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Enseigner les stratégies de lecture en biologie: pourquoi? comment?

Propos d’Isabelle Picard, enseignante en biologie au cégep Limoilou, recueillis par Valérie Plourde
Entrevue
On estime qu’environ 50 % des Québécoises et Québécois de 15 ans et plus n’atteindraient pas le niveau 3 du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) [Langlois, 2019], c’est-à-dire que ces personnes n’arrivent pas à « lire des textes denses ou longs nécessitant d’interpréter et de donner du sens aux informations » (Fondation Lire pour réussir, 2019). Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains cégépiens et certaines cégépiennes peinent à faire leurs lectures scolaires. C’est l’observation de difficultés en la matière qui a inspiré Isabelle Picard, enseignante en biologie, à entamer un projet de recherche visant à intégrer dans ses cours l’enseignement explicite de stratégies d’apprentissage, dont des stratégies de lecture. Correspondance s’est entretenu avec elle afin d’en savoir plus sur les moyens mis en place pour développer ces stratégies de lecture ainsi que sur les retombées de son projet.

Isabelle Picard est détentrice d’un baccalauréat en biologie et a obtenu une maitrise en pédagogie de l’enseignement supérieur au collégial en 2021. Elle enseigne au Département de biologie du cégep Limoilou depuis 20 ans et œuvre plus particulièrement dans les programmes techniques relevant du domaine des sciences de la santé. À l’automne 2019, dans le cadre d’un projet d’innovation pédagogique développé dans le programme de maitrise en pédagogie de l’enseignement supérieur au collégial de l’Université de Sherbrooke, elle a implanté l’enseignement de stratégies de lecture dans un cours de première session du programme Soins infirmiers afin de favoriser l’apprentissage par la lecture. La réussite de son projet tient à l’arrimage entre enseignement explicite des stratégies de lecture et apprentissage des contenus disciplinaires.

Correspondance – Comment vous est venue l’idée de mener une recherche sur l’enseignement de stratégies d’apprentissage, dont des stratégies de lecture, dans un cours de biologie?

Isabelle Picard – Au cours des 15 dernières années, dans le cadre de mes cours de biologie au cégep Limoilou, l’intégration d’une pédagogie active, qui place les étudiantes et les étudiants au centre de leurs apprentissages, m’a révélé de faibles habiletés de lecture chez plusieurs individus. Entendons-nous bien : les étudiantes et étudiants sont aptes à lire des textes, mais arrivent-ils à bien comprendre ce qu’ils lisent, à apprendre de façon autonome par la lecture? J’ai pu observer qu’une forte proportion n’y arrive pas. Dans un premier temps, ce constat m’a amenée à opter pour un manuel de biologie plus adapté au niveau collégial et à accompagner les lectures réalisées dans cet ouvrage d’un guide de lecture. Cependant, l’usage d’un tel guide s’est révélé non productif : soit les guides de lecture n’étaient pas remplis, puisqu’ils représentaient une tâche supplémentaire, soit les étudiantes et les étudiants se contentaient de les remplir grâce à la technique du « copier-coller », sans traitement cognitif. La lecture demeurait donc passive. Quand je les questionnais à ce sujet, plusieurs d’entre eux affirmaient ne pas vouloir pleinement s’engager dans les tâches impliquant la lecture puisqu’ils considéraient que cette activité les aidait peu à apprendre. Ces remarques vont dans le sens de l’étude de Gagnon (2014), qui montre qu’à leur entrée au collégial, les étudiantes et les étudiants ne perçoivent pas la lecture comme une stratégie d’apprentissage efficace. Dans mes classes, plusieurs disaient retenir peu de choses de leur lecture et préférer s’en remettre à mes présentations. Toutefois, ces présentations entretenaient leur passivité et leur dépendance tout en favorisant peu leur propre traitement cognitif des contenus et leur autonomie dans l’apprentissage.

Au fil de mes recherches, j’ai commencé à comprendre la cause des comportements que j’avais pu observer dans ma pratique. Selon Ouellet, Dubé et Boultif (2016), plusieurs cégépiens et cégépiennes peinent à comprendre des textes complexes, malgré le fait que ceux-ci soient jugés accessibles par leurs enseignants. Cette affirmation est corroborée par d’autres travaux, dont ceux de Bélec (2017). Certains se demanderont pourquoi ces difficultés persistent après 11 années passées dans le système scolaire québécois. En fait, peu d’étudiantes et d’étudiants ont été confrontés à des textes d’une complexité aussi grande que celle des textes qui leur sont proposés au niveau collégial. Qui plus est, la quantité de textes à lire et la diversité de ceux-ci sont sans commune mesure avec ce qui leur a été demandé au secondaire, où les élèves lisent peu de textes disciplinaires. Pour comprendre ce type de textes, le lecteur ou la lectrice doit non seulement avoir atteint un niveau de littératie plus élevé, mais également maitriser des littératies spécifiques à chacune des disciplines (psychologie, biologie, mathématiques, etc.). Pour vous convaincre de la difficulté d’une tâche pareille, mettez-vous au défi de lire un texte soumis par un ou une collègue d’un domaine d’étude éloigné du vôtre. Cet exercice vous placera dans le rôle de l’apprenant ou l’apprenante et vous amènera à mieux percevoir les défis et le temps qu’impose la lecture de textes disciplinaires dans l’optique d’en maitriser les contenus.

Il m’est donc apparu essentiel d’intervenir de manière à permettre aux étudiantes et aux étudiants de développer des stratégies qui les rendraient plus compétents et autonomes dans leurs apprentissages par la lecture, car la personne qui se sent inefficace dans la réalisation d’une tâche, comme lire pour apprendre, finit par ressentir un sentiment négatif à l’égard de la tâche en question. Elle risque alors de se désengager, ce qui l’empêche de faire des apprentissages significatifs qui contribueraient à la rendre compétente. L’engagement se manifeste par l’utilisation de stratégies pour apprendre (Viau, 2009). Cependant, si une personne connait peu de stratégies, il lui sera difficile de s’engager et d’utiliser des stratégies efficaces.

Correspondance – Quels étaient vos objectifs et vos hypothèses de recherche?

I. P. – Le projet implanté avait pour premier objectif de contribuer à l’apprentissage de stratégies de lecture par les étudiantes et les étudiants dans le cadre d’un cours de première session au cégep. Le deuxième était d’améliorer le sentiment d’efficacité personnelle de ceux-ci à l’égard de l’apprentissage par la lecture. Finalement, le troisième objectif, découlant des deux premiers, était d’augmenter le degré d’engagement des étudiantes et étudiants dans les tâches impliquant la lecture et, conséquemment, la qualité, en fait de profondeur et de durabilité, de leurs apprentissages par la lecture. Bref, je souhaitais enseigner des stratégies de lecture afin d’outiller les étudiantes et les étudiants tout en leur permettant de développer une perception positive de leur efficacité à apprendre par la lecture. Favoriser leur engagement ne pouvait que les amener à améliorer leur réussite.

Correspondance – Quelles stratégies de lecture ont été ciblées pour en faire l’enseignement explicite?

I. P. – Les stratégies de lecture enseignées sont celles qui ont été considérées comme les plus pertinentes pour l’apprentissage par la lecture de textes descriptifs de nature scientifique. Elles comprennent d’abord l’utilisation efficace d’un manuel de référence, la détermination d’objectifs de lecture de même que des stratégies favorisant l’élaboration des connaissances. Ces dernières comptent le questionnement, les relations aux connaissances antérieures et la reformulation. Lorsqu’on reformule l’information dans ses propres mots et qu’on l’organise afin qu’elle soit signifiante pour soi, on peut alors se l’approprier (Escudier et Debas, 2020). J’ai également choisi d’enseigner des stratégies d’organisation des connaissances, qui regroupent l’imagerie mentale, la représentation visuelle et la schématisation de concepts. Ces dernières stratégies permettent à une personne d’organiser ses connaissances nouvelles et antérieures. Grâce au travail de réflexion qu’exige la réalisation d’un schéma de concepts, la personne peut relier ces connaissances de façon cohérente et valable, ce qui facilite leur compréhension et leur rétention. En contribuant au développement de stratégies d’organisation des connaissances, qui permettent à l’élève de construire des représentations mentales de sa compréhension d’un phénomène ou d’un ensemble de connaissances, on facilite le stockage et la récupération de l’information (Gagné, Leblanc et Rousseau, 2008).

Correspondance – Comment avez-vous procédé pour enseigner ces stratégies dans vos classes?

I. P. – Comme les sources consultées étaient unanimes quant à la manière de procéder à l’enseignement explicite des stratégies d’apprentissage, j’ai convenu d’enseigner les stratégies de lecture selon les étapes proposées par les chercheuses américaines Stephanie Macceca et Trisha Brummer (2010). Ces étapes consistent à expliciter la stratégie enseignée (le quoi), son utilité (le pourquoi), le contexte dans lequel l’utiliser (le quand) et la façon de s’y prendre (le comment). J’ai d’ailleurs préparé, à titre d’exemple pour votre lectorat, un tableau présentant les étapes proposées par Macceca et Brummer (2010) et appliquées à l’enseignement de la représentation visuelle. Comme il ne suffit pas de nommer les étapes d’une stratégie pour qu’elle soit comprise, il est essentiel de modéliser toute stratégie de lecture que l’on choisit d’enseigner. Pour ce faire, la personne enseignante applique la stratégie à un texte en verbalisant à voix haute ses pensées. Une étudiante ou un étudiant peut également jouer ce rôle. La modélisation est l’étape la plus significative dans l’apprentissage d’une stratégie, car elle amène les personnes apprenantes à se sentir aptes à l’appliquer. La pratique dirigée et la pratique autonome sont les étapes essentielles qui suivent. La pratique dirigée impose que l’on fasse lire les étudiantes et les étudiants en classe afin de les accompagner.

J’ai donc intégré l’apprentissage de stratégies de lecture dans le premier cours de biologie de deux programmes techniques liés aux sciences de la santé. J’ai pour ce faire procédé à un enseignement explicite et à une mise en pratique fréquente et supervisée de ces stratégies. Ce projet répondait à certains des domaines d’action prioritaires favorisant l’intégration au collégial qui ont été définis par Gaudreault et autres (2014), à savoir le rehaussement des compétences en littératie et le renforcement du sentiment de compétence. Il offrait également aux étudiantes et aux étudiants une occasion d’« apprendre à apprendre », tout en répondant aux besoins particuliers de plusieurs d’entre eux sans pour autant en défavoriser d’autres.

J’ai fait le choix d’offrir un enseignement explicite des stratégies de lecture à l’aide de capsules vidéos. Non seulement cela donnait la chance aux apprenantes et aux apprenants de revoir à volonté la mise en pratique des stratégies enseignées, mais cela leur permettait de visionner plus aisément les démonstrations offertes par la possibilité de zoomer à l’écran. Par ailleurs, le visionnement en dehors de la classe répond à la préoccupation d’enseignantes et d’enseignants qui estiment ne pas avoir le temps d’enseigner des stratégies d’apprentissage en classe.

Pour maximiser le temps en classe nécessaire pour présenter ces capsules vidéos, procéder à des modélisations et permettre la pratique guidée, j’ai choisi d’arrimer l’enseignement des stratégies de lecture à l’enseignement de notions de biologie. Ce que j’entends par là, c’est que lorsqu’on enseigne et modélise les stratégies de lecture choisies en début de session, certains contenus sont abordés par la même occasion. Ensuite, la mise en pratique des stratégies de lecture amène les étudiantes et étudiants à s’approprier de nouveaux concepts et modèles de la biologie.

Correspondance – Comment évolue l’accompagnement offert aux étudiantes et aux étudiants au fil de la session?

I. P. – Cet accompagnement se réalise d’abord en classe lors d’activités pédagogiques qui comprennent des tâches impliquant la lecture. Pendant ces activités, j’interviens sur les stratégies de lecture utilisées et je les modélise de nouveau au besoin. C’est la pratique guidée. J’amène également les étudiantes et les étudiants à faire part de leurs stratégies et à les modéliser entre eux. J’apporte des rétroactions positives à chaque personne en insistant sur les gains en compétences, en connaissances et en efficacité dans son processus d’apprentissage. Au fur et à mesure que la session évolue, la pratique des stratégies de lecture devient de plus en plus autonome, et l’accompagnement se fait davantage au moyen d’un portfolio d’apprentissage élaboré par les étudiantes et les étudiants. L’appréciation de ce portfolio porte autant sur les stratégies utilisées que sur les contenus synthétisés. En cas de nécessité, je rencontre individuellement certaines personnes pour les encadrer plus étroitement dans leur utilisation des stratégies de lecture. D’ailleurs, plusieurs chercheurs et chercheuses, comme Macceca et Brummer (2010) ou Mastracci (2017), ont mis en lumière l’importance des rétroactions continues pour amener les étudiantes et les étudiants à atteindre les objectifs tant en ce qui concerne l’application de stratégies de lecture efficaces qu’en ce qui a trait à l’appropriation de nouvelles connaissances.

Correspondance – Quels obstacles rencontrez-vous dans vos pratiques?

I. P. – Le principal obstacle à l’enseignement et à l’apprentissage de stratégies de lecture est inhérent aux conceptions de l’apprentissage entretenues par les étudiantes et les étudiants. En effet, certains d’entre eux conçoivent les savoirs comme des éléments isolés les uns des autres. Pour ces personnes, la compréhension des textes complexes est plus ardue, car elle nécessite de lier les éléments. Elles ont alors de la difficulté à s’engager dans leurs apprentissages, à s’autoréguler et à maintenir leur motivation (Gagnon, 2015). Si elles entretiennent également l’idée qu’apprendre par la lecture devrait être une tâche accomplie rapidement et aisément, elles montrent peu de persévérance. Or, apprendre par la lecture, apprendre en profondeur, est une tâche difficile, qui demande des efforts, même pour les plus expérimentés. C’est ce que la modélisation devrait démontrer pour convaincre ces personnes. Cela dit, étant donné que, dans leur parcours scolaire, les stratégies d’apprentissage en surface peuvent leur avoir semblé suffisantes, une résistance à s’engager plus intensément dans leurs apprentissages peut se manifester. Normal, quand on y pense, car qui déploierait des efforts qu’il ou elle ne juge pas nécessaires? Malheureusement, certaines personnes ne perçoivent la nécessité de s’investir qu’après quelques échecs.

Le temps est également un facteur limitant pour enseigner des stratégies dans des conditions optimales. Par exemple, Macceca et Brummer (2010) recommandent d’enseigner une stratégie à la fois, ce qui ne pourrait être mis en pratique au collégial dans un seul cours. En effet, une session ne durant que 15 semaines, l’enseignement d’un ensemble de stratégies devient incontournable.

Correspondance – D’après votre expérience, quelles sont les conditions gagnantes pour enseigner les stratégies de lecture au collégial?

I. P. – Il est indispensable de convaincre d’abord les étudiantes et les étudiants de la nécessité de parfaire leurs stratégies de lecture pour mieux apprendre et réussir. Mon astuce est de les placer dès le début de la session dans un contexte où ils devront apprendre de façon autonome par la lecture de textes disciplinaires de niveau adéquat. De cette manière, ils sont en mesure de diagnostiquer eux-mêmes, et moi aussi d’ailleurs, leurs difficultés à comprendre ces textes, s’il en existe. Cet exercice a l’avantage d’attiser la réceptivité pour l’apprentissage de stratégies de lecture. Idéalement, instaurer l’enseignement de stratégies de lecture le plus tôt possible dans le cheminement collégial des apprenantes et des apprenants leur permet d’en bénéficier par la suite.

Il m’apparait également essentiel d’adopter un paradigme d’enseignement axé sur l’apprentissage, dans lequel on s’intéresse davantage au processus d’apprentissage qu’à ses produits. Conséquemment, les étudiantes et les étudiants doivent avoir de multiples occasions d’appliquer les stratégies enseignées pour apprendre activement en classe, afin de bénéficier d’un accompagnement, et hors classe, de manière à devenir autonomes et compétents dans l’application des stratégies enseignées. L’évaluation doit être continue et également s’harmoniser avec les processus d’apprentissage instaurés. Par exemple, des évaluations qui ne portent que sur des connaissances déclaratives encouragent peu l’utilisation de stratégies de lecture visant à mieux comprendre des phénomènes.

Correspondance – Avez-vous pu observer des changements dans les compétences en lecture des participantes et des participants?

I. P. – L’évaluation du projet implanté en 2019 a permis d’observer deux choses : un accroissement de l’autonomie dans l’apprentissage par la lecture et une amélioration de la qualité des synthèses des contenus chez la majorité des personnes participantes. Depuis, ces observations se renouvèlent. L’hypothèse émise est que, d’une part, les stratégies de lecture favorisant l’élaboration des connaissances permettent aux personnes participantes de mieux comprendre les textes lus et que, d’autre part, les stratégies de lecture visant l’organisation des connaissances leur permettent de mieux s’approprier les contenus.

Le gain de compétence en lecture semble avoir contribué à rehausser le sentiment d’efficacité personnelle à l’égard de l’apprentissage par la lecture chez les personnes participantes, notamment chez celles qui manifestaient des difficultés au départ et qui ont souhaité modifier leurs stratégies. Ces personnes ont également montré un degré d’engagement accru dans les tâches d’apprentissage proposées.

Cependant, dans le cas des personnes qui ont utilisé dès le départ des stratégies de lecture efficaces, peu de changements ont été observés, et un faible désengagement a même été constaté. Il est possible d’avancer que, pour elles, l’enseignement et la pratique guidée de stratégies de lecture ont pu avoir un effet éteignoir sur leur motivation, puisqu’elles ont jugé moins pertinentes les tâches demandées.

Les personnes participantes dont les difficultés étaient très grandes ou qui ont persisté à recourir à des stratégies inadéquates n’ont pas non plus montré d’amélioration dans la qualité de leurs apprentissages en cours de session. Fait intéressant, elles évaluaient toutefois leur sentiment d’efficacité personnelle et leur engagement à des niveaux relativement élevés. On peut se demander s’il n’y aurait pas lieu, dans ces cas, d’intervenir sur leur capacité à réguler leurs apprentissages. On peut alors recourir de façon judicieuse à l’observation des pairs ou à des évaluations formatives.

Correspondance – Qu’est-ce qui vous a le plus surprise dans votre démarche ou dans vos résultats en ce qui a trait aux stratégies de lecture?

I. P. – D’entrée de jeu, je suis parfois troublée par l’étendue des difficultés à apprendre par la lecture chez certaines étudiantes et certains étudiants, qui ont pourtant obtenu un diplôme d’études secondaires. Loin de moi l’idée d’accuser un système, je cherche à comprendre ce phénomène. Toutefois, ce qui me désarçonne davantage, c’est la résistance de certaines personnes à adapter leurs stratégies lorsqu’elles rencontrent des difficultés, et cela, malgré mes encouragements et mon soutien. On ne peut pas faire pousser des fleurs en tirant dessus, et je cherche encore comment nourrir certaines pour les voir s’épanouir.

Correspondance – Si vous aviez un conseil à offrir à quelqu’un qui voudrait enseigner des stratégies de lecture propres à sa discipline, quel serait-il?

I. P. – J’en aurais quelques-uns, à vrai dire! Dans un premier temps, je recommande d’évaluer les besoins des étudiantes et des étudiants ciblés en matière de lecture, afin d’intervenir de manière judicieuse. Est-ce la majorité qui bénéficierait de l’apprentissage de nouvelles stratégies ou serait-ce uniquement le fait de quelques personnes? Selon les constats, l’enseignement des stratégies peut se faire en classe pour toutes et tous selon une approche inclusive ou en atelier pour certaines ou certains. Si l’on ne répond pas à un réel besoin, il est possible que l’enseignement des stratégies s’avère vain. Aussi faut-il parfois amener les étudiantes et les étudiants à constater leurs lacunes et leurs besoins pour les rendre réceptifs à ces nouveaux apprentissages.

Sélectionner des stratégies de lecture appropriées à son domaine est également fondamental. Par exemple, si la représentation visuelle est incontournable en biologie, elle n’est peut-être pas pertinente en histoire. Les spécialistes disciplinaires utilisent généralement les stratégies de lecture les plus adéquates et efficaces pour leur domaine; alors, ce sont celles-là qu’il est préférable d’enseigner. De plus, il peut être avisé de faire construire un lexique disciplinaire par les étudiantes et les étudiants inscrits au premier cours d’une discipline donnée dans leur cheminement collégial.

Qui plus est, étant donné qu’une session au collégial ne dure que 15 semaines et que les exigences en matière de contenus à enseigner sont relativement élevées, je crois qu’il est essentiel d’arrimer l’enseignement des stratégies de lecture à celui des contenus disciplinaires. Il est également judicieux de s’interroger sur la nécessité de tous les contenus enseignés. Il importe de planifier par la suite l’intégration de l’application des stratégies (c’est-à-dire la pratique guidée et autonome) à l’apprentissage des contenus disciplinaires. Pour ce faire, le choix des outils didactiques, des textes notamment, est déterminant. Il est préférable de débuter avec des textes simples, sur le plan tant du vocabulaire que de la structure, et d’introduire graduellement des textes plus complexes.

Je ne peux qu’encourager mes collègues dans cette voie, car pour être efficaces dans leurs apprentissages, les étudiantes et les étudiants doivent développer leurs stratégies d’apprentissage. Devenir apte à apprendre par soi-même ne transcende-t-il pas la maitrise des contenus disciplinaires que l’on enseigne? Je me répète souvent cette phrase qu’a écrite Ulric Aylwin en 1997 : « [O]n peut gagner, en réalité, du temps pour le contenu du cours en acceptant d’en perdre, en apparence, au profit d’une pédagogie active et de la formation fondamentale. »

Sources citées par Isabelle Picard

AYLWIN, U. (1997). « Les croyances qui empêchent les enseignants de progresser », Pédagogie collégiale, vol. 11, no 1, p. 25-31. Également disponible en ligne : http://www.cdc.qc.ca/ped_coll/pdf/aylwin_ulric_11_1.pdf.

BÉLEC, C. (2017). « Faut-il apprendre aux étudiants comment lire un texte? », Pédagogie collégiale, vol. 30, no 2, p. 25-32. Également disponible en ligne : https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/35700/Belec_30_2_2017.pdf.

ESCUDIER, F., et K. DEBAS (2020). Savoir apprendre pour réussir : les meilleures stratégies d’étude validées par la science, Montréal, Pearson ERPI, 200 p.

GAGNÉ, P. P., N. LEBLANC et A. ROUSSEAU (2008). Apprendre… une question de stratégies : développer les habiletés liées aux fonctions exécutives, Montréal, Chenelière Éducation, 208 p.

GAGNON, M. (2015). « Quelle place pour les rapports aux savoirs en éducation? », Pédagogie collégiale, vol. 29, no 1, p. 24-32. Également disponible en ligne : https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/37441/gagnon-29-1-2015.pdf.

GAGNON, M. (2014). La connaissance des stratégies d’apprentissage chez les collégiens, 67 p. [Rapport de recherche remis dans le cadre du programme de recherche et d’expérimentation pédagogiques (PREP)]. Également disponible en ligne : https://www.acpq.net/static/uploaded/Files/documents/recherches/rapport-prep-mathieu-gagnon.pdf.

GAUDREAULT, M., et autres (2014). L’intégration aux études et l’engagement scolaire des collégiens : enquête menée dans les régions de Lanaudière, de la Mauricie et du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Rapport sommaire, Jonquière, ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière, 25 p. Également disponible en ligne : https://ecobes.cegepjonquiere.ca/media/tinymce/Enquetes/HabVie2010_RapportSommaire2014(1).pdf.

MACCECA, S., et T. BRUMMER (2010). Stratégies de lecture en mathématiques, en sciences et en sciences sociales, traduit de l’anglais par C. Duguay, Montréal, Chenelière Éducation, 312 p.

MASTRACCI, A. (2017). « L’évaluation formative comme aide à l’apprentissage », Pédagogie collégiale, vol. 30, no 4, p. 22-28. Également disponible en ligne : https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/35707/mastracci-30-4-2017.pdf.

OUELLET, C., F. DUBÉ et A. BOULTIF (2016). « Mieux comprendre les textes disciplinaires : un défi au collégial », Correspondance, vol. 21, no 3, p. 9-12. Également disponible en ligne : https://correspo.ccdmd.qc.ca/document/la-lecture-dans-tous-ses-etats/mieux-comprendre-les-textes-disciplinaires-un-defi-au-collegial/.

VIAU, R. (2009). La motivation à apprendre en milieu scolaire, Saint-Laurent, Québec, Éditions du renouveau pédagogique inc., 232 p.

Références

FONDATION LIRE POUR RÉUSSIR (2019). La littératie, [En ligne]. [https://lire-reussir.org/la-litteratie/] (Consulté le 3 décembre 2021).

LANGLOIS, P. (2021). La littératie au Québec : un regard local sur les enjeux. Estimation d’un indice de littératie par MRC, [En ligne], Fondation pour l’alphabétisation. [https://workdrive.zohoexternal.com/file/4oa190b1e32ca6c0246bb8f5a76aafb9b4664] (Consulté le 3 décembre 2021).

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