L’usage fréquent d’un correcticiel et la réussite des élèves
L’ordinateur et ses applications font maintenant partie de l’environnement technologique de la majorité des jeunes; dans ce contexte, plusieurs établissements scolaires se tournent vers l’intégration des TIC pour susciter et soutenir la motivation des élèves par rapport à différents apprentissages, dont celui de l’écriture. Des appréhensions persistent toutefois, et certains craignent que les correcticiels deviennent des « béquilles », voire qu’ils nuisent à l’apprentissage, surtout dans la situation où les élèves sont faibles en français. À la lumière des résultats que nous avons obtenus dans le contexte de la recherche Mesure et évaluation des apports d’un correcticiel, nous pouvons maintenant écarter cette critique[1]. Le présent article rend compte de la corrélation positive entre l’usage fréquent du correcticiel Antidote[2] et la réussite de deux cours, soit le cours associé à l’expérimentation de la recherche[3] (textes produits à l’ordinateur) et le premier cours de français (textes produits à la main)[4].
Quelques précisions sur la méthodologie
L’expérimentation a été réalisée avec deux cohortes répondant aux mêmes conditions d’échantillonnage. Bien que la recherche soit de nature exploratoire, elle s’appuie sur un devis quasi expérimental[5] avec groupes expérimentaux et groupes de contrôle constitués par appariement (tableau 1). La différence de proportion entre les deux cohortes vient principalement du fait que les élèves du cours associé à l’expérimentation, c’est-à-dire ceux qui composaient les groupes expérimentaux, formaient quatre groupes à l’automne 2011, mais seulement deux à l’hiver 2012. Tous les élèves des groupes expérimentaux devaient également être inscrits dans un cours de français de première session du collégial.
Composition des groupes expérimentaux et de contrôle
Le traitement expérimental prévu dans le devis de la recherche comporte la formation et l’accompagnement des élèves. Nous avons préconisé une démarche structurée permettant aux élèves de réviser et de corriger leurs textes étape par étape, en fonction des objectifs qu’ils se donnent et du temps dont ils disposent. Comme Depover et collab. (2007 : 3) l’expriment, « [un outil à potentiel cognitif] ne se définit […] pas uniquement par ce qu’il est physiquement, mais aussi par l’usage particulier qu’il en est fait dans un contexte déterminé ». Dans cet esprit, nous avons réuni un ensemble de conditions favorables, qui ne sont probablement pas étrangères aux résultats obtenus : une formation qui mène rapidement à la pratique; une période de 50 minutes par semaine, inscrite à l’horaire des élèves, pour que ceux-ci puissent s’exercer, dans la durée, à la révision assistée par ordinateur; une personne-ressource présente pour valider leur apprentissage du logiciel et les guider vers des applications qui correspondaient à leurs besoins. Les élèves étaient invités à travailler en priorité à la révision et à la correction de textes demandés par l’enseignant du cours associé à l’expérimentation ou par les enseignants d’autres cours. Ils avaient reçu la consigne de déposer deux versions de tous les textes produits à l’ordinateur sur le portail du cégep, soit l’une avant et l’autre après l’utilisation du prisme « Correction » d’Antidote. Ils étaient toutefois autorisés et encouragés à utiliser les guides d’Antidote à chacune des étapes, de la même façon qu’ils pouvaient consulter des ouvrages de référence traditionnels lorsqu’ils rédigeaient à la main dans le cadre de leur cours de français.
Dès le départ, nous avons choisi d’entreprendre l’expérimentation avec des élèves dont la moyenne au secondaire (MELS) était faible. Cette moyenne variait entre 67,3 % et 69,1 %. Au début de chacune des sessions, soit avant le traitement expérimental, les groupes expérimentaux et de contrôle se sont révélés statistiquement comparables pour la presque totalité des variables considérées. Il s’agit là d’une condition essentielle pour interpréter les mesures qui ont été prises aux autres temps de la recherche.
Des précisions sur les cohortes
Nous savions que la réussite du cours de français posait problème aux élèves de l’échantillon. Nous ne savions pas, cependant, que le pur hasard ferait en sorte que l’expérimentation de la recherche coïncide avec le passage au cégep des cohortes qui obtiendraient les résultats les plus faibles par rapport à la réussite de l’ensemble de leurs cours. Il ne faudrait surtout pas croire qu’il s’agit là d’un effet du traitement expérimental. Pour les élèves de l’automne 2011, la baisse des taux de réussite est plus importante en éducation physique et dans le cours complémentaire que dans le cours de français alors que, pour les élèves de l’hiver 2012, la même baisse est plus importante dans l’ensemble des cours que dans le cours de français. D’une certaine façon, les caractéristiques particulières des deux cohortes donnent encore plus de poids aux résultats positifs que nous présentons ci-dessous. Ceux-ci montrent qu’il n’y a pas lieu de craindre l’utilisation d’un correcticiel, même avec les élèves les plus faibles.
Statistiques pour échantillons appariés : note finale moyenne dans les deux cours
La note finale moyenne dans les deux cours
Malgré des moyennes qui paraissent un peu plus élevées dans le cours associé à l’expérimentation, les tests statistiques ne montrent aucune différence significative[6] en ce qui concerne la réussite des deux cours (p = 0,090 pour les deux cohortes). La note finale moyenne des élèves des groupes expérimentaux, qui est très faible, apparait dans le tableau 2[7].
À cette étape, il faut souligner que plusieurs élèves des groupes expérimentaux n’ont jamais utilisé le correcticiel ou l’ont fait très peu souvent. Dans le contexte d’une expérimentation comme celle que nous avons menée, les apports de l’utilisation d’un outil, s’il y en a, se développent probablement dans la durée, la fréquence d’utilisation de l’outil devenant ainsi une variable essentielle. Puisque les élèves avaient reçu la consigne de déposer sur le portail du cégep tous les textes[8] sur lesquels ils avaient travaillé, nous avons pu construire un indice de la fréquence d’utilisation du correcticiel, qui partage les élèves entre ceux qui ont utilisé l’outil entre 0 et 6 fois et ceux qui l’ont utilisé entre 7 et 13 fois.
Tableau croisé : note finale moyenne des élèves du groupe expérimental dans les cours et fréquence
d’utilisation du correcticiel
Le tableau 3 montre que la note finale moyenne des élèves qui utilisent « plus souvent » le correcticiel est plus élevée dans le cours de français et dans le cours associé à l’expérimentation. La différence entre les moyennes est statistiquement significative dans tous les cas (p < 0,001)[9]. Ces résultats sont particulièrement intéressants, car ils suggèrent une plus grande réussite des mêmes élèves dans les deux cours. En comparaison, les élèves des groupes de contrôle obtenaient une note finale moyenne de 53,3 % (cohorte 1) et de 49,1 % (cohorte 2) dans le cours de français. Nous pouvons donc avancer que l’usage fréquent du correcticiel s’inscrit parmi les facteurs qui ont pu être favorables à la réussite des deux cours.
Les limites des résultats
Nous savons qu’il est à peu près impossible de contrôler l’ensemble des variables qui peuvent avoir un impact sur la performance scolaire; ainsi, même une corrélation forte n’implique pas nécessairement une relation de causalité entre deux variables. En ce sens, bien que couteuse en temps, la répétition de l’expérimentation (cohorte 2) s’est avérée enrichissante sur le plan des résultats, puisqu’elle nous a permis de constater que les tendances observées restaient les mêmes. Ainsi, même si nous ne pouvons pas établir de relation de cause à effet entre l’usage fréquent d’un correcticiel et la note finale moyenne des élèves dans le cours de français et dans le cours associé à l’expérimentation, nous pouvons dire que des résultats semblables se sont produits à deux reprises dans le contexte où les conditions étaient les mêmes. Il s’agit là d’un apport non négligeable.
Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, tous les élèves des groupes expérimentaux n’ont pas utilisé le correcticiel avec la même fréquence : certains n’y ont même jamais eu recours. En préparant le devis de la recherche, nous avions pensé que l’ensemble des élèves profiteraient de l’occasion qui leur serait offerte d’être formés au bon usage d’un outil informatisé d’aide à la correction, et ce, en étant accompagnés par une personne-ressource. Dans les faits, pour la cohorte 1, 33,3 % des élèves ont utilisé le correcticiel à sept reprises ou plus. Pour la cohorte 2, la proportion semble un peu moindre (28,3 %)[10]. Ces résultats suggèrent que l’attrait des TIC, sur lequel nous comptions pour susciter et soutenir la motivation des élèves, n’est pas suffisant pour amener des groupes entiers d’élèves faibles à s’investir dans la révision et la correction de leurs textes.
Il faut rappeler, toutefois, que les objectifs de la recherche n’ont jamais eu préséance sur les objectifs du cours associé à l’expérimentation. Ainsi, les élèves avaient toujours le choix de ne pas déposer leurs travaux sur le portail consacré à la recherche, puisque leur participation aux exercices de révision avec le correcticiel n’avait aucune conséquence sur la note du cours. Les élèves savaient toutefois que la qualité du français serait considérée par l’enseignant du cours associé à l’expérimentation, ce qui pouvait représenter un incitatif à la participation pour quelques-uns.
En 2008, un comité d’experts réunis par le MELS recommandait que « les programmes de français s’adaptent à la présence de l’informatique de la même façon que l’enseignement des mathématiques et des sciences a su apprivoiser la calculatrice de poche au début des années soixante-dix » (MELS, 2008 : 24). Notre projet de recherche s’inscrit dans cette perspective. L’expérimentation ne visait pas à ce que les élèves corrigent simplement les erreurs contenues dans leurs textes. Elle visait plutôt à ce que leurs habitudes de travail concernant la révision et la correction de leurs textes évoluent. En ce sens, la vision que nous privilégions rejoint celle de Bibeau (2004 : 2), qui affirme l’importance de « […] s’attarder au vrai problème d’exploiter la panoplie des instruments informatiques et multimédias disponibles, non pas avec l’intention d’utiliser l’ordinateur pour écrire, mais dans le but d’apprendre à écrire, à lire et à communiquer à l’aide de l’ordinateur. »
- La recherche Mesure et évaluation des apports d’un correcticiel a été subventionnée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport dans le cadre du Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA). [Retour]
- Il s’agit d’Antidote HD, version 5.1. [Retour]
- Il s’agit du cours Réussir ses études, offert aux élèves inscrits dans les programmes d’accueil et intégration et de transition. [Retour]
- Le présent article couvre seulement une partie des résultats de la recherche. Le rapport final présente les résultats des élèves à un test de connaissances en français et à des productions écrites (textes produits à la main dans le cours de français; textes produits à l’ordinateur dans le cours associé à l’expérimentation), de même que les réponses des élèves à un questionnaire sur la perception. [Retour]
- Il est à peu près impossible de contrôler l’ensemble des variables qui peuvent avoir un impact sur la performance scolaire. À titre indicatif, une étude du PIRS (2003), à laquelle fait référence Grégoire (2012 : 164), en relève 39. C’est la raison pour laquelle nous parlons de devis quasi expérimental. [Retour]
- Par convention, le seuil de signification retenu dans les études quantitatives est de 0,05 (p < 0,05). [Retour]
- Les élèves considérés ont une note finale dans les deux cours. [Retour]
- Dépôt 1, avant la correction avec Antidote; dépôt 2, après la correction avec Antidote. [Retour]
- Par convention, nous écrivons p < 0,001 lorsque la valeur p est égale à 0,000. Nous observons donc une différence marquée entre les groupes (indice = 0 à 6; indice = 7 à 13). [Retour]
- Il se peut que l’interruption des cours (en raison de la grève étudiante) et leur reprise, plusieurs semaines plus tard, ait eu un impact sur la fréquence d’utilisation du logiciel (les élèves de la cohorte 2 associés à un indice « 7 à 13 » ont utilisé Antidote 10 fois au maximum pendant la session) et sur l’évolution des résultats de la session d’hiver 2012. [Retour]
RÉFÉRENCES
BIBEAU, R. (2004). « Ils apprennent à lire à l’aide de l’ordinateur. L’intégration des TIC en classe de français (1983-1998) », European Medi@Cultures [En ligne], référence. du 18 février 2013.
CONSEIL DES MINISTRES DE L’ÉDUCATION (2003). Les élèves et l’écriture. Contexte canadien, Toronto, Conseil des ministres de l’Éducation.
GRÉGOIRE, P. (2012). L’impact de l’utilisation du traitement de texte sur la qualité de l’écriture d’élèves québécois du secondaire, Thèse (Ph. D.), Université de Montréal.
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. (2008). Mieux soutenir le développement de la compétence à écrire. Rapport du comité d’experts sur l’apprentissage de l’écriture, Québec, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
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