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Trois constats sur la façon dont les tuteurs des CAF se représentent leur rôle et les dispositifs qu’ils emploient

En 2015, l’une d’entre nous (Valérie Thomas) héritait de la supervision du Centre d’aide en français (CAF) de son cégep, sa prédécesseure étant partie à la retraite (bonjour Ginette!). En mai 2016, lors de sa première participation à l’Intercaf, la prémisse de la communication de Christian Barrette sur le tutorat l’a fortement marquée : « Malgré que cette intervention soit très répandue et qu’elle existe depuis longtemps dans les établissements collégiaux et universitaires, on sait peu de choses sur les modalités de sa mise en œuvre et sur son efficacité. » (Barrette, 2016) En tant que nouvelle superviseure de CAF, Valérie était abasourdie : comment savoir si son travail avait des retombées positives chez les étudiants et étudiantes? C’est à ce moment qu’est né son désir de contribuer à la recherche par un retour aux études qui lui offrirait aussi l’occasion d’explorer les écrits sur le tutorat et l’apprentissage de l’écriture pour mieux s’acquitter de son nouveau rôle de responsable de CAF. Sous la supervision de Geneviève Carpentier, un nouveau projet de recherche à la maitrise voyait donc le jour.

Après avoir jaugé différentes questions de recherche, il est apparu que s’intéresser à ce que font les tuteurs et tutrices des CAF pendant les rencontres de tutorat pourrait faire avancer l’état de la recherche tout en étant très utile pour les responsables des CAF. En effet, même si plusieurs superviseurs parlent des initiatives de leur CAF dans Correspondance, un portrait global donnerait une meilleure idée de ce qui se fait dans l’ensemble du réseau collégial. Ce portrait bonifierait en outre celui de Nolet (2019), qui a recueilli auprès de 42 responsables de CAF des données quantitatives sur le fonctionnement des CAF (services offerts et ressources humaines, financières et matérielles attribuées par les collèges). Qui plus est, en sondant les aidants, comme l’avait fait Désy (1996) dans un centre d’aide multidisciplinaire, nous aurions une idée plus juste de la façon dont les tuteurs s’approprient les contenus de leur formation et les ressources mises à leur disposition. L’étude de Désy avait mis en lumière que la façon dont les tuteurs se représentent leur rôle influence leurs pratiques. Ainsi, pour mieux connaitre les pratiques des tuteurs qui œuvrent dans les CAF, la recherche visait à répondre à la question suivante : comment les tuteurs se représentent-ils leur rôle et quels sont les dispositifs à travers lesquels ils cherchent à soutenir leur tutoré ou tutorée en écriture?

Après avoir un peu mis en contexte la recherche en présentant brièvement ses concepts centraux et sa méthodologie, nous exposons ici trois constats qui nous ont semblé particulièrement intéressants pour le lectorat de Correspondance.

Concepts clés

L’objectif général de la recherche s’articulait autour des notions de tutorat, du rôle des tuteurs et des tutrices ainsi que des dispositifs didactiques choisis lors des rencontres au CAF. Avant d’aller plus loin, il nous parait important de clarifier chacun de ces concepts.

Tutorat et représentation du rôle de tuteur ou tutrice

Les définitions du tutorat variant d’un auteur et d’une autrice à l’autre, il convient de définir ce que nous entendons par « tuteur » ou « tutrice ». Le tuteur ou la tutrice est un apprenant ou une apprenante qui offre du soutien scolaire à l’un de ses pairs (le tutoré ou la tutorée), tout en lui fournissant un soutien motivationnel (Papaïoannou, Tsioli et Vihou, 2015; Topping et Ehly, 2001). Il ou elle peut aussi vouloir favoriser son intégration dans un groupe ou un milieu (Désy, 1996; Papaïoannou, Tsioli et Vihou, 2015). Comme le tutoré ou la tutorée, le tuteur ou la tutrice peut retirer des gains affectifs, cognitifs et métacognitifs du tutorat (Désy, 1996; Topping et Ehly, 2001). Le tutorat est ici vu comme un moyen d’apprentissage planifié qui unit nécessairement des apprenants se reconnaissant comme tels, et il se distingue de l’aide individualisée par un enseignant ou une enseignante et du mentorat, lequel est offert par une personne plus âgée qui offre surtout du soutien d’intégration (Gagnon et Duchesne, 2018; Topping et Ehly, 2001).

La façon dont les tuteurs se représentent leur rôle, c’est-à-dire les opinions, les croyances et les informations qu’ils ont concernant leur fonction de tuteur ou tutrice, peut se voir sous trois angles (Beauregard, 2006). Alors que le rôle attendu concerne les attentes qu’ils croient devoir remplir, le rôle joué se rapporte aux pratiques qu’ils reconnaissent adopter et le rôle souhaité, à celles qu’ils voudraient adopter. Ces représentations relèvent de leurs expériences (expériences scolaires, formation reçue pour devenir tuteur ou tutrice, etc.), des attentes institutionnelles et sociales (attentes du CAF, mais aussi l’image du bon tuteur ou de la bonne tutrice que leur donne leur famille, leurs amis et la société) ainsi que des rapports qu’ils entretiennent avec leurs expériences comme avec les attentes institutionnelles et sociales (la façon dont ils se positionnent par rapport à leurs expériences, à leur formation, aux attentes qu’on a envers eux, etc.).

Il importe de s’intéresser aux représentations des tuteurs, puisqu’elles influencent leurs pratiques (Beauregard, 2006; Désy, 1996), donc le soutien qu’ils offrent aux tutorés et les dispositifs didactiques qu’ils privilégient.

Dispositifs didactiques

Un dispositif didactique se compose de procédures, de moyens et de supports matériels que l’on organise en fonction des connaissances que l’on possède sur l’enseignement d’une discipline particulière dans le but que l’apprenant ou l’apprenante acquière des connaissances (Weisser, 2010).

Plusieurs dispositifs didactiques peuvent être privilégiés pour l’enseignement de l’écriture. Certains visent les processus d’écriture, soit la planification, la mise en texte ou la révision (Hayes et Flower, 1980). Par exemple, les tuteurs peuvent offrir aux tutorés de faire des plans d’écriture, d’entreprendre avec eux la révision d’un texte qu’ils ont écrit avant la rencontre ou de faire une activité de dictée zéro faute (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017) ou d’écriture zéro faute, telle que présentée à l’Intercaf de 2019 (Vinet, 2019). D’autres dispositifs visent plus particulièrement l’apprentissage de la grammaire, soit l’ensemble des hypothèses par lesquelles on décrit la langue (Nadeau et Fisher, 2006[1]). Par exemple, pour aider les tutorés à mieux vérifier les accords ou à choisir le bon homophone, les tuteurs peuvent privilégier des exercices ou des dictées (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017; Nadeau et Fisher, 2006). Plusieurs facteurs peuvent influencer les contenus abordés et les moyens utilisés par les tuteurs : les objectifs du service de tutorat, la formation offerte aux tuteurs, la fréquence et la durée des rencontres, etc. (Barrette, 2017). Ainsi, se pencher sur ce qui motive le choix des dispositifs utilisés peut s’avérer particulièrement révélateur.

Déroulement de la recherche

Compte tenu des connaissances actuelles et de la question de recherche, le projet poursuivait deux objectifs spécifiques :

  • décrire et comprendre les représentations que des tuteurs de CAF ont de leur rôle;
  • décrire les dispositifs didactiques utilisés dans les rencontres de tutorat et comprendre ce qui mène à leur choix.

Pour répondre à ces objectifs, nous avons privilégié une démarche en deux temps (voir figure 1). D’abord, au début de la session d’hiver 2021, un questionnaire a été rempli par d’actuels tuteurs ou d’anciens tuteurs ayant œuvré dans un CAF dans les trois années précédant la recherche. L’aide des superviseurs des CAF s’est révélée très précieuse pour le recrutement des participants. Ce sont 116 tuteurs et anciens tuteurs de 12 cégeps qui ont répondu au questionnaire. Celui-ci les sondait sur la façon dont ils se représentent leur rôle (attendu, joué et souhaité) et sur les dispositifs didactiques qu’ils emploient. Nous avons effectué des analyses descriptives quantitatives sur les données provenant de ce questionnaire et avons ainsi pu répondre à notre premier objectif de recherche.

Après ces premières analyses, nous avons recruté six tuteurs parmi les répondants qui avaient laissé leurs coordonnées dans le questionnaire pour indiquer qu’ils acceptaient de participer à une entrevue. Ceux-ci provenaient de cinq différents cégeps et avaient des profils variés : ils avaient une expérience plus ou moins grande en tant que tuteurs, n’avaient pas tous suivi une formation de la même envergure, n’utilisaient pas les mêmes dispositifs, etc. Six entrevues semi-dirigées et individuelles d’une durée moyenne de 45 minutes ont eu lieu en visioconférence en mars et avril 2021. Les analyses de contenu des verbatims nous ont permis de répondre à notre deuxième objectif de recherche.

Figure 1

Synthèse de la méthodologie de la recherche

Trois constats qui se démarquent

Certains constats ressortent de la recherche et peuvent susciter la réflexion autour de la formation, de l’encadrement et des ressources proposés aux tuteurs des CAF.

Premier constat : les tuteurs utilisent peu de dispositifs d’écriture qui offrent un soutien accru aux tutorés

Les dispositifs offrant du soutien durant l’ensemble du processus d’écriture (planification, mise en texte et révision) sont peu utilisés. Selon les réponses au questionnaire, seuls 9 % des tuteurs modèlent leur propre démarche d’écriture, et un maigre 6 % écrivent à partir des idées des tutorés. De plus, la moitié des répondants ne font jamais de plans de rédaction avec les tutorés.

En fait, pour aider ces derniers en écriture, les tuteurs misent surtout sur des exercices et des dispositifs de correction. En ce qui concerne les exercices, 86 % des tuteurs en emploient fréquemment (souvent ou très souvent), et seuls 3 % n’en utilisent jamais. Quant aux dispositifs de correction, près de 75 % des tuteurs indiquent que, fréquemment, ils guident les tutorés dans la correction d’un texte qu’ils ont écrit précédemment. En outre, plus de 70 % des tuteurs reviennent fréquemment avec les tutorés sur des travaux déjà corrigés par un enseignant ou une enseignante.

Lors des entrevues, on comprend que plusieurs tuteurs privilégient les exercices et les dispositifs de correction puisque le principal mandat d’un tuteur ou d’une tutrice est d’aider les tutorés à repérer et à corriger leurs erreurs de langue : « L’attente générale [est] d’aider sur le long terme, sur le moyen terme, à faire une méthode de correction et à bien corriger ses textes. » (Tutrice 2) La démarche et les ressources proposées par le CAF vont de pair avec cet objectif. En ce qui concerne la démarche, cinq des six tuteurs rencontrés indiquent que, lors de l’inscription au CAF, les tutorés doivent écrire une rédaction dans laquelle on cible leurs difficultés. Puis, en fin de session, ils rédigent un nouveau texte afin qu’on évalue leur progression, déterminée par la diminution du nombre d’erreurs de langue. Quant aux ressources pouvant être utilisées pendant les rencontres de tutorat, tous les tuteurs indiquent que le CAF met des exercices de grammaire à la disposition des tuteurs et des tutorés. Une seule tutrice ajoute avoir aussi accès à une liste de sujets de rédaction.

Or, les exercices et les dispositifs de correction pourraient ne pas convenir à tous les tutorés. D’abord, les différents types d’exercices de grammaire (exercices à trous, d’identification, de correction, etc.) peuvent avoir des retombées plus ou moins grandes sur la compétence scripturale parce que les étudiants transfèrent peu les procédures automatisées par ces exercices dans des contextes de production de textes (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017). En outre, la compétence scripturale dépasse les connaissances grammaticales (Carpentier, 2014). Elle comporte des connaissances sur la démarche d’écriture et les stratégies nécessaires pour bien planifier, rédiger et réviser un texte. Elle comprend aussi les sentiments, les opinions et les attitudes d’une personne à l’égard de l’écriture et des différents types d’écrits. Ainsi, certaines personnes éprouvent des difficultés en écriture parce qu’elles négligent de faire un plan détaillé qui faciliterait leur rédaction ou qu’elles limitent leur révision du texte au repérage des erreurs de grammaire (Blain et Lafontaine, 2010; Blaser et autres, 2014). D’autres ne consacrent pas suffisamment de temps à leurs écrits en pensant que l’écriture est une affaire de talent et qu’elles en sont privées (Plane, 1996).

Pour mieux soutenir le développement de la compétence scripturale des tutorés, on peut penser à différentes pistes de solution. D’abord, il convient d’amener les tuteurs à reconnaitre les exercices exigeant un raisonnement grammatical complet et ayant les retombées les plus intéressantes sur l’écriture (Nadeau et Fisher, 2006). Il faut aussi les encourager à proposer fréquemment aux tutorés des activités d’écriture, puisque le développement de la compétence scripturale exige de l’entrainement (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017). Ensuite, il importe de valoriser des dispositifs d’écriture offrant un soutien accru aux tutorés. Par exemple, on peut inciter les tuteurs à écrire un texte avec les tutorés (du plan à la révision) en prenant en charge les opérations trop exigeantes pour eux. Lorsqu’ils écrivent avec les tutorés, les tuteurs peuvent transmettre leurs connaissances sur l’ensemble de la démarche d’écriture, modéliser des stratégies et démystifier certaines croyances pouvant nuire à la motivation (Routman, 2009). Lorsqu’ils écrivent avec un tuteur ou une tutrice, les tutorés peuvent prendre conscience du fait que l’écriture est ponctuée de doutes, de relectures et de réécritures, et qu’écrire un bon texte exige du temps (Blain et Lafontaine, 2010; Plane, 1996).

Deuxième constat : les tuteurs misent peu sur le développement de stratégies affectives et d’apprentissage

Les tuteurs disent soutenir peu le développement de stratégies affectives. Plus de deux tuteurs sur trois ayant répondu au questionnaire ne croient pas ou ne sont pas surs qu’il est attendu qu’ils aident les tutorés à gérer leur motivation ou leur stress. Pourtant, durant les entrevues, tous les tuteurs se sont dits sensibles à ce que vivent les tutorés : ils cherchent à comprendre ce qui les stresse ou ce qui les démotive, puisqu’ils reconnaissent la contribution de ces éléments à leurs difficultés en écriture. Quatre tuteurs rencontrés ont dit faire valoir auprès de leurs tutorés l’utilité du tutorat et du français, et aider ceux-ci à se fixer des objectifs pour rester motivés. Or, deux de ces tuteurs hésitent à en faire davantage parce qu’ils ne sont pas certains que ce soit attendu d’eux ou qu’ils ne savent pas comment s’y prendre : « Ça ne nous est pas vraiment demandé d’être plus en relation que ça avec la personne et de comprendre ses difficultés. Mais je trouve ça important, sauf que c’est tellement loin de ce qu’on nous demande comme mandat que j’hésite à le faire des fois. » (Tuteur 6)

En ce qui concerne les stratégies d’apprentissage, plus de quatre tuteurs sur dix ayant répondu au questionnaire disent qu’ils ne pensent pas aider les tutorés à développer des stratégies d’apprentissage (p. ex. comment prendre des notes, décortiquer une question d’examen, planifier un travail) ou ne sont pas surs de le faire. Grâce aux entrevues, on comprend que leur hésitation provient du fait qu’ils travaillent rarement sur l’ensemble de la démarche d’écriture, donc qu’ils abordent surtout des stratégies liées à la correction. Les dispositifs employés (les exercices de grammaire, les dictées, la correction de textes écrits avant la rencontre) ne permettent pas de revenir sur des stratégies utiles à la planification, à la mise en texte ou à la révision du contenu, notamment comprendre la consigne du travail de rédaction, le planifier en tenant compte du temps alloué, le réviser avec les critères de correction, etc.

Pourtant, il semble qu’il serait profitable que les tuteurs abordent avec les tutorés des stratégies affectives et d’apprentissage. Des auteurs signalent la faible motivation des cégépiens et cégépiennes devant les tâches de lecture et d’écriture, ou devant les cours où ces tâches sont prépondérantes, comme en français ou en philosophie (Bousquet et Desmeules, 2017; Ménard et Leduc, 2016; Tardif, 2004). Or, on sait que s’intéresser aux facteurs qui nuisent à la motivation des tutorés et discuter de stratégies motivationnelles avec eux peut favoriser leur engagement dans l’écriture (Blaser, 2009; Harris et Graham, 2017). En outre, plusieurs nouveaux cégépiens ont de la difficulté à s’adapter aux exigences scolaires du collégial (Larose et autres, 2019). Miser sur le développement de stratégies d’apprentissage efficaces et transférables à d’autres activités pourrait non seulement favoriser la motivation des tutorés (Harris et Graham, 2017), mais également leur permettre de devenir plus autonomes dans leurs apprentissages, ce qui est essentiel à leur réussite (Turcotte, Doucet et Baron, 2018).

Par conséquent, durant la formation des tuteurs, il serait intéressant d’aborder les multiples dimensions de la compétence scripturale et les différents moments où ils peuvent soutenir les tutorés, que ce soit pendant la planification, la mise en texte ou la révision. Puis, tout en considérant les limites de leur rôle, il s’agirait d’engager les tuteurs dans cette réflexion sur le soutien qu’ils peuvent offrir quant au développement de stratégies affectives ou d’apprentissage. Il serait aussi profitable de leur offrir des outils pratiques les aidant à aborder ces questions.

Troisième constat : les tutorés rédigent rarement dans le cadre de situations d’écriture authentiques

Cinq des six tuteurs rencontrés en entrevue révèlent que, lors de leur inscription au CAF, les tutorés doivent écrire un texte sur les motifs pour lesquels ils se sont inscrits, leur choix de carrière, leurs souhaits relativement au tutorat, etc. Puis, lorsqu’ils ont à écrire un texte avant une rencontre de tutorat, le sujet de rédaction est généralement libre : « Ça pouvait être une histoire, un récit, un texte d’opinion. C’étaient des petits textes, je pense de 150 à 250 mots […] Le but, vraiment, c’est vraiment l’écriture, l’orthographe […] [N]iveau structure, niveau plan de rédaction, ce n’était pas vraiment pertinent. » (Tuteur 1) Comme l’explique ce tuteur, l’important, c’est que les tutorés produisent des textes à corriger avec les tuteurs.

Or, ces textes ne sollicitent pas autant la compétence scripturale que les textes exigés dans les cours collégiaux. Dans ces derniers, les étudiants doivent respecter des consignes sur la structure attendue, les exigences du genre textuel, la méthodologie disciplinaire, etc. (Blaser, 2009). En outre, les activités de lecture et d’écriture vont souvent de pair. Produire une dissertation en littérature, élaborer le cadre théorique d’un rapport de laboratoire en physique, rédiger une recherche documentaire en histoire, voilà autant de contextes où l’étudiant ou l’étudiante doit lire avant d’écrire. En ce sens, les CAF proposant aux tutorés d’écrire sur des sujets libres pourraient sous-évaluer leurs difficultés en écriture, et même leurs difficultés à respecter le code écrit, si l’on considère que les tâches plus complexes augmentent le risque que les scripteurs se trouvent en surcharge cognitive et ne parviennent pas à faire des opérations qu’ils maitrisent habituellement (Blain et Lafontaine, 2010; Plane, 1996).

Une piste intéressante serait de proposer aux tutorés des situations d’écriture authentiques dans lesquelles ils devraient lire et écrire des textes s’inscrivant dans des genres textuels. Dès leur inscription au CAF, le diagnostic des tutorés pourrait prendre la forme d’une activité de lecture-écriture (p. ex. résumer une nouvelle journalistique). On profiterait de ce moment pour leur faire remplir un court questionnaire sur leurs opinions à l’égard de l’écriture et de la lecture ainsi que sur les émotions qu’ils ressentent, comme les difficultés qu’ils éprouvent pendant qu’ils lisent et écrivent. Puis, durant les rencontres, les tuteurs miseraient sur des dispositifs où la lecture précède l’écriture pour favoriser des contextes plus semblables à ceux rencontrés dans les cours collégiaux et amener les tutorés à développer leur compétence en littératie. Pour faire vivre des expériences variées aux tutorés et rejoindre leurs besoins, différents types d’activités leur seraient proposés. Certaines activités viseraient à susciter le plaisir des tutorés et à favoriser chez eux des représentations positives de la lecture et de l’écriture. Par exemple, ils donneraient leur opinion sur un éditorial portant sur un sujet d’actualité ou rédigeraient le pastiche d’une chanson à la mode. D’autres activités favoriseraient la perception d’utilité chez les tutorés, laquelle se révèle importante pour leur engagement au CAF (Cabot et Facchin, 2020). On peut notamment penser à des extraits littéraires accompagnés de consignes d’analyse ou de dissertation, à des articles scientifiques à résumer ou à des textes philosophiques devant lesquels ils se positionneraient. Ces dispositifs favoriseraient aussi une meilleure connaissance des genres textuels et de leurs spécificités. Il importe de préciser que l’objectif ici n’est pas de faire de la littérature, de la physique ou de la philosophie, mais bien d’amener les tuteurs et les tutorés à discuter de lecture et d’écriture ainsi qu’à communiquer les stratégies qu’ils mobilisent lorsqu’ils lisent et écrivent.

Dans cet article, nous avons présenté trois grands constats d’une recherche menée auprès de 116 tuteurs et anciens tuteurs des CAF de 12 différents cégeps. Ces observations alimentent la réflexion par rapport aux objectifs de nos programmes de tutorat, aux contenus de la formation des tuteurs et aux ressources mises à leur disposition. D’autres constats intéressants sont ressortis de la recherche. Notamment, cinq des six tuteurs rencontrés en entrevue ont évoqué le fait qu’ils doivent refuser toute aide se rapportant aux cours de français des tutorés, puisqu’il s’agit d’une consigne du CAF. Certains tuteurs doivent renvoyer leurs tutorés à un autre service ou à un enseignant ou une enseignante, alors qu’ils se sentent à l’aise de répondre à leurs questions parfois assez banales (p. ex. mieux cerner la différence entre un sujet amené et un sujet posé). Quelques-uns ont exprimé qu’ils trouvaient difficile de devoir refuser de fournir leur aide en ce qui concerne les cours de français, puisqu’il s’agit d’une demande fréquente des tutorés avec lesquels ils établissent une relation de confiance. Il s’agirait donc de réfléchir aux motifs qui nous poussent à vouloir restreindre les interventions des tuteurs et tutrices lorsqu’il est question des contenus se liant à ces cours et de réfléchir aux limites de leur rôle. Une concertation des responsables des CAF autour de cet enjeu serait souhaitable.

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  1. Ces chercheuses conçoivent ainsi la grammaire : « [I]l importe de considérer la grammaire pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un ensemble d’hypothèses proposées en vue de rendre compte du fonctionnement de la langue ou de certains de ses aspects. » (Nadeau et Fisher, 2006, p. 25) [Retour]

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