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Jasons avec des francophones: une expérience de jumelage interculturel et intergénérationnel en ligne pour favoriser l’apprentissage du français langue seconde

Le vendredi 13 mars 2020. L’urgence sanitaire impose un virage numérique dans le milieu de l’éducation. L’adaptabilité, la résilience et la créativité des différents acteurs du réseau collégial sont mises à l’épreuve pour faciliter la transition vers l’enseignement à distance. Soudainement, l’entièreté du corps professoral doit (ré)apprendre à enseigner et, par le fait même, renouer avec la posture d’apprenant ou d’apprenante que sous-tend le développement professionnel forcé, qui s’effectue alors à vitesse grand V. Dans la salle de classe virtuelle, qui se déploie grâce à l’environnement numérique d’apprentissage et à la visioconférence, professeurs et étudiants se heurtent rapidement à la distance. Pourtant, à l’heure de l’isolement et du couvre-feu, la soif d’humanité, voire la nécessité de briser la solitude, devient de plus en plus criante. Ainsi, pendant la session d’hiver 2021, au cégep Vanier, Jasons avec des francophones (602-HSA-VA), un cours de français langue seconde (FLS) de niveau 1, voit le jour. À distance, les étudiants sont invités à vivre une expérience de jumelage avec des bénévoles francophones, principalement des ainés, d’un centre communautaire montréalais afin de parfaire leurs compétences linguistiques de façon authentique tout en développant leur empathie. Ce cours a été créé dans le cadre d’un projet de recherche (Gagné, Gagné et Dumont, sous presse). Il s’agissait d’une étude de type quasi expérimental avec un autre groupe-cours identique sans jumelage. Cet autre groupe n’avait toutefois pas la même enseignante, une faiblesse dans ce type de recherche. La présentation du dispositif pédagogique, des modalités du jumelage, d’une séquence didactique type et de la rétroaction reçue permettra de mieux comprendre le déploiement d’une activité de jumelage dans un cours de FLS au collégial.

Quatre défis pédagogiques

Afin de donner aux étudiants de niveau 1[1] l’occasion d’améliorer leurs compétences en compréhension ainsi qu’en production orale et écrite dans leur deuxième et dernier cours de FLS au collégial[2], nous avons mis en place, dans le cours Jasons avec des francophones, un dispositif pédagogique visant à relever quatre principaux défis : la lecture d’une œuvre québécoise, la discussion dans des salles de petits groupes (breakout rooms) Zoom, la création d’un portfolio vidéo sur Flipgrid et la publication d’une œuvre littéraire sur Book Creator. Ces quatre défis s’avèrent significatifs puisque le devis ministériel du niveau 1 a comme objectif la lecture de 500 mots, l’écriture de 250 mots, puis la compréhension et l’émission d’un message oral d’une durée de 4 minutes.

Pour faciliter les échanges intergénérationnels et pour amener les participants à réfléchir à la relation tissée avec l’autre au fil des rencontres, nous avons rapidement fait du roman Rap pour violoncelle seul (Pagé, 2020) la pierre angulaire sur laquelle reposeraient les diverses activités de lecture et d’écoute. L’autrice Maryse Pagé y dépeint avec humour l’amitié qui se noue entre Malik Michaud, un adolescent de la DPJ dont la mère est québécoise et le père, marocain, et Marius Larochelle, un ainé vivant dans une résidence pour personnes âgées que la solitude rend amer, pour ne pas dire haïssable. Dans le cadre des conversations en ligne, étudiants et ainés étaient invités à faire part de leurs impressions de lecture. Une situation authentique d’apprentissage a également eu lieu dans le cadre de la Semaine de la francophonie, où l’autrice Maryse Pagé a raconté son parcours professionnel atypique et décrit son processus créateur afin de mettre à l’épreuve la compréhension orale et écrite des cégépiennes et des cégépiens.

Aller à la rencontre de l’autre… sur Zoom

En raison de la situation épidémique, le cours Jasons avec des francophones a entièrement été offert en ligne. Même si certaines tâches liées à la lecture du roman et à l’enregistrement des capsules vidéos ont parfois eu lieu en mode asynchrone, de manière à respecter le rythme de travail de chacun et chacune, la majorité des séances se sont déroulées en mode synchrone afin de stimuler l’engagement et la motivation des apprenants, de briser l’isolement, de veiller au bon déroulement des rencontres de jumelage et de susciter des discussions authentiques entre les participants.

Dans le but de faciliter les échanges entre les étudiants et les bénévoles de l’organisme communautaire, qui avaient lieu de manière synchrone, pendant le cours, nous avons fait en sorte que toutes les rencontres virtuelles de jumelage respectent la même structure :

  1. Lecture des consignes et création des équipes de discussion (grand groupe).
  2. Activité de partage sur des thèmes variés (petits groupes).
  3. Atelier de lecture sur le roman à l’étude (petits groupes).
  4. Retour (grand groupe).
  5. Création du portfolio (individuellement).

Si les quatre premières étapes avaient lieu en classe virtuelle, la cinquième, qui consistait principalement à livrer ses impressions sur la rencontre, était réalisée de façon individuelle sur Flipgrid. Afin que les apprenants puissent rendre compte des meilleurs instants de la rencontre, quelques minutes étaient à la fin du cours consacrées à la création du portfolio vidéo. Grâce à ce bilan vidéo, les enseignants peuvent connaitre la nature des échanges qui ont eu lieu dans les salles de petits groupes de Zoom, fournir une rétroaction hebdomadaire personnalisée à chaque apprenante ou apprenant et jouer pleinement leur rôle de médiateur ou médiatrice. Par l’entremise de chaque capsule Flipgrid, les enseignants et enseignantes apprennent également à mieux connaitre leur classe, ce qui contribue à la création d’une relation pédagogique significative en ligne.

Quelques étapes pour une rencontre de jumelage réussie

Pour que les « jumeaux » puissent développer une relation privilégiée, il est essentiel de ne pas modifier les équipes chaque semaine. Même si ces dernières peuvent être amenées à changer lors des deux premières rencontres pour des raisons de chimie ou encore pour des raisons plus techniques (par exemple l’arrivée d’une nouvelle étudiante ou d’un nouvel étudiant), il est préférable de viser une certaine stabilité à partir de la troisième semaine. Tout en permettant aux jeunes et aux personnes âgées de mieux se connaitre, la stabilité des équipes joue un rôle sur la qualité des rencontres en diminuant la part de stress pouvant être associée à un nouveau jumelage. Afin de faciliter la création des équipes, il peut être intéressant d’inviter les participants à remplir un questionnaire où ils et elles font part de leurs principaux intérêts. En ce sens, le regroupement d’étudiants issus du même programme ou encore de programmes similaires peut s’avérer intéressant. De plus, il peut être très inspirant pour les jeunes de discuter avec une personne qui a mené une carrière dans leur domaine d’études. De leur côté, les ainés sont particulièrement touchés par ce point en commun. À titre d’exemple, pendant la session d’hiver 2021, une étudiante en Nursing a eu la chance de discuter avec une ancienne infirmière, un étudiant qui souhaite travailler dans la GRC a rencontré un ancien policier, des étudiantes en Early Childhood Education ont échangé avec une ancienne enseignante du secondaire… Les équipes peuvent aussi être formées de façon complémentaire. Par exemple, personne introvertie et personne extravertie peuvent merveilleusement bien se compléter. Quoi qu’il en soit, il demeure essentiel pour les enseignants désireux de former de bonnes équipes de jumelage d’apprendre rapidement à connaitre leurs étudiants. Ainsi, au premier cours, une vidéo de présentation peut accompagner la rédaction diagnostique. Si le jumelage a lieu avec un organisme communautaire, il est également souhaitable d’organiser une rencontre avec les bénévoles avant la première séance de jumelage afin de valider les équipes créées. Cette rencontre préalable permet aussi de s’assurer que les participants ont les mêmes attentes. Cela peut être l’occasion de les former à l’utilisation des outils technologiques (ouverture et fermeture des micros et des caméras, utilisation du clavardage, partage d’écran, etc.) et de proposer certaines mises en situation (partenaire qui disparait en raison d’une mauvaise connexion, collègue qui ne comprend pas très bien un mot, membre de l’équipe plus timide, etc.) pour bien les préparer aux rencontres. Afin de donner aux apprenants l’occasion de discuter et de coconstruire leur compréhension des propos de leur partenaire francophone, il peut être intéressant de jumeler deux étudiants à un même ainé ou une même ainée. Le fait d’être avec un pair peut en effet sembler rassurant. De plus, cela peut dynamiser les rencontres en permettant de varier les tours de parole. Les étudiants peuvent donc prendre le temps de formuler leurs propos pendant les interventions de l’autre.

Pour s’assurer que tous les participants sont sur la même longueur d’onde, l’enseignante ou l’enseignant peut commencer la rencontre par un petit mot de bienvenue, puis par une présentation de l’activité de partage et de l’atelier de lecture sur lesquels repose la rencontre. Pendant que l’enseignante crée les équipes sur Zoom, un bénévole ou encore un étudiant, volontaire ou désigné, peut partager son écran et relire les tâches devant l’ensemble du groupe. En plus de réduire le stress lié à la création spontanée d’équipes, cela permet à toutes et à tous de faire un survol des tâches à accomplir avant d’y plonger. Comme cette brève introduction a lieu en grand groupe, les participants peuvent également poser au besoin des questions sur les tâches.

Une fois les consignes bien comprises, les participants sont invités à se joindre à la salle qui leur a été attribuée. Pour faciliter la prise de contact, dès qu’ils se retrouvent en petits groupes, les participants sont encouragés à amorcer une activité de partage. Comme le laisse entrevoir leur titre, les sept activités suivantes, qui renvoient aux sept rencontres de jumelage organisées durant la session, abordent des thèmes variés : Fast Friends (Aron et autres, 1997), Une carrière de rêve, Une source d’inspiration, L’influence d’une chanson, Le personnage principal, La biographie et La genèse d’une œuvre. Alors que les personnes âgées aiment bien raconter les moments clés de leur vie, les apprenants en sont à anticiper, à rêver les leurs. Les principaux objectifs de l’activité de partage sont de permettre aux participants de créer des liens entre soi et l’autre et d’apprendre à se (re)définir en se racontant. L’activité de partage aide les apprenants à parfaire leurs compétences en compréhension orale et en production orale et à enrichir leur vocabulaire.

Figure 1

Atelier de partage de la première rencontre de la session

Figure 2

Atelier de partage de la deuxième rencontre de la session

L’activité de partage est suivie d’un atelier de lecture, qui, de son côté, se base principalement sur un chapitre du roman à l’étude. En plus de poursuivre le développement des compétences en compréhension orale et en production orale, cet atelier permet l’acquisition du vocabulaire qui définit l’univers littéraire mis en scène par Pagé (2020), tout en donnant l’occasion aux participants de coconstruire leur compréhension de l’œuvre. L’atelier de lecture se compose de trois parties distinctes, mais complémentaires : « Avant la lecture », qui stimule la formulation d’hypothèses de lecture et les recherches préalables qui aident à mieux comprendre l’histoire; « Pendant la lecture », qui encourage les apprenants à noter les nouveaux mots de vocabulaire rencontrés, lesquels seront par la suite expliqués par les francophones; et « Après la lecture », qui regroupe des questions de compréhension et d’interprétation. Afin de respecter le rythme de lecture de toutes et de tous, les apprenants sont invités à faire une première lecture du chapitre à l’étude en devoir, puis à répondre aux différentes questions de l’atelier de lecture. Par la suite, lors de la rencontre avec leur partenaire francophone, ils donnent leurs réponses et expriment leurs interrogations sur l’œuvre afin d’enrichir et de coconstruire leurs connaissances.

Figure 3

Atelier de lecture de la première rencontre

La durée des rencontres en petits groupes, c’est-à-dire les discussions qui s’articulaient autour de l’activité de partage et de l’atelier de lecture, variait généralement entre 30 et 50 minutes. Notons que les échanges étaient de plus en plus longs à mesure que la session avançait.

Afin de bien encadrer les rencontres, l’enseignante ou l’enseignant visite les différents groupes à tour de rôle; il est recommandé d’attendre une dizaine de minutes avant de commencer sa tournée de sorte que la discussion puisse prendre son erre d’aller. Elle ou il peut également inviter les participants à cliquer sur « Demander de l’aide » lorsqu’ils ont des questions ponctuelles ou lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Ainsi, la visite de l’enseignante ou l’enseignant peut être spontanée ou sollicitée. Celle-ci ou celui-ci peut également effectuer des captures d’écran au début, au milieu et à la fin de la période de discussion en petits groupes afin de mesurer l’implication des apprenants. Il est arrivé à quelques reprises d’écrire un message à une personne qui avait disparu de la salle de petit groupe afin de la relancer. Généralement, cette disparition était liée à un problème de connexion.

Un retour en grand groupe suit la discussion en petits groupes. Les participants sont invités à livrer le fruit de leurs réflexions et leurs impressions. Le thème du prochain atelier de partage et les lectures préparatoires peuvent y être présentés.

Puis, quelques minutes sont réservées à la création du portfolio individuel sur Flipgrid, qui vise à résumer verbalement la rencontre.

Figure 4

Consignes du premier portfolio

Rétroaction des apprenants sur l’expérience de jumelage

À la fin de la session, trente des trente-deux apprenants qui ont suivi le cours Jasons avec des francophone sont fait part de leur rétroaction sur le cours en remplissant un questionnaire en ligne. Dans l’ensemble, l’activité de jumelage a été bien aimée.

Figure 5

Degré d’appréciation de l’activité de jumelage

De plus, 87 % des apprenants souhaiteraient revivre une expérience de jumelage dans leur cours de FLS plutôt que d’opter pour un cours traditionnel sans jumelage.

Figure 6

Choix du cours avec ou sans jumelage

Le degré élevé d’appréciation des étudiants à l’égard de l’activité de jumelage repose principalement sur le développement de leur sentiment de compétence. On le constate en lisant les justifications des étudiants à la question précédente.

I liked working with the Francophone because I was able to practice more my abilities of speaking in French in a more casual setting rather than a presentation. After these activities, I felt more comfortable to talk in French[3]. (É5 [Étudiant 5])

I got to practice with french[4] speaking partners and this improved my french a lot[5]. (É7)

I feel like I’ve learned a lot and got a lot more comfortable speaking French[6]. (É11)

Yes I did because it help me with my French as I got more experience having conversations with francophone people[7]. (É13)

I really enjoy the experience with the francophones I felt that I learned a lot from them and started to understand more different terms[8]. (É29)

Yes, I build up my confidence in interacting to my francophone[9]. (É30)

Comme le rappellent deux apprenants, cette expérience authentique d’apprentissage permet de tisser des ponts entre les communautés linguistiques :

It’s not easy to meet French people so it was great opportunity to meet with them and have a conversation with them[10]. (É10)

It was really fun meeting with a Francophone as I don’t get to meet them very often. It was a really good experience for me because I got to meet amazing people. My francophone partner was very friendly and it was great getting to know her[11]. (É28)

Au-delà des compétences linguistiques, le jumelage permet également aux apprenants d’aller à la rencontre de l’autre et d’apprivoiser l’altérité :

I loved my pairing with my francophone. I found that Claudette and I shared many things in common, like our love for the opera, nature, etc. She was also very nice as to ask us if we had any questions about the work or french language in general. Overall it was a lovely experience[12]. (É12)

L’expérience de jumelage s’inscrit dans le réel. La salle de classe se déploie « dans la vraie vie ». Dès lors, les apprentissages transcendent la matière enseignée :

I have learned o lot of life “lesson” from the francophone that I worked with. She also helped me write the story that I created for the French assignment (oeuvre littéraire)[13]. (É18)

Le temps passé à parler français en classe

Comme le même cours a également été donné à un groupe témoin qui n’expérimentait pas le jumelage, mais qui effectuait le même travail en sous-groupes de façon traditionnelle, il est intéressant d’observer une différence marquante quant à la pratique du français en classe de FLS. En effet, il a été possible de déterminer que les étudiants du groupe expérimental parlaient davantage français pendant le cours que ceux du groupe témoin, qui travaillaient entre eux en équipes. Or, dans un cours de langue seconde (L2), les enseignants cherchent à optimiser l’interaction orale dans la langue cible, car elle [traduction] « est considérée comme un aspect important, voire essentiel, du processus d’apprentissage des langues, et ce, depuis plus de 100 ans » (Hughes et Szczepek Reed, 2017, p. 158).

Pour établir la différence mentionnée plus haut, nous avons comparé, aux semaines 4 et 7, les pourcentages de temps passé à parler français en classe selon les réponses des étudiants des deux groupes. La figure 7 montre un très grand effet de groupe, le groupe expérimental affirmant avoir parlé français 87,14 % du temps à travers la session et le groupe témoin, 52,04 % du temps. Toutefois, il n’y a aucun changement significatif dans le temps parlé en français entre le début et la fin du cours, et ce, pour les deux groupes. En d’autres mots, les étudiants jumelés avec des francophones affirment parler davantage français pendant le cours aux deux temps de mesure.

Figure 7

Pourcentage autodéclaré de français parlé pendant les activités par les groupes témoin et expérimental lors de la semaine 4 et de la semaine 7 du cours

C’est d’ailleurs un phénomène qui déplait à certains étudiants du groupe témoin, qui en parlent à la fin du cours. Ici, l’étudiant fait référence à un cours de la session précédente (automne 2020) où il avait été jumelé avec des collègues d’un cégep francophone à Saint-Hyacinthe (Gagné et Deveau, 2021) :

[This course gives me more] practice on French, less that last semester because I was not able to speak too much (besides the flipgrid) because nobody of the class wanted to speak in French, but I was able to read and write more, which is good[14]. (Témoin 2)

En contrepartie, cette obligation de parler français avec des francophones est justement un élément qui a plu à l’ensemble des étudiants du groupe expérimental. Ils ont eu l’impression à la fois de s’améliorer, d’avoir du plaisir et d’approfondir une relation dans laquelle ils pouvaient s’investir sans la crainte d’être jugés et avec le sentiment de contribuer au bienêtre de l’autre.

I got to practice with french speaking partners and this improved my french a lot[15]. (É3)

It was really fun meeting with a Francophone as I don’t get to meet them very often. It was a really good experience for me because I got to meet amazing people[16]. (É4)

Nous le voyons bien avec les données qui précèdent : si l’objectif d’un cours de L2 est d’offrir la possibilité de parler une autre langue, le jumelage augmente nettement les chances que cela survienne, en plus de créer des situations de communication interculturelle authentiques qui respectent certaines conditions gagnantes (le statut égal des participants, un objectif commun et l’appui institutionnel). D’ailleurs, les cours de L2 nous apparaissent comme le lieu idéal pour favoriser un rapprochement intergroupes qui n’a pas eu lieu au primaire ni au secondaire. Le réseau collégial québécois offre de nombreuses possibilités à cet égard, bien qu’elles nous semblent sous-exploitées. Par exemple, un projet-pilote mené au centre de simulation ESPA-Montréal, à l’hiver 2021, a amené les enseignants et les étudiants en Nursing de Vanier à collaborer avec leurs homologues en Soins infirmiers du cégep de Saint-Laurent lors d’une journée de simulation. Tous les étudiants ont souligné la pertinence de s’exercer à pratiquer leur métier dans la langue seconde, ce qui ne survient pas dans leur programme, sauf en stage avec de vrais patients. Au collège de Maisonneuve, des étudiants en Techniques policières et des étudiants en Hygiène dentaire ont été jumelés avec des étudiants adultes en francisation du Centre Yves-Thériault du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). Non seulement les programmes ont intérêt à réaliser de tels jumelages pour offrir à leurs étudiants de développer leur compétence de communication interculturelle, mais les deux disciplines de L2 de la formation générale gagneraient à favoriser le rapprochement entre leurs étudiants et des locuteurs de l’autre langue pour créer des situations de communication authentiques. Les devis ministériels des cours de français et d’anglais langue seconde sont déjà construits sur un modèle similaire à quatre niveaux comprenant des éléments de compétence congruents. L’expérience a d’ailleurs été tentée entre les cégeps Vanier et de Victoriaville en 2016 et avec celui de Saint-Hyacinthe pendant la pandémie[17] (Gagné et Deveau, 2021). Bien que ces cours jumelés comportent un défi logistique et didactique important, ils offrent une réelle valeur ajoutée à la formation sur les plans sociolinguistique et interculturel.

En somme, les collègues de toutes les disciplines et de tous les programmes sont invités à explorer les possibilités de jumelage avec leurs collègues de l’autre secteur linguistique afin d’incarner le rapprochement entre les groupes dans une modélisation de la coconstruction des savoirs au cœur de leur salle de classe. Cela dit, s’ils ne savent pas par où commencer ou comment s’y prendre, une communauté de pratique a vu le jour à l’instigation du Groupe de recherche sur les jumelages interculturels (GReJI) [un « jumelage institutionnel » entre le cégep Vanier et l’UQAM]. Plusieurs enseignants du collégial y entrent en contact avec des travailleurs du secteur communautaire, des universitaires, des fonctionnaires municipaux et provinciaux du Québec et d’ailleurs, dans un environnement où le travail en vase clos n’existe pas.

Enfin, comme il est question, au moment d’écrire ces lignes, d’étendre l’Épreuve uniforme de français aux collèges anglophones, dans le cadre des consultations sur le projet de loi 96, nous estimons qu’il serait intéressant que cette épreuve en vienne à rendre compte d’un réel dialogue entre les groupes linguistiques.

Mention de reconnaissance

Cette initiative a été financée par Santé Canada et administrée par le Projet de formation et de maintien en poste des professionnels de la santé de l’Université McGill.

Références

ARON, A., et autres (1997). “The Experimental Generation of Interpersonal Closeness: A Procedure and Some Preliminary Findings”, Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 23, no 4, p. 363-377. doi : 10.1177/0146167297234003.

GAGNÉ, Ph., et C. DEVEAU (2021). Jumelage interculturel en classe de langue seconde au collégial, [En ligne], Montréal, Vanier College Press, 146 p. [https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38016/gagne-deveau-jumelage-interculturel-classe-L2-vanier-st-hyacinthe-2021.pdf?sequence=12&isAllowed=y].

GAGNÉ, Ph., J. GAGNÉ et L. DUMONT (sous presse). « Le jumelage interculturel et intergénérationnel dans l’apprentissage du français langue seconde », dans LAFLEUR, F. et G. SAMSON (dir.). La formation au collégial: Pratiques innovantes en formation à distance, Québec, Presses de l’Université du Québec.

HUGHES, R., et B. SZCZEPEK REED (2017). Teaching and Researching Speaking, 3e éd., Londres, Routledge, 243 p.

PAGÉ, M. (2020). Rap pour violoncelle seul, Montréal, Leméac, 152 p.

  1. Le niveau 1 (A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues), le plus faible, correspond à 20 % des élèves ayant fréquenté une école où la langue d’enseignement est l’anglais, et ceux-ci obtiennent leur diplôme sans atteindre un niveau suffisant dans toutes les habiletés langagières (écouter, lire, parler et écrire) requises pour intégrer le marché du travail et socialiser en français. [Retour]
  2. En FLS au collégial, il y a quatre niveaux comportant deux cours, soit le cours de la « formation générale commune » (qui rassemble des élèves de tous les programmes) et le cours de « formation générale propre » (qui rassemble les élèves par familles de programmes là où le nombre d’élèves le permet). Le niveau 1 correspond au cours de la « formation générale commune » 602-100-MQ, le niveau 2 au cours 602-101-MQ, le niveau 3 au cours 602-102-MQ et le niveau 4 au cours 602-103-MQ. [Retour]
  3. [Traduction] « J’ai aimé travailler avec un francophone parce que j’ai pu mettre en pratique mes capacités de parler en français dans un cadre plus décontracté qu’une présentation. Après ces activités, je me sentais plus à l’aise de parler en français. » [Retour]
  4. Les réponses des étudiants reproduites dans le présent article n’ont pas été corrigées. [Retour]
  5. [Traduction] « J’ai pu m’exercer avec des partenaires francophones et cela a beaucoup amélioré mon français. » [Retour]
  6. [Traduction] « J’ai l’impression d’avoir beaucoup appris et d’être beaucoup plus à l’aise de parler français. » [Retour]
  7. [Traduction] « Oui, parce que cela m’a aidé avec mon français, car j’ai acquis plus d’expérience en discutant avec des francophones. » [Retour]
  8. [Traduction] « J’aime beaucoup l’expérience avec les francophones. J’ai senti que j’avais beaucoup appris d’eux et j’ai commencé à comprendre davantage de mots différents. » [Retour]
  9. [Traduction] « Oui, je développe ma confiance en moi en interagissant avec mon francophone. » [Retour]
  10. [Traduction] « Ce n’est pas facile de rencontrer des francophones, donc c’était une excellente occasion de les rencontrer et d’avoir une conversation avec eux. » [Retour]
  11. [Traduction] « C’était vraiment amusant de rencontrer un francophone, car je ne les rencontre pas très souvent. Ce fut une très bonne expérience pour moi, car j’ai rencontré des gens incroyables. Ma partenaire francophone était très sympathique et c’était génial de faire sa connaissance. » [Retour]
  12. [Traduction] « J’ai adoré mon jumelage avec ma francophone. J’ai trouvé que Claudette et moi avions beaucoup de choses en commun, comme notre amour pour l’opéra, la nature, etc. C’était aussi très gentil de sa part de nous demander si nous avions des questions sur le travail ou la langue française en général. Dans l’ensemble, ce fut une belle expérience. » [Retour]
  13. [Traduction] « J’ai appris beaucoup de “leçons” de vie de la francophone avec qui j’ai travaillé. Elle m’a aussi aidé à écrire l’histoire que j’ai créée pour l’œuvre littéraire en français. » [Retour]
  14. [Traduction] « [Ce cours me permet] de m’exercer en français, mais moins que la session dernière, parce que je n’ai pas pu parler autant (à part le flipgrid) vu que personne de la classe ne voulait parler en français, mais j’ai pu lire et écrire plus, ce qui est bon. » [Retour]
  15. [Traduction] « J’ai pu m’exercer avec des partenaires francophones, et cela a beaucoup amélioré mon français. » [Retour]
  16. [Traduction] « C’était vraiment amusant de rencontrer un francophone, car je n’ai pas souvent l’occasion de le faire. Ce fut une très bonne expérience pour moi, car j’ai rencontré des gens incroyables. » [Retour]
  17. Une vidéo de présentation illustre une rencontre entre les deux groupes d’étudiants à l’issue de quelques semaines de jumelage à distance. [Retour]

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