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Les Rencontres oratoires: une démarche pour développer la compétence à communiquer oralement des étudiantes et étudiants

Parmi les compétences de base nécessaires pour fonctionner dans la société, la compétence à communiquer oralement joue un rôle de premier plan. En contexte collégial, en plus d’être essentielle pour les interactions quotidiennes, cette compétence revêt une grande importance pour les étudiantes et les étudiants : elle leur permet d’interagir avec leurs professeurs et leurs collègues, elle est un élément d’évaluation, voire l’objet central de certains cours, elle est mobilisée dans la plupart des stages, etc. (Blanchet, 2016; Dumais, 2017). Puisque le contexte collégial est semblable au contexte universitaire en ce qui a trait à cette compétence, nous avons souhaité faire part, à l’aide du présent article, d’une démarche qui a été élaborée et mise en pratique de 2016 à 2019 à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) pour répondre aux besoins des étudiantes et étudiants relativement à la communication orale. Il s’agit des Rencontres oratoires. Dans ce texte, nous présentons le développement de cette démarche, le déroulement des rencontres, les appuis théoriques et les principes à la base de leur fonctionnement ainsi que des variantes possibles. Selon nous, la démarche des Rencontres oratoires peut facilement être utilisée ou adaptée, tant à l’université qu’au collégial et même au secondaire.

La petite histoire des Rencontres oratoires

La démarche des Rencontres oratoires part des besoins des étudiantes et étudiants et a fait l’objet d’un projet pilote avant d’en arriver à sa forme finale. La présente section retrace l’historique de la démarche et fait part des réflexions et des décisions qui ont permis de la créer.

Les besoins des étudiants

Comme au collégial, plusieurs cours universitaires ont pour élément d’évaluation une prise de parole devant le groupe. Les étudiants et étudiantes ayant des craintes ou un blocage par rapport à l’oral peuvent se retrouver en situation d’anxiété devant cette tâche. D’ailleurs, certains étudiants, au cours des dernières années, ont mentionné à plusieurs intervenants de l’UQTR qu’ils préféraient abandonner un cours pour éviter cette situation anxiogène.

Étant donné cette situation, il n’était pas surprenant que des étudiants et des étudiantes communiquent avec les Services aux étudiants (SAE), dont le Centre d’aide en français (CAF) et le Service de soutien aux étudiants en situation de handicap, afin de recevoir de l’aide pour améliorer leur compétence à communiquer oralement et être plus à l’aise de prendre la parole devant leurs pairs. Pour certains et certaines, il s’agissait d’un besoin ponctuel, comme le besoin de s’exercer avant un exposé oral. Pour d’autres, les difficultés, pouvant découler d’un trouble d’apprentissage, étaient plus grandes et nécessitaient un accompagnement plus personnalisé. Des étudiantes et étudiants n’ayant pas le français comme langue première manifestaient aussi le désir d’avoir des moments pour s’exercer à prendre la parole en groupe afin de parfaire leur français oral. Précisons que le CAF offrait aux étudiants et étudiantes un service de mentorat individuel. Toutefois, comme un nombre considérable de participants et participantes manifestaient le besoin de s’exercer devant plusieurs personnes pour surmonter leurs difficultés, des rencontres de groupe s’avéraient nécessaires.

Le projet pilote

Une discussion entre Christian Dumais, professeur au Département des sciences de l’éducation, et Caroline Vézina, coordonnatrice du CAF, au sujet des besoins des étudiantes et des étudiants, est à l’origine d’un projet pilote d’ateliers sur la communication orale. Ce dernier avait pour objectif de présenter des stratégies aux étudiants et étudiantes afin de les aider à diminuer leurs craintes par rapport aux prises de parole en contexte universitaire, en s’inspirant de la formule des clubs Toastmasters[1], c’est-à-dire en donnant l’occasion à tous les volontaires dans la salle de prendre la parole selon leur degré d’aisance. Nommé « Communiquez plus facilement et plus efficacement devant les autres », le projet pilote de deux ateliers, d’une durée de 90 minutes chacun, a été offert à la session d’hiver 2016 uniquement aux étudiants et étudiantes qui, selon leur dossier[2] au Service de soutien aux étudiants en situation de handicap, présentaient une difficulté à l’oral. Le projet leur a été présenté par courriel. Quatre d’entre eux se sont inscrits, dont trois qui ont participé aux deux rencontres.

Lors de la première rencontre, les personnes présentes ont pu mieux comprendre ce qu’est la communication orale et découvrir des stratégies de prise de parole. Voici les thèmes qui ont été abordés :

  • Définir l’oral;
  • Dédramatiser l’oral;
  • Découvrir quelques stratégies pour mieux communiquer devant les autres;
  • Utiliser les supports visuels efficacement;
  • Intervenir dans un groupe-classe;
  • Questionner son enseignant ou son enseignante.

La deuxième rencontre a permis aux volontaires de prendre la parole devant le groupe à partir d’un thème de leur choix. À notre grande surprise, deux des trois personnes présentes avaient préparé une présentation appuyée d’un support visuel. Elles ont ainsi fait le choix de réaliser devant leurs pairs une présentation formelle.

Malgré le petit nombre de participants, ce projet pilote nous a permis de réfléchir aux thèmes qui seraient utiles aux étudiants et de tester la formule. Nous avons aussi recueilli les impressions et suggestions des participantes et des participants pour améliorer le service. Ils ont fait part de leur fierté d’avoir présenté devant les autres et d’avoir affronté leurs craintes et surmonté leur stress. Ils ont aussi exprimé le souhait de participer à d’autres ateliers. Nous avons également relevé le besoin d’impliquer les étudiants et les étudiantes dans les rétroactions aux pairs afin de favoriser la participation aux échanges.

Les Rencontres oratoires

C’est à partir de l’expérience du projet pilote et des commentaires recueillis que les animateurs ont entamé une réflexion pour un projet de plus grande envergure devant s’adresser à l’ensemble de la population étudiante de l’UQTR. Une nouvelle collaboratrice, Véronique Myre, conseillère aux activités étudiantes pour le secteur Soutien à l’apprentissage aux SAE, s’est ajoutée à l’équipe[3]. La planification du projet s’est réalisée au printemps 2016, dans le but d’offrir le service à la rentrée automnale suivante. Il a été convenu de proposer des rencontres mensuelles durant lesquelles les participantes et participants auraient l’occasion de réaliser de courtes prises de parole devant leurs pairs.

À l’étape de la diffusion et de la promotion, la collaboration du Service des communications de l’UQTR s’est avérée grandement utile pour le choix de l’identité visuelle et du nom de même que pour l’affichage et la publicité. Les SAE ont également ajouté une page sur leur site pour informer la communauté universitaire du projet et en faire connaitre les ressources. La campagne de promotion de ce nouveau projet, nommé « Rencontres oratoires », comprenait des articles et des évènements sur la plateforme d’information de l’UQTR (En Tête), des affiches, des publications en ligne, dont sur les réseaux sociaux, et des courriels envoyés aux départements.

Huit Rencontres oratoires, d’une durée de 90 minutes chacune, ont été planifiées pour l’année scolaire 2016‑2017. Toutefois, faute d’inscriptions, seulement six d’entre elles ont eu lieu. Au début de chaque séance, les animateurs présentaient aux participants et participantes des stratégies en lien avec la communication orale. Ces courtes présentations, élaborées à partir des besoins exprimés par les étudiantes et étudiants lors de leur inscription, s’articulaient autour des thèmes suivants :

  1. La compétence à communiquer oralement et l’évaluation par les pairs;
  2. Le débit;
  3. Le regard;
  4. L’organisation du propos;
  5. Les supports visuels;
  6. La posture.

La suite des séances était consacrée aux prises de parole, de durées variables (3 à 10 minutes par personne). Il était souhaité que chacun et chacune puisse prendre la parole sur une base volontaire et, idéalement, de façon régulière pour s’améliorer et pour développer une certaine assurance.

Grâce au soutien du Service des technologies de l’information de l’UQTR, nous avons réalisé des capsules vidéos sur chacun des thèmes afin que les étudiantes et étudiants absents lors d’une rencontre puissent les voir, et celles et ceux présents les revoir pour mieux les comprendre. Elles sont toutes disponibles sur le site du projet et sur la chaine YouTube des SAE.

La planification détaillée selon les thèmes retenus

Au terme des quatre années du projet, voici un tableau qui présente la planification que nous avons considérée comme optimale selon les thèmes choisis par l’équipe.

Tableau 1
Planification optimale des Rencontres oratoires
Rencontres
Thèmes abordés
Prises de parole
1 Les compétences langagières à l’oral :

  • L’oral : le définir et le dédramatiser
  • L’évaluation des pairs
  • Quelques stratégies pour évaluer ses pairs
Exemple d’évaluation par les pairs : Écouter en groupe une présentation disponible sur YouTube et évaluer ses pairs selon les principes vus.

Prise de parole : Briser la glace en racontant ou en décrivant l’appréciation d’un film ou d’un spectacle, un voyage, une anecdote, une passion, etc.

2 Le débit :

  • Une définition
  • Quelques stratégies pour améliorer son débit
Virelangues en sous-groupes : Tirer au sort un virelangue et un type de débit. Répéter à trois reprises. Discuter des effets du débit.

Prise de parole : Faire part de l’appréciation d’un film ou d’un spectacle, raconter un voyage, une anecdote, une passion, etc., en utilisant un débit adéquat.

3 Le regard :

  • Une définition
  • Les formes de regards
  • Quelques stratégies pour améliorer son regard
Prise de parole : Exposer son point de vue en choisissant l’un des sujets proposés tout en utilisant un regard adéquat.
4 L’organisation du propos :

Prise de parole : Débattre en équipe à partir de l’un des sujets proposés (deux étudiants pour et deux étudiants contre). Organiser son propos en choisissant les arguments en équipe à l’aide de la grille.
5 Les supports visuels :

  • L’utilisation d’un support visuel
  • Quelques stratégies
  • Conseils d’utilisation d’un diaporama
Jeux oratoires en sous-groupes : Vulgariser un sujet de sa discipline, aborder un sujet délicat ou répondre à des questions d’entrevue d’embauche.

Prise de parole : Faire une présentation à l’aide d’un support visuel en disant comment faire ou réaliser quelque chose (recette, bricolage, exercices, tâches, etc.). Les participantes et participants en ont été avisés à la rencontre précédente.

6 La posture :

  • Une définition
  • Quelles postures adopter?
  • Que faut-il éviter?
Prise de parole (plus formelle que les précédentes) : Présenter un projet, un sujet d’intérêt ou un travail de session en utilisant une posture adéquate.

Les participantes et participants en ont été avisés à la rencontre précédente.

Le déroulement type d’une rencontre

Chacune des séances se déroulait en trois parties : l’accueil, la présentation de l’objet de l’oral et les activités de prise de parole.

L’accueil des étudiants et étudiantes s’est avéré essentiel. Dès leur arrivée dans le local, les participantes et participants devaient se sentir en confiance dans le groupe, tant entre eux qu’avec les animateurs. C’est d’autant plus vrai quand les participants se trouvent en position de vulnérabilité, ce qui était le cas de certaines personnes qui avaient vécu de mauvaises expériences de communication orale ou qui ressentaient du stress lors de prises de parole en public. Les formateurs remerciaient les étudiants et étudiantes de leur présence, créant d’entrée de jeu une forme de renforcement positif propice à la mise en place d’un climat agréable et détendu. Grâce à ces premières minutes « informelles », un climat d’ouverture, de bienveillance et de convivialité s’établissait doucement, donnant le ton au reste de la rencontre.

Après l’accueil, la conversation se poursuivait avec les participantes et les participants, qui s’installaient dans le local. Ces échanges, faisant office de brise-glace, pouvaient porter sur différents sujets tels que la raison de leur présence, leur façon de vivre des situations de communication orale, la perception de leur sentiment de compétence lors d’exposés oraux, la quantité et la forme de ceux qu’ils ont à faire lors de la session en cours ou encore les autres occasions de prises de parole en contexte universitaire. En fonction du nombre d’inscriptions, il était possible d’attendre jusqu’à cinq minutes avant de fermer la porte du local. Passé ce délai, la porte fermée créait une sorte de bulle qui renforçait le climat de confiance. Ainsi, les participantes et participants étaient moins dérangés par les mouvements extérieurs et étaient à l’abri des oreilles indiscrètes.

Les animateurs, après qu’ils se furent présentés et qu’ils eurent formellement souhaité la bienvenue aux personnes présentes, invitaient ces dernières à se présenter brièvement à leur tour (prénom, nom et programme). Ensuite, ils exposaient un objet de l’oral (voir la 2e colonne du tableau 1). Puis, lorsque cela s’y prêtait, les participantes et participants faisaient en petites équipes un exercice en lien avec l’objet afin de bien le comprendre.

Un bref rappel des principes de l’évaluation par les pairs était fait (élément abordé à la première rencontre), et s’ensuivait une prise de parole. Les formateurs pouvaient suggérer des sujets pour inspirer les participants. Tous bénéficiaient de cinq minutes pour réfléchir à leur prise de parole, organiser leur propos et, selon le contexte, songer à l’utilisation du matériel disponible (écrire au tableau ou utiliser un autre support). Pendant ces préparatifs, les animateurs distribuaient aux personnes présentes des grilles d’observation. Les personnes remplissaient ces grilles de façon anonyme, puis celles-ci étaient remises à ceux et celles qui prenaient la parole pour garder des traces des commentaires de leurs pairs et des animateurs.

Les volontaires prenaient ensuite la parole, à tour de rôle, puis étaient évalués par leurs pairs. Nous reviendrons plus en détail sur cette forme d’évaluation un peu plus loin. Les étudiants et animateurs portaient alors une attention particulière à la mise en pratique de l’objet de l’oral présenté en début de rencontre afin de pouvoir faire des rétroactions sur ce dernier. Ils pouvaient aussi faire des rétroactions sur d’autres éléments de leur choix.

L’évolution des Rencontres oratoires

À leur première édition, à l’automne 2016, les Rencontres oratoires ont connu un certain succès auprès des étudiants. Il y a toutefois eu moins de participants à l’hiver 2017. Il faut toutefois souligner que la plage horaire choisie pour cette session n’était probablement pas la plus adéquate, et que la participation des étudiants aux activités, quelles qu’elles soient, est toujours moins élevée à la session d’hiver. En tout, six rencontres ont été offertes, dont quatre à l’automne et deux à l’hiver. Au total, 58 étudiants et étudiantes ont participé aux rencontres. La participation variait d’une séance à l’autre (entre 5 et 29 personnes). Cette première année a été, sans aucun doute, la plus intéressante en ce qui concerne la participation. Le projet a reçu un accueil favorable de la communauté universitaire.

Forts de ce succès, nous avons convenu de répéter l’expérience, mais une baisse progressive des inscriptions a pu être constatée : cinq activités ont attiré un total de 22 étudiants et étudiantes à l’automne 2017; aucune inscription n’a été reçue à l’hiver 2018. Les Rencontres oratoires ont été reconduites pour une troisième année (2018-2019), mais à l’automne seulement. Quatorze personnes ont participé à l’une ou l’autre des quatre activités. Lors de la quatrième et dernière année du projet, en 2019-2020, l’animation était sous la responsabilité d’une mentore du CAF qui avait plusieurs années d’expérience en mentorat et en animation d’ateliers. Les rencontres, au nombre de quatre, ont eu lieu à l’automne. Malgré la dizaine d’étudiants inscrits, il n’y a eu que quatre participants par rencontre. Comme il ne s’agissait pas toujours des mêmes personnes, la planification devait être adaptée : un retour rapide sur des éléments des rencontres précédentes était nécessaire avant que l’animatrice n’aborde le thème du jour. De plus, le petit nombre d’étudiants présents faisait en sorte qu’ils ne pouvaient pas atteindre l’objectif qu’ils s’étaient fixé. En effet, la plupart étaient très à l’aise de communiquer oralement devant un petit groupe ou en tête-à-tête; ils auraient préféré s’exercer devant un groupe plus nombreux.

C’est d’ailleurs ce déclin dans la participation des étudiants et étudiantes ainsi que la pandémie de COVID-19 et l’enseignement en ligne qui ont mené à la décision de ne pas reconduire le projet l’année suivante. Les ressources demeurent cependant disponibles sur le site des SAE, et les étudiants sont invités à communiquer avec le CAF s’ils souhaitent recevoir de l’aide en communication orale. Depuis la fin des Rencontres oratoires, le CAF reçoit seulement deux ou trois demandes par année. Les étudiants sont aussitôt dirigés vers le mentorat pour recevoir de l’aide individuelle.

Les appuis théoriques et les principes à la base des Rencontres oratoires

Les Rencontres oratoires, en ce qui concerne tant le déroulement que les contenus abordés, reposent sur les recherches en didactique de l’oral. Nous présentons ci-dessous les appuis théoriques et les principes à la base de cette démarche.

Définir et dédramatiser l’oral

Il a été important, chaque année lors de la première rencontre, d’expliquer ce que signifie « être compétent ou compétente à l’oral » et de dédramatiser celui-ci. En effet, plusieurs étudiants associent la compétence à communiquer oralement à l’apprentissage par cœur d’un texte écrit, comme ils l’ont vécu dans leur parcours scolaire. Pour d’autres, l’oral a les mêmes caractéristiques que l’écrit, et certains éléments, comme les pauses silencieuses ou sonores (« eee », par exemple), les hésitations ou encore l’autocorrection, doivent être absents chez les locuteurs compétents. De plus, certains croient qu’une personne habile en communication orale n’est jamais stressée.

À partir de ces différentes perceptions, nous avons expliqué la différence entre un oral spontané et un oral préparé (Dumais, Soucy et Lafontaine, 2018) et fait part aux étudiants des caractéristiques propres de l’oral (voir cette vidéo) en décrivant entre autres les phénomènes normaux de disfluences comme la reprise, la fragmentation du mot, l’hésitation, etc. (Dumais, 2018; Dumais et Ostiguy, 2019). Nous avons également expliqué que le fait de se reprendre et de se corriger à l’oral ne devait pas être considéré comme une erreur, mais plutôt être valorisé puisque la personne est alors consciente de son erreur et la corrige. « [I]l s’agit d’une trace du contrôle exercé sur la parole d’un individu lors de sa production. » (Dumais et Ostiguy, 2019) Pour cela, nous avons fait des liens avec des locuteurs jugés comme des experts ou des modèles linguistiques qui, eux-mêmes, se corrigent et ont des prises de parole composées de disfluences.

De la sorte, les étudiants pouvaient comprendre que personne n’est parfait et qu’il faut plutôt tendre à toujours s’améliorer. Ils pouvaient ainsi avoir des attentes réalistes quant à leur compétence à communiquer oralement.

Les compétences langagières à l’oral

Puisque les participantes et participants aux Rencontres oratoires présentaient des profils et des parcours très différents, le choix des thèmes s’est basé sur une classification simple et accessible d’objets de l’oral, celle de Préfontaine, Lebrun et Nachbauer (1998), adaptée par Lafontaine et Dumais (2014). Elle comporte trois compétences langagières, soit les compétences linguistique, discursive et communicative, qui se déclinent en objets de l’oral. À l’exception de la première, toutes les rencontres portaient sur un objet de l’oral précis provenant de l’une des trois compétences. Cet objet précis était au préalable défini et décortiqué par l’équipe d’animateurs afin que soient créées des capsules vidéos et que soit préparée, pour certains objets, une activité de mise en pratique pour les étudiants[4].

L’évaluation par les pairs

Les recherches en didactique de l’oral ont montré l’importance pour les apprenantes et les apprenants de prendre part à l’évaluation de leur propre prise de parole afin de pouvoir comparer leurs perceptions à celles des autres. Il s’avère donc essentiel qu’ils fassent une autoévaluation de leur prise de parole. En plus de leur permettre d’analyser leur compétence à communiquer oralement, l’autoévaluation les rend plus réceptifs à entendre les commentaires des pairs puisqu’ils ont eux-mêmes soulevé des forces et des éléments à améliorer qui peuvent leur être confirmés ou infirmés. Pour les étudiantes et étudiants qui écoutent et commentent, le fait de devoir observer et analyser la prise de parole d’un pair et rendre compte d’éléments positifs et à améliorer les amène à travailler leur propre compétence à communiquer oralement. En effet, ils apprennent ce qui doit être évité et ce qui doit être mis de l’avant lors d’une prise de parole (Dumais, 2011).

Dans le cadre des Rencontres oratoires, les étapes suivantes ont été respectées (ibid.) :

  1. L’autoévaluation de l’orateur ou de l’oratrice sur sa prise de parole;
  2. L’évaluation de pairs sur les forces et les éléments possibles à améliorer de la prise de parole de l’orateur ou de l’oratrice;
  3. La synthèse des commentaires des étudiants par les animateurs, qui ne manquent pas de soulever les bons coups et d’apporter des précisions[5].

Afin que l’évaluation par les pairs se déroule bien et soit respectueuse, les étudiants se sont vu présenter quatre stratégies fondées sur les travaux de Tremblay (2003), Dumais (2011) et Dumais et Soucy (2016) :

Ces stratégies, qui étaient présentées lors de la première rencontre et rappelées lors de chacune des rencontres suivantes, ont été regroupées et définies dans un document qui était remis à tous les étudiants comme aide-mémoire. Celui-ci était lors de chaque rencontre disponible en quantité suffisante pour pallier les oublis et permettre aux nouveaux participants de se rattraper. Ainsi, tous et toutes, y compris les personnes absentes à la première rencontre, avaient accès aux stratégies grâce à ce document.

Des variantes possibles des Rencontres oratoires

Au terme de notre expérience, nous pouvons penser à plusieurs variantes possibles de la démarche des Rencontres oratoires. De cette façon, quiconque le souhaite pourra reproduire ou adapter cette formule.

Remettre une certification

Participer à de telles rencontres permet aux étudiants de parfaire leurs qualités d’orateurs, qualités souvent recherchées en situation d’emploi. Dans cet ordre d’idées, il nous paraitrait intéressant de fournir un certificat de participation à ceux et celles qui se sont présentés à un certain nombre de rencontres. Le nombre d’heures de présence ou de rencontres sur le total prévu pourrait aussi y être indiqué. En plus de reconnaitre le travail réalisé par l’étudiante ou l’étudiant, cette modalité pourrait constituer une forme d’engagement ou de motivation à se présenter aux rencontres.

Faire des groupes en fonction de la compétence des étudiants

Nous avons remarqué une plus grande participation lors des premières séances et un déclin par la suite. Nous émettons l’hypothèse que, puisque ces rencontres étaient ouvertes aux orateurs de tous les niveaux, certains n’y ont pas trouvé leur compte, et qu’il pourrait être plus efficace de regrouper les participants par niveaux de compétence. En effet, lors des rencontres, si une majorité d’orateurs « en difficulté » s’expriment, les participants de niveau intermédiaire ou avancé, venus principalement pour s’améliorer ou bénéficier des présentations d’objets de l’oral, risquent de considérer que les Rencontres oratoires ne sont pas adaptées à leurs besoins. À l’inverse, si plus d’orateurs intermédiaires ou avancés prennent la parole, cela peut intimider les étudiants moins à l’aise, qui n’oseront pas nécessairement parler à leur tour.

Pour remédier à cette situation, une évaluation de l’orateur ou l’oratrice avant la première rencontre permettrait de composer des groupes par niveaux pour la suite. Ces groupes pourraient augmenter la confiance des participants, car ils réduiraient la comparaison des uns avec les autres. Les points forts et à améliorer mentionnés lors des évaluations pourraient également se ressembler, ce qui créerait une certaine complicité, une aisance et un esprit d’entraide dans le groupe.

Toutefois, nous pensons qu’il serait intéressant de conserver, à l’occasion, des rencontres multiniveaux afin de donner des modèles positifs aux étudiants « en difficulté » et de faire en sorte que tous bénéficient de l’observation d’orateurs de différents niveaux.

Offrir le service en ligne

En raison de la pandémie de COVID-19, les étudiants ont eu à prendre la parole en ligne par l’intermédiaire de différentes plateformes pour suivre leurs cours (Zoom, Teams, etc.). Ces technologies étant de plus en plus présentes, ils auront sans doute à les utiliser encore pour communiquer au cours de leur parcours scolaire et de leur futur travail. Il pourrait donc être intéressant d’offrir une partie ou l’ensemble des rencontres en ligne. Cela permettrait d’adapter les objets de l’oral et les attentes en fonction du moyen de communication et du contexte.

Au bénéfice de tous, il serait exigé que tout le monde allume sa caméra. Les étudiants se sentiraient ainsi plus en confiance, ne se questionnant pas sur ce que fait ou pense un étudiant ou une étudiante sans caméra, et cette façon de faire leur permettrait d’adapter leur présentation en fonction des réactions non verbales des autres, recréant de la sorte des conditions semblables à celles des rencontres en personne.

L’offre des Rencontres oratoires en ligne comporterait en outre l’avantage suivant : il serait possible d’enregistrer les prises de parole des étudiants qui le souhaiteraient. Ainsi, ces derniers pourraient visionner leur propre prise de parole à la suite des rencontres et ainsi s’observer en ayant pris un certain recul.

Variantes possibles pour les prises de parole en ligne

Voici des éléments qui pourraient être abordés avec les étudiants concernant la prise de parole en ligne :

Regard : Afficher toutes les vignettes des participantes et participants en mosaïque, survoler les vignettes pour s’adapter aux indicateurs non verbaux des gens, prendre le temps de regarder les autres lors de la formulation d’une question, etc.

Supports visuels : Présenter les options possibles d’affichage de supports visuels et sonores et leur bonne utilisation, expliquer le passage d’un support à l’autre, montrer divers supports visuels, etc.

Interaction : Présenter les outils d’interaction possibles, tant pour poser des questions que pour dynamiser la présentation (exemples pour Zoom : tableau blanc, annotations, réactions et sondages).

Posture : Discuter de la manière de positionner la caméra pour faire une présentation en posture assise ou debout, présenter la posture proactive assise et la posture adéquate debout, expliquer la manipulation clavier-souris efficace, etc.

Par cet article, nous souhaitions rendre compte d’une démarche qui nous a paru pertinente pour répondre aux besoins des étudiants en ce qui concerne le développement de leur compétence à communiquer oralement. La démarche que nous avons mise en place n’est pas parfaite – elle nécessite encore des ajustements. Toutefois, elle pourra sans aucun doute inspirer toute personne qui souhaite aider et accompagner les étudiants de tous les niveaux dans leur désir de devenir plus compétents dans leurs communications orales.

Références

BLANCHET, P.-A. (2016). Le choix de contenus d’enseignement et d’évaluation de la compétence orale dans les plans de cours de français au collégial : portraits de trois cégeps, Mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, 229 p. [En ligne]. [https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/8730] (Consulté le 13 mars 2022).

DIONNE, B. (2013). Pour réussir – Guide méthodologique pour les études et la recherche, 6e éd., Montréal, Chenelière Éducation, 288 p.

DUMAIS, C. (2018). « L’oral, un brouillon en construction », Vivre le primaire, vol. 31, no 3, p. 47-48. Également disponible en ligne : https://aqep.org/wp-content/uploads/2018/09/2-loralunbrouillon.pdf.

DUMAIS, C. (2017). « Communiquer oralement : une compétence à développer au collégial », [En ligne], Pédagogie collégiale, vol. 31, no 1, p. 13-19. [https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/37487/dumais-31-1-2017.pdf] (Consulté le 13 mars 2022).

DUMAIS, C. (2014). Taxonomie du développement de la langue orale et typologie : fondements pour l’élaboration d’une progression des objets d’enseignement/apprentissage de l’oral en classe de français langue première qui s’appuie sur le développement intégral des élèves de 6 à 17 ans, Thèse (Ph. D.), Université du Québec en Outaouais, 435 p. [En ligne]. [https://archipel.uqam.ca/6815/] (Consulté le 29 avril 2022).

DUMAIS, C. (2011). « L’évaluation de l’oral par les pairs : pour une inclusion réussie de tous les élèves », [En ligne], Vie pédagogique, no 158, p. 59-60. [https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/20902?docref=82MkR_XMSIf1gvACQk-2gw] (Consulté le 13 mars 2022).

DUMAIS, C., et L. OSTIGUY (2019). « Développer la compétence à communiquer oralement au collégial : les caractéristiques de la langue parlée », [En ligne], Correspondance, vol. 25, no 1. [https://correspo.ccdmd.qc.ca/document/developper-la-competence-a-communiquer-oralement-au-collegial-les-caracteristiques-de-la-langue-parlee/] (Consulté le 13 mars 2022).

DUMAIS, C., et E. SOUCY (2016). « Stratégies pour mieux communiquer avec les enfants, les collègues et les parents », Revue Gardàvue de l’Association québécoise de la garde scolaire, vol. 31, no 1, p. 22-23. Également disponible en ligne : https://www.academia.edu/34793821/Strat%C3%A9gies_pour_mieux_communiquer_avec_les_enfants_les_coll%C3%A8gues_et_les_parents.

DUMAIS, C., E. SOUCY et L. LAFONTAINE (2018). « Comment développer l’oral spontané des élèves? », Vivre le primaire, vol. 31, no 3, p. 49-51. Également disponible en ligne : https://aqep.org/wp-content/uploads/2018/09/3-commentdevelopperloral.pdf.

LAFONTAINE, L., et C. DUMAIS (2014). Enseigner l’oral, c’est possible! 18 ateliers formatifs clés en main, Montréal, Chenelière Éducation, 304 p.

PRÉFONTAINE, C., M. LEBRUN et M. NACHBAUER (1998). Pour une expression orale de qualité, Montréal, Les Éditions LOGIQUES, 254 p.

TREMBLAY, M. B. (2003). La communication chez les enseignants. Savoir-être et savoir-faire pédagogiques, Montréal, Guérin Universitaire, 177 p.

  1. Il s’agit d’un organisme sans but lucratif qui regroupe des gens qui désirent améliorer leur prise de parole en public. Site du club Extra-expressif de Trois-Rivières : https://toastmasterstroisrivieres.ca/. Site de l’organisme à l’international : https://www.toastmasters.org. [Retour]
  2. Chaque étudiante ou étudiant en situation de handicap est rencontré par une conseillère pour avoir accès à des mesures d’aide pendant son programme d’études. [Retour]
  3. Le rôle de la conseillère aux activités étudiantes pour le secteur Soutien à l’apprentissage aux SAE est d’aider les étudiants pour toutes les facettes du métier d’étudiant ou d’étudiante, que ce soit, entre autres, par des ateliers, du soutien individuel, des groupes d’études ou l’organisation de mentorat par matière. [Retour]
  4. Trois ressources principales ont été utilisées pour la création des capsules vidéos et des activités : la typologie des objets de l’oral de Dumais (2014), le livre Enseigner l’oral, c’est possible! (Lafontaine et Dumais, 2014) et le livre Pour réussir – Guide méthodologique pour les études et la recherche, plus particulièrement le chapitre 12 (Dionne, 2013). [Retour]
  5. Ces étapes sont expliquées dans les capsules vidéos intitulées L’évaluation de l’oral par les pairs et L’évaluation des pairs. [Retour]

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