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L’enseignement de la littérature. Aspects critiques et historiques. Deuxième partie: La création d’un cours collégial (1967-1993)

L’enseignement de la littérature. Aspects critiques et historiques. Deuxième partie: La création d’un cours collégial (1967-1993)

Dans le numéro précédent de Correspondance, nous avons décrit les modes d’enseignement de la littérature à l’intérieur du cours classique au Québec. En un peu plus d’un siècle, la formation littéraire est passée de la méthode pratique, fondée sur la rhétorique, à la méthode critique, inspirée de l’histoire littéraire. D’une époque à l’autre, la littérature a eu essentiellement un statut instrumental : elle servait à l’apprentissage des règles de l’éloquence et de la langue écrite ainsi qu’à la promotion des valeurs humanistes et religieuses.

Avec la grande réforme de l’éducation des années soixante au Québec, la littérature a acquis apparemment une nouvelle légitimité dans l’École. On pouvait alors en juger à la différence des contenus enseignés dans les cégeps, d’une part, et les anciens collèges classiques, d’autre part. Des œuvres contemporaines de formes et de provenances diverses semblaient s’imposer dans le contexte scolaire transformé. Si celui-ci paraissait ouvert aux innovations, à l’instar d’un climat socioculturel favorable, les objectifs et les orientations du régime d’enseignement collégial fixaient également de nouvelles contraintes. La littérature ne devenait pas plus une priorité qu’auparavant, mais elle devait servir plus efficacement encore à la formation générale et linguistique de l’ensemble de la population étudiante.

La situation actuelle n’est peut-être pas si différente, du moins quant aux buts poursuivis. Mais il faut examiner les programmes sur un temps long pour connaître et leurs composantes et leur portée multiple, didactique, sociale ou littéraire. Je propose de décrire brièvement les enjeux de l’enseignement de la littérature au collégial, depuis ses débuts, en faisant une analyse du discours officiel et des faits observés dans les cégeps[1]. Je m’en tiens ici à la période comprise entre 1967 et 1993. Un article subséquent sera consacré à la réforme des programmes de 1993 et à la situation présente.

Le régime d’enseignement collégial

L’une des recommandations de la commission Parent était la création d’un niveau d’études autonome, d’une durée de deux ans, entre le cours secondaire et le cours universitaire. Parallèlement, on souhaitait l’instauration d’un régime d’enseignement professionnel, d’une durée de trois ans, qui donnerait accès au marché du travail. Par l’adoption d’une loi en 1967, il fut décidé d’amalgamer les deux enseignements et de les offrir dans un réseau public de collèges d’enseignement général et professionnel (les cégeps). En l’occurrence, tous les étudiants devaient suivre quatre cours de français. Il en est toujours ainsi, bien que les contenus et les objectifs de ces cours aient beaucoup changé.

Le statut intermédiaire de l’enseignement collégial, pour les uns préparatoire à l’université, pour les autres terminal, est vraisemblablement à la source des difficultés éprouvées par les professeurs de français, langue maternelle. Que fallait-il enseigner et à quelles fins, compte tenu de la diversité des orientations et des populations étudiantes ? Cette hétérogénéité se ressent dans les choix des œuvres à l’étude, des méthodologies critiques et des objectifs spécifiques. En effet, dans les premières années du régime, ces éléments variaient considérablement selon les établissements et même selon les professeurs. Il faut rappeler, par ailleurs, que certains collèges privés ont été intégrés au réseau public d’enseignement, alors que d’autres ont maintenu leur caractère privé, tout en adoptant les grandes lignes des programmes ministériels. De toute façon, les collèges du réseau public ont conservé jalousement une autonomie administrative, notamment dans la gestion des ressources et des programmes, ce qui est une autre explication à la variété des contenus de cours. À cet égard, les instructions ministérielles apparaîtront peu directives au début, même si elles fixent les orientations didactiques. En 1967, le Comité de coordination provinciale du français a décidé de n’imposer qu’un cadre d’enseignement et de laisser aux équipes de professeurs le soin de le remplir. Cela mérite d’être noté pour pouvoir mesurer l’importance des modifications ultérieures des programmes d’enseignement.

L’enseignement par genres littéraires

Avant la création du ministère de l’Éducation, puis des cégeps, l’enseignement littéraire dans les classes d’humanités était accordé aux exigences des facultés universitaires, qui contrôlaient l’émission des diplômes. Si les instructions officielles laissaient une part d’initiative aux enseignants des séminaires et des collèges classiques, les sujets d’examen, eux, justifiaient toujours l’étude des Grands Auteurs. La littérature semblait se résumer à des morceaux choisis et à quelques œuvres du « grand siècle » comme Le Cid, Britannicus et L’Avare. À ses débuts, la nouvelle structure de l’enseignement du français au collégial correspondait à une division par genres littéraires, qui devait faire suite à l’enseignement des siècles et des courants littéraires au secondaire. Une recommandation des milieux universitaires, en 1967, allait dans ce sens : on souhaitait l’intégration de quelques notions d’esthétique et un élargissement du corpus littéraire. Concrètement, le programme de 1967-1968 comprenait quatre cours obligatoires de français consacrés respectivement au roman, à la poésie, au théâtre et à l’essai. Chacun des cours devait inclure un contenu stylistique. Concurremment, dès la deuxième année, le programme prévoyait la possibilité de suivre un cours consacré à la linguistique et trois des quatre cours initiaux. En 1973-1974, ne subsiste que cette deuxième série de cours. En 1975, enfin, s’ajoutent de nouveaux cours qui sont essentiellement des cours de correction ou de perfectionnement de la langue maternelle (intitulés Français écrit, Français correctif et Langue de l’administration et de la technique).

Les documents officiels du Ministère, les Cahiers de l’enseignement collégial, signalaient les objectifs de la formation collégiale en plus de prévoir une liste de cours. Ils étaient peu prescriptifs, toutefois, quant aux contenus. Des noms d’auteurs et des œuvres étaient mentionnés à titre indicatif, sans plus, bien que l’on souhaitât une réelle présence de la littérature québécoise dans les cours. Cela rejoignait l’esprit du rapport Parent de 1964, qui notait déjà « l’intérêt extraordinaire manifesté par les étudiants à l’endroit de la littérature canadienne[2] ». Lors d’une rencontre pédagogique provinciale, en 1973, les professeurs proposaient « que, dans les cours communs, soient étudiées avant tout des œuvres québécoises contemporaines de nature à répondre aux préoccupations psychologiques et sociales de nos étudiants[3] ». En 1978, un comité de la Direction générale de l’enseignement collégial recommanda que les cours communs permettent aux étudiants « de lire davantage et de s’imprégner de la littérature québécoise et de la littérature francophone en général afin qu’ils puissent connaître et partager l’expérience linguistique et culturelle de la communauté québécoise[4] ».

La structure de cours par genre, plus administrative que littéraire au début, s’est révélée commode, car elle permettait un classement des œuvres ou des auteurs sans égard à des questions de nationalité et de périodisation littéraire. Cela autorisait, en l’occurrence, l’enseignement d’œuvres contemporaines et des littératures québécoise ou étrangère, qui étaient quasi absentes dans les études classiques. À l’évidence, on souhaitait une telle ouverture. L’enseignement par genre n’est toutefois pas sans poser problème, puisqu’il fait prévaloir une forme ou une catégorie critique sur l’objet littéraire. Ce n’est plus un texte, mais le représentant d’un genre qui est à l’étude. Le genre devient une base de classement pour la définition et l’interprétation du texte littéraire. On pourrait penser qu’une position théorique s’est imposée à l’époque, par réaction contre l’ancien modèle didactique et l’histoire littéraire. Il est difficile, toutefois, d’y déceler déjà des postulats structuralistes, bien à l’honneur dans les années 1970. On verra plus loin que le discours didactique, composé des instructions ministérielles et des commentaires, recommandations et plans de cours des professeurs, intègre peu à peu les concepts de la linguistique, des théories de la communication et des poétiques du discours. La justification en est implicite dans les modifications de programme et les ajouts de cours. En effet, les finalités esthétiques ou purement littéraires le disputent sans cesse aux objectifs généraux d’un enseignement de la langue et de son usage fonctionnel, compte tenu de la double orientation de l’enseignement collégial (préuniversitaire ou professionnel).

Les séquences de cours

Très tôt, des étudiants et des professeurs ont exprimé des insatisfactions à l’égard du programme. On déplorait, par exemple, que l’enseignement par genres n’amenât pas « l’étudiant à s’impliquer vis-à-vis les questions linguistiques et culturelles de son milieu[5] ». La Coordination provinciale suggéra, en 1972, « que chaque département étudie l’organisation des quatre cours communs en séquence progressive tenant compte de la langue, de la fonction du langage et des besoins des étudiants, et qu’ils soient formulés en termes d’objectifs, de méthodologie et d’évaluation[6] ». En 1974, seize projets de séquences furent soumis à la Coordination provinciale. Affichant une volonté de « respecter le plus possible les caractéristiques locales et de permettre à chaque département, selon ses moyens, d’atteindre les objectifs et les sous-objectifs généraux, afin, par ailleurs, de conserver une certaine homogénéité à un enseignement national », le ministère de l’Éducation proposait, en 1975, les trois objectifs principaux suivants :

  • donner à l’étudiant les moyens de saisir les rapports entre la langue, les productions culturelles et la société ;
  • permettre à l’étudiant d’utiliser et d’explorer le plus souvent possible les matériaux de la langue en favorisant la production de textes et d’autres activités créatrices ;
  • amener l’étudiant à perfectionner une compétence déjà acquise au primaire et au secondaire dans la pratique de la langue[7].

Ces objectifs se traduiront, en 1977, par trois grandes orientations, complétées ultérieurement par une quatrième, qui définissent des séquences de cours. Le document du Ministère précise que « [c]haque orientation est définie par des champs d’activités où se retrouvent les trois objets de l’enseignement du français au collégial : la langue, la littérature, la communication[8] ».

Le projet des séquences de cours, toutefois, est loin de faire consensus. Les résistances se font explicites dans les Départements de français et dans les colloques. En 1982, lors du Colloque des professeurs de français du niveau collégial, on dénonce une « démarche d’envergure » pour réviser les programmes et on rappelle les rejets successifs de propositions ministérielles qui mettaient l’accent sur la communication et la performance linguistique des étudiants. Entre autres, on reproche à un « plan d’étude cadre » les orientations suivantes : « approche normative et technique de la langue, secondarisation de la littérature, conception étroite de la culture (absence de vision critique) ». Les auteurs ajoutent : « Cette triple orientation nous suggère assez clairement ce qu’on entend dans les textes du Ministère par »prolongement du secondaire » : c’est une répétition, un calque du secondaire[9]. » De nouveaux cours viennent remplacer les cours obligatoires dans les Cahiers de l’enseignement collégial en 1980-1981, puis, malgré les oppositions répétées, la structure d’un enseignement par séquences finit par apparaître dans les instructions officielles. En 1985, les Cahiers contiennent une liste de quinze cours qui peuvent être offerts à titre de cours obligatoires – deux de ces cours seront réservés par la suite aux étudiants de la concentration Lettres.

Il s’agit d’une rupture importante dans les études collégiales. Ce programme révisé, qui s’appliquera jusqu’en 1994, fait prévaloir les objectifs didactiques sur les catégories littéraires. Il propose d’étudier « la langue et les discours, qu’ils relèvent de la littérature ou de la communication courante ». La littérature y perd du coup un rôle central. On peut en juger à la description des séquences dans les instructions officielles, qui seront essentiellement les mêmes durant toute la période. Ainsi, les principes d’organisation de l’enseignement du français énoncés dans les Cahiers de l’enseignement collégial[10] établissent quatre orientations ou « lignes directrices » déterminées « par des champs d’activité où se retrouvent les trois objets de l’enseignement du français au collégial : la langue, la littérature, la communication ». Les orientations établies sont : a) Langue, littérature et société ; b) Lecture, analyse et production ; c) Langue, langage et communication ; d) Langue et discours littéraire. L’organisation de quatre cours obligatoires en séquences « est déterminée par le collège et elle implique le choix de l’orientation, le choix des cours, leur ordre et les modalités d’implantation et de fonctionnement ». De plus, les collèges sont libres d’instituer une ou plusieurs des orientations proposées en constituant une ou des séquences de quatre cours obligatoires choisis parmi la liste de cours « définis provincialement […] en relation avec les objectifs généraux de l’enseignement du français au collégial ». Les séquences sont alors composées de quatre cours obligatoires (ou cours communs) parmi la liste suivante (en ordre alphabétique) : Communication et écritures, Communications et médias, Discours narratif, Discours poétique, Essai, Français, Langue, communication, société, Lecture et analyse, Lecture et écriture, Linguistique, Littérature de la francophonie, Littérature et société québécoise et Théâtre. On y retrouve les cours des quatre genres principaux – dont la poésie et le roman, sous l’acception élargie de « discours poétique » et de « discours narratif » – de même que les cours de linguistique et de français (correctif), qui sont apparus très tôt dans le programme.

Le choix du corpus littéraire revient, quant à lui, entièrement aux collèges et, dans les faits, aux enseignantes et enseignants eux-mêmes. Le Ministère s’en tient à fournir une description sommaire des orientations et des champs d’activité qui favorisent l’atteinte de cinq objectifs de l’enseignement du français à l’intérieur des orientations choisies. Ces objectifs sont définis dans une formulation typique :

  • utiliser correctement la langue orale et écrite selon les usages qui caractérisent les diverses situations de communication ;
  • analyser et comprendre des discours oraux et écrits multiples et variés (dans leur dimension intellectuelle, affective, esthétique, symbolique et linguistique) ;
  • imaginer ou concevoir, organiser et produire des discours oraux et écrits multiples et variés, et en maîtriser les principes d’élaboration (règles de composition ; principes propres aux genres littéraires et aux diverses situations de communication) ;
  • apprécier, interpréter et critiquer les valeurs culturelles transmises par la langue et les discours (sur le plan du fond et de la forme) ;
  • exprimer des valeurs personnelles et culturelles par la langue et les discours (créations littéraires, articles de journaux, tables rondes, débats, lettres, etc.).

Il est à noter que la catégorie des genres restera sous-jacente dans bien des séquences de cours, malgré les intentions du programme et la place faite, dans les cours, au cinéma, à la bande dessinée, au téléfeuilleton et à d’autres formes médiatiques. Frances Fortier et Nicole Fortin, qui ont analysé en détail le discours institutionnel[11] – ce discours se compose de documents officiels et internes du ministère de l’Éducation, de la Coordination provinciale, de comités spéciaux et des cégeps eux-mêmes –, ont noté justement que les séquences « conservent la structuration par genres et partagent, de fait, la plate-forme didactique antérieure. L’orientation a propose, entre autres, roman québécois, théâtre québécois, poésie québécoise, analyse du phénomène québécois dans la littérature[12] […] ». Néanmoins, il apparaît clairement dans les documents institutionnels de 1967 à 1993 que l’enseignement collégial n’est pas le lieu de la formation littéraire. Certains intitulés de cours sont particulièrement révélateurs : il ne désignent pas la littérature ou les textes narratifs ou poétiques, mais des tâches de lecture et d’analyse, ou encore, le discours narratif et le discours poétique. Ces formules renvoient, bien sûr, à un état de la théorie littéraire qui a trouvé dans la linguistique et les théories de la communication une source de renouveau. Elles signalent l’influence de l’université et de la critique savante. Même si perdure parfois un dessein humaniste dans les plans de cours laissés à la liberté des professeurs, on est bien loin, en 1970, de l’enseignement classique des années 1950. Toutefois, le collège ne poursuit pas le projet critique des universitaires. Sa finalité est tout autre. L’enseignement de la langue est bien l’enjeu majeur du programme, auquel s’ajoute une préoccupation sociale ou plutôt nationale. À ce propos, Frances Fortier et Nicole Fortin faisaient la remarque suivante :

Ainsi, l’enjeu de l’enseignement littéraire se déplace : rarement objet d’étude, la littérature devient un instrument d’acquisition d’outils cognitifs et interprétatifs visant l’appropriation de la réalité. Terrain privilégié de manœuvres idéologiques […] la littérature se voit expropriée au profit d’un projet collectif. Nous n’entendons pas ici spécifiquement l’édification d’une société québécoise, que viendrait corroborer l’émergence d’études de littérature québécoise, ce qui n’est pas le cas, à l’évidence. Cet enseignement participe d’une visée plus globale : véhiculer une formation fondamentale, former des êtres intellectuellement aptes à décoder le monde et à agir sur lui. Cette visée n’est pas nouvelle. L’enseignement classique prônait déjà cette finalité. À la différence près, toutefois, que les présupposés sociaux ont changé. La démocratisation de l’enseignement ouvre l’horizon à la collectivité entière, et non à la seule élite. Tout Québécois doit se sentir concerné par ce projet[13].

Le caractère national et social semble bien caractéristique du programme de français de cette époque. Il a pu se traduire par l’inclusion effective de la littérature québécoise dans la matière enseignée, mais aussi par un point de vue critique inspiré de la sociologie. On pouvait le penser avant d’analyser les plans de cours des professeurs, qui sont plutôt muets sur ce dernier point. Parmi une centaine de professeurs interrogés à l’occasion d’une recherche en équipe[14], plusieurs ont admis l’importance de la sociologie ou de la sociocritique. Des propositions du Comité de coordination de français, notamment, le laissaient entendre et, antérieurement, le rapport Parent le suggérait : « L’enseignement de cette littérature [québécoise] pourrait s’orienter en partie vers une étude des aspects sociologiques que comportent les œuvres littéraires et se rattacher, de cette façon, à une sorte d’anthropologie culturelle ou de psychologie nationale[15] ? ».

Par ailleurs, aucune méthode critique ne s’est véritablement imposée, bien que la thématique, la narratologie et la rhétorique aient eu leurs défenseurs. Ce qui est remarquable, c’est le retrait de l’histoire littéraire au profit de l’histoire sociale. De même, l’explication de textes et l’exercice d’analyse littéraire sont peu attestés. Du reste, le recours aux manuels scolaires (histoire littéraire, anthologie ou traités de composition) disparaît durant la période de 1967 à 1993. Quoiqu’il ne faille pas sous-estimer l’emploi de la photocopie pour l’étude d’extraits littéraires, on peut dire que la lecture intégrale des œuvres est encouragée. À côté de cela, la variation des contenus enseignés mérite d’être soulignée. On y trouve des titres français, d’abord, puis québécois et étrangers, du XXe siècle essentiellement. Mais la littérature n’est pas l’objet exclusif des cours. En laissant la place à la notion de discours, elle voisine les textes paralittéraires ou non littéraires, les essais politiques, éditoriaux, bandes dessinées, feuilletons télévisés, bref, toutes sortes de discours. Cette hétérogénéité est à la mesure de la souplesse du programme d’études qui a prévalu jusqu’en 1993.

La création des cégeps en 1967 a entraîné un changement majeur dans la formation littéraire. De nouveaux contenus y trouvaient place, qui correspondaient probablement à de nouvelles valeurs de la société québécoise. Si l’enseignement par genres, pratiqué au début, avait des antécédents, les connaissances transmises, elles, étaient largement inédites. Elles se composaient dorénavant d’œuvres contemporaines. De 1968 à 1978, les œuvres du XXe siècle ont constitué 79,2 % du corpus enseigné ; celles du XIXe siècle, 10,9 %. Quant aux œuvres du XVIIe siècle – dominantes sous le régime antérieur –, elles ne représentaient plus que 3,8 % du corpus. Durant la même période, la littérature française – également dominante auparavant – représentait 47,3 % du corpus. Pour sa part, la présence des œuvres québécoises atteignait 36 %, ce qui était inimaginable quelques années plus tôt.

Avec la fortune de la notion de discours et des théories de la communication, de nouvelles orientations et une modification de programme se sont imposées progressivement dans les années 1980. Disposant d’une offre de cours plus vaste, les cégeps pouvaient proposer des contenus relativement distincts, puisqu’ils avaient le choix des « séquences de cours ». La liberté relative des établissements et des enseignants avait pour effets une singularisation des programmes et un décloisonnement des savoirs. C’était tout à l’opposé du cours classique, que, du reste, les plus jeunes enseignants n’avaient pas connu.

Vue de l’extérieur surtout, la structure d’enseignement de la littérature était difficilement compréhensible, parce que non uniforme. Elle prêtait facilement à la critique. Celle-ci viendra au tournant de 1990 et elle servira d’argument, parmi d’autres, pour justifier une réforme en profondeur. Le Renouveau de 1993 devait assurer, justement, un nouvel ordre. Paradoxalement, cela pouvait signifier, dans le domaine littéraire, un retour aux « classiques ». Ce sera le sujet d’un prochain article.

* * *

  1. Je reprends ici, pour l’essentiel, la section intitulée « L’enseignement collégial » – dont je suis l’auteur – dans un article cosigné avec Monique Lebrun : « Langue, discours, littérature. Panorama de l’enseignement de la littérature au Québec, du Rapport Parent aux réformes des années 1990 », dans Enjeux (revue de didactique du français), Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur, no 43/44 : « Littérature : les programmes francophones », 1998/1999, p.166-190 ; deuxième partie : « L’enseignement collégial », p.176-187.Je me reporte également à deux ouvrages en particulier : Joseph Melançon, Clément Moisan, Max Roy et autres, La littérature au cégep [1968-1978], Québec, Nuit blanche, 1993 ; Max Roy, La littérature québécoise au collège [1990-1996], Montréal, XYZ éditeur, 1998. Retour
  2. Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Rapport Parent), Québec, Gouvernement du Québec, 1970 [1re éd. : 1964], tome III, art. 613, p.41. Retour
  3. Rapport de la Coordination provinciale de français dans les cours obligatoires du français, langue maternelle, au collégial, Québec, MEQ, 1977, p.31. Retour
  4. Québec français, supplément au no 32, intitulé « Le français au collégial », 1978, p.14. Retour
  5. Cégep de Saint-Laurent, Remarques préliminaires du projet de séquences du Département de lettres du cégep de Saint-Laurent », 1971-1972, document interne. Retour
  6. Robert Gagnon, rapport présenté le 30 décembre 1972 au Comité de coordination provinciale de français, p.5. Retour
  7. Direction générale de l’enseignement collégial (DGEC), document sur un nouvel encadrement de l’enseiwgnement du français, présenté par Guy Gauthier, Québec, MEQ, 1975. Retour
  8. Document sur les cours obligatoires de français, langue maternelle, au collégial, présenté par Vital Gadbois, le 4 avril 1977, MEQ. Retour
  9. G. Dalpé, H. Jean et G. Saint-Pierre, « La réforme de l’enseignement collégial : un recul pour le peuple québécois », dans Colloque des professeurs de français du niveau collégial, Québec, AQPF, 1982, p.7. Retour
  10. DGEC, Cahiers de l’enseignement collégial, Québec, MEQ, 1993, p.I-71, I-72. Retour
  11. Ce discours était constitué de 107 documents réunis aux fins de la recherche, soit des textes officiels et internes du ministère de l’Éducation, de la Coordination provinciale de français, de comités spéciaux et des cégeps eux-mêmes, ainsi que divers rapports (du Ministre, du Conseil supérieur de l’éducation, etc.) et des articles de périodiques (Prospectives, Revue des sciences de l’éducation, etc.). Retour
  12. Frances Fortier et Nicole Fortin, « Le discours institutionnel », dans Joseph Melançon et autres, op. cit., p.274. Retour
  13. Ibid., p.303. Retour
  14. Joseph Melançon et autres, loc. cit. Retour
  15. Rapport Parent, tome III, art. 613, p.41. Retour

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