours. Amener les professeurs à corriger le français écrit dans les copies, c’est donner un signal de l’importance qu’ils accordent à la langue; néanmoins, cela ne suffit pas pour améliorer l’écriture. L’enseignement explicite des caractéristiques textuelles et linguistiques propres aux écrits disciplinaires et professionnels est nécessaire. Des années plus tard, Colette, nous rejoignons ta philosophie du CAF 2, bien qu’il reste beaucoup à faire.

C. B.-M. – Est-ce qu’il y a un lien entre les CAF et les repfrans des collèges?

C. R. Les responsables de CAF et les repfrans sont des partenaires dans le grand projet de la valorisation du français au collégial. Les deux partagent la même passion et travaillent pour le même objectif : l’amélioration de la langue des élèves. Ils interviennent toutefois auprès de personnes différentes : élèves en difficulté d’un côté et professeurs de l’autre.

À mon avis, ils devraient partager les mêmes locaux et mener ensemble certaines activités de formation et de promotion. Les CAF devraient devenir des lieux symboliques, des repères pour toute personne en difficulté et une source de référence crédible reconnue.

Dans certains collèges, il peut y avoir confusion des fonctions, puisque le ou la repfran y joue aussi le rôle de responsable de CAF. Ce n’est pas un inconvénient en soi, à condition qu’on fournisse les ressources financières et matérielles nécessaires pour remplir les deux types de tâches demandées.

C. B.-M. – La population étudiante a beaucoup changé depuis mon départ. On me dit que les CAF sont sollicités pour aider les allophones et les élèves en situation de handicap.

Cette situation est préoccupante parce que, pédagogiquement, cela ne me semble ni pertinent ni possible. Les allophones doivent, au contraire, s’immerger au plus vite dans la langue du milieu d’accueil. Il existe divers programmes gouvernementaux destinés aux immigrants, dont certains sont offerts par la Formation continue des collèges.

Les intervenants au CAF ne sont ni formés ni outillés pour diagnostiquer et répondre aux troubles d’apprentissage. Là encore, des spécialistes sont requis.

C. R. On remarque en effet une tendance à vouloir élargir le mandat des CAF, comme s’ils manquaient de travail! Les responsables de centre d’aide sont reconnus comme des personnes particulièrement engagées et généreuses de leur temps. On finit par les croire capables de régler tous les problèmes, d’autant que ces catégories d’élèves sont en rapide émergence. Avant d’ajouter ces nouvelles responsabilités à leur mandat, je pense qu’une autoévaluation de la mission du CAF de chaque collège[9] pourrait permettre de recentrer la tâche et le public cible. Les centres ont été créés pour aider les élèves en difficulté à acquérir une compétence linguistique suffisante pour devenir autonomes dans l’autocorrection de leurs écrits. Il ne serait pas inutile de se rappeler le proverbe « qui trop embrasse mal étreint ».

Quelle place devrait-on faire à l’EUF dans les CAF?

C. B.-M. – La responsabilité de l’EUF me semble relever d’abord des professeurs de français pour les parties conceptualisation, structuration des idées, communication. De la documentation appropriée et des ateliers doivent être proposés au CAF sous la supervision d’un professeur.

C. R. On sait que la principale cause des échecs à l’EUF, c’est la qualité déficiente du français écrit. Dans ce cas, les élèves correspondent au public ciblé. Mais s’il s’agit d’un problème de contenu littéraire ou d’écriture de dissertation, on ne peut croire que des élèves aidants sauraient remplacer un professeur auprès de personnes en difficulté.

Depuis deux décennies, les mesures d’aide ont été pensées comme des solutions en dehors de la classe, renforçant ainsi la conception du prof comme expert disciplinaire. Or, je crois que la responsabilité de l’enseignement collégial devrait revenir aux professeurs dans leur classe. Qu’on le veuille ou non, l’EUF est encore l’aboutissement des cours de littérature.

Comme tu l’as dit, le CAF peut se révéler un lieu propice à la tenue d’activités préparatoires à cette épreuve, mais sous la supervision du Département de littérature.

C. B.-M. – Tu as fait allusion tantôt aux ressources financières. Toi et moi avons travaillé dans des collèges qui n’ont pas hésité à investir dans leur centre d’aide. Qu’en est-il actuellement?

C. R. Les problèmes du système d’éducation ne manquent pas et l’argent fait défaut. La ministre responsable de l’Enseignement supérieur a beau affirmer que la qualité du français au Québec est une priorité, la réalité sur le terrain prend un autre visage. Les collèges étant autonomes dans la gestion de leur budget, chaque groupe se bat, à l’interne, pour que son projet devienne prioritaire. Chacun finit souvent par gagner quelques miettes de la galette. Les collèges vivent également depuis un peu moins de dix ans une transformation profonde causée par le changement de personnel, non seulement du personnel enseignant, mais aussi des professionnels et des cadres de direction.

Dans ce contexte, le travail de sensibilisation et d’information prend une importance vitale, autant qu’au début des CAF. On peut se désoler du manque de vision des directions et du Ministère, déplorer l’insuffisance d’argent, mais rien ne changera si l’on ne fait pas progresser la réflexion. Avant qu’une nouvelle culture institutionnelle ne prenne racine dans le terreau de la langue, les passionnés que sont les responsables de CAF et les repfrans doivent reprendre le bâton du pèlerin pour convaincre.

Vous avez intérêt à apprendre à parler le langage des administrateurs pour leur ouvrir les oreilles et délier les cordons de la bourse. Vous devez assurer votre crédibilité par la rigueur de vos actions, la force de vos comptes rendus et le réalisme de vos solutions. Continuez d’avancer patiemment à petits pas en direction de quelques objectifs clairs, de travailler avec bienveillance pour les élèves en difficulté, en répétant à vos pairs et à vos supérieurs avec une fermeté souriante que vous êtes des experts passionnés, mais pas les sauveurs du monde!

* * *

C. R. En 1976, personne n’entrevoyait de solution aux difficultés du français dans les collèges; dans les années 1980, les CAF ont commencé à apparaitre; en 1993, le CCDMD a ouvert un coffre aux trésors de matériel didactique; deux ans plus tard, la revue Correspondance commençait sa diffusion d’information sur les recherches et les pratiques dans les CAF; et en 2012, le Réseau Repfran est né. Sur le terrain, nos avancées peuvent paraitre trop timides ou lentes. Si l’on regarde en arrière, depuis la création des cégeps, le chemin parcouru devrait vous encourager à poursuivre votre travail.

Vous pouvez compter sur le soutien de Dominique [NDLR  Dominique Fortier, chargée de projets au CCDMD] et de l’équipe du CCDMD pour faciliter les échanges entre vous, faites-en votre force!

Colette, je te laisse le mot de la fin.

C. B.-M. – En 2017, être invitée à l’Intercaf, c’est constater que le relai est pris et entre bonnes mains.

Chers jeunes collègues, faites-vous confiance, n’ayez pas peur d’ajouter votre pierre à l’édifice et songez que l’union fait la force.

Je conclus en disant que les CAF sont une richesse pour les cégeps :

  • Espace de liberté pédagogique, ils favorisent l’émergence d’une pédagogie individualisée;
  • Ils développent une conception élargie de la langue;
  • Ils créent des liens de solidarité et de responsabilité vis-à-vis du français.

Longue vie aux CAF!

* * *

NDLR

  1. Voici ce qu’entend Colette Ruest par grammaire de l’erreur : « Il s’agit de l’enseignement-réapprentissage de la grammaire non seulement à partir des erreurs récurrentes de l’élève relevées dans un texte diagnostique, mais selon une approche qui lui permet de prendre conscience des causes de ses erreurs. La distraction ou la complexité de la grammaire ne servent plus d’excuses pour expliquer le faux pas. La démarche d’analyse, l’application de la règle et la correction de l’orthographe étant effectuées, on amène l’élève à voir ce qui l’a fait tomber dans le piège qu’il s’est lui-même tendu dans sa phrase : homophonie, genre du mot commençant par une voyelle, pronom-écran entre le sujet et le verbe, mots pluriels entourant un mot singulier, éloignement du donneur d’accord, influence de l’oral, etc. Cette démarche est inspirée des travaux du groupe Riéfec II. » Ces travaux s’intitulent Les erreurs fréquentes en français écrit au collégial; Description des comportements, Élaboration d’un matériel correctif, de Georges Beaulieu, Jean-Paul Bourgeau et Michel Paquin, collèges Bois-de-Boulogne et Lionel-Groulx, juin 1977, 214 p. [Retour]
  2. Selon les centres d’aide, l’appellation des élèves qui y travaillent et des élèves qui reçoivent de l’aide varie : assistant, tuteur, élève aidant, aidant… et tutoré, élève aidé, aidé… Évidemment, ces dénominations étaient et sont féminisées, d’autant que la gent féminine s’engage majoritairement dans l’aventure. [Retour]
  3. Colette Buguet-Melançon cite ici des extraits de l’ouvrage L’école mutuelle, une pédagogie trop efficace?, d’Anne Querrien (Les Empêcheurs de penser en rond, 2005), reportés dans l’article « École mutuelle » de Wikipédia (consulté le 21 juin 2017). [Retour]
  4. Charles Gravel a été l’un des pionniers du CCDMD et le principal acteur du secteur de l’Amélioration du français à partir de sa création jusqu’en 2007. En 2010, il recevait le prix Gérald-Sigouin de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC), en reconnaissance de son apport déterminant à l’élaboration des nombreux outils d’amélioration du français du CCDMD et en raison de l’importance de ceux-ci dans la pédagogie du français écrit au sein du réseau collégial. [Retour]
  5. Le PIFENParcours individualisé en français normatif est un recueil de 650 pages, comportant 104 fascicules de théorie et d’exercices, incluant un test diagnostique et un test final pour chacune des six sections, paru en 1991. Il s’agit de la première publication du CCDMD pour l’amélioration du français. Le Parfen, d’Alain Stiévenart, Colette Buguet-Melançon et Daniel Lanthier, éditions Modulo, 1990, 184 p. [Retour]
  6. La contribution des centres d’aide à la progression de la maîtrise du français écrit chez les sortants du collégial qui se dirigent vers l’université, DGEC-DRD-SEDC, 22 juin 1994, 40 p. [Retour]
  7. L’ouvrage est paru chez Modulo. Il était toujours disponible au moment de la publication du présent article. Dans un article de Correspondance, l’auteur présente le chapitre de son livre qui traite de la syntaxe : « Clés pour la relation d’aide en syntaxe » (Gaétan Clément, vol. 3, no 4, 1998). [Retour]
  8. L’ouvrage, coécrit avec Francine Bergeron, est présenté dans un article de Correspondance : « “ Pour une maîtrise de la langue essentielle à la réussite ” : un programme de développement d’une pédagogie de la langue dans toutes les disciplines » (Huguette Maisonneuve, vol. 2, no 3, 1997). [Retour]
  9. À cet effet, consulter l’article suivant de Christian Barrette, qui offre quelques pistes d’action issues de ses travaux : « Des pistes pour maximiser l’efficacité du tutorat par les pairs » (Correspondance, vol. 21, no 3, 2016). [Retour]

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