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Propositions didactiques pour l’enseignement-apprentissage du complément direct du verbe

En collaboration avec Priscilla Boyer, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières

La notion de complément direct du verbe (CD) est emblématique de la grammaire française, notamment en raison de son rôle dans l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir. La notion est aussi mobilisée en syntaxe, pour la construction du groupe verbal et de la subordination, et en grammaire textuelle, pour la reprise de l’information avec l’emploi de certains pronoms. Or, le repérage du CD représente un enjeu pour les élèves du primaire (Kilcher-Hagedorn, Othenin-Girard et de Weck, 1987) et du secondaire (Dumaine et autres, 2021a), et ce défi peut persister aux ordres postsecondaires. Il nous apparait donc pertinent de proposer deux activités[1] pour travailler la notion de CD et d’esquisser, à cette occasion, quelques pistes de réflexion.

Proposition 1 : Est-ce un complément direct?

La première activité que nous vous proposons vise à faire ressortir les connaissances des étudiantes et des étudiants au regard de la notion de CD, qui est bien plus complexe qu’on peut parfois le penser. Sans entrer dans les détails, en linguistique, la terminologie entourant la complémentation verbale n’est pas uniforme (on peut parler de complémentation, de régime, de transitivité, de valence), et plusieurs modèles théoriques existent également pour la décrire et l’expliquer. En didactique, certaines notions demeurent moins bien définies. Par exemple, en contexte, la distinction entre complément indirect du verbe (CI) et complément de phrase (CP) n’est pas toujours nette. Par ailleurs, en ce qui concerne la notion de CD, les pratiques pédagogiques et les ressources didactiques reflètent à l’occasion une certaine hybridité entre grammaire traditionnelle et grammaire rénovée. Les questions sémantiques qui?/quoi? sont encore des stratégies utilisées afin de repérer le CD dans une phrase, bien avant, par exemple, le recours à la pronominalisation, pourtant plus efficace. Et, comme nous le verrons plus loin, des notions connexes à celles de CD issues de la grammaire traditionnelle et toujours en usage sont uniquement définies de façon sémantique, comme le complément circonstanciel de mesure[2]. Faire émerger les connaissances des étudiantes et des étudiants et les confronter à l’aide d’un corpus peut donc être gagnant pour la consolidation ou l’approfondissement des connaissances. C’est la visée de la première activité.

Déroulement de l’activité

L’activité Est-ce un complément direct? se réalise à l’aide du document accessible ci-dessous. Celui-ci sert de guide pour la réflexion autour du CD et contient 14 énoncés, reproduits dans la partie plus loin intitulée « Réflexion didactique sur la construction et la place du CD ». Le corrigé de l’activité est également fourni.

Notez qu’il s’agit d’une activité qui s’adresse à un groupe et qu’elle a d’abord été créée à l’intention d’enseignants et d’enseignantes de français du secondaire. Le cas échéant, il pourrait être nécessaire d’ajuster les énoncés selon les destinataires ou d’adapter l’activité au contexte d’enseignement, par exemple celui d’une aide personnalisée dans un centre d’aide en français.

L’activité se déroule en deux temps, d’abord de façon individuelle, puis en équipe. Individuellement, les participantes et participants inscrivent dans le document leur propre définition du CD. Ensuite, sur cette base, il s’agit pour chacun et chacune d’observer les énoncés (par exemple ceux de notre version de l’activité reportés plus bas) et de déterminer dans chaque cas si l’élément souligné est ou n’est pas un CD. Un espace est laissé pour des justifications appuyant les choix, puisque ceux-ci devront ensuite être discutés en équipe.

Une fois le travail individuel réalisé, des équipes de trois ou de quatre personnes sont formées. Chaque équipe doit alors, en tenant compte des définitions des membres, proposer une description commune du CD. À l’aide de cette dernière, l’équipe doit revenir sur chaque énoncé, échanger sur les choix effectués individuellement et arriver à un consensus pour chaque élément souligné.

Au terme des deux phases, un retour en plénière permet de discuter des réponses données par les équipes, tant en ce qui a trait à la définition du CD qu’aux décisions relatives à chaque énoncé, et de valider ou de rectifier ces réponses.

Réflexion didactique sur la construction et la place du CD

Les 14 énoncés choisis pour l’activité Est-ce un complément direct? permettent d’aborder plusieurs difficultés propres au CD et à certaines notions connexes, et il nous apparait pertinent de proposer une réflexion à ce propos, en regroupant ici les énoncés selon la nature des diverses difficultés et notions.

On sait que, en voulant repérer un CD, les élèves du primaire et du secondaire cherchent le plus souvent un groupe nominal postposé au verbe (Avezard-Roger, 2016; Kilcher-Hagedorn, Othenin-Girard et de Weck, 1987; Martin, 1999). Les deux premiers regroupements d’énoncés (5, 10 et 12; puis 1, 2 et 11) permettent donc de mettre à l’épreuve cette conception. Commençons par les énoncés 5, 10 et 12, qui illustrent des structures qui s’éloignent du groupe nominal canonique.

5Le groupe écrit de la poésie en fin de session.
10On nous apprend à corriger l’orthographe du mot.
12Je pense qu’il faudra modifier ce règlement.

En effet, il est utile de connaitre d’autres constructions qui peuvent occuper la fonction de CD que celle attendue. L’énoncé 5 surprend à cause du mot de, qu’on analyse le plus souvent comme une préposition. Ici, il s’agit plutôt du déterminant partitif de la; on se retrouve donc avec un groupe nominal. L’énoncé 10 peut aussi susciter le doute, car le groupe prépositionnel constitue la structure canonique du CI. Le recours à la pronominalisation prouvera cependant qu’il s’agit d’un CD, et non d’un CI : On nous l’apprend. La même manipulation syntaxique avec la subordonnée complétive de l’énoncé 12 permet de confirmer sa fonction de CD : Je le pense.

Ensuite, le fait que l’on recherche un élément postposé au verbe comme CD peut entrainer des problèmes de délimitation d’éléments pouvant occuper la même position, dont le CD. C’est ce sur quoi les énoncés 1, 2 et 11 permettent d’attirer l’attention.

1Le groupe de recherche soumet ses nombreuses recommandations au ministère en vue de la prochaine réforme.
2L’élève marche sur le bord du trottoir fraichement rénové près de l’école.
11Je considère ces sites Internet comme fiables.

Dans ce dernier regroupement d’énoncés, l’enjeu se situe donc dans la délimitation du CD par rapport à d’autres éléments. Dans l’énoncé 1, tout ce qui suit le verbe est souligné et est considéré comme un CD, alors qu’il s’agit plutôt d’un CD (ses nombreuses recommandations) suivi d’un CI (au ministère), puis d’un CP (en vue de la prochaine réforme). L’énoncé 2, pour sa part, permet de différencier plus largement le prédicat du complément de phrase. Le verbe marcher étant considéré comme intransitif, l’élément souligné doit être analysé comme un complément de phrase, et non comme un complément du verbe. Enfin, l’élément souligné dans l’énoncé 11, qui est bel et bien le CD, exclut son attribut. L’usage des questions sémantiques qui?/quoi? serait limité ici, puisqu’elles ne constituent pas un outil fiable pour délimiter les éléments postposés au verbe. En effet, poser la question quoi? après le verbe (je considère quoi?) ne permet pas de déterminer si le CD est le GN ces sites Internet ou ces sites Internet comme fiables. La manipulation de la pronominalisation offre des résultats plus satisfaisants pour distinguer le CD et son attribut : Je les considère comme fiables.

Une fois que la construction du CD a été travaillée (sa formation et sa délimitation), nous suggérons de nous attarder à des cas pouvant avoir une incidence sur l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir. Dans les énoncés 3 et 13, le fait que le CD soit un pronom crée une difficulté supplémentaire : la distinction entre le pronom CD et son antécédent.

3Cette molécule, plusieurs scientifiques l’ont découverte dernièrement.
13Les quelques détours que nous avons pris ont rallongé notre voyage d’une semaine.

Pour repérer le CD dans les énoncés 3 et 13, si l’on utilise les questions sémantiques, la réponse n’oriente pas vers les pronoms l’ et que, mais vers leur antécédent (cette molécule et les quelques détours). Bien que ce résultat facilite l’accord, puisque l’antécédent, dans les deux cas, donne l’information de genre et de nombre nécessaire à l’accord du participe passé, il n’aide pas à la compréhension de l’organisation de la phrase. En ce qui concerne l’énoncé 3, l’antécédent mis en emphase en tête de phrase s’efface et peut se déplacer en fin de phrase, deux manipulations syntaxiques qui ne s’appliquent pas au CD. Pour l’énoncé 13, il est important de comprendre que le CD est le pronom relatif que, une notion qui s’inscrit dans la compréhension du processus de subordination.

Les énoncés 4, 6 et 14, quant à eux, illustrent des cas à la limite des grammaires traditionnelle et rénovée.

4Cet athlète court cinquante kilomètres pour cette compétition.
6Des clients, j’en vois chaque fin de semaine.
14Il faut réagir à cette situation.

En grammaire traditionnelle, et plus particulièrement pour l’accord du participe passé, l’élément souligné dans l’énoncé 4 est traité comme un complément circonstanciel de mesure, et non comme un CD, et ce, malgré les nombreux traits communs qu’il partage avec ce dernier : il s’agit d’un groupe nominal postposé au verbe, il se pronominalise comme un CD, etc. On considère toutefois le verbe courir dans son emploi général comme intransitif. Dans son ouvrage Français écrit pour futurs enseignants, Lefrançois (2017) soutient plutôt qu’en grammaire rénovée, de tels groupes doivent être considérés comme des CD et, s’ils sont antéposés au verbe, permettre l’accord du participe passé (les cinquante kilomètres que cet athlète a courus). Dans l’énoncé 6, le pronom en est également un CD, dont l’antécédent est le groupe nominal construit avec un déterminant partitif. Pourtant, bien que le CD soit antéposé au verbe, traditionnellement, le participe passé demeure invariable, car il s’agit du pronom en. Finalement, dans l’énoncé 14, puisque le verbe falloir est un verbe impersonnel, l’élément souligné est considéré comme un complément du verbe impersonnel plutôt qu’un CD, bien qu’une fois encore, les deux notions aient des points communs très forts. Les trois notions illustrées dans les énoncés 4, 6 et 14 (le complément circonstanciel de mesure, le pronom CD en et le complément du verbe impersonnel) sont des vestiges de la grammaire traditionnelle et sont maintenues, entre autres, en raison de leur implication dans l’accord du participe passé. Pourtant, leur comportement syntaxique devrait plutôt nous conduire à les traiter comme des CD.

Finalement, le regroupement des énoncés 7, 8 et 9 permet d’observer certaines notions plus pointues.

7Nous serons les nouveaux conseillers municipaux après la prochaine élection.
8Les deux agents se sont rencontrés durant leur formation.
9Elles se sont souvenues des règles de grammaire.

Dans l’énoncé 7, l’élément souligné n’est pas un CD, mais un attribut du sujet, la présence du verbe être le confirmant. Il nécessite toutefois un travail de réflexion en raison de sa structure, qui rappelle celle canonique du CD. Les énoncés 8 et 9 offrent aussi la possibilité d’aborder la distinction entre les verbes occasionnellement pronominaux (énoncé 8) et essentiellement pronominaux (énoncé 9). En effet, l’élément souligné dans l’énoncé 8, avec le verbe occasionnellement pronominal se rencontrer, est le CD du verbe. L’élément souligné dans l’énoncé 9, lui, n’aura pas de fonction syntaxique avec le verbe essentiellement pronominal se souvenir.

Au terme de cette réflexion, on peut donc voir que travailler la notion de CD mobilise de nombreuses connaissances en syntaxe et nécessite aussi de comparer la notion de CD à plusieurs notions connexes afin de faire ressortir ses caractéristiques distinctives. C’est l’intention de la deuxième activité que nous proposons.

Proposition 2 : Les compléments du verbe

L’activité Les compléments du verbe se base sur les principes du chantier d’étude, technique utilisée principalement dans l’enseignement de l’orthographe[3]. Elle vise à travailler les structures canoniques des principaux compléments du verbe : CD, CI et attribut du sujet. Nous mettons à votre disposition ci-dessous le document de l’activité servant à guider la réflexion des étudiantes et des étudiants (et le corrigé) ainsi que les étiquettes nécessaires à la réalisation du chantier.

Bien que l’activité soit d’abord réfléchie pour une réalisation en grand groupe, il est tout aussi possible de la mener avec un petit groupe ou avec une seule personne.

Déroulement de l’activité

L’activité se réalise d’abord en équipe de trois ou quatre personnes. En premier lieu, il faut remettre l’ensemble des étiquettes découpées et mélangées, en retirant celles présentant la schématisation en arbre des différentes structures travaillées. Ces dernières étiquettes seront utilisées dans un deuxième temps.

En équipe, il s’agit de lire les étiquettes et de les classer selon la construction des éléments soulignés dans les énoncés inscrits sur les étiquettes. Lorsqu’une équipe pense avoir terminé un premier classement, celles des représentations en arbre sont remises en vue de confirmer le classement préalable ou, s’il y a lieu, d’y apporter des modifications.

Au terme du classement final, un retour en plénière permet de vérifier les réponses des équipes et d’apporter des rectifications, s’il y a lieu. Le guide d’accompagnement offre ensuite des activités de consolidation misant sur le recours à la pronominalisation et sur les structures canoniques des compléments du verbe.

Réflexion didactique sur les compléments du verbe

Cette seconde activité vise d’abord la consolidation des connaissances sur les formes canoniques des principaux compléments du verbe par l’observation de la construction du groupe verbal, puis l’approfondissement des concepts au moyen d’éléments plus complexes. On verra qu’un groupe verbal peut être constitué uniquement d’un verbe, qu’un groupe du nom est CD, qu’un groupe prépositionnel est CI et qu’un groupe adjectival est attribut du sujet. Travailler en parallèle les notions de CD, de CI et d’attribut du sujet permet de faire ressortir leurs ressemblances et leurs différences. Ainsi, la comparaison de la pronominalisation du CD et du CI permet de souligner l’emploi de différents pronoms (le, la et les pour le CD; lui et leur pour le CI), et l’observation des constructions avec un groupe adjectival révèle qu’elles sont toutes précédées d’un verbe attributif. Il serait aussi possible de donner une suite à ce travail en se concentrant, par exemple, sur toutes les constructions possibles du CD, ce que l’activité Est-ce un complément direct? a soulevé, ou sur les différentes constructions de l’attribut du sujet.  

Notre objectif était de proposer deux activités pour une meilleure connaissance du CD. Elles auront aussi été le prétexte pour réfléchir à cette notion, aux difficultés qu’elle sous-tend et à la nécessaire rénovation de certains contenus impliqués dans l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir.

  1. Ces activités ont été présentées au congrès 2021 de l’Association québécoise des professeur.e.s de français (Dumaine et autres, 2021b). [Retour]
  2. Le complément circonstanciel de mesure est la réponse à la question combien? plutôt qu’aux questions qui?/quoi?. [Retour]
  3. Brissaud et Cogis (2011) décrivent ainsi le chantier d’étude : « [I]l commence par l’observation de formes respectant la norme et illustrant cette loi, suivie d’un premier constat, fait par les élèves; il continue avec la vérification de ce fonctionnement dans un autre corpus; il aboutit à une synthèse suivie d’exercices d’entrainement. » (p. 52) [Retour]

Références

AVEZARD-ROGER, Cécile (2016). « Les compléments à l’école : comment s’y retrouver? Perspectives linguistiques et pistes didactiques », Pratiques, no 169-170, p. 1-21. doi : 10.4000/pratiques.3093.

BRISSAUD, Catherine, et Danièle COGIS (2011). Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui?, Paris, Hatier, 319 p.

DUMAINE, Antoine, et autres (2021a). « Qui? Quoi? : les questions sémantiques dans le repérage du complément direct, bonne ou mauvaise stratégie? », Les Cahiers de l’AQPF, vol. 12, no 1, p. 43-47.

DUMAINE, Antoine, et autres (2021b). Repérer quelqu’un ou quelque chose : réflexion didactique autour du complément direct du verbe. [Communication présentée au congrès 2021 de l’AQPF, Québec, Québec].

KILCHER-HAGEDORN, Helga, Christine OTHENIN-GIRARD et Geneviève DE WECK (1987). Le savoir grammatical des élèves, Berne, Peter Lang, 246 p.

LEFRANÇOIS, Pascale (2017). Français écrit pour futurs enseignants, 3e éd., Montréal, Éditions JFD, 368 p.

MARTIN, Daniel (1999). « La terminologie grammaticale à l’école : facilitateur ou obstacle aux apprentissages? L’exemple de la “suite du verbe” », Tranel, no 31, p. 13-35. Également disponible en ligne : https://www.revue-tranel.ch/article/view/2665/2369.

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