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Un CAF à la formation continue: une formule sur mesure pour répondre aux besoins d’une population adulte

Propos de Sophie Besselle, conseillère pédagogique à l’éducation permanente du cégep Marie-Victorin, recueillis par Valérie Plourde
Entrevue
On conviendra que de faibles habiletés langagières constituent un obstacle à la réussite d’études collégiales, au secteur de la formation générale tout comme à la formation continue. Ce frein à la réussite et à l’intégration au marché du travail pour la population étudiante de la formation continue est d’ailleurs pointé dans le rapport La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs de la Fédération des cégeps (2021). Pour soutenir les étudiantes et étudiants adultes, le cégep Marie-Victorin a pris le taureau par les cornes en mettant sur pied le centre d’aide de la formation continue (CAFC), dont le service le plus fréquenté est l’aide en français. Correspondance est allé à la rencontre de la responsable de ce centre pour en apprendre plus sur son fonctionnement et ses particularités.
Sophie Besselle

Sophie Besselle est conseillère pédagogique au secteur de l’éducation permanente du cégep Marie-Victorin depuis 2021. Son intérêt pour l’apprentissage du français et le tutorat s’est manifesté de multiples façons au fil du temps. Après quelques années comme tutrice et un passage par l’enseignement de la littérature et du français, elle a plus tard mené, dans le cadre de sa maitrise en didactique du français langue seconde, un projet de recherche sur une approche d’enseignement du français conçue pour des cégépiens et cégépiennes créolophones, expérimentée lors de séances de tutorat. Son travail actuel consiste entre autres à chapeauter le centre d’aide de la formation continue (CAFC) du cégep Marie-Victorin, qui offre notamment du soutien en français écrit à une population étudiante adulte.

 
Correspondance – Comment est né le besoin d’offrir de l’aide en français conçue spécialement pour les étudiantes et étudiants de la formation continue du cégep Marie-Victorin?

Sophie Besselle – Je n’étais pas en poste lorsque le centre d’aide en français (CAF) de la formation continue a vu le jour. Après consultation d’archives et de collègues, force est de constater que je n’ai pas pu retracer le moment exact où tout a commencé. Néanmoins, dans un ancien document promotionnel, on peut lire qu’« au fil des ans, la Formation continue a mis sur pied différentes mesures d’aide afin de soutenir dans leur démarche scolaire les étudiants adultes. […] Depuis, des centres d’aide ont vu le jour suivant les besoins observés par les enseignants auprès des étudiants adultes qui, comme on le sait, ont connu des parcours professionnels et académiques fort différents » (Éducation permanente, 2012, p. 1).

Plus d’une décennie plus tard, notre centre d’aide qui s’adresse précisément aux étudiantes et étudiants de la formation continue est toujours aussi pertinent, notamment parce qu’il permet à ceux et celles qui suivent des cours de soir d’être reçus selon un horaire adapté à leur réalité, soit entre 15 h 30 et 19 h 30. De plus, il répond à des besoins spécifiques observés dans notre secteur, qui vont au-delà de l’apprentissage de la grammaire et qui touchent par exemple la méthodologie, la gestion des études et les stratégies d’apprentissage. J’ajouterais que le grand nombre de personnes que notre cégep accueille dans les programmes d’AEC et de DEC à la formation continue fait en sorte que nous avons beaucoup de demandes en lien avec l’amélioration de la langue. Bref, c’est la réalité particulière et le volume de notre population étudiante qui expliquent la présence d’un centre d’aide en français dédié à la formation continue au cégep Marie-Victorin.

Correspondance – Qu’est-ce qui caractérise les personnes qui demandent de l’aide en français et celles qui offrent cette aide?

S. B. – Désormais, des personnes inscrites dans un programme de DEC de soir, comme dans un programme d’AEC de jour ou de soir, en présence comme à distance, sollicitent les services du CAFC. Bien que les profils des étudiants et étudiantes que nous recevons soient diversifiés, nous pouvons dire que ces gens ont certaines caractéristiques communes, comme le fait que ce sont des adultes qui ont bien souvent des obligations professionnelles et familiales parallèlement à leur projet d’études ou encore qui effectuent un retour aux études. Il arrive fréquemment que le français soit leur deuxième ou leur troisième langue. En outre, nous accueillons régulièrement des personnes qui peuvent avoir vécu des échecs dans les cours de formation générale par le passé, que ce soit dans notre secteur, à la formation initiale ou même dans un autre cégep. Celles-ci sont alors particulièrement motivées à réussir leurs cours.

Les tuteurs et tutrices qui offrent de l’aide en français dans notre centre d’aide ont pour la plupart un diplôme en littérature française ou sont sur le point de l’obtenir. Plusieurs ont de l’expérience en enseignement ou souhaitent en acquérir. Ce sont donc des personnes un peu plus expérimentées que les pairs aidants qui œuvrent dans la majorité des CAF. J’ajouterais que toute notre équipe de tutorat affectionne particulièrement la relation privilégiée qu’offre la formule de l’enseignement individualisé.

Correspondance – Comment se déroule une session de rencontres?

S. B. – Deux types de rendez-vous sont offerts par notre centre d’aide. Une personne étudiante peut demander de l’aide ponctuelle et être rencontrée une seule fois. Elle doit alors envoyer un courriel pour solliciter un rendez-vous, au cours duquel une tutrice ou un tuteur répondra à ses quelques questions ou lui donnera le coup de pouce dont elle a besoin. Il peut arriver que cette rencontre serve de point de départ à une série de rendez-vous, ce qui correspond à la seconde forme du service, qui est aussi la plus populaire. La majorité des étudiantes et étudiants qui demandent l’aide du CAF souhaitent en effet être jumelés à un tuteur ou à une tutrice pour toute la session. Depuis l’hiver 2023, la durée prévue de toutes les rencontres, qu’elles soient ponctuelles ou hebdomadaires, est de 50 minutes. Dans le cas des jumelages, une formule calquée sur le modèle des CAF traditionnels, les rencontres ont lieu de façon hebdomadaire, et ce, pour un total d’environ 12 semaines par session.

Pour ce faire, l’étudiante ou l’étudiant doit s’inscrire en remplissant un questionnaire Forms, puis signer un contrat de jumelage qui établit le règlement du CAF (engagement, absences, etc.). La première rencontre se veut à la fois informelle et diagnostique. En effet, elle permet de poser les bases de la relation d’aide et d’interroger la personne sur ses connaissances et comportements liés à la matière. Des outils tels que le test diagnostique et la rédaction vont également servir au tuteur ou à la tutrice à établir un diagnostic et un plan des priorités pour la session. Au cours des rencontres subséquentes, les tuteurs et tutrices vont revoir des notions grammaticales avec la personne aidée, lui demander de faire des exercices sur papier ou en ligne, travailler à partir de travaux corrigés et miser sur la démarche d’autocorrection. Enfin, les tutorés et tutorées qui le souhaitent pourront faire des devoirs à la maison, comme des exercices ou des rédactions. La dernière séance de la session est consacrée à un bilan de la progression du tutoré ou de la tutorée. Elle sert aussi à déterminer les éléments qu’il reste à travailler et à préparer les examens. Au besoin, le tuteur ou la tutrice conseillera à la personne de se réinscrire à la prochaine session. Un étudiant ou une étudiante peut s’inscrire au CAF autant de fois qu’il ou elle le souhaite durant son parcours collégial.

Correspondance – Quels points communs et quelles différences peut-on observer entre le CAF de la formation continue et celui de la formation initiale?

S. B. – Outre l’horaire du CAF, l’âge des personnes aidées et le profil des tuteurs et tutrices, il y a peu de différences. Les tutorées et tutorés éprouvent le même type de difficultés en français que la population étudiante de la formation initiale. Nous allons jusqu’à partager le même local!

Notons tout de même quelques différences dans le fonctionnement de notre centre. Nous avons un « mégatuteur » qui s’occupe de la gestion des rendez-vous pour l’ensemble des tuteurs et tutrices. De plus, le centre d’aide est sous la responsabilité d’une conseillère pédagogique de la formation continue plutôt que d’une équipe d’enseignantes et d’enseignants. Enfin, nos tuteurs et tutrices effectuent jusqu’à la moitié de leurs séances en ligne, soit pour faciliter la conciliation travail-famille-études, soit pour accommoder les personnes inscrites dans les programmes de formation à distance.

Correspondance – Avez-vous pu observer certaines retombées de cette aide en français?

S. B. – Présentement, nous n’avons malheureusement pas de données statistiques qui puissent témoigner des retombées de l’aide en français offerte. Chaque session, nous calculons le taux de réussite au cours de français des étudiantes et étudiants ayant reçu de l’aide et le pourcentage de la population étudiante ayant bénéficié de mesures d’aide. Nous avons cependant la volonté de mettre en place des moyens qui nous permettraient de mieux saisir la portée de l’aide offerte.

Cela dit, sur le terrain, plusieurs personnes qui font du tutorat ou qui enseignent peuvent témoigner des progrès d’un grand nombre d’étudiantes et étudiants. Nous avons d’ailleurs organisé dernièrement une petite cérémonie pour remettre des prix à des étudiants et étudiantes qui, selon leurs tuteurs et tutrices, se sont démarqués par leur engagement et leur persévérance tout au long de la session. De plus, à travers le sondage d’appréciation administré à la fin de la session, plusieurs personnes aidées nous font part de leur progression et remercient chaleureusement leur tuteur ou tutrice pour l’aide reçue.

Correspondance – Quels défis avez-vous rencontrés dans l’implantation et le fonctionnement de votre service d’aide en français?

S. B. – L’un des défis qui reviennent d’année en année est celui de la méconnaissance des services. Avec l’arrivée fréquente de nouvelles personnes dans nos programmes de DEC et d’AEC, il est impératif de mettre en place de nombreux moyens pour arriver à faire connaitre les services à la communauté étudiante, et surtout à joindre ceux et celles qui en ont le plus besoin.

En ce qui concerne le fonctionnement, un autre défi est l’absentéisme. Afin de tenter de réduire ce problème, nous avons amélioré notre contrat de jumelage. Pour assurer un meilleur taux de présence aux rendez-vous, la personne étudiante signe un document où elle s’engage à informer son tuteur ou sa tutrice si elle doit s’absenter. Elle est également informée par ce document que, si elle cumule plus de deux absences non justifiées, sa place sera offerte à une autre personne en attente de services d’aide.

Enfin, il faut souligner le défi important de la rétention des tuteurs et tutrices de session en session. En effet, plusieurs facteurs, comme l’horaire particulier de notre centre, l’accès à notre cégep ou leur emploi du temps qui change en raison de leur projet d’études ou d’engagements professionnels, peuvent faire en sorte qu’ils et elles ne renouvèlent pas leur contrat au-delà d’une session. C’est pourquoi nous tentons le plus possible de leur donner des conditions de travail qui leur conviennent, par exemple en intégrant du télétravail ou en offrant un horaire de un à quatre jours par semaine.

Correspondance – Quelles améliorations avez-vous apportées au fil des ans?

S. B. – Récemment, certains changements ont été opérés après l’analyse des résultats d’un sondage administré à l’ensemble de notre communauté étudiante.

L’un des constats effectués concernait la durée des rendez-vous, que les étudiantes et étudiants trouvaient trop courte. Nous l’avons par conséquent modifiée pour que les rencontres passent de 40 à 50 minutes.

Une autre donnée claire obtenue grâce à ce sondage était l’insatisfaction quant à la disponibilité des services. En effet, principalement après le confinement, nous nous sommes retrouvés avec un nombre insuffisant de tuteurs et tutrices, et donc de plages horaires disponibles. Un recrutement important s’est alors imposé pour remédier à la situation.

De plus, depuis quelques années, il n’y a plus de service sans rendez-vous, qui trouvait peu de personnes intéressées en début de session, et trop en fin de session, ce qui était source de frustration dans la population étudiante et de stress chez les tuteurs et tutrices. L’aide ponctuelle est toujours offerte, mais sur rendez-vous seulement.

Correspondance – Votre CAF fait partie d’un service plus large, le centre d’aide de la formation continue (CAFC). Quelle place l’aide en français occupe-t-elle dans cette structure?

S. B. – Nous avons fait le choix de regrouper les différents services d’aide offerts à notre population étudiante, notamment parce que les autres services d’aide sont nettement moins populaires que l’aide en français. Ainsi, une ou deux personnes répondent aux demandes d’aide ponctuelle en anglais, philosophie, informatique, méthodologie et gestion des études lorsqu’elles se présentent. Après avoir reçu les demandes d’aide par courriel, le mégatuteur offre un rendez-vous, en présence ou à distance, à l’étudiant ou à l’étudiante et s’assure de répondre à son besoin. Cette aide est toutefois marginale, car 80 % des demandes d’aide concernent le français. À l’hiver 2023, une équipe de sept tuteurs et tutrices était nécessaire pour y répondre; pour donner un ordre de grandeur, l’équipe a effectué 415 rencontres en français sur un total de 506 rencontres, tous types d’aide confondus. Par conséquent, le CAF contribue à faire connaitre toute notre offre d’aide et agit comme une porte d’entrée vers l’ensemble des services du CAFC.

Correspondance – Quels conseils donneriez-vous aux services de formation continue qui souhaiteraient implanter une formule d’aide en français?

S. B. – Il est d’abord impératif de garder en tête la réalité des étudiants et étudiantes de la formation continue. Il est donc important de faire preuve de souplesse, étant donné que plusieurs doivent régulièrement concilier travail, famille et études. Par exemple, plutôt que de pénaliser un étudiant ou une étudiante qui peine à arriver à l’heure à ses rendez-vous, nous allons tenter de voir si une autre case horaire ou une autre modalité lui conviendrait mieux.

Certains outils nous apparaissent également indispensables au bon fonctionnement des séances et du service, soit le contrat de jumelage, le sondage de satisfaction et le rapport des statistiques de la session, qui retrace le taux de fréquentation, la nature des demandes, etc.

En outre, il ne faut surtout pas sous-estimer la publicité pour s’assurer que le service est connu, et donc utilisé. De notre côté, plusieurs avenues se sont avérées fructueuses en matière de communication : faire une tournée des classes en début de session, solliciter la participation des titulaires de cours et des aides pédagogiques individuels (API), publier des rappels dans le fil des nouvelles sur Omnivox et produire des documents promotionnels visuellement attrayants.

Je suggèrerais enfin de commencer doucement pour ensuite améliorer le service de session en session. Il ne faut pas non plus avoir peur d’essayer de nouvelles choses. Certaines propositions s’avèreront concluantes, d’autres moins. Ces essais et erreurs sont synonymes d’apprentissages plutôt que d’échecs. Cette attitude, que nous encourageons aussi chez nos tutorées et tutorés, s’est révélée bénéfique pour faire évoluer notre CAF au fil du temps.

Remerciements

Sophie Besselle aimerait remercier Guillaume Labelle, conseiller pédagogique et ancien responsable du CAFC, et Jacynthe Fournier-Rémy, tutrice au CAFC, pour leur aide précieuse dans la préparation de cette entrevue.

Source citée par Sophie Besselle

ÉDUCATION PERMANENTE (2012). InfoCMV_Centres d’aide, Montréal, Cégep Marie-Victorin, 2 p. [Document interne].

Référence

FÉDÉRATION DES CÉGEPS (2021). La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs, [En ligne], Montréal, La Fédération, 151 p. [https://fedecegeps.ca/wp-content/uploads/2021/10/rapport-la-reussite-au-cegep.pdf] (Consulté le 2 novembre 2023).

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