2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique

Le tutorat vu de l’intérieur

Collectif d’Astrid Babkine-Ringuette, Raphaëlle Gingras, Élisa Grothé, Eitel Houédakor, Plem Kijamba Lushembe, Stéphanie McDuff, Chloé St-Pierre et Rébecca Turgeon, sous la direction de Valérie Plourde
Depuis plus de trente ans, leurs efforts permettent d’offrir du soutien en français à ceux et celles qui en ont besoin. Les tuteurs et tutrices sont la force et l’âme de la plupart des centres d’aide en français (CAF) de la province. Même si le personnel enseignant et les responsables de services d’aide savent à quel point leur travail est précieux, c’est souvent dans l’ombre qu’ils et elles agissent. Correspondance a voulu les mettre en lumière en donnant la parole à quelques-unes et quelques-uns d’entre eux. Parmi les volontaires qui ont accepté de prendre la plume pour ce collectif, certains cumulent plusieurs années de service, d’autres terminent à peine leur formation. Ils et elles proviennent de régions et de milieux divers : métropole ou ville éloignée, milieu multiculturel ou francophone, petit ou grand cégep, et même université. Ensemble, ces tuteurs et tutrices représentent la variété de CAF qui existent dans le réseau, et tous et toutes s’entendent sur l’effet positif de ce travail dans leur vie. Leurs témoignages révèlent ce que l’expérience du tutorat leur a apporté : enrichissement des connaissances linguistiques, développement de l’ouverture à l’autre et de la connaissance de soi, renforcement du sentiment d’être utile, de l’empathie, de sa flexibilité et de la confiance en soi.

Astrid Babkine-Ringuette est étudiante à la maitrise en littératures de langue française à l’Université de Montréal et tutrice de français au collège Ahuntsic, où elle accompagne essentiellement des étudiantes et étudiants allophones depuis maintenant six ans. Elle souhaite faire carrière au collégial.

« Essayer! essayer! »

Il y a de cela trois ans, dans le cadre d’un projet pilote au CAF du collège Ahuntsic, j’ai eu la chance de travailler avec Xiaping[1], une étudiante allophone qui poursuivait alors une technique en génie du bâtiment. Nous passions près de trois heures ensemble chaque semaine. J’avais pour mission de l’accompagner dans un processus de francisation axé sur son implication au sein de son milieu d’études. Je ne laissais filer aucune occasion de la mettre en situation concrète de communication, passant de la simulation d’entretien d’embauche à la promotion de la salle de spectacle du collège. Lorsque je la propulsais devant un auditoire, les deux poings dans les airs et le sourire aux lèvres, elle me servait invariablement cette formule d’une étonnante portée pédagogique : « Essayer! essayer! » Elle avait trouvé le verbe capturant le mieux l’essence de son travail… et du mien.

Ce sont des élèves motivés comme Xiaping qui, par la confiance qu’ils m’ont accordée, m’ont guidée sur la précieuse voie de la créativité. Car oui, à mes débuts, par souci de bien faire les choses, j’étais un peu beige, ne sortant que rarement des sentiers battus. Pourtant, chaque élève aidé ou aidée arrivait avec son bagage, ses défis spécifiques, ses craintes et ses ambitions sociales, scolaires et professionnelles. Alors, pourquoi envisager toutes les situations sous le même angle? La relation d’aide a pour avantage de permettre le « sur-mesure », une formule qui, pour des raisons évidentes, demeure rare dans les parcours techniques et préuniversitaires. Ne nous leurrons pas : ce ne sont pas ces quelques heures qui auront transfiguré la formation de Xiaping. Le travail que nous avons accompli ensemble lui aura toutefois permis de se bâtir un cercle francophone, sans lequel l’implication dans son milieu d’études n’était pas envisageable.

Je parlais plus tôt de créativité, une dimension du tutorat qui a été si marquante dans mon parcours que je m’en voudrais de la passer sous silence. Quoi de plus stimulant, pour une étudiante comme moi, qui me destine à l’enseignement, que d’avoir l’occasion de côtoyer des personnes d’horizons si différents du mien? Tous les éléments étaient rassemblés au CAF pour que mon expérience soit fructueuse : des enseignantes bienveillantes, passionnées et ouvertes à me former, un espace d’exploration didactique pour commettre des erreurs autant que pour produire du matériel pertinent, des problèmes concrets à résoudre et, surtout, cette confiance que m’ont accordée les tutorés. Lorsque je repense à Xiaping, je suis heureuse de l’avoir accompagnée au cours de sa formation. Elle m’aura appris qu’il y a du mérite à essayer.

Raphaëlle Gingras a étudié en arts, lettres et communication au cégep de Rivière-du-Loup de 2017 à 2019. Elle a travaillé au Centre d’entrainement en français (CEF) pendant ses quatre sessions d’études. Elle vient tout juste de terminer son baccalauréat en muséologie et patrimoines à l’Université du Québec en Outaouais, et occupe le poste de coordonnatrice aux activités culturelles et familiales pour la Ville de Saint-Antonin.

Enseignante ou apprenante? 

En présentant ma candidature pour travailler au centre d’entrainement en français (CEF), je m’attendais seulement à enseigner des règles de grammaire. Pour être franche, je pensais que mon expérience se limiterait à répéter « as-tu pensé à ton “mordre ou mordu”? » ou « peux-tu remplacer “a” par “avait”? » quatre heures par semaine pendant chacune de mes sessions. Heureusement, ce ne fut pas le cas (bien que j’aie dit ces phrases souvent!).

Travailler au centre était un art, un exercice créatif. Pas question de donner des activités génériques à tout le monde : il fallait les personnaliser en fonction des besoins des étudiantes et des étudiants. Ils s’exerceraient en grammaire, certes, mais mon devoir était de m’assurer qu’ils le fassent tout en s’amusant. Je leur ai donc demandé d’écrire des textes sur leurs jeux vidéos préférés, de me raconter leurs anecdotes de voyage, de me décrire un livre marquant qu’ils avaient lu… J’ai moi-même créé des exercices sur les procédés stylistiques en m’inspirant de leur bagage culturel, comme une liste de figures de style tirées de comédies musicales françaises pour mes étudiants et étudiantes qui venaient du pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Travailler au centre était une expérience scientifique, truffée d’essais et d’erreurs. J’avais beau planifier mes interventions, je ne saurais compter les fois où j’ai dû penser à des plans B, C et D pour des tutorées ou tutorés. « Tu as oublié chez tes parents la production écrite que tu devais corriger? Pas de problème, on va rédiger autre chose ensemble aujourd’hui! » « L’ordinosaure a décidé qu’Internet, c’était trop pour lui? Pas de problème, on va faire un exercice papier! » Est-ce que les solutions aux problèmes ont toujours fonctionné? Eh non! Mais si je ne les avais jamais mises en pratique, je n’aurais jamais su qu’elles étaient boiteuses à souhait. (Note à moi-même : c’est bien beau, demander à une étudiante ou un étudiant quelles sont les figures de style dans la phrase Je m’extirpe in extrémis d’un Michel-Ange., mais encore faut-il qu’elle ou il sache qui est Michel-Ange!)

Travailler au centre était un exercice de réflexion grâce auquel je suis devenue plus empathique et compréhensive. Bien que mon objectif fût que mes étudiantes et étudiants s’améliorent en français, je devais m’adapter en fonction de leur état du moment. Quand l’un s’endormait sur son bureau parce qu’il s’était trop donné la veille, ou qu’une autre était trop déconcentrée par ses nausées matinales, mon intervention la plus utile aura été de leur permettre de partir plus tôt ce jour-là, tout en m’assurant de reporter leur activité à un moment qui leur conviendrait mieux.

Travailler au centre était une occasion d’apprendre de collègues enseignants d’expérience, qui, même s’ils ne m’ont pas tous prodigué des conseils explicitement, m’ont permis d’apprendre de leurs stratégies par observation et par mimétisme.

Bref, travailler au centre allait bien au-delà de répéter « mordre ou mordu? ». C’était une expérience aussi enrichissante pour les étudiants et les étudiantes que pour moi, et j’en serai toujours reconnaissante.

Élisa Grothé est étudiante de deuxième année en langues au cégep Montmorency. Elle travaille au CAF depuis l’automne dernier, où elle accompagne en ce moment sept étudiantes et étudiants, tant allophones que francophones.

Le tutorat : une expérience unique et enrichissante

Le poste de tuteur ou tutrice ne consiste pas simplement à porter assistance à un étudiant ou à une étudiante. Être tuteur ou tutrice, c’est s’ajuster selon son rythme, aller à l’encontre de ce qu’on avait planifié, réviser ce qu’on a appris depuis la première année du primaire. Bref, c’est s’engager dans la réussite de l’étudiant ou l’étudiante et le préparer ou la préparer à l’épreuve uniforme de français, l’EUF, à laquelle les enseignants et enseignantes de littérature nous préparent depuis plus de deux ans. Cette épreuve ministérielle semble insurmontable pour certains, et mon but, en tant que tutrice, est de leur prouver le contraire, de leur montrer qu’ils sont, en effet, capables d’écrire un texte argumentatif de 900 mots en faisant un maximum d’une faute tous les 30 mots.

Chaque étudiant et chaque étudiante est unique. J’ai observé, pour ma part, un vrai contraste entre mes deux élèves aidés. Le premier n’avait que de la difficulté avec l’autocorrection. Il était habile avec les règles de grammaire, il oubliait simplement de les appliquer de temps en temps. Nos périodes de tutorat n’étaient que dictées et rédactions, et son amélioration lui apportait assez de motivation pour nous deux. Mon deuxième tutoré avait de la difficulté dans toutes les sphères de la grammaire et de l’orthographe, au point où il oubliait même de mettre ses accents, malgré le fait qu’il soit francophone. Le temps ne me permettait pas de l’aider autant que je l’aurais souhaité. J’ai dû conserver un certain détachement avec cet élève, car l’aide offerte par le tuteur ou la tutrice est limitée par le temps qui lui est alloué.

De plus, les responsables du CAF fournissent divers outils à l’équipe de tutorat : des stratégies, des notions de psychologie, des plans de rencontre, des règles de grammaire et plus encore. Tout cela est contenu dans un livre comptant plusieurs centaines de pages. Le programme établi au début sera écorché, modifié, amélioré pour satisfaire aux besoins de la personne tutorée. Malgré la formation enrichissante qui nous est offerte, la plus grande partie de l’apprentissage se fait lors des séances.

Par ailleurs, un des coordonnateurs du centre d’aide en français m’a appris une notion importante qui m’a enlevé un poids sur les épaules : il n’est pas nécessaire de trouver chaque faute dans la rédaction de l’élève. L’important est de trouver assez d’erreurs afin d’établir les besoins prioritaires de l’élève de manière à préparer le contenu des rencontres et à ajuster le plan après chaque dictée ou rédaction. Le tuteur ou la tutrice n’a pas besoin d’être irréprochable : il ou elle doit plutôt assister de son mieux l’élève dans son progrès en français.

J’ai appris tout cela en une seule session de tutorat et je suis impatiente de poursuivre ces apprentissages au contact de mes élèves allophones et francophones lors des prochaines sessions.

Eitel Houédakor est tuteur au CLÉO, le Centre de langue écrite et orale du collège Dawson, un établissement collégial anglophone de Montréal. Il y aide des étudiantes et étudiants à mieux communiquer à l’oral et à l’écrit dans leur langue seconde pendant que lui-même poursuit ses études en sciences pures et appliquées.

Le tutorat en français langue seconde : bien plus que de la traduction

Dans le cadre du cours Relation d’aide appliquée en français écrit du collège Dawson, j’ai réalisé qu’être tuteur m’a permis d’apprendre en même temps que mes tutorés. En dehors du fait qu’enseigner la langue française m’a demandé un approfondissement de mes connaissances, j’ai également pu apprendre à expliquer simplement à mes étudiants et étudiantes des concepts complexes, comme celui des subordonnées relatives et complétives, grâce à l’utilisation de mises en situation ou d’exercices amusants. De plus, en aidant un pair à apprendre une deuxième langue, je me suis rendu compte que l’apprentissage linguistique ne se résume pas uniquement à connaitre la traduction des mots de notre langue maternelle. Bien sûr, le vocabulaire est important, mais comprendre la structure de la langue seconde ainsi que ses subtilités est primordial pour maitriser cette dernière. Par exemple, j’ai été amené à expliquer à mes tutorés que la phrase Je travaillais. est différente de la phrase J’ai travaillé. Cet exemple illustre une nuance instinctive que l’on n’a pas à expliquer à un étudiant ou une étudiante francophone, mais que l’on doit décortiquer pour un ou une élève en français langue seconde.

Par ailleurs, le fait de devoir soutenir l’apprentissage du français en tant que langue seconde m’a amené à m’ouvrir aux langues maternelles de mes étudiantes et étudiants. Je ne veux pas dire que j’ai eu à apprendre leur langue maternelle, mais plutôt que j’ai eu à ouvrir mon esprit pour pouvoir comprendre le sens des mots dans la perspective de la langue maternelle des tutorées et tutorés. Il s’agissait pour moi d’acquérir une compréhension fondamentale pour pouvoir établir une connexion entre la langue française et la langue maternelle de l’élève afin qu’il ou elle puisse comprendre le sens profond des mots ou expressions en français. Cela m’a donc fait réaliser que, pour réussir mes séances de tutorat, je devais sortir de ma zone de confort autant que mes élèves.

Finalement, cette expérience m’a fait comprendre qu’en tant que tuteur, je devais également aider mes étudiants et étudiantes à avoir confiance en leurs compétences linguistiques. En effet, j’ai remarqué que plusieurs de mes élèves doutaient beaucoup de leur talent en français. Ce manque d’assurance les rendait nerveux et les empêchait d’appliquer convenablement les notions déjà acquises. Pire, même lorsqu’ils avaient de bonnes réponses aux exercices, ils n’osaient pas les dire parce qu’ils ne croyaient pas en eux-mêmes. Par conséquent, pour pouvoir les aider, je devais déterminer les notions qu’ils comprenaient et leur proposer des activités sur mesure pour qu’ils puissent progressivement se sentir de plus en plus confiants en leurs compétences en français.

Ainsi, comme tuteur, j’ai apporté bien plus que du soutien en orthographe, en rédaction ou en grammaire : j’ai été au cœur d’une véritable relation d’aide qui m’a aussi permis de grandir du point de vue de mon développement personnel.

Plem Kijamba Lushembe est un étudiant réfugié originaire du Congo. À l’hiver 2021, quand il est arrivé au cégep régional de Lanaudière à Terrebonne, où il est inscrit en sciences humaines, le français était pour lui une troisième langue. Après avoir réussi sa formation de tuteur au début de l’hiver, il aide maintenant deux étudiants au CAF de son campus.

J’apprends de mon tutoré, mon tutoré apprend de moi!

À ma première session au cégep, Mélanie Tancrède, mon enseignante du cours Écriture et littérature, m’avait suggéré les services offerts par le CAF. Je venais d’arriver au Québec, et mon français écrit comportait bien des lacunes. Pour réussir ce cours, je devais notamment atteindre le seuil minimal pour la qualité de la langue. Je ne voulais pas devoir suivre le cours Renforcement en français (ajouté automatiquement à l’horaire des étudiantes et étudiants qui échouaient au volet consacré au critère de la langue) la session suivante; alors, j’ai accepté de m’inscrire au CAF. Au départ, j’ignorais que les séances étaient offertes par d’autres étudiants et étudiantes comme moi; après l’avoir appris, j’étais plus confiant. Je savais que je pourrais compter sur mon tuteur, que je pourrais lui poser toutes sortes de questions en étant tout à fait à l’aise. C’était le cas. En plus, il n’y avait pas que l’apprentissage des notions linguistiques qui m’intéressait : dans mon cas, il s’agissait aussi de découvrir que je pourrais m’approprier en quelque sorte la complexité de la langue française, ce qui a beaucoup alimenté ma motivation et mon intérêt tout au long de mon expérience en tant que tutoré.

Grâce à l’aide du CAF, j’ai réussi haut la main mon premier cours de littérature. Après avoir corrigé ma première évaluation, Annie Lapierre, mon enseignante en Littérature et imaginaire, a cru que je pourrais devenir tuteur au CAF. J’ai alors répondu que je n’avais pas assez de temps à y consacrer. Mais honnêtement, je n’étais pas sûr de pouvoir le faire, d’avoir les compétences nécessaires. Je pensais notamment à mon accent différent, à ma situation qui n’était pas tout à fait stable dans mon nouveau milieu de vie et, plus important encore, je doutais d’avoir suffisamment de connaissances pour les transmettre à une autre personne. Tout cela n’était pas clair dans ma tête. J’ai donc écarté l’idée.

Je crois que j’avais besoin de réfléchir à tout cela. J’ai pris le temps qu’il me fallait. Et après trois longues semaines, j’ai accepté de devenir tuteur au CAF. Mon histoire personnelle a joué pour beaucoup dans ma décision. J’ai voulu m’impliquer dans mon cégep, me rendre utile auprès des autres étudiants et étudiantes en difficulté, comme je l’étais moi-même quelques mois auparavant. Pour moi, offrir le tutorat au CAF est plus qu’une simple aide supplémentaire disponible au cégep : c’est aussi une manière de promouvoir notre collectivité, notre solidarité et, plus encore, de mettre en commun nos savoir-faire, sans oublier l’importance d’en apprendre davantage sur la langue française. D’ailleurs, mon enseignante Annie Lapierre m’avait dit : « Mais tu sais que c’est en aidant aussi les autres qu’on s’aide soi-même et qu’on apprend encore plus de nouveaux éléments dans la langue. » Je suis absolument d’accord avec elle. J’apprends, je rencontre de nouvelles personnes magnifiques, les autres tuteurs comme les tutorés. C’est simplement une expérience enrichissante pour moi, j’aime ça!

En fait, d’après moi, le tutorat, c’est un échange de connaissances entre le tuteur ou la tutrice et son aidé ou aidée. J’apprends de mon tutoré, mon tutoré apprend de moi. C’est ce principe de partage qui exprime, à mon avis, l’essence même du CAF!

Stéphanie McDuff est tutrice en français à HEC Montréal, en plus de travailler comme coordonnatrice à l’édition de la revue Coopérateur. Le tutorat a su se tailler une place particulière dans sa carrière, à travers ses multiples expériences dans le domaine de l’enseignement, de la rédaction et de l’édition.

La formation par le tutorat, du cégep à l’université

Le tutorat a toujours été à mes yeux une expérience incroyablement formatrice, remplie d’inconnus, linguistiques ou humains, à découvrir.

J’étais étudiante au cégep lorsque je m’y suis essayée pour la première fois. L’enseignant qui me dirigeait était encourageant et me donnait de précieux conseils. C’était heureux parce que, soyons francs, je manquais d’assurance et croyais que mes deux étudiants auraient dû bénéficier de l’aide d’une personne plus expérimentée. J’avais toutefois vraiment aimé l’exercice, donc quand l’occasion s’est présentée durant mes études universitaires d’être embauchée dans le CAF d’un cégep à titre de tutrice, je me suis lancée… et j’y suis restée près de six ans!

Pendant ces six années de découvertes et d’apprentissages (autant pour les étudiants et les étudiantes [espérons-le] que pour moi-même), j’ai gagné en confiance et amélioré mes méthodes d’enseignement. Chaque question qui m’a été posée m’a permis d’en apprendre un peu plus sur le français et sur la façon de l’expliquer; chaque concertation entre tutrices pour démystifier une curieuse règle de grammaire ou de syntaxe a généré des discussions étonnamment animées et passionnantes. Je reste surtout marquée, cependant, par le rapport unique que les tuteurs entretiennent avec les tutorés. Ils s’insèrent pendant un instant dans leur vie, et ces derniers leur prêtent un peu de leurs connaissances, de leur vécu, de leur culture, de leurs souffrances, parfois, ou encore de leurs réussites. Les défis des tutorés deviennent ceux des tuteurs, lesquels cherchent les mille-et-une astuces qui parviendront à les outiller. Quel plaisir quand ils y arrivent!

Il y a quelques mois, je suis revenue au tutorat, un peu pour l’aspect social en plein confinement, beaucoup pour cette furtive joie qu’on ressent à chacun des petits succès de ceux et celles qu’on aide. Cette fois-ci, j’ai découvert le milieu universitaire. Est-ce très différent du collégial? Pas fondamentalement. Les règles du français sont les mêmes quel que soit l’ordre d’enseignement! Les rencontres sont tout aussi fascinantes et je continue à en apprendre toujours un peu plus sur la langue française. Les motivations pour s’inscrire au tutorat sont également similaires : réussir un examen de français, poursuivre des études, etc. La différence la plus notable concerne l’origine géographique des apprenantes et des apprenants : ils sont plus nombreux à provenir de l’international et donc à être allophones. Leurs défis d’apprentissage sont par conséquent moins axés sur la grammaire et plus sur la syntaxe et la communication claire d’idées complexes. Et la tutrice que je suis en apprend davantage sur une autre culture grâce à eux.

Donc, si vous hésitez à devenir tuteur ou tutrice pour un CAF, ma seule recommandation serait : lancez-vous! Au pire, vos premiers étudiants auront un peu amélioré leur méthode d’autocorrection; au mieux, vous poserez les jalons d’une longue série de rencontres fabuleuses et d’expériences enrichissantes!

Chloé St-Pierre est tutrice au CAF du cégep Édouard-Montpetit depuis l’hiver 2021. Elle aide chaque semaine 20 étudiantes et étudiants aux profils variés. Elle vient tout juste d’obtenir son diplôme en arts, lettres et communication, option littérature.

Agents de changement

Durant mon parcours en tant que tutrice, j’ai eu l’honneur d’être interviewée par l’équipe de Radio-Canada. Ce qu’on ne voit pas à la caméra, c’est que j’ai appris l’existence du projet la veille du tournage, alors je me jetais dans la gueule du loup sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Malgré le sprint de préparation, le stress et l’insomnie qui se sont ensuivis, je suis très contente et honorée qu’on m’ait donné cette chance de participer à la promotion des services de tutorat, qui sont, d’après moi, essentiels pour plusieurs élèves. Comme je l’ai dit à la journaliste qui dirigeait l’entrevue, en faisant du tutorat, j’ai vite réalisé que le niveau moyen en français des étudiantes et étudiants au cégep était bien plus faible que je ne l’aurais pensé. Ayant toujours eu de la facilité avec le français écrit, je ne m’étais jamais vraiment questionnée sur les difficultés que d’autres pouvaient avoir, et ce travail m’a vraiment ouvert les yeux sur une situation qui m’était jusqu’alors inconnue.

À mes yeux, chacun et chacune tente de changer la société d’une façon ou d’une autre. Certains et certaines deviendront médecins, politiciens, politiciennes, scientifiques… D’autres, journalistes, vétérinaires, enseignants ou enseignantes. Je crois à 100 % que le tutorat me permet de créer une différence dans le monde qui m’entoure, puisque je viens en aide à des étudiants et à des étudiantes qui occuperont peut-être des rôles clés dans notre société future. Même si je ne suis pas professeure, je crois que je contribue tout de même beaucoup à la réussite générale des élèves, puisqu’ils et elles utiliseront le français écrit dans tous les cours (ou presque) de leur parcours.

Il m’est arrivé à quelques reprises de recevoir des remerciements de mes élèves, et je suis toujours touchée de voir la reconnaissance dans leurs yeux. Même si, en fin de compte, c’est eux qui auront fait les efforts, c’est valorisant de voir que mon travail, mes explications et ma correction sont reconnus. D’ailleurs, en tant que tutrice, ma partie préférée d’une session est lorsque la fin des rencontres arrive et que je réalise tout le chemin parcouru par les élèves. J’aime bien voir que leurs résultats se sont améliorés grâce à mon aide et que j’apporte, à ma façon, du changement dans la société.

Rébecca Turgeon est inscrite en première année du programme Technologie d’analyses biomédicales au cégep de Saint-Jérôme. À l’automne 2021, elle a suivi le cours Relation d’aide appliquée en français écrit. Même si elle n’a pas pu poursuivre son engagement au CAF cet hiver, elle compte bien y revenir l’automne prochain.

Le CAF pour apprendre à mieux se connaitre

Lorsque je me suis inscrite au cégep, j’ai choisi un cours complémentaire qui allait me passionner et me permettre de devenir tutrice au CAF : le cours Relation d’aide appliquée en français écrit (RAFE). J’ai voulu vivre cette expérience parce que j’avais vraiment envie de transmettre mes connaissances aux autres et de les aider dans une sphère de ma vie avec laquelle je n’ai pas beaucoup de difficulté. Malgré cette facilité de départ, le contenu du cours m’a permis de m’améliorer en français. En fait, dans une plus large perspective, ce cours m’a offert une chance de découvrir certaines de mes forces et de mes faiblesses, autant sur le plan de la langue que sur le plan personnel.

J’ai d’abord découvert que j’avais une certaine facilité à expliquer la nouvelle matière à mes élèves et que je pouvais donc être une bonne pédagogue. Par exemple, pour garder leur attention et leur motivation, j’essayais de rendre la théorie plus facile à comprendre et aussi plus intéressante en utilisant des exemples adaptés à leurs intérêts. Je tentais aussi de leur donner un maximum de trucs pour les aider dans leur rédaction. Pour que ce soit agréable à chaque rencontre et pour éviter la redondance, je prenais soin de varier les exercices. Je suis facilement capable de me mettre à la place des autres, et cela m’a permis de comprendre que faire toujours la même chose sans le moindre changement entraine petit à petit la disparition du désir d’apprendre. J’ai mis à profit mon sens de l’organisation dans la planification de mes séances : j’avais adopté une technique selon laquelle, chaque début de rencontre, je demandais à l’élève de me dire ce que nous avions vu la semaine précédente, ce qui lui permettait d’encore mieux retenir ce qu’il ou elle avait appris. Grâce à mon côté humain, je n’ai jamais cessé d’encourager les étudiants et les étudiantes que j’aidais et de leur montrer qu’ils s’amélioraient beaucoup, que le travail qu’ils faisaient donnait des résultats. L’encouragement leur permettait de récupérer une certaine confiance en eux qu’ils avaient perdue.

En contrepartie, l’expérience du tutorat m’a fait prendre conscience de certaines de mes faiblesses. Parfois, croyant que les notions que je présentais étaient simples, j’allais un peu trop vite dans mes explications. Cela m’a permis de développer mon empathie et de comprendre, d’une part, que ce n’est pas tout le monde qui a la même facilité que moi à l’école et, d’autre part, que les personnes qui éprouvent certaines difficultés devraient avoir accès à des ressources. J’ai aussi appris à être plus à l’écoute : dès que je voyais que mon élève ne comprenait plus du tout, je revenais en arrière et je recommençais. De plus, parce que je n’étais pas toujours consciente de la charge de travail de mes tutorés, j’avais tendance à donner de petits devoirs à chaque rencontre. Je croyais que les devoirs allaient motiver mes tutorés encore plus, mais je me suis rendu compte à l’opposé que, plus la session avançait, moins ils les faisaient. En résumé, si mes forces m’ont permis d’aider certaines personnes, mes faiblesses m’ont aidée moi-même à m’améliorer.

Selon moi, le cours RAFE et l’expérience au CAF peuvent aider chaque étudiant ou étudiante, peu importe son domaine de formation. Pour ma part, mon objectif est de devenir technologiste médicale, et mon expérience au CAF va m’avoir à tout le moins permis de mieux rédiger mes rapports, sans craindre de commettre plusieurs fautes. Même si j’ai choisi de poursuivre mes études dans le domaine de la santé, le cours RAFE m’a amenée à envisager l’enseignement si un jour je souhaite changer de carrière.

  1. Nom fictif. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE