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Axes d’intervention en centre d’aide auprès d’élèves dyslexiques ou dysorthographiques

Axes d’intervention en centre d’aide auprès d’élèves dyslexiques ou dysorthographiques

Depuis un an, Julie Roberge, dans le cadre d’un projet spécial du Service d’aide à l’intégration des élèves (cégep du Vieux Montréal), organise des présentations dans les collèges au sujet des troubles d’apprentissage. Le présent article, tiré de la communication donnée à l’Intercaf de mai 2008, est le fruit des recherches menées dans le cadre de ce projet et des réflexions qu’il a suscitées.

Ils entrent au centre d’aide avec tout le poids du monde sur leurs épaules, ou avec un sourire plein d’espoir. Il y a celle qui a subi encore un échec la semaine précédente – une fois de plus ; son parcours scolaire en est ponctué. Et celui qui, avec une nonchalance qui n’a d’égale que son charme, oublie tout : les examens, les notes à étudier, et pourquoi même il fréquente le collégial. Il y a celle qui n’arrive plus à arriver, justement, ayant accumulé un terrible retard parce que son copain l’a laissée juste une semaine après la rentrée. Il y a Sadi, qui tente d’apprendre le français, sa troisième langue. Monique, qui fait ses devoirs pendant que ses trois enfants, eux aussi, font les leurs. Et Vincent, qui a si peu confiance en lui et qui ne sait jamais ce qu’il vaut la peine d’étudier. Il y a tous ces visages si connus, qu’on encourage, qu’on aide. Tous ces gens qui s’en sortent.

Nous arrivent aussi ceux-là, qu’on voyait peu auparavant, et qui nous sont désormais fréquemment envoyés : les élèves dyslexiques ou dysorthographiques. Leur nombre a augmenté, mais ce n’est pas parce que ces troubles d’apprentissage sont plus répandus ; simplement, leur existence est mieux connue, et leur diagnostic par un orthophoniste ou un neuropsychologue est plus accessible. Ces élèves travaillent souvent très fort, ils sont d’une persévérance sans faille. Or ils ne voient à peu près pas de résultats à la fin de tous ces sacrifices, car la dyslexie et la dysorthographie sont des atteintes neurologiques permanentes. Leurs déficits de lecteurs ou de scripteurs ne disparaîtront jamais. Au mieux, leurs effets vont sembler s’estomper, grâce aux stratégies de contournement qu’ils auront développées.

Cet état de fait a des conséquences terribles sur le moral des élèves avec troubles d’apprentissage (TA), mais aussi, avouons-le, sur celui des professeurs et des tuteurs qui, pleins d’enthousiasme, tentent de les aider. Et qui voient échouer des méthodes pédagogiques pourtant efficaces habituellement.

Peut-on aider ces élèves dans un CAF ?

Puisqu’on ne peut guérir les dyslexiques et les dysorthographiques, doit-on les sortir des centres d’aide ? Cesser de mobiliser pour eux maints services qui, pendant ce temps, ne peuvent être offerts aux autres élèves qu’il est, si l’on peut dire, encore possible de sauver ? Bien sûr que non ! Il importe cependant de nuancer nos attentes et, surtout, de modifier nos approches lorsqu’il est question de travailler avec les élèves qui ont des troubles d’apprentissage. Ces interventions différentes ne sont pas sans un avantage : elles peuvent presque toutes profiter, également, à un élève qui présente des difficultés – et non des troubles d’apprentissage.

Le travail avec ces élèves ne se déploie pas vraiment selon des séquences préétablies. Certains domaines (l’orthographe, notamment) doivent être abordés dans un ordre particulier. Néanmoins, l’intervention auprès des élèves dyslexiques et dysorthographiques se fait plutôt sous forme de chantiers, diversifiés, concurrents et complémentaires. Ces chantiers – que nous nommerons, vu leur grande diversité, axes d’intervention – touchent plusieurs domaines, qui vont de la perception de l’élève à l’égard du français, en passant par des points précis de la théorie grammaticale, l’utilisation des outils auxquels il a droit, jusqu’aux stratégies qu’il peut déployer en situation d’évaluation. Comme les besoins des dysorthographiques et des dyslexiques sont nombreux, et souvent pressants, l’évidence poussera tout intervenant à privilégier les questions les plus urgentes. En outre, ces élèves ont souvent une comorbidité de déficit d’attention : ils profiteront donc particulièrement de rencontres au contenu varié, aux activités peu répétitives.

Il faut aussi bien comprendre de quoi il est question lorsqu’on parle de dyslexie ou de dysorthographie. Nous laisserons ici de côté les définitions et les débats de neuropsychologie, mais nous pouvons tout de même rappeler certaines conséquences de ces troubles sur les activités et les capacités des élèves qui en sont atteints. Ainsi, les dyslexiques, à cause de leur trouble, liront toujours de deux à trois fois moins vite que les normolecteurs ; c’est que l’acte de lecture est rendu laborieux par un problème de décodage des signes écrits. Quant aux élèves dysorthographiques, ils sont incapables d’enregistrer, de mémoriser l’image d’un mot, même courant. Fréquemment, en somme, les personnes qui ont ces troubles n’ont pas automatisé certaines opérations mentales liées à la lecture et à l’écriture, et ne pourront jamais y arriver. À cause de cela, des activités simples leur demandent une concentration et un effort parfois très importants. Mettre autant d’énergie sur des opérations que d’autres font sans même s’en rendre compte n’est forcément pas sans conséquences : ces élèves sont souvent en surcharge cognitive, avec tous les problèmes de fatigue que cela comporte (manque d’attention, problèmes de mémoire, découragement, etc.).

Les élèves avec TA qui arrivent au collégial ont également des forces. Par exemple, une intelligence assez vive – après tout, ils ont traversé, malgré leurs contraintes, le primaire et le secondaire. Ils ont aussi, pour la même raison, une grande capacité de travail et une détermination certaine. De plus, leur rapport au langage oral n’est pas affecté ; ils peuvent s’exprimer sans problème et comprennent les consignes verbales. Finalement, ils ont souvent une grande expérience des suivis personnalisés (tutorat par les pairs, suivi professionnel), et peuvent en général très bien verbaliser leurs forces et leurs faiblesses.

Une fois ces généralisations énoncées, il faut bien mentionner que ce ne sont, justement, que des généralisations. Il y a autant de profils de dyslexie et de dysorthographie qu’il y a d’individus. Plusieurs élèves avec TA s’en sortent très bien et n’ont jamais besoin de fréquenter le centre d’aide ; certains deviennent même tuteurs ! On le constate alors : les atteintes ne sont pas toujours les mêmes, ni de même gravité. Certaines comorbidités, comme on l’a mentionné, peuvent exister aussi. D’autres problèmes également : ce n’est pas parce qu’on est dyslexique qu’on ne peut pas être, par exemple, allophone. Ou désorganisé. Ou même – hélas ! – paresseux…

Les élèves avec TA et l’arrivée au collégial

Puisque nous généralisons, nous irons plus loin et nous parlerons de certaines situations assez fréquentes lors de l’arrivée au collégial des élèves dyslexiques et dysorthographiques. Ce passage constitue, pour certains d’entre eux, le moment rêvé de prendre un nouveau départ. De vivre une nouvelle vie, sans TA. Les jeunes négligeront donc, par exemple, de déclarer au répondant local leur diagnostic, ou alors ils refuseront les mesures spéciales auxquelles ils ont pourtant droit. Ces élèves, qui se sont sentis stigmatisés au primaire et au secondaire à cause de leurs besoins spéciaux, tentent ainsi d’effacer leur différence. Ils croient souvent, avec beaucoup de naïveté, qu’ils parviendront à des résultats satisfaisants sans les mesures auxquelles ils sont pourtant habitués, alors que les exigences sont plus élevées puisqu’ils sont à un niveau supérieur d’enseignement. Malheureusement, ce sont habituellement quelques échecs, très douloureux, qui leur rappellent que les troubles d’apprentissage ne peuvent se guérir, ni se nier.

Une autre situation assez fréquente, lors de l’entrée au collégial, est la faillite de certaines méthodes mises en place, au primaire et au secondaire, pour étudier. Le recours au par cœur, notamment. Et, surtout, le recours à… quelqu’un, ce quelqu’un de proche (mère, père, grande sœur, meilleur ami) qui a été là, parfois de longues heures chaque soir, et qui a lu chaque texte à étudier. Cet interlocuteur d’étude, si on peut l’appeler ainsi, qui travaillait souvent aussi fort que l’élève lui-même au moment des leçons et des devoirs, est soudain débordé quand arrive le temps de lire textes de philo, romans de français et manuels divers. L’élève se retrouve à devoir aborder, seul, certaines matières – une chose qu’il n’a presque jamais faite. En effet, à cause de cette aide qu’ils ont toujours reçue d’une personne bienveillante, ces élèves aux défis plus grands que les autres se retrouvent, paradoxalement, particulièrement peu autonomes devant le travail à accomplir.

Finalement, un autre cas fréquent est celui de ces élèves qui viennent d’apprendre, à la toute fin de leur secondaire ou au début de leur collégial, qu’ils sont dyslexiques ou dysorthographiques. Ceux-là ont souvent des TA moins sévères, ou une intelligence particulièrement vive, ou des méthodes de travail exemplaires ; ils ont donc pu contourner leurs difficultés pendant très longtemps, jusqu’à ce que la charge de travail et la complexité des tâches qui leur sont demandées atteignent un niveau tel qu’ils ne puissent plus réussir. Souvent, le diagnostic est pour eux un soulagement, mais il peut aussi entraîner du découragement et un certain fatalisme.

Aider les élèves dyslexiques et dysorthographiques : des solutions

On le voit, les élèves avec ces troubles d’apprentissage éprouvent souvent maintes difficultés. Que faire avec eux, qui se révèlent déstabilisés, inquiets, aux prises avec de nouveaux défis ? Quel appui peut-on leur apporter dans le cadre du centre d’aide ? Quel type de jumelage devrait leur être offert ? Nous tenterons de suggérer, ici, quelques interventions possibles. Celles-ci ne sont pas toutes, comme nous l’avons déjà dit, de même niveau ; elles ne seront pas toutes également pertinentes, non plus. La clé est de bien évaluer les besoins de l’élève, de varier les actions que l’on fait auprès de lui, et de s’adapter aux résultats obtenus, à sa motivation et à sa charge de travail. On tâchera toujours, autant que possible, de l’accompagner dans ce qu’il doit réaliser, de lui apprendre à tirer profit de ce qu’il a déjà fait, et d’éviter d’alourdir ses journées qui sont déjà, on l’a dit aussi, souvent plus chargées que celles des autres élèves.

a) La méthode de travail

Puisque les élèves dyslexiques ou dysorthographiques doivent toujours travailler plus fort pour arriver au même résultat que les autres et que certains ont peu étudié seuls dans le passé, il est impérieux d’aborder avec eux le sujet des méthodes de travail. Préparation aux examens (presque toujours hautement anxiogènes), prise de notes, gestion de l’horaire, méthodes d’étude efficaces : toutes les stratégies en ces domaines ne peuvent que profiter grandement aux élèves avec TA. Ceux-ci peuvent se montrer un peu rigides, au début ; il s’agit là d’un réflexe de protection plus qu’autre chose. Afin de le contourner, une méthode existe, très simple : s’arrêter avec l’élève devant un défi de sa vie de cégépien – l’étude en vue de l’examen de connaissances de la semaine suivante ou la rédaction d’un travail de session, par exemple. On fixera alors avec lui, par écrit, la liste des moyens qu’il peut mettre en place pour le réaliser. C’est à ce moment que l’on s’apercevra, si c’est le cas, que l’élève est fort démuni sur le plan des méthodes de travail ; il conviendra alors de lui faire des suggestions, de lui présenter des stratégies. On verra ensuite quels moyens il compte privilégier. Une fois l’examen passé ou le travail remis, on lui suggérera de prédire le résultat qu’il aura ; on lui demandera s’il a été surpris par un aspect du travail ou de l’examen, si les délais qu’il s’était donnés pour le réaliser étaient justes, s’il changerait quelque chose à ce qu’il a fait. À la suite de la correction par le professeur, on reviendra avec l’élève sur le résultat obtenu : qu’en pense-t-il ? Le juge-t-il suffisant, représentatif de ses efforts ? Comment peut-il encore l’améliorer ?

Dans cette démarche, les échecs (s’il y en a) doivent être analysés d’une façon particulièrement fine – quelles en sont les causes, et surtout quels sont les enseignements qu’ils permettent de tirer sur les méthodes de travail employées ; il importe que l’élève puisse évaluer de façon juste le contrôle qu’il peut avoir sur ses résultats, et qu’il voie comment concentrer ses efforts sur les opérations les plus efficaces.

Trop souvent, les élèves avec troubles d’apprentissage misent sur la mémorisation un peu mécanique. On peut leur apprendre à remplacer cette méthode par des cartes mentales, des schémas de concepts, des organigrammes… On peut aussi vérifier leur emploi du surligneur et leurs méthodes d’annotation de texte. Également, apprendre aux élèves à s’interroger eux-mêmes est très formateur : quelles questions poseraient-ils à leurs élèves, s’ils étaient leur professeur ? Sont-ils capables d’y répondre ?

Par ailleurs, une inspection de leurs notes de cours révèle souvent l’état déplorable où elles se trouvent. Bien sûr, ils ont très fréquemment droit à un preneur de notes – mais savent-ils en tirer parti ? Leurs notes sont-elles datées, classées, surlignées ? Tentent-ils d’y retrouver le plan de séance annoncé en début de cours, ou le contenu évoqué dans le plan de cours ? En font-ils des tableaux synthèses ? Sont-ils à même de les lier à la matière lue dans le manuel ?

Parfois, il peut même être pertinent de questionner leurs habitudes de travail : à quelle heure, dans quelles conditions font-ils leurs lectures, leur étude ? Combien de temps prévoient-ils pour la relecture et la correction d’un travail rédigé ? Plus globalement, dans leur horaire, prévoient-ils du temps pour le transport, le sommeil, les repas, les loisirs ?

Si les examens semblent déclencher des angoisses hors de proportion, il est bon d’aider les élèves à s’y préparer. On réfléchira avec eux aux difficultés inhérentes à chacune des formes d’examen. Les choix multiples supposent une lecture fine, une grande attention aux détails des formulations ; souvent, un adverbe fait toute la différence entre la réponse a et la réponse b. Il faut aussi apprendre à gérer le doute, qui fait changer à la dernière minute des réponses qui pourtant étaient justes… Tout différent est le défi des questions à développement ; elles demandent plus de préparation avant la rédaction. Il faut aussi, alors, faire attention à la précision des mots de la réponse.

Pour tous les examens, la pondération affichée est un élément clé qui doit guider l’élève : les questions auxquelles il s’attardera devront être celles qui valent le plus de points. La gestion efficace du temps imparti est aussi primordiale ; l’élève devra avoir avec lui une montre ou un cadran, qu’il pourra consulter à tout moment. Certains peuvent même gagner à avoir un chronomètre qui écoule le temps qui reste. Pour ce qui est des longs examens de rédaction, l’élaboration avec l’élève d’un « plan de match » est souvent très appréciée : combien de temps devra-t-il passer à lire les textes et à les annoter, à faire le plan, à rédiger l’introduction, etc. ? Une simulation d’examen, dans le local et avec les outils exacts auxquels il aura droit, permet aussi de dédramatiser l’événement.

b) Les outils informatiques

Les élèves qui ont un diagnostic de TA ont droit à des mesures spéciales, parmi lesquelles l’utilisation d’un ordinateur portable et de logiciels spécialisés est très fréquente. Or les élèves savent rarement tirer réellement profit de ces instruments ; c’est particulièrement le cas de ceux chez qui l’on vient de découvrir une dyslexie ou une dysorthographie. Le centre d’aide peut être le lieu où ils apprennent, en premier lieu, à taper à l’ordinateur avec rapidité[1]. On peut aussi leur expliquer le fonctionnement d’Antidote, en insistant particulièrement sur le fait que ce logiciel ne fournit que des alertes, et non des réponses – il importe de se questionner, et de consulter les rubriques grammaticales ou les définitions qu’il donne afin de faire un choix éclairé. Certaines fonctionnalités de Word (notamment l’opération « Rechercher » et l’outil Statistiques) peuvent aussi être utiles lors de la révision d’un texte rédigé. Les élèves dysorthographiques font maintes erreurs d’homophones ; la recherche systématique, avec Word, de tous les [espace]a[espace] ou de tous les [espace]ou[espace], par exemple, permet à l’élève, épuisé à la suite de sa rédaction, de réviser rapidement une source d’erreurs fréquente pour lui, en ne faisant qu’une opération mentale assez peu complexe.

L’utilisation d’une synthèse vocale, comme Readplease[2], peut également être pertinente et devrait être connue des élèves dyslexiques. Elle leur permettra d’entendre le texte qu’ils ont rédigé ou numérisé, lu à voix haute. Comme les dyslexiques oublient fréquemment d’écrire certains mots dans leur rédaction (les mots courts comme les prépositions, notamment) et que des lectures de leur texte, même répétées, ne leur font pas voir ces oublis, il n’y a que la synthèse vocale qui leur permet de corriger ces erreurs de façon autonome.

c) La lecture

Trop souvent, notre intervention dans les centres d’aide se limite au français écrit. Il y a plusieurs raisons pour cela, mais l’une d’elles est que nous nous trouvons souvent un peu démunis devant un lecteur peu habile, voire carrément inefficace. Comment l’aider autrement qu’en lui résumant ce qu’il avait à lire ? Et alors, ne sommes-nous pas en train de lui donner la réponse, tout simplement ? De faire à sa place  ?

AVANT LA LECTURE
Plusieurs mesures relativement simples peuvent aider les élèves dyslexiques dans cette tâche. La première intervention, en fait, doit se faire avant la lecture. D’abord, en discutant avec l’élève du choix de l’édition du roman qu’il doit lire : on évitera, autant que possible, les versions bon marché, sur papier quasi transparent et à la mise en page hyper serrée – elles entraînent une fatigue de lecture plus grande encore (les dyslexiques en sont souvent atteints) et laissent fort peu de place pour les notes dans la marge.

Également, l’activation des connaissances antérieures de l’élève (sur l’auteur, le genre et le courant littéraire d’une œuvre, le sujet du livre ou du manuel, la provenance de l’article) permet de fixer d’emblée quelques-unes de ses attentes de lecteur, de lui donner quelques pistes pour aborder sa lecture. L’analyse du péritexte est aussi fort profitable à ce stade : que peut-on déduire du titre ? de la page couverture ? de la quatrième de couverture ? du choix des illustrations ? Voire : que peut-on présumer du livre si on regarde la dédicace ? la préface ? l’éditeur ? l’épigraphe ?

Une autre dimension qu’il est très efficace, souvent, d’aborder avec l’élève, surtout à sa première année de cégep, est son interprétation des exigences de l’activité de lecture qui lui est proposée[3]. Pourquoi doit-il lire tel texte ou telle œuvre ? Devra-t-il, à partir de cette lecture, rédiger une analyse, nourrir un débat, répondre à une question d’examen ? Comment compte-t-il s’y prendre pour faire cette lecture : combien de temps va-t-il y consacrer, comment va-t-il en garder des traces (soulignements, surlignements, symboles, résumés, schémas, listes de personnages, notes dans la marge, questions) ? Et, surtout : comment va-t-il savoir qu’il a bien lu, qu’il a atteint les objectifs fixés par son professeur, au terme de sa tâche ? Encore une fois, ici, l’exercice de jouer lui-même au professeur, et d’élaborer pour soi un contrôle de lecture (ou une question de dissertation, ou un sujet de débat, etc.) est particulièrement fécond. Toute cette démarche semble aller de soi, et pourtant non : on découvre souvent que l’élève dyslexique est si paniqué par les activités de lecture à faire qu’il a développé bien peu d’autorégulation face à ces situations.

DURANT LA LECTURE
Puis arrive l’heure de lire, enfin ! C’est alors le moment d’encourager l’élève à développer ses méthodes personnelles pour garder des traces de ce qu’il a lu. Les méthodes très linéaires ou très écrites (synthèse de chapitres, notes de lecture, mots en marge) sont rarement les plus appropriées pour les dyslexiques, puisqu’ils sont alors dans la situation de devoir lire, ce qu’ils font difficilement, pour se rappeler leur lecture… faite difficilement ! Il est préférable qu’ils apprennent des méthodes plus graphiques, plus schématiques, de retenir l’information. Les logiciels Inspiration, Cmap tools, Mot[4] , qui permettent de réaliser des cartes mentales ou des schémas de concepts, peuvent alors leur être présentés. Le schéma actanciel peut aussi être pertinent à aborder, pour rendre compte d’œuvres littéraires.

Il ne faut pas craindre de laisser l’élève explorer un peu sur ce plan. Il n’est pas rare que les dyslexiques aient développé de grandes aptitudes en dessin ou en modélisation ; on les retrouve d’ailleurs fréquemment dans des programmes artistiques. Ces qualités peuvent être mises à profit au moment de garder des traces des lectures qui leur seront signifiantes et auxquelles ils pourront se référer le moment venu. Une élève de ma connaissance inscrite à des cours de mode faisait ainsi, pour chaque chapitre lu, une espèce de synthèse visuelle, hautement colorée et comprise d’elle seule, qui la guidait au moment des tests de lecture, qu’elle réussissait d’ailleurs très bien !

Il peut aussi être pertinent de questionner les élèves sur leurs pratiques de visualisation ; certains dyslexiques n’imaginent rien, ne visualisent rien de ce qu’ils lisent… Pourtant, cela facilite considérablement la mémorisation. Il est alors très fécond de leur faire voir mentalement ce qui est décrit, et de leur apprendre à le faire naturellement et de façon autonome. Par exemple, pour stimuler cette visualisation, un exercice simple qui peut leur être proposé est de trouver, pour chaque personnage de l’œuvre littéraire qu’ils lisent, quel comédien pourrait l’incarner, en justifiant ce choix.

Dans le cas des lectures littéraires, un retour sur le début du livre (premier chapitre, ou première quarantaine de pages) est aussi l’idéal. Il permet de fixer avec l’élève plusieurs éléments : qui sont les personnages, quels sont les liens entre eux, quelle est la tonalité du livre, quels sont les éléments d’intrigue à suivre. Une discussion sur la valeur proleptique des toutes premières pages peut aussi se révéler très utile. L’élève sera fasciné, souvent, de voir comment les choix esthétiques que font les auteurs et la valeur symbolique qui est accordée aux situations et aux objets permettent de poser, dès le départ, les principaux enjeux de l’intrigue et les bases des caractères des personnages.

AU MOMENT OÙ SE PRÉSENTENT LES DIFFICULTÉS
L’élève ainsi préparé peut avancer ensuite dans sa lecture de façon autonome. Sans doute certains passages lui paraîtront-ils plus ardus ; il importe qu’il s’entraîne à déceler avec précision ces moments où il décroche, où le sens se dérobe. Pour les éclairer, souvent, une lecture à voix haute, faite par un normolecteur, suffira. Sinon, il doit apprendre à formuler des questions précises à son tuteur ou à son professeur (et non le sempiternel « j’ai rien compris »…). L’encourager à discuter avec ses collègues de leurs lectures communes est également fort utile ; c’est une méthode simple d’autorégulation, puisqu’il peut voir si sa compréhension du texte rejoint celle des autres.

d) L’écriture

Bien sûr, le français écrit doit également être abordé avec les élèves dyslexiques ou dysorthographiques. Seulement, il faut garder en tête que les atteintes neurologiques sont présentes et qu’elles ne s’effaceront pas. Une rééducation pourrait peut-être donner des résultats intéressants, mais au collégial, à la mesure de nos moyens, une telle démarche n’est pas envisageable. Reste donc à apprendre à l’élève à travailler avec, et malgré, ses difficultés, à mettre en place des stratégies de contournement de ses troubles d’apprentissage.

L’intervention en écriture auprès de ces élèves peut se faire selon deux niveaux : la rédaction et l’orthographe. Il est souhaitable que ces deux niveaux soient abordés concurremment ; d’abord parce qu’ils sont convoqués chaque fois que l’élève écrit, et ensuite, parce que l’apprentissage de l’orthographe doit se faire progressivement, en conviant peu de matière à la fois – cette activité ne peut ni ne doit remplir à elle seule une séance au centre d’aide.

LA RÉDACTION
La rédaction telle qu’on la pratique au cégep est parmi les exercices les plus difficiles pour un élève dyslexique, lequel doit, à la fois, lire un texte souvent complexe, le comprendre, en faire l’analyse, structurer cette analyse, la rédiger et la corriger. Toutes ces tâches entrent, sur un plan ou un autre, dans les limitations définies par son trouble. Il faut donc, afin de l’aider et de le rendre plus performant, tenter de voir de quelle façon on peut lui permettre de réaliser ces différentes étapes le plus efficacement possible.

L’élève doit comprendre parfaitement la structure de l’analyse et de la dissertation. Il doit aussi réaliser l’étape du plan ; ici encore, la créativité et le recours à des représentations plus schématiques (couleurs, schémas, etc.) sont à privilégier. Souvent, il aura du mal à assembler ses idées et à les arranger de manière cohérente ; il est alors important de se rappeler que ses atteintes se situent seulement sur le plan écrit – l’élève n’a aucun problème à l’oral. Le tuteur pourra discuter avec lui des textes et de son analyse et, à partir des informations recueillies, rédiger un plan. Cette modélisation permet à l’élève de voir comment il peut traduire en schéma les idées qui lui viennent, comment il peut les hiérarchiser et les articuler. Plus la session avancera, plus l’élève devra rédiger de lui-même ce plan ; il pourra aussi développer des ajouts de son cru : couleurs, symboles, ancrages dans le texte à analyser, etc.

Quand il rédigera au centre d’aide, l’élève dyslexique ou dysorthographique aura bien sûr droit aux mêmes mesures qu’en classe. Il pourra ainsi, s’il y est autorisé, travailler à l’ordinateur en recourant aux différents logiciels. Une fois sa rédaction terminée, le tuteur pourra aider l’élève à établir une démarche d’autocorrection personnalisée. Celle-ci doit tenir compte de différents facteurs. Le plus important est l’état d’épuisement cognitif dans lequel se trouvent les dyslexiques et les dysorthographiques à la fin de la rédaction d’une dissertation de plusieurs centaines de mots. Il faudra instaurer une démarche très simple, découpée en plusieurs étapes précises, qui cible les erreurs les plus courantes et repose sur les outils informatiques autorisés. D’abord, les mots surlignés par Word devront être analysés, puis soumis aux alertes d’Antidote. Ensuite ? Tout dépendra, alors, des faiblesses de l’élève ; il faudra aborder, une à la fois, les erreurs qui lui sont les plus coûteuses, dans une démarche de repérage simple, qui ne nécessite idéalement aucune analyse de fond, mais plutôt des stratégies de substitution bien rodées.

Lorsqu’un élève atteint de ces troubles d’apprentissage fait des erreurs de syntaxe[5], il est important de voir certains principes avec lui. Fréquemment, ses erreurs proviennent du fait que la construction de ses phrases emprunte beaucoup à l’oral, pas tant dans le niveau de langue que dans les liens logiques, plus lâches et souvent implicites, les reprises d’information manquantes, et la longueur des phrases graphiques, où pullulent les coordonnants. Il faut lui apprendre à raccourcir ses phrases et à travailler la cohérence textuelle. Pour ce faire, on peut lui montrer à lier explicitement, sur une copie imprimée de son texte, les phrases entre elles à l’aide d’une flèche qui part de l’information d’une phrase et va vers son rappel (périphrase, synonyme, pronom, etc.) dans la phrase suivante ; un tel lien doit toujours être présent. On peut aussi aborder avec lui la notion de déterminants référents et non référents.

L’ORTHOGRAPHE
Parallèlement à ce travail sur la rédaction, on peut aussi aborder la matière portant sur l’orthographe. Les ouvrages de Françoise Estienne, tous remplis d’exercices, sont à cet égard des sources d’inspiration inépuisables. Plusieurs présentent des démarches graduées, tout à fait adaptées pour des élèves du collégial. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que la dysorthographie ne se résorbera pas ; cependant, on peut apprendre à l’élève à réfléchir sur ce qu’il écrit, à se donner des méthodes aussi systématiques que possible pour pallier les automatismes qu’il n’a pas.

Ainsi, revoir les correspondances graphèmes/phonèmes, même si cela peut paraître surprenant au collégial, n’est pas sans donner certains résultats. Revenir notamment sur les modalités d’emploi de la cédille, les moments où le g est dur ou doux, etc., permet de réviser une matière que, bien sûr, l’élève a déjà vue, mais qui, étant donné sa dyslexie, lui a paru difficile et qu’il n’a pas bien intégrée. Revoir aussi les préfixes et les suffixes courants, ou les lettres finales des mots (on écrit gourmand parce que gourmandise ; enfant à cause d’enfantin ; rang à cause de ranger, etc.), ou l’accent circonflexe qui évoque un s disparu (hôpital et hospitalier, bête et bestial, etc.) : toute ces dérivations, à condition de les pratiquer par petits blocs à la fois, en n’abordant qu’une seule notion et en obligeant l’élève à se faire un aide-mémoire visuel, finissent par donner des résultats, même s’ils sont parfois modestes. Ces exercices comportent en tout cas un avantage énorme : ils permettent de comprendre que certaines régularités sont présentes dans l’orthographe.

Les élèves dysorthographiques ou dyslexiques réclameront aussi, souvent, une révision des homophones. Celle-ci devra se faire en abordant un seul mot à la fois : le à, par exemple, ou le on, et non la dyade (à/a, on/ont) qui fait problème ; il faut éviter de présenter les deux possibilités en confrontation, car cela ne fera qu’augmenter la confusion. De plus, on tentera toujours de recourir à des trucs mnémotechniques plutôt qu’à l’analyse grammaticale ; en effet, on s’en souviendra, au moment de réviser son propre texte, l’élève est fréquemment épuisé et n’a plus les capacités cognitives pour analyser efficacement.

On le constate, le travail sur l’orthographe se fait autour de mots décontextualisés et non dans des phrases ou des textes. De plus, à la fin de l’exercice, il ne faut pas seulement considérer le résultat obtenu par l’élève, mais aussi sa rapidité. Puisque nous visons l’automatisation, il est utile de faire recommencer un exercice, en demandant à l’élève de le faire une deuxième, puis une troisième fois, en réduisant chaque fois le temps qu’il met à le faire. Le but de ces répétitions est d’instaurer une automatisation.

En somme, on l’a vu, il y a bien des interventions possibles à faire auprès des élèves dyslexiques et dysorthographiques, bien des domaines à aborder avec eux, qui peuvent donner des résultats très concluants. Puisque leurs profils varient à l’infini, et que le champ des interventions possibles est également, on l’a vu, très vaste, on ne peut guère établir de séquences didactiques fixes ; il est au contraire beaucoup plus productif, et plus stimulant, d’établir pour eux et avec eux un certain nombre de chantiers pertinents, qui pourront varier selon leurs besoins et leur cheminement au collégial.

Leur présence au centre d’aide est donc fort pertinente. Elle peut même se révéler particulièrement bénéfique, sur le plan humain, si le tuteur ou le professeur avec qui ils seront jumelés prend également le temps de les encourager et de les soutenir moralement ; trop souvent, en effet, ces élèves ont une piètre estime d’eux-mêmes et une grande anxiété en milieu scolaire ; plusieurs, aussi, sont près du surmenage. Dans ces conditions, une oreille attentive, un sourire chaleureux, quelques mots d’encouragement feront au moins autant qu’une série d’exercices bien ciblés.

* * *

  1. Cégep Limoilou, campus de Charlesbourg, 30 septembre 2005. Retour
  2. On lira au sujet de l’utilisation de ce logiciel l’article Le logiciel ReadPlease : un outil stratégique pour une lecture efficace de Marc Tremblay, Rafael Maliba et Mélanie Bédard dans Correspondance, volume 13, numéro 2. Retour
  3. Toutes ces réflexions sont inspirées du modèle Apprendre en lisant, de Sylvie C. Cartier, présenté dans le livre du même titre. Bien que ce livre s’adresse aux enseignants du primaire et du secondaire, il peut tout de même nourrir une réflexion intéressante pour les professeurs du collégial qui veulent intervenir auprès de leurs élèves sur le plan de la lecture. Retour
  4. Le logiciel Mot a été élaboré par le LICEF, le centre de recherche de la Télé-Université. Retour
  5. Certains élèves dyslexiques ou dysorthographiques peuvent cependant ne présenter que des erreurs d’orthographe d’usage et grammaticale. Retour

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