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Antidote, un remède efficace pour la surcharge cognitive d’étudiants dyslexiques?

La maitrise de la langue française demeure un défi pour les étudiants du collégial (Simard, 1995). Selon les plus récents résultats de l’épreuve uniforme de français (EUF) accessibles (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020), le taux d’échec pour les sous-critères de l’orthographe lexicale et de l’orthographe grammaticale est de plus de 27 %. Pour celui associé à la syntaxe et à la ponctuation, il n’est guère mieux, à 21 %. Si, pour l’ensemble des étudiants, il n’est pas facile de dompter la langue écrite, avec ses nombreux accords muets et son orthographe opaque (Fayol, 2013), cette tâche est colossale pour les étudiants dyslexiques.

Depuis plus de dix ans, je travaille au collégial, auprès d’étudiants en situation de handicap (ESH), comme conseillère en services adaptés et orthopédagogue. Au fil des ans, j’ai pu constater à quel point certains outils, comme le correcticiel Antidote, aident ces étudiantes et ces étudiants, en particulier les dyslexiques, à réviser plus efficacement leur texte. C’est pourquoi, dans le cadre de mon projet de recherche à la maitrise en didactique des langues à l’UQAM, je me suis donné comme objectif de recherche de mesurer l’effet du correcteur Antidote sur la performance des étudiants dyslexiques du collégial aux différents critères de maitrise de la langue de l’épreuve uniforme de français.

Écrire : une tâche complexe

Comme le disait déjà si bien Pierre Bourgault lors d’une conférence sur la langue donnée au cégep de Sorel-Tracy en 1989 : « C’est que l’écriture est quelque chose de bien plus spécialisé que la parole. […] L’écriture est une science qui relève de la parole, mais qui est aussi complètement différente de la parole, et c’est un long apprentissage, extrêmement difficile, et qu’on ne maitrise à peu près jamais. » (Bourgault, 1989, 1:09:56)

La difficulté de la tâche d’écriture est exposée dans le modèle cognitiviste d’écriture de Berninger et Winn (modèle datant de 2006 cité dans Berninger, Garcia et Abbott, 2009). Selon ce modèle (figure 1), celle-ci comprend des fonctions exécutives qui incluent entre autres la planification du message, l’organisation des idées, le point de vue critique, la pertinence des arguments et le ton convaincant à adopter. À ces fonctions s’ajoutent les processus de transcription, qui comprennent les éléments de la maitrise de la langue, mais aussi l’aspect moteur du geste d’écrire ou de taper au clavier. Afin de mieux illustrer la complexité de l’écriture, je vous propose une analogie imparfaite, mais parlante à mon sens. Imaginons une route avec un immense carrefour giratoire, où le conducteur ou la conductrice est le scripteur ou la scriptrice. Tout au long de cette longue courbe, pour produire du langage écrit, la personne scriptrice doit rester vigilante et tenir compte d’un ensemble de facteurs qui l’entourent, ce qui fait qu’elle doit superviser tous les stimulus simultanément. La scriptrice ou le scripteur qui déambule à travers les différents processus doit en tenir compte lors de chacune de ses décisions. Dans le flux de ces informations, elle ou il doit gérer et partager son attention et sa mémoire pour arriver à produire un texte qui implique une gamme de compétences cognitives, langagières, motrices et sociales (Connelly, Dockrell et Barnett, 2012). C’est à cette complexité que Pierre Bourgault faisait allusion.

Figure 1

Adaptation française du modèle cognitiviste d’écriture Not-So-Simple View of Writing, de Berninger et Winn (cité dans Berninger, Garcia et Abbott, 2009)

Une augmentation du cout cognitif de l’un des processus entraine une surcharge cognitive qui affecte les performances des autres processus en raison de la quantité limitée de ressources restantes (Bourdin et Fayol, 2002; McCutchen, 1996). Par exemple, si un normoscripteur ou une normoscriptrice doit écrire complètement en lettres majuscules, ses idées et sa fluidité de composition s’en trouveront probablement ralenties, car son attention sera portée sur la production inhabituelle des lettres en majuscules. Cette idée de partage des ressources du flux cognitif et de surcharge cognitive est importante pour comprendre les particularités des scripteurs dyslexiques.

Et les étudiants dyslexiques dans tout ça?

Dans les classes au collégial, on peut s’attendre à avoir de 5 % à 10 % d’étudiants dyslexiques (Cavalli et autres, 2018). La variation de ce taux dépend notamment de la manière de définir ce trouble. Voici la définition qui a été retenue dans le cadre de ma recherche :

La dyslexie est un trouble spécifique d’apprentissage d’origine neurobiologique. Elle se caractérise par des difficultés [persistantes] à identifier les mots [écrits] avec précision et fluidité ainsi qu’à bien les comprendre et les orthographier. Ces difficultés résultent généralement d’un déficit phonologique qui est souvent inattendu compte tenu des autres habiletés cognitives de l’individu et du recours à des interventions pédagogiques reconnues efficaces [dans le milieu de l’éducation]. Ces difficultés peuvent entrainer des problèmes de compréhension en lecture et une diminution de la pratique de la lecture, ce qui peut à son tour entraver le développement du vocabulaire et des connaissances[1].
(Lyon, Shaywitz et Shaywitz, 2003; ma traduction)

Ainsi, comme il a été présenté précédemment, si produire du langage écrit représente pour quiconque une activité exigeante au point de vue cognitif, ce l’est encore davantage pour un scripteur ou une scriptrice dyslexique. Le déficit phonologique occasionne pour celui-ci ou celle-ci une difficulté à produire correctement l’orthographe lexicale des mots. Cette difficulté est d’autant plus importante chez les scripteurs francophones. En effet, deux éléments particuliers de l’orthographe française expliquent certaines difficultés qui persistent à l’écrit chez plusieurs individus adultes. Le premier est l’opacité de l’orthographe lexicale, c’est-à-dire l’inconsistance dans la correspondance entre le phonème (son) et le graphème (lettre). Dans un monde idéal, chaque lettre correspondrait à un son (ex. : « par », qui se prononce [paʀ]). Cependant, le système orthographique de la langue française n’est pas aussi simple; ses origines latine et grecque ainsi que son histoire font que la correspondance d’un son à une lettre ou à un groupe de lettres permet d’écrire environ 50 % des mots en français (Fayol, 2013; Véronis, 1988). La deuxième particularité concerne l’orthographe grammaticale, aussi appelée « morphologie flexionnelle », qui fait en sorte que plusieurs accords en genre et en nombre sont silencieux (ex. : « il mange » et « ils mangent ») [Fayol et Jaffré, 2014]. À l’écrit, ce sont ces indices silencieux qui maintiennent la cohérence du message pour le lectorat. Toutefois, le maintien de cette cohérence reliée au sens du message vient avec un cout cognitif. En effet, maintenir en mémoire les informations nécessaires aux accords dans une longue phrase exige beaucoup d’attention et de concentration et génère une surcharge cognitive pour toute personne scriptrice. Or, chez les étudiants dyslexiques, l’orthographe lexicale n’est pas automatisée, ce qui entraine déjà une surcharge cognitive. Cette surcharge est donc encore plus grande et occasionne alors plus d’erreurs dans les autres processus de haut niveau non spécifiques à la dyslexie.

Selon les études consultées, une première conséquence de ces particularités pour les étudiants dyslexiques du collégial est leur tendance à produire des textes moins longs : ils écrivent en moyenne 3,7 mots par minute de moins que ceux du groupe témoin, soit environ 100 mots de moins par copie (Sterling et autres, 1998). D’autre part, ce sont principalement les habiletés de bas niveau qui sont lacunaires, soit l’orthographe et la fluidité d’écriture, et non les idées et les arguments avancés dans le texte (Connelly et autres, 2006). Dans certaines recherches, les étudiants dyslexiques du collégial commettent deux fois plus d’erreurs d’orthographe que ceux du groupe témoin (Mazur-Palandre, 2018; Tops et autres, 2014). Habituellement, pour suppléer à ce trouble spécifique d’apprentissage d’ordre neurobiologique, on donne accès au correcteur Antidote.

Correcteur Antidote et performance en écriture : études empiriques

D’autres recherches, semblables à celle ici présentée, ont été réalisées précédemment. Celle de Caron-Bouchard et ses collaborateurs (2011) avait déterminé que l’utilisation du correcteur Antidote permettait de réduire de près du deux tiers le nombre d’erreurs d’orthographe lexicale et d’orthographe grammaticale contenues dans les textes de cégépiens et cégépiennes non dyslexiques. Ouellet (2013) avait aussi fait ressortir une amélioration des orthographes lexicale et grammaticale chez des étudiantes et des étudiants faibles en français qui avaient eu recours à ce même logiciel de correction. Néanmoins, cette chercheuse soulignait que le correcteur Antidote comporte d’importantes limites sur le plan de l’analyse sémantique : il détecte difficilement les erreurs de syntaxe, qui, souvent, minent le sens des phrases, « d’où l’importance d’une intervention humaine dans le processus de révision et de correction » (p. 58). D’ailleurs, l’utilisation du correcteur Antidote n’entrainerait pas d’amélioration significative pour le vocabulaire, la syntaxe et la ponctuation (Caron-Bouchard et autres, 2011; Grégoire, 2019; Ouellet, 2013). Finalement, il semble que seules Rousseau et ses collaboratrices (2019) se sont penchées sur l’effet du correcteur Antidote sur une population de dyslexiques, plus spécifiquement sur des élèves de première année du secondaire. Comme pour les populations sans dyslexie, elles ont noté une amélioration pour les deux mêmes catégories d’erreurs, soit l’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale, mais n’ont pas relevé d’améliorations significatives pour les autres aspects de la maitrise de la langue.

La présente recherche

Malgré tout, à la lumière de ma revue de la littérature, il n’existait pas de recherche à propos de l’effet du correcteur Antidote sur la performance des étudiants dyslexiques du collégial pour chacun des sous-critères de maitrise de la langue de l’épreuve uniforme de français, ce qui, comme il a été mentionné précédemment, est devenu mon objectif général. Cette recherche, de type quasi expérimental et effectuée selon une approche quantitative, s’est déroulée pendant les simulations[2] de l’épreuve uniforme de français des sessions d’hiver et d’automne 2018. Quatorze sujets y ont participé. Ceux-ci devaient dans un premier temps écrire leur dissertation, uniquement à l’aide du traitement de texte Word. Dans un deuxième temps, les étudiants révisaient leur dissertation, cette fois-ci à l’aide du correcteur Antidote. C’est l’écart entre les erreurs produites « sans Antidote » et celles produites « avec Antidote » qui a été mesuré afin de déterminer si ce logiciel améliore significativement la qualité de la langue relativement à chacune des cinq catégories d’erreurs considérées dans la correction de l’EUF : vocabulaire, syntaxe, ponctuation, orthographe lexicale et orthographe grammaticale. A aussi été évaluée l’amélioration de la performance globale (considérée comme une sixième catégorie d’erreur), qui correspond au nombre d’erreurs dans l’ensemble des catégories.

Il faut d’emblée souligner une erreur méthodologique qui s’est produite : le correcteur intégré de Word n’a pas été neutralisé dans la première partie de l’écrit « sans Antidote ». Donc, les étudiants ont eu accès aux détections de Word, ce qui, on le suppose, est venu diminuer l’effet qu’Antidote aurait eu si le correcteur de Word avait été désactivé.

Les résultats de la recherche

Rappelons que, pour réussir l’épreuve uniforme de français, l’étudiante ou l’étudiant ne doit pas avoir commis plus de 30 erreurs de langue, pour un texte qui comporte autour de 900 mots.

Parmi les résultats, trois catégories d’erreurs se sont particulièrement démarquées : l’orthographe lexicale, l’orthographe grammaticale et la performance globale. De façon moins prononcée, les performances des sujets en syntaxe et en ponctuation se sont aussi enrichies, tandis que pour le vocabulaire, aucun changement significatif n’a pu être constaté.

1– Orthographe lexicale

Les résultats en orthographe lexicale se sont significativement améliorés pour 12 des 14 participants, et ce, malgré l’utilisation présumée du correcteur intégré de Word pendant l’écriture de la première partie de l’expérimentation, qui aurait dû se faire sans outils de correction. Un des participants n’a commis aucune erreur d’orthographe lexicale, ni « sans Antidote » ni « avec Antidote ». Cependant, son texte ne comptait que 348 mots « sans Antidote » et 469 mots « avec Antidote », ce qui est considérablement inférieur aux textes des autres participants, qui comportaient entre 840 et 1 200 mots.

Tableau 1

Nombre d’erreurs d’orthographe lexicale (orth. lex.) sans Antidote (SA) et avec Antidote (AA)

Néanmoins, ce qui surprend au regard de ces résultats en orthographe lexicale, c’est le faible nombre d’erreurs réalisées lors de la rédaction « sans Antidote ». En effet, les participants ont fait en moyenne moins de 4 erreurs de ce type dans un texte comptant plus de 900 mots, ce qui est peu étant donné que l’orthographe lexicale est au cœur des difficultés des scripteurs dyslexiques (Berninger, Garcia et Abbott, 2009; Berninger et autres, 2008).

Un élément qui pourrait expliquer ces résultats émane de l’utilisation du traitement de texte Word, car celui-ci a un correcteur intégré qui, comme il a été mentionné précédemment, n’a pas été désactivé durant la phase de rédaction. Ce correcteur est particulièrement efficace pour identifier les erreurs d’orthographe lexicale (Caron-Bouchard et autres, 2011; Grégoire, 2012). Il est par conséquent fort probable que les participants aient corrigé ces erreurs signalées par le traitement de texte avant même que ne soit enregistrée la version « sans Antidote ». Le correcteur intégré de Word a donc vraisemblablement provoqué une diminution du nombre d’erreurs dans cette catégorie et, par le fait même, diminué l’effet du correcticiel Antidote sur cette catégorie d’erreurs. Cependant, malgré l’utilisation du correcteur intégré de Word, la performance d’Antidote demeure efficace.

2– Orthographe grammaticale

À l’instar de toutes les recherches consultées, autant celles menées auprès de populations dyslexiques que celles réalisées auprès de normolecteurs (Caron-Bouchard et autres, 2011; Grégoire, 2019; Mireault, 2009; Rousseau et autres, 2019), les résultats en orthographe grammaticale se sont eux aussi améliorés considérablement. Tous les sujets ont réduit le nombre d’erreurs d’orthographe grammaticale dans la version « avec Antidote ».

Tableau 2

Nombre d’erreurs d’orthographe grammaticale (orth. gramm.) sans Antidote (SA) et avec Antidote (AA)

C’est d’ailleurs dans cette catégorie qu’on relève le plus d’erreurs pour tous les scripteurs, dyslexiques ou non (Mazur-Palandre, 2018). Le nombre élevé d’erreurs d’orthographe grammaticale a un lien avec une des caractéristiques de la langue française dont il a été question précédemment : la présence de certains accords en genre et en nombre visibles à l’écrit, mais inaudibles à l’oral.

3– Performance globale (erreurs totales)

Finalement, la performance globale des sujets s’est aussi améliorée significativement : tous les étudiants ont amélioré leurs scores pour le nombre d’erreurs totales dans la version « avec Antidote » par rapport à la version « sans Antidote ». Cette réduction du nombre d’erreurs a permis à tous et toutes de réussir la simulation de l’épreuve uniforme de français.

La figure 2 illustre clairement la réduction d’erreurs totales que tous les participants ont pu réaliser en utilisant le correcteur Antidote.

Figure 2

Nombre d’erreurs totales pour les cinq catégories

En ce qui concerne la performance « avec Antidote », quatre sujets ont amélioré leur résultat total en retranchant plus de 30 erreurs (sujets 02, 04, 12 et 13). Quatre autres ont réussi à retrancher plus de 20 erreurs (sujets 01, 07, 08 et 10). Cinq participantes ou participants ont amélioré leur résultat total en retranchant plus de 10 erreurs (sujets 03, 05, 06, 09 et 11). Par contre, le résultat total d’un étudiant (14), celui dont la rédaction comportait moins de mots que celle des autres (348 mots SA, 469 mots AA), s’est détérioré, puisqu’il a ajouté 3 erreurs « avec Antidote ». Malheureusement, la nature de cette recherche (recherche quantitative) n’a pas permis d’obtenir des éléments d’explication quant à la longueur du texte ou au faible taux d’erreurs pour cet étudiant.

Malgré tout, les travaux d’autres chercheurs peuvent faire la lumière sur l’amélioration de la performance globale chez la plupart des sujets de cette recherche. Dans leur méta-analyse, Goldberg, Russell et Cook (2003) rapportent que les outils numériques contribuent à l’amélioration de la qualité des textes, surtout pour les scripteurs du secondaire. Par conséquent, l’effet des outils numériques tels que le traitement de texte et le correcticiel serait plus prononcé chez les étudiants les plus âgés, dont les jeunes adultes du collégial.

Ainsi, la maturité des sujets qui ont participé à cette recherche vient peut-être ici expliquer l’amélioration statistiquement observée pour les catégories de la syntaxe et de la ponctuation. D’après Connelly et ses collaborateurs (2006), qui ont cherché à décrire les effets de la dyslexie sur l’écriture, la syntaxe et la ponctuation sont plus faibles dans les productions écrites d’étudiants dyslexiques universitaires en comparaison aux productions écrites d’étudiants universitaires non dyslexiques, et ce, bien que la syntaxe et la ponctuation ne soient pas déficitaires chez les dyslexiques (comme on le voit à la lecture de la définition de la dyslexie par Lyon, Shaywitz et Shaywitz [2003] ou dans le modèle d’écriture de Berninger, Garcia et Abbott [2009] ou de Berninger et Winn [cité dans Berninger, Garcia et Abbott, 2009]). Toutefois, puisque les processus de base sont déficitaires et ne sont pas automatisés chez les dyslexiques, la surcharge cognitive, qui est normalement présente dans la tâche d’écriture, est encore plus lourde pour eux. Cette surcharge cognitive interfère avec la mise en œuvre des processus de haut niveau comme la syntaxe et la ponctuation. Or, il ressort de l’étude décrite dans le présent article que l’aide apportée par le correcticiel donnerait suffisamment de rétroaction aux scripteurs dyslexiques pendant le processus de production écrite pour leur permettre de faire appel à leurs connaissances afin de produire des phrases acceptables sur le plan de la syntaxe et de la ponctuation.

Enfin, les résultats obtenus dans le cadre de la présente recherche qui montrent qu’Antidote ne contribue pas à améliorer la performance en vocabulaire des étudiants dyslexiques du collégial ne sont pas surprenants. Effectivement, la dyslexie ne se caractérise pas par des lacunes importantes sur le plan du vocabulaire. Ainsi, les étudiants dyslexiques qui ont participé à la recherche ont produit peu d’erreurs de vocabulaire, et, en conséquence, la catégorie du vocabulaire ne s’est pas améliorée de façon significative.

Retombées pour le collégial

Malgré les limites de cette recherche, les résultats semblent montrer qu’Antidote améliore la performance en écriture d’étudiants dyslexiques du collégial en ce qui concerne la maitrise de la langue. Les résultats viennent ainsi confirmer l’importance d’offrir l’accès au correcticiel Antidote à ce groupe d’étudiants. De plus, cette étude offre des pistes d’intervention pour les conseillers et conseillères en services adaptés (CSA) qui veillent principalement à l’encadrement des mesures d’accommodement des étudiants en situation de handicap dans les cégeps. Comme le plaide Ouellet (2013), il serait pertinent d’offrir à ce groupe d’étudiants du soutien pour qu’ils et elles puissent développer leurs compétences relativement à l’utilisation du correcticiel Antidote. En effet, les étudiants se voient offrir d’utiliser le correcticiel, mais l’information qui leur permettrait de tirer pleinement profit des différentes fonctions d’aide n’est pas forcément montrée ou enseignée dans tous les établissements. Rousseau et ses collaboratrices (2019) mettent en évidence ce besoin : « [L]es élèves dyslexiques […] utilisateurs des Td’A [technologies d’apprentissage] en situation d’écriture connaissent peu les fonctions d’aide inhérentes à la Td’A qu’ils utilisent. » (p. 18) Il serait en effet avantageux d’accompagner les étudiants dyslexiques et de leur enseigner comment accéder au filtre de style – un outil pouvant s’avérer peu intuitif – afin qu’ils et elles puissent découvrir les différentes possibilités, notamment celles leur permettant de repérer les phrases longues et les phrases averbales.

La maitrise de la langue, qui fait partie de la production écrite, est un défi pour l’ensemble de la population étudiante; pour les étudiants dyslexiques, ce l’est d’autant plus. La dyslexie est un trouble neurobiologique qui cause un déficit phonologique et affecte la production de l’orthographe lexicale, même à l’âge adulte. Puisque produire un texte est hautement énergivore sur le plan cognitif, le scripteur ou la scriptrice dyslexique se retrouve en surcharge. C’est pour cette raison qu’on lui permet d’utiliser le correcteur Antidote. Afin de valider l’effet de cet outil, j’ai recueilli et analysé dans le cadre de ma recherche des productions écrites de 14 étudiants dyslexiques du collégial. Selon les résultats obtenus, le correcteur Antidote permet de réduire significativement le nombre d’erreurs d’orthographe lexicale, d’orthographe grammaticale, de syntaxe et de ponctuation.

Depuis l’aboutissement de cette recherche en février 2021, l’actualité a attiré l’attention sur l’accessibilité d’Antidote au collégial. C’est qu’en septembre dernier, la Fédération des cégeps (2021), dans le cadre d’un vaste chantier sur la réussite, a proposé de mettre en place l’enseignement explicite de stratégies de révision et de correction de texte dans les cours de français. Elle a suggéré d’effectuer une utilisation adéquate d’un logiciel de correction, d’en faire un objet d’enseignement et même d’autoriser le logiciel pour tous les étudiants lors de l’épreuve uniforme de français (EUF). Voici l’une des pistes d’action proposées : « dans une perspective d’évaluation authentique des apprentissages, soutenir le recours à ce type d’instruments pour tout travail ou [toute] production des étudiants, avant de juger de la qualité du français » (p. 118). Malgré l’avis de la Fédération sur l’intérêt de l’utilisation du correcteur Antidote dans les productions écrites, la ministre de l’Enseignement supérieur, madame Danielle McCann, a fermé la porte à cette proposition. La ministre a expliqué sa décision après avoir analysé les résultats de l’EUF de mai 2020, la seule fois où l’utilisation du logiciel a été autorisée pour tous les étudiants et toutes les étudiantes qui passaient cet examen, puisque l’épreuve se déroulait en ligne. Or, selon ce qu’ont rapporté les journalistes du Journal de Québec Daphnée Dion-Viens et Vincent Larin (2021), 96 % des étudiants ont réussi l’épreuve, soit 15 % de plus qu’à l’habitude. La ministre McCann a aussi rejeté la possibilité de maintenir l’utilisation d’un correcticiel pour tous et toutes à l’épreuve ministérielle en raison de la réaction des partis politiques de l’opposition, qui se sont montrés totalement en désaccord avec la proposition de la Fédération. Pourtant, Simon Larose (2021), professeur et chercheur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, a dévoilé au colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) en juin dernier que, pendant la pandémie, tous les étudiants ont pu écrire à l’aide de l’ordinateur et se corriger avec Antidote, ce qui a favorisé l’inclusion des étudiants en situation de handicap (ESH). De plus, dans ses recommandations pour optimiser les apprentissages et pallier les pertes d’apprentissage survenues pendant la pandémie, il a suggéré de s’inspirer de la littérature et de donner « un accès équitable, inclusif et facile aux ressources d’enseignement […] et d’adopter des pratiques pédagogiques inclusives et cohérentes avec la conception universelle de l’apprentissage » (Larose, 2021). Selon la recherche présentée en ces lignes et celles consultées, le correcticiel améliore certaines catégories d’erreurs, mais pas toutes. Avec l’utilisation d’Antidote, les ressources cognitives et le temps pour se corriger pourraient être mieux investis dans les nombreux processus faisant en sorte que les idées sont bien transmises. Car, comme le disent si élégamment les professeurs de français belges Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (2019) : « Le code orthographique n’est qu’un outil au service de la langue. »

Remerciements

Je tiens absolument à remercier Line Laplante, professeure à l’UQAM et ma directrice de mémoire, qui m’a tellement bien accompagnée et guidée dans ce travail de longue haleine.

Références

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  1. Cette définition a été adoptée par l’International Dyslexia Association (États-Unis) en novembre 2002. Depuis 2004, elle est également utilisée par le National Institute of Child Health and Human Development (États-Unis). [Retour]
  2. Au collège Montmorency, une simulation de l’EUF est organisée par le CAF chaque session. Habituellement, elle a lieu un mois avant l’EUF et elle s’adresse à toutes les étudiantes et tous les étudiants qui sont inscrits au cours Littérature québécoise ou qui l’ont terminé. [Retour]

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