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«Dis-moi pas!?»: des capsules vidéos linguisticomiques pour explorer l’histoire des mots d’ici

Tourtière, gadoue, poudrerie, chevreuil… plusieurs mots d’usage courant au Québec possèdent une histoire fascinante. Qui sait, par exemple, que l’origine de bobette est liée au mouvement d’émancipation des femmes au 20e siècle? Ou que la galerie, dans la chasse-galerie qui donne son nom à la légende bien connue, n’a rien à voir avec ce qu’on appelle couramment une galerie au Québec? Jusqu’à tout récemment, pour explorer ces parcelles d’histoire, il fallait éplucher des ouvrages spécialisés, ce qui les rendait peu accessibles. La série de capsules vidéos linguisticomiques Dis-moi pas!? La petite histoire des mots d’ici vient remédier à cette situation.

Diffusée à l’été 2023 sur les ondes de Télé-Québec, la première saison de la série propose 20 épisodes d’environ 3 à 4 minutes. Narrée avec humour par Charles Beauchesne et illustrée d’animations souvent loufoques, chaque capsule retrace l’origine et les usages d’un ou de quelques mots propres au français parlé au Québec. Une deuxième saison est télédiffusée les samedis et dimanches depuis le 23 septembre 2023. Tous les enregistrements sont également accessibles en tout temps sur Internet.

Figure 1

Un exemple d’animation humoristique tirée d’une capsule Dis-moi pas!?

Un contenu étonnant

Au fil du visionnement, on découvre comment la langue reflète différents aspects de l’histoire et de l’évolution de la société québécoise. Le mot piastre, par exemple, renvoie à la circulation de la piastre espagnole au début des colonies en Amérique. Ayant persisté au Québec, il témoigne des différentes étapes de l’établissement d’un système monétaire uniforme au Canada et des tensions linguistiques au pays. On apprend du même coup d’où vient la fameuse expression « Changer quatre trente sous pour une piastre ». De même, la capsule sur le mot mouche met en relief l’importance des marins dans la diffusion du vocabulaire à travers les colonies françaises, des Antilles à la vallée du Saint-Laurent, alors que les liens qui unissent certains parlers régionaux de France au français québécois sont soulignés à travers des mots comme achaler, fale et grafigner.

La série montre aussi que la langue est vivante et remarquablement créative. Certains vocables sont littéralement construits à partir de mots existants, comme enfirouaper, qui a d’abord circulé sous la forme enfifrewâper et qui veut dire « tromper, duper (quelqu’un) ». Ce verbe a été bricolé à la fin du 19e siècle par le journaliste et humoriste Hector Berthelot à partir des mots enfifrer (l’équivalent du terme vulgaire enculer) et rouaper (ancienne variante franco-québécoise de râper).

Dans d’autres cas, un mot qui existait déjà acquiert un nouveau sens ou est employé pour désigner une nouvelle réalité. Qu’un mot comme suisse, par exemple, en vienne à prendre le sens de « tamia rayé » témoigne de la vitalité de la langue et de la capacité des locuteurs et locutrices à la transformer en fonction de leurs besoins d’expression. Bobette relève aussi de ce genre de créativité lexicale. Il est d’abord utilisé dans les années 1920 pour nommer les jeunes femmes qui arboraient la coupe de cheveux « bob », devenue un symbole de l’émancipation féminine. Il est ensuite repris par l’industrie de la mode pour qualifier toutes sortes d’accessoires destinés aux femmes, notamment un sous-vêtement.

Finalement, la série déboulonne au passage quelques étymologies populaires. Le célèbre bonhomme Sept-Heures en est un bon exemple. Selon la légende, il viendrait de l’anglais bone setter (le « ramancheur »), dont la consonance se rapproche de bonhomme Sept-Heures, alors qu’il s’inscrit plutôt dans une tradition dénominative bien française, dont on trouve des variantes dans plusieurs régions de France.

Le fruit de longs travaux

Le matériel présenté dans cette série vient des travaux du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ), un groupe de recherche affilié à l’Université Laval. Créé dans les années 1970, le TLFQ propose une synthèse historique du français parlé au Québec en examinant son vocabulaire. Les mots sont donc considérés comme des objets culturels qui peuvent être étudiés pour éclairer l’évolution de la société qui les utilise, un peu comme les objets matériels qu’on expose dans les centres d’interprétation et qui renseignent sur des pratiques, anciennes ou non. Les mots caractéristiques du français parlé ici peuvent aider à comprendre comment se sont forgés certains traits de l’identité québécoise. Atoca, par exemple, est un emprunt à la langue huronne-wendat, qui témoigne de la rencontre avec les peuples autochtones et de leur apport à la langue québécoise.

Par cette démarche historique qui s’inspire de l’approche anthropologique, les travaux du TLFQ ne visent pas à déterminer si un mot, un emploi ou une tournure de phrase sont conformes à l’usage standard; ils témoignent plutôt de la dimension sociale de la langue. En montrant les dessous riches, complexes et souvent surprenants de celle-ci, le TLFQ cherche à décrire objectivement les phénomènes de variation lexicale et à nourrir la fierté que les gens de tous horizons éprouvent à parler français, ainsi que leur désir de s’approprier cette langue pleinement.

D’ailleurs, l’équipe travaille à créer du matériel didactique pour accompagner les capsules Dis-moi pas!?, qui reposent pour la plupart sur des articles du Dictionnaire historique du français québécois. Plans détaillés, cartes conceptuelles, activités pédagogiques : ce matériel sera mis à la disposition du personnel enseignant de français qui souhaite utiliser les capsules en classe.

 

Que ce soit sloche ou poudrerie pour parler des hivers québécois, herbe pour nommer une surprenante variété de végétaux (dont la très désagréable herbe à puce et la mystérieuse herbe écartante) ou l’incontournable achaler, qui rend si bien l’idée de « contrarier » ou d’« importuner », les mots en usage ici participent activement à façonner la culture québécoise. C’est donc au cœur de celle-ci que les capsules Dis-moi pas!? offrent de plonger pendant quelques minutes, qui peuvent d’ailleurs servir d’amorce, d’intermède, de complément ou de finale à la fois riche et comique à une séance de cours!

Visionnez les capsules Dis-moi pas!? sur la chaine YouTube du TLFQ ou sur le site de Télé-Québec.

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