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«Qu’en pense Sophie?» Démarche tutorale et développement des habiletés de révision

«Qu’en pense Sophie?» Démarche tutorale et développement des habiletés de révision

CAF novateurs

Le présent article[1] [2] décrit une démarche tutorale en trois étapes qui favorise chez l’étudiant le développement de la capacité de réviser ses textes, et ce, dans leurs composantes textuelles et discursives autant que linguistiques. Cette démarche est utilisée avec succès au Centre de développement des compétences langagières (CDCL) de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Bien qu’elle soit issue du contexte du tutorat en français écrit à l’université, elle pourrait être expérimentée dans les centres d’aide en français des établissements d’enseignement collégial (CAF) ou adaptée sans trop de difficulté à l’enseignement à des groupes, notamment dans les cours d’appoint en français écrit.

La démarche peut être résumée comme suit. Guidé par la tutrice[3], l’étudiant est invité à effectuer trois relectures d’un de ses textes, chacune étant axée autour d’un ordre de questionnement et d’intervention spécifique, à savoir :

  1. l’examen du texte sous l’angle de l’efficacité et de la clarté, une opération activée et validée par un lecteur fictif au profil soigneusement défini, et dont découle la réécriture des passages défaillants pour leur conférer davantage de pertinence et de cohérence;
  2. l’identification et la correction des erreurs de syntaxe, de vocabulaire et de ponctuation;
  3. l’identification et la correction des erreurs d’orthographe lexicale ou grammaticale.

L’objectif général est de développer l’autonomie du scripteur, c’est-à-dire son bon jugement en matière de communication écrite ainsi que ses habiletés rédactionnelles et linguistiques. Pour une grande part, surtout dans la première étape, la démarche fait appel davantage à l’intuition de l’étudiant qu’à ses connaissances déclaratives sur, par exemple, la structuration des textes. On table ainsi fortement sur son expérience de lecteur acquise au fil des ans, qu’on l’amène à exploiter pour rendre son texte accessible, pertinent et cohérent dans le contexte de la formation postsecondaire.

La démarche porte exclusivement sur la révision, mais ne s’inscrit pas dans une perspective selon laquelle « réviser son texte » ne serait que la dernière étape du processus rédactionnel… s’il reste du temps! En effet, le scripteur compétent, jusqu’à la fin du processus, écrit et révise de manière concomitante, et non successive (Chartrand, 2013). C’est cette habileté qu’on doit viser à développer chez les étudiants. De même, il ne faut pas perdre de vue, dans le cadre de la démarche proposée, les autres étapes du processus rédactionnel : analyse du mandat, compréhension et respect des consignes, planification, mise en texte, etc. Dans les paragraphes qui suivent, la présentation de la démarche est forcément schématique et il revient aux professeurs de l’adapter au contexte dans lequel ils travaillent. La souplesse est de rigueur, si je puis dire!

Tout enseignement de la révision, en classe de français ou dans le cadre d’une démarche tutorale comme celle que je propose, doit avoir pour but de renforcer la capacité d’identifier et de corriger les défauts d’un texte, de quelque domaine de la production textuelle qu’ils relèvent. Or, la plupart des personnes qui s’adressent aux services d’aide en français ou qui suivent un cours de mise à niveau en français écrit n’ont pas une méthode de révision très efficace : elles se relisent, mais « en échappent » beaucoup!

Les enseignants de français ou les responsables d’un service d’aide en français écrit sont toujours en quête de nouveaux moyens propres à amener les étudiants à adopter une position critique, distanciée, par rapport à leurs textes, de manière qu’ils puissent y détecter les défauts et les corriger. La distance critique repose sur le questionnement : le scripteur habile relit plusieurs fois le texte pour s’assurer de l’adéquation de l’ensemble de ses composantes à son projet d’écriture (prise en compte de la situation de communication et pertinence du propos, conformité avec le genre textuel, structure, respect du code linguistique, etc.). Il est donc indispensable de proposer aux étudiants quelques pistes opérationnelles et de leur démontrer que, s’ils les exploitent de manière stratégique, ils parviendront à mieux cerner les éléments problématiques de leurs textes. Il importe évidemment aussi, par ailleurs, de leur apprendre comment résoudre les problèmes.

Voici donc comment se déroule une séance de tutorat en révision au CDCL. L’étudiant apporte un texte. Il peut s’agir d’un texte bref (moins de 400 mots) écrit spécifiquement en vue de l’activité ou, ce qui est préférable, d’un extrait d’un travail à remettre dans un cours. Si le texte porte sur un sujet lié à un cours ou à une discipline, on peut plus facilement travailler un type d’écriture propre aux études postsecondaires. La présentation doit être assez aérée (interligne double, marges généreuses) en raison des interventions à venir. En principe, l’étudiant a écrit son texte sans avoir recours à un logiciel de correction, du moins au début. La tutrice devrait disposer de son propre exemplaire du texte, qu’elle aura, si possible, reçu d’avance et annoté. Une séance de travail dure au moins une heure et il se peut qu’on ne puisse passer à travers les trois étapes de la démarche en une seule rencontre.

Première relecture : examen du texte sous l’angle de l’efficacité et de la clarté

La première des trois étapes porte sur le texte conçu comme un outil d’élaboration efficace d’un contenu pertinent et cohérent. L’angle choisi, essentiellement pratique, est celui de la clarté et de l’efficacité considérées comme des gages de l’aisance avec laquelle un lecteur donné (et incarné!) parviendrait à reconstruire le texte (dans toutes ses parties) pour s’en former une représentation adéquate. On invite l’étudiant à se mettre littéralement dans la peau d’un lecteur dont on précise certaines caractéristiques utiles au travail de révision; se trouve ainsi sollicité ce que l’on pourrait appeler son « empathie communicationnelle ». Plus précisément, on convient avec l’étudiant – âgé, par exemple, de 22 ans – que son texte devrait être compris sans difficulté particulière par un étudiant ou une étudiante de 20 ans qui aurait un parcours scolaire relativement semblable au sien. Il ne faut pas hésiter à conférer des traits précis à ce lecteur virtuel; nous proposons ainsi à « Samuel », étudiant de 2e année en éducation, de relire son texte avec les yeux de « Sophie », sa sœur cadette ou une amie plus jeune, qui aura bientôt terminé ses études collégiales. Il faut donc préciser l’« écart de compétences » plutôt étroit qui sépare Samuel de Sophie, la tâche communicationnelle de ce dernier consistant à mobiliser ses ressources langagières pour rendre accessibles à Sophie les contenus développés dans son texte.

Le duo « scripteur réel-lecteur virtuel » doit être adapté au contexte de production afin qu’on puisse exploiter adéquatement la zone de travail définie par l’écart de compétences entre les protagonistes. Si l’étudiant en début de premier cycle relit son texte en ayant à l’esprit une personne en fin d’études collégiales, une étudiante de deuxième cycle devrait le faire en fonction des compétences d’un finissant du premier cycle dans le programme auquel elle était elle-même inscrite.

Samuel est invité à adopter une posture scripturale axée sur la clarté. Normalement, il devrait être en mesure de se représenter sans trop de peine les besoins et les attentes de Sophie en matière d’intelligibilité, puisqu’il occupait somme toute jusqu’à récemment une position semblable à la sienne relativement à la maitrise des contenus exposés dans le texte. Autrement dit, Sophie est assez informée, « savante », pour pouvoir comprendre le texte – ce n’est pas, évidemment, une élève de deuxième secondaire! –, mais elle ne l’est pas assez pour avoir pu l’écrire. Figure fictive, certes, mais familière de multiples façons, lectrice à la fois bienveillante et exigeante, elle incarne le désir de lire et de comprendre prêté par le scripteur à son lecteur potentiel et, du coup, sollicite le sien de produire un texte clair et cohérent. Comme guide dans l’évaluation et la modification du texte, la lectrice ainsi incarnée, en tant que figure matérialisée de l’interlocuteur, peut faciliter la mise en place d’un premier niveau d’instanciation de mécanismes de contrôle axés sur la clarté et la communicabilité. Au départ volontaires et suscités par une sorte de personnalisation, ces mécanismes devraient progressivement s’activer, se généraliser et tendre à l’automatisme.

On aura probablement noté que, jusqu’à maintenant, il n’a pas été fait mention du destinataire du texte. Sophie n’est évidemment pas la destinataire d’une dissertation littéraire, d’un résumé d’article scientifique ou d’un quelconque autre texte produit pour un cours : travaux et examens ont comme destinataire un enseignant, un chargé de cours, ou leur représentant éventuel, le correcteur. Cela dit, on ne peut évidemment pas écarter de la scène la figure du destinataire institutionnel, mais je ne lui donne pas le premier rôle dans le travail sur la clarté et l’efficacité. En effet, la centration sur les attentes réelles ou supposées du futur correcteur ne permet pas à l’étudiant de se représenter un acte de lecture ayant pour but d’en savoir davantage sur un sujet donné.

Pour un correcteur ou un enseignant, corriger un texte implique bien sûr qu’il le lise, mais ce n’est pas, la plupart du temps, pour y apprendre quelque chose sur le sujet traité. En effet, dans le contexte de l’évaluation, le texte permet surtout de vérifier la qualité des apprentissages. Or, il n’est pas simple de savoir s’adresser à un destinataire qui connait mieux que soi tous les contenus en cause. L’étudiant peut en effet toujours se dire que l’enseignant qui corrige son texte, beaucoup plus compétent que lui dans le domaine en cause, finira de toute façon par y trouver son bien, malgré l’imprécision de certaines formulations : « Vous avez compris ce que je voulais dire… » La tâche de l’enseignant, lorsqu’il corrige, n’est cependant pas de comprendre en dépit de la façon dont les choses sont dites, mais plutôt de s’assurer de la présence et, surtout, de l’utilisation pertinente des contenus attendus, ce qui est indissociable des habiletés scripturales manifestées. C’est en ce sens que la figure de Sophie s’avère un levier didactique puissant, car elle permet d’orienter les efforts de l’étudiant vers la recherche de la clarté et de la précision – ce qui, par ailleurs, ne devrait pas être sans effet positif sur la qualité même de sa compréhension des contenus en cause. On le sensibilise ainsi à une sorte d’éthique de la communication écrite en contexte de formation postsecondaire. De toute manière, il n’y a aucun risque à insister sur la clarté ou l’accessibilité, car jamais un correcteur – du moins, doit-on l’espérer… – n’a écrit « Trop clair ! » dans la marge d’une copie!

Travailler « avec Sophie », c’est-à-dire faire intervenir l’instance interne de contrôle de la clarté et de la communicabilité, et recadrer le destinataire institutionnel devrait aussi amener l’étudiant à modifier sa représentation du « savoir bien écrire » et du rôle de la langue écrite dans l’acquisition des connaissances et la construction de la pensée, soit son rapport à la langue, à l’écriture, au savoir et à la pensée – un programme quelque peu ambitieux, j’en conviens. En bref, se centrer sur la reconstruction, raisonnablement facile, par Sophie des contenus visés amènera Samuel à comprendre que d’avoir pour préoccupation essentielle la production d’un texte clair et efficace est presque toujours incompatible avec le désir de « faire du style », c’est-à-dire d’employer indûment des termes ou des expressions qu’il ne maitrise pas – pas plus, à fortiori, que Sophie! Il s’agit plutôt d’écrire dans « la langue qui va permettre à Sophie de comprendre », ce qui implique de renoncer à tout effet gratuit, source de distraction ou de confusion au moment de la lecture. Or, quiconque s’est livré à un tel exercice sait quels efforts il faut déployer – parfois avec un succès relatif – pour écrire de manière aussi claire et accessible que possible. Que les professeurs de littérature se rassurent toutefois : l’accent sur la clarté et l’accessibilité ne participe aucunement d’une culture de l’indigence en matière de vocabulaire; bien au contraire, la recherche du terme juste ne peut que favoriser le développement de la compétence lexicale.

L’étudiant, à l’invitation de la tutrice, relit son texte afin de repérer tout passage qui, selon lui, provoquerait chez Sophie un quelconque « malaise de lecture », celui-ci pouvant être lié au sens ou à la pertinence d’un énoncé, à un écart ou à une rupture d’ordre textuel, etc. Il mettra ainsi le doigt sur les passages problématiques. Selon mon expérience, il y arrive avec une facilité qui peut étonner, l’exercice en partie intuitif proposé par la tutrice semblant donc activer une habileté déjà présente, mais insuffisamment développée ou non sollicitée lors de la production de textes impliquant la manipulation de contenus relativement complexes. À mon sens, on aurait intérêt à exploiter davantage cette capacité d’évaluation distanciée dans l’enseignement de l’écriture.

Il convient de distinguer ici entre l’identification intuitive d’une déficience discursive ou textuelle et son analyse linguistique : la plupart du temps, un passage jugé obscur, incomplet, redondant, non pertinent, inadéquat, etc., est formé de structures syntaxiques et de combinaisons lexicales défaillantes qui s’analysent en tant que telles, mais il est préférable à cette étape-ci de la démarche de demeurer sur un plan pratique (la lecture) et d’inviter le scripteur à « régler le problème de Sophie » en reformulant le contenu visé. Cette opération se fera avec d’autant plus d’efficacité que la tutrice, endossant le rôle de Sophie, aidera l’étudiant à se détacher (vraiment!) de la formulation problématique, à revenir sur la visée discursive pour la préciser ou la redéfinir, à cerner le thème et le propos au moyen de questions comme « De quoi voulez-vous parler? », « Que voulez-vous dire à ce sujet? ». La discussion peut devenir fort intéressante… et on n’a pas trop l’air de « faire du français »! Le matériau issu de cet échange sert de base à la réécriture, une opération qui requiert du temps et exige de la patience, voire de la ténacité, de la part des deux protagonistes. On développe ainsi, dans le domaine de l’écriture, le « gout du travail bien fait » et le désir de la satisfaction légitime qui s’ensuit.

J’ajoute un mot sur l’attitude distanciée, voire « attentiste », que doit adopter la tutrice. Celle-ci guide l’étudiant dans la révision du texte, mais elle doit se garder de « voler à son secours ». Son rôle consiste à aider l’étudiant à développer sa capacité d’évaluer son texte et à le modifier jusqu’à ce qu’il le juge satisfaisant, et ce, en sachant pourquoi. Elle doit donc s’abstenir d’approuver trop rapidement les jugements ou les interventions de l’étudiant et plutôt l’amener à les justifier.

Au terme de la première étape, on a un texte clair et cohérent. Également, le travail de réécriture axé sur la clarté aura eu pour heureux effet de faire disparaitre nombre d’erreurs de vocabulaire ou de syntaxe présentes dans la version initiale du texte.

Deuxième relecture : identification et correction des problèmes de syntaxe et de vocabulaire

La deuxième relecture, souvent la moins longue des trois, porte sur les quelques erreurs de syntaxe ou de vocabulaire qui n’auraient pas été corrigées à la première étape. C’est aussi celle qui se rapproche le plus de ce que l’étudiant a l’habitude de faire : on lui demande, en effet, de relire chaque phrase à voix haute (ou dans sa tête) pour s’assurer, en gros, qu’elle « sonne bien », qu’elle est bien construite, et que les expressions et les mots employés ne suscitent aucun doute. Si la tutrice constate au terme de la première relecture qu’il reste très peu d’erreurs de syntaxe ou de vocabulaire, elle peut, à cette étape-ci, centrer le travail sur les seules phrases problématiques.

La deuxième relecture vise les erreurs perceptibles à l’oral; elle pourrait se faire sans avoir le texte sous les yeux, car la plupart des phénomènes syntaxiques et lexicaux « s’entendent », ils ne sont pas d’ordre graphique; c’est pourquoi ils peuvent être évalués au cours de la même opération (Guénette, Lépine et Roy, 2004).

Demander à un étudiant de juger de la correction syntaxique et lexicale d’une de ses phrases, c’est solliciter et mettre à l’épreuve sa connaissance à la fois profonde et intuitive de la langue (si le français est sa langue première). Souvent, devant un passage effectivement boiteux, son explication se limitera à « ça sonne mal; ça sonnerait mieux si j’écrivais… », car il ne dispose pas des connaissances déclaratives requises en matière de syntaxe et de vocabulaire. Il arrive aussi que l’étudiant ne puisse identifier l’erreur parce qu’il ne connait pas bien un mot (son sens, le registre de langue auquel il appartient, etc.) ou qu’il ne maitrise pas une quelconque règle de syntaxe. C’est là que la tutrice vient à sa rescousse : elle l’invite à s’arrêter sur le passage problématique et lui donne ensuite certaines explications de nature grammaticale ou lexicale, ou encore, elle lui montre comment le recours à certaines manipulations syntaxiques (Chartrand, 2012), la consultation d’un ouvrage de référence ou d’un logiciel de correction, etc., permettent de résoudre le problème. Cela est d’autant plus vrai dans le cas des étudiants non francophones : leur capacité de juger si telle structure syntaxique ou telle combinaison lexicale est correcte peut être limitée; l’intervention de la tutrice prendra alors la forme d’une brève leçon visant à combler la lacune relevée.

Troisième relecture : identification et correction des erreurs d’orthographe lexicale ou grammaticale

Nous arrivons maintenant à la troisième et dernière étape. Je l’ai baptisée « opération œil de lynx » pour faire comprendre à l’étudiant qu’il doit diriger son attention uniquement sur la dimension orthographique de son texte. Puisque celui-ci est considéré comme clair et cohérent et que les problèmes de syntaxe et de vocabulaire ont été réglés, la voie est libre pour le « ménage orthographique ».

Le travail varie forcément un peu d’un individu à un autre et l’on comprendra que je ne peux pas décrire tous les cas de figure. En bref, la tutrice demande à l’étudiant, souvent un abonné des « fautes d’inattention[4] », de valider la forme graphique de – pour ainsi dire – tous les mots qu’il a écrits : « Relisez cette phrase et expliquez-moi pourquoi vous avez écrit comme vous l’avez fait les mots qu’elle contient. » L’étudiant doit également signaler les « suspects » : « Dites-le-moi quand vous n’êtes pas sûr de la manière dont vous avez écrit un mot et expliquez-moi pourquoi. » Souvent, aussi, la tutrice devra demander à l’étudiant de revenir sur une phrase, car il n’aura pas détecté toutes les erreurs du premier coup. Cet exercice de justification, une méthode qui s’apparente à la « dictée zéro faute » de Nadeau et Fisher (2006), peut sembler fastidieux, mais il est une source de grandes « révélations » : il oblige l’étudiant à aller « jusqu’au bout de son rouleau grammatical » et à revoir certaines notions d’orthographe lexicale. À la tutrice de l’aider à combler ses lacunes, à rectifier ses analyses erronées.

L’opération « œil de lynx » favorise chez l’étudiant le développement de son intuition orthographique en même temps qu’elle l’amène à prendre conscience du caractère inaudible, strictement graphique, de ses erreurs les plus fréquentes (omission de la marque du pluriel ou du féminin des noms ou des adjectifs, accord indu d’un participe passé, omission du pluriel dans un verbe, etc.) et à s’arrêter sur l’importance d’intégrer cette dimension à ses raisonnements grammaticaux en cours de rédaction et de révision.

* * *

La démarche décrite ici me semble bien adaptée au contexte de l’enseignement supérieur, car elle est axée sur l’exploitation maximale des habiletés présentes chez l’étudiant, sous une forme souvent intuitive, et sa responsabilisation vis-à-vis des différentes composantes de la production textuelle. Elle peut être l’occasion pour lui d’amorcer une réflexion sur l’écriture. Il serait en effet souhaitable qu’il ait, au terme de ses rencontres avec la tutrice, une meilleure représentation de l’écriture en lien avec le développement de ses habiletés communicationnelles et intellectuelles.

De la même manière que la première relecture visait, entre autres, à rendre le texte plus facile et plus agréable à lire pour Sophie (donc pour tout lecteur éventuel), les deuxième et troisième relectures procèdent également d’une visée altruiste, d’une sorte de « service à la clientèle ». En effet, s’appliquer à ce que son texte contienne le moins possible d’erreurs, c’est travailler pour son futur lecteur, car chaque erreur perçue, aussi banale soit-elle, constitue un bruit dans la communication, en ceci qu’elle distrait Sophie de sa tâche essentielle : comprendre le texte de Samuel. Réviser et corriger son texte, c’est donc manifester du respect pour l’intellect de son futur lecteur. Et, conséquemment, pour soi-même.

* * *

  1. L’auteur remercie Mmes Lucie Libersan et Hélène Ziarko, et M. Anthony Cerqua pour leurs très précieux commentaires sur la première version de cet article. [Retour]
  2. Cet article fait suite à une communication présentée à l’UQAM le 16 novembre 2012 au colloque du Réseau universitaire des services d’aide en français (RUSAF). [Retour]
  3. Pour simplifier le travail des lectrices et des lecteurs de cet article, je désigne par « l’étudiant » l’auteur du texte et par « la tutrice » la personne qui le guide dans la révision. Ce choix n’est pas totalement aléatoire, car, à ma connaissance, le tutorat en français écrit attire davantage d’étudiantes que d’étudiants. [Retour]
  4. Écrire en français sans commettre d’erreurs d’orthographe exige effectivement une vigilance orthographique et grammaticale qui n’est pas requise dans d’autres langues romanes, par exemple l’espagnol, l’italien ou le roumain, où le passage du phonème au graphème comporte peu de difficultés et où, notamment, les marques de genre, de nombre ou de personne sont distinctes à l’oral. Les prétendues fautes d’inattention découlent largement de l’homophonie galopante qui caractérise notre belle langue. [Retour]

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

CHARTRAND, S.-G. (2013). « Enseigner la révision-correction de texte du primaire au collégial », Correspondance, vol. 18, no 2, p. 7-9.

CHARTRAND, S.-G. (2012).Les manipulations syntaxiques : de précieux outils pour comprendre le fonctionnement de la langue et corriger un texte, Montréal, CCDMD.

GUÉNETTE, L., F. LÉPINE et R.-L. ROY (2004). Guide d’autocorrection du français écrit. Le français tout compris, Saint-Laurent, ERPI.

NADEAU, M. et C. FISHER (2006). La grammaire nouvelle. La comprendre et l’enseigner, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur.

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