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humour

Les mèmes pour faire la promotion du français par le plaisir

Dans notre belle province, traiter et discuter de la langue française est en quelque sorte un sport national. Que ce soit à propos de l’influence de l’anglais ou de la qualité de la langue dans les médias, chez nos étudiants et étudiantes ou encore chez notre futur personnel enseignant, il ne se passe pas une semaine sans que le sujet soit abordé dans l’espace public.

Malheureusement, le discours au ton souvent négatif et marqué par un sentiment de peur oblitère la fierté que nous pouvons avoir à l’égard de notre langue. Pourtant, on peut défendre sa langue, apprendre à bien la parler et à bien l’écrire tout en éprouvant du plaisir. C’est en quelque sorte la mission que s’est donnée le Scribe du cégep de Rivière-du-Loup, un pseudonyme que j’ai adopté en tant qu’agent de promotion de la langue dans mon établissement.

Il y a une quinzaine d’années, ma directrice des études m’a offert d’être le responsable de la valorisation du français. Depuis, mon rôle est de sensibiliser la communauté collégiale à l’importance d’une langue de qualité par toutes sortes de moyens : animation de semaines thématiques, infolettre hebdomadaire, ateliers de perfectionnement, le tout constamment teinté d’humour et de plaisir.

Le Scribe en dehors des murs du cégep

En 2017, inspirés par les publicités que l’on trouve dans les toilettes publiques, le Service des communications du cégep et le Scribe lancent une série d’affiches conçues à partir d’erreurs courantes. L’idée est de toucher le public au quotidien plutôt qu’une seule fois par semaine par le biais de l’infolettre. À notre grande surprise, cette idée est partagée par les médias locaux, régionaux et nationaux, et cette campagne de valorisation connait alors un succès inespéré; des affiches se retrouvent sur les murs de plusieurs écoles au Québec, dans des écoles francophones du Canada et même à l’extérieur du pays.

Les mèmes, un moyen de communication inspirant

Deux ans plus tard, cherchant une manière de joindre le public cible différemment et par un moyen plus moderne, on se trouve devant une évidence : la création de contenu pour les réseaux sociaux s’impose. La lecture de « Ne sous-estimez pas le pouvoir des mèmes », publié en 2019 par Jean-Philippe Baril Guérard dans la revue L’actualité, déclenche un processus de création immédiat.

Pour les non-initiés, le mème se définit comme « […] une forme de communication humoristique qui capte facilement l’attention et exprime une idée en un coup d’œil. Les mèmes ont plusieurs formes : ils sont généralement constitués d’images (fixes ou animées) et de textes qui font référence à la culture populaire et à l’actualité » (Usage numérique, 2021). Berthiaume (2019) souligne, dans un article d’Urbania, le caractère poétique du mème : « Le mème, c’est un poème en trois dimensions. Il repose sur l’agencement entre texte, image et référence culturelle. C’est accrocheur et ça détend l’atmosphère. » Un mème réussi est une création qui, en peu de mots, fait sourire, fait réfléchir et demeure dans l’esprit de la personne qui le regarde.

Quand tu écris « un champs », tu es dans le champ.
Figure 1

Un exemple de mème diffusé sur les réseaux sociaux du Scribe du cégep de Rivière-du-Loup

Créer et diffuser des mèmes

Pour concrétiser l’idée de départ, il a d’abord fallu trouver un site ou une application qui permet la réalisation efficace de mèmes. Cette étape s’est révélée assez simple, car il en existe plusieurs[1] étant donné la popularité de ce type de contenu dans les réseaux sociaux.

La question du droit d’auteur a été soulevée rapidement. La plupart des premières créations ont été conçues à partir d’images largement répandues dans l’univers des mèmes, mais pour certains concepts, le recours à des images spécifiques s’est imposé. Toutefois, peut-on utiliser des images trouvées en ligne qui ne sont pas officiellement libres de droits? La clé réside dans l’utilisation pédagogique du produit et dans le but non lucratif de la création[2]. On peut dire que c’est le même principe qui régit la projection d’une vidéo YouTube en classe : si l’objectif est scolaire ou didactique, la diffusion est permise.

En tant qu’enseignant, je crois que le mème peut être envisagé sous un angle pédagogique, car c’est une technique qui favorise la mémorisation d’une information. Il peut en effet servir de mnémotechnie. L’étudiante ou l’étudiant qui voit la création et qui est sensibilisé à un certain aspect de langue abordé va probablement se rappeler qu’il y a une possibilité d’erreur. Le processus de correction est alors lancé : quand on amène une personne à douter, elle cherche ensuite dans les bons outils, se révise et corrige au besoin. Pour certains apprenants et apprenantes, l’image fixe davantage le souvenir.

Il a fallu par la suite déterminer par quel média seraient diffusés les mèmes. En raison de sa grande popularité chez les jeunes, le réseau Instagram a été choisi. Pour obtenir une portée valable sur cette plateforme, on doit cependant prendre en compte plusieurs facteurs. Le premier est assurément la constance et l’assiduité. Pour créer une habitude de consommation auprès des personnes abonnées, il est nécessaire de « les nourrir » continuellement, car un mème possède une courte durée de vie, soit de 24 à 48 heures. Le compte scribecegeprdl publie donc minimalement un mème par semaine. L’option « stories » est également exploitée, parce que le contenu d’Instagram est souvent consommé ainsi. L’heure de diffusion doit aussi être prise en considération. Si une publication est effectuée pendant la journée, elle suscite beaucoup moins de réactions que si elle est mise en ligne en début de soirée, lorsque la majorité des gens ont terminé leur journée d’école ou de travail et sont disposés à se divertir.

Il est important de mentionner que le Scribe ne joue pas au puriste et donc que les mèmes qu’il produit ne s’attarderont pas à des règles obscures ou à des exceptions méconnues. Le ton employé reste léger et n’est jamais moralisateur. Le contenu est créé à partir d’erreurs courantes recensées dans les travaux scolaires, dans les réseaux sociaux ainsi que dans certains médias. Plusieurs aspects de la langue française sont abordés : l’orthographe, l’homophonie, les barbarismes, la conjugaison. Certains mèmes ont pour sujet la valorisation de la lecture.

Peu importe où tu lis... l'important est de lire.
Figure 2

Un exemple de mème valorisant la lecture, publié sur le compte du Scribe du cégep de Rivière-du-Loup

La conception de mèmes par les étudiantes et étudiants

J’anime également des ateliers de valorisation du français dans lesquels j’invite les jeunes à créer des mèmes. Ces ateliers sont entre autres offerts au centre d’entrainement en français, pendant la Semaine du français de l’établissement et dans des écoles secondaires de la région. En concevant un mème à partir d’une de ses erreurs de français oral ou écrit, l’apprenant ou l’apprenante prend conscience de son propre processus cognitif, ce qui stimule la métacognition :

La métacognition permet à l’élève d’être plus actif dans son apprentissage, c’est-à-dire de mobiliser l’ensemble de ses ressources pour vivre des expériences d’apprentissage réussies. Pour y parvenir, il doit connaitre sa façon d’apprendre, être conscient des étapes suivies et des moyens utilisés pour acquérir des connaissances, résoudre des problèmes et exécuter des tâches (Gagné, Leblanc et Rousseau, 2009, p. 2).

Les personnes qui participent aux ateliers ont toujours beaucoup de plaisir et déclarent souvent avoir mieux retenu la notion ayant fait l’objet de leur mème. Elles prennent également conscience de leur potentiel créatif.

Un influenseignant

L’idée de la valorisation du français par les mèmes a été médiatisée[3] et connait un rayonnement important pour ce type de contenu. Considéré par quelques médias comme un micro-influenceur[4], le Scribe s’est vu également affublé du titre d’influenseignant et se plait à mentionner qu’il est l’un des rares influenceurs utiles à la société. De leur côté, les étudiants et étudiantes ont une perception positive du travail du Scribe, car ils et elles constatent qu’on les incite à améliorer la qualité de leur français d’une manière moderne.

Le concept de la valorisation de la langue par les réseaux sociaux a été remarqué ailleurs dans la francophonie. En 2021, à la demande de l’Institut français de Paris, j’ai offert un webinaire sous le thème « L’orthographe dans tous ses états »[5]. Des personnes de 18 pays francophones y ont participé. L’automne dernier, grâce à un programme de mobilité enseignante financé par la Fédération des cégeps, je me suis rendu en France pour animer une série de conférences à l’Institut supérieur d’entrepreneurship et de gestion (ISEG), une école de communication et de marketing à l’ère du numérique. Le Scribe a présenté ses idées et sa démarche de valorisation de la langue par les mèmes dans trois de ses campus : cinq conférences ont été données à Nantes, trois à Paris et cinq à Lyon.

À ce jour, plus de 330 mèmes ont été réalisés et diffusés sur les réseaux sociaux. L’intérêt est toujours présent et le nombre d’abonnés Instagram (plus de 8 000) ne cesse de croitre. Au cégep de Rivière-du-Loup, ce type de valorisation du français a fait ses preuves, et je constate que la promotion d’une langue de qualité par l’humour s’avère efficace.

Références

BARIL GUÉRARD, Jean-Philippe (2019, 10 juillet). « Ne sous-estimez pas le pouvoir des mèmes », [En ligne], L’actualité. [https://lactualite.com/societe/ne-sous-estimez-pas-le-pouvoir-des-memes/] (Consulté le 24 novembre 2023).

BERTHIAUME, Jean-Michel (2019, 5 avril). « Les mèmes devraient être enseignés dans les cours de littérature », [En ligne], Urbania. [https://urbania.ca/article/les-memes-devraient-etre-enseignes-dans-les-cours-de-litterature] (Consulté le 24 novembre 2023).

GAGNÉ, Pierre Paul, Normand LEBLANC, et André ROUSSEAU (2009). Apprendre… une question de stratégies. Développer les habiletés liées aux fonctions exécutives, Montréal, Chenelière Éducation, 208 p.

MORASSE, Marie-Ève (2023, 4 février). « Il faut arrêter de leur dire qu’ils sont mauvais », [En ligne], La Presse. [https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-02-04/qualite-du-francais-chez-les-jeunes/il-faut-arreter-de-leur-dire-qu-ils-sont-mauvais.php] (Consulté le 24 novembre 2023).

OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2018). « Micro-influenceur Web, micro-influenceuse Web », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26544807/micro-influenceur-web] (Consulté le 6 décembre 2023).

USAGE NUMÉRIQUE (2021). « C’est quoi un “mème”? », [En ligne], Le numérique en question, Montréal, Université du Québec à Montréal, Faculté de communication. [https://numeriqueenquestions.uqam.ca/meme/] (Consulté le 24 novembre 2023).

  1. J’utilise fréquemment le générateur de mèmes du site Imgflip pour mes propres créations. [Retour]
  2. Ma collègue Élise Martin, spécialiste en moyens et techniques d’enseignement de la bibliothèque du cégep de Rivière-du-Loup, m’a épaulé dans les recherches sur la notion de droit d’auteur. [Retour]
  3. Des articles et des entrevues ont paru dans des médias locaux ou nationaux, spécialisés ou grand public. À titre d’exemple, une entrevue écrite par Marie-Ève Morasse a notamment été publiée dans La Presse en février 2023. [Retour]
  4. Selon l’Office québécois de la langue française (2018), un micro-influenceur ou une micro-influenceuse Web est un « [i]nfluenceur Web à audience moyenne qui est suivi pour son image authentique plutôt que pour son nombre d’abonnés ». [Retour]
  5. L’enregistrement de ce webinaire est disponible sur la chaine YouTube de l’IF Langue française. [Retour]

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