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«Le tutorat, richesses d’une méthode pédagogique» d’Alain Baudrit

«Le tutorat, richesses d’une méthode pédagogique» d’Alain Baudrit

Regards sur le tutorat

La courte monographie intitulée Le tutorat, richesses d’une méthode pédagogique d’Alain Baudrit[1] a tout pour intéresser les responsables de centre d’aide en français (CAF). En effet, le tutorat est, depuis longtemps, une pratique répandue dans nos CAF. Mais on prend bien peu le temps de questionner les choix qui la sous-tendent ou les perceptions sur lesquelles elle repose. L’ouvrage de M. Baudrit constitue donc, à cet égard, une occasion rare et précieuse. D’autant que l’auteur annonce, en introduction, sa volonté « de faire le point. De cerner [les] principales caractéristiques [de la formule tutorale], ses apports et ses limites, ses points forts ou faibles » (p. 5). Vaste programme, studieusement basé sur « les textes, travaux ou documents qui lui sont consacrés » (p. 5). Baudrit décrit d’abord certaines pratiques de tutorat et leurs effets, tels qu’ils sont répertoriés dans les études publiées sur le sujet. Il s’attarde ensuite sur une forme de tutorat particulière, le tutorat interculturel, dont il cerne certains aspects plus délicats. Finalement, il présente quelques exemples variés de mise en œuvre d’une démarche tutorale, aussi bien en Namibie qu’en Israël, avec des tuteurs et des tutorés de tous les âges.

Couverture

Et alors ? Que disent les études ? Le tutorat a-t-il fait ses preuves ? Oui, sans doute. Mais les analyses « tendent à montrer qu’il faut des conditions assez particulières, des tâches et des interactants bien choisis, pour que les bienfaits du tutorat se manifestent. […] Autant de réserves, qui incitent à ne pas considérer la formule tutorale comme un remède miracle susceptible d’éradiquer l’échec scolaire. » (p. 13)

Le tuteur idéal

Le tuteur idéal, nous apprennent les recherches, est celui qui fait preuve de congruence cognitive, une qualité qui « semble être la résultante de deux dimensions : le niveau d’expertise et la congruence sociale. Ces deux dimensions sont d’ailleurs très difficiles à coordonner puisque la première marque la distance entre tuteurs et tutorés, quand la seconde privilégie leur proximité. » (p. 24-25[2]) L’idéal, dans la relation tutorale, semble donc se trouver dans l’équilibre complexe – et donc difficile à atteindre – entre les deux.

Par ailleurs, d’autres études montrent que la maitrise de la matière par le tuteur est d’autant plus essentielle que, si elle est absente, ce dernier sera en surcharge cognitive et incapable de fournir l’attention que nécessite la relation d’aide au tutoré. Ainsi, il n’est donc pas très efficace d’embaucher dans nos centres d’aide des tuteurs qui, même s’ils sont extrêmement empathiques et attentifs au tutoré, montrent des lacunes trop grandes en grammaire. En outre, pour que se réalise un apprentissage grâce au tutorat, les études indiquent que les tuteurs doivent être à même d’identifier « la nature et les raisons des incompréhensions manifestées par les tutorés » (p. 36[3]). Une telle exigence montre à quel point la formation des tuteurs doit être soigneusement élaborée ; elle doit présenter une dimension didactique importante et placer le tuteur dans une approche analytique face aux réponses de son tutoré.

L’effet-tuteur

Également, on apprendra avec plaisir l’existence d’une retombée du tutorat fort intéressante que démontrent les recherches citées par Baudrit – et que nous pressentions tous, de toute façon, tant il est logique qu’elle apparaisse. Il s’agit de la présence d’un effet-tuteur, c’est-à-dire le fait que le tuteur, à travers son travail d’enseignement, apprend lui aussi. Qu’il s’améliore lui-même dans une tâche en aidant autrui à s’y améliorer. Cet effet, nous montrent les études, apparait cependant de façon différée ; on le constate quelques semaines après la fin du tutorat. Il est modulé par le type d’interaction tutorale qui est en jeu : « Ainsi, l’effet-tuteur semble bien dépendre du degré de structuration du tutorat. Plus celui-ci est élevé, plus celui-là a de chances d’apparaitre. De son côté, l’effet-tutoré semble fonctionner sur le principe contraire. Plus le tutorat présente un caractère spontané, plus les apprentissages des élèves-tutorés semblent facilités. » (p. 63) Errance et réciprocité

D’ailleurs, certains chercheurs cités par Baudrit ont mis à jour le fait que, à travers ce qu’ils appellent un dialogue d’errance, c’est-à-dire un accompagnement dans lequel « la faute n’est pas systématiquement pointée par le tuteur, elle n’est pas non plus obligatoirement corrigée par lui » (p. 64[4]), les tutorés voient « leurs occurrences d’apprentissage s’accroitre » (p.64). Une telle approche distingue nettement la fonction du tuteur de celle de l’enseignant : au lieu de redoubler le rôle de ce dernier, le tuteur « complète son action » (p.49) en devenant un interlocuteur pour l’élève, certes catalyseur de son apprentissage, mais bien éloigné d’une figure de transmission. Au contraire, en tant que pair, il parait bien moins autoritaire que l’enseignant, et plus à même de rejoindre l’élève à travers des référents communs et un niveau de langue partagé.

Baudrit soulève également une question délicate : « Toujours dans un but pratique, utilitaire, il convient d’attirer l’attention des professionnels sur un dernier point : la position de tutoré. À la longue, elle n’est pas de nature à donner, à la personne qui l’occupe, une image favorable d’elle-même. Bien au contraire. » (p.20) C’est pourquoi les expériences d’enseignement réciproque, dans lesquelles chacun occupe, alternativement, la position de tuteur et celle de tutoré, donnent des résultats particulièrement efficaces. Par exemple, les élèves immigrants peuvent recevoir de l’aide en français et donner, en échange, des informations sur leur pays d’origine, ou enseigner leur langue première.

Cette réciprocité est d’autant plus intéressante à explorer dans le cas du tutorat interculturel que les enjeux liés au rapport entre les représentants des cultures majoritaire et minoritaire appellent à une vigilance particulière. De la même façon, le fait de ne pas placer les dyades tutorales dans un environnement compétitif, et au contraire de les inclure dans un travail collaboratif, peut aider à atténuer les difficultés liées, par exemple, au racisme ou, plus largement, à la faible estime de soi de l’élève en position de tutoré.

Quelques réserves…

Malheureusement, l’ouvrage de Baudrit ne s’attarde pas sur des expériences tutoriales à l’ordre collégial. Il ne fait pas non plus de place spéciale au tutorat lié à l’apprentissage d’une langue ou à l’amélioration de la lecture. Il explique cependant que, selon certaines études, ce genre de contenu est plus approprié au tutorat qu’une matière dont le fonctionnement est algorithmique et laisse peu de place à l’exploration, telles les mathématiques (p. 53). Plus globalement, on peut regretter que le tutorat soit présenté, tout au long du livre de Baudrit, comme un objet unique, alors que ce mot semble désigner, dans les études qu’il décrit, des pratiques fort variées, dont on peut présumer qu’elles possèdent des caractéristiques propres. Sont ainsi placées et analysées côte à côte des réalités aussi diverses que du tutorat entre étudiants d’un même programme universitaire, des initiatives jumelant des élèves du secondaire avec des étudiants aux cycles supérieurs à l’université, du tutorat entre enfants de maternelle, et de l’accompagnement en lecture ou en méthodes de travail réalisé par des élèves du primaire ou du secondaire. Certaines des études dont il rend compte semblent porter sur un échantillon fort réduit, dont on peut remettre en question la valeur représentative. En outre, la façon dont est évaluée l’efficacité du tutorat dans les études dont Baudrit rend compte est souvent peu explicitée, la nature des prétests et des posttests n’étant jamais spécifiée. Finalement, une dernière critique, mais que l’on ne peut passer sous silence : cette monographie éditée chez De Bœk compte un nombre de fautes (syntaxiques, lexicales, homophoniques) si élevé[5] que le lecteur s’en trouve fréquemment distrait !

Malgré toutes ces réserves, l’ouvrage mérite d’être lu, d’abord et avant tout parce qu’il porte sur un sujet si pertinent pour les CAF. De plus, à travers les enjeux qu’il soulève, qu’il s’agisse des critères selon lesquels sont sélectionnés les tuteurs, de la nature de leur intervention auprès des élèves à risque, voire de la durée de celle-ci – la présence au centre d’aide d’un élève tutoré durant plusieurs sessions d’affilée est-elle souhaitable ? – ou de la nature unilatérale de la relation tutorale mise en place dans les centres d’aide, bien des questions surgissent, qui peuvent nous encourager à enrichir nos pratiques à partir des recherches publiées.

  1. A. BAUDRIT, Le tutorat, richesses d’une méthode pédagogique, Paris, De Bœk, collection « Pratiques pédagogiques », 2007, 170 pages. [Retour]
  2. Baudrit y cite Moust, à qui l’on doit la notion de congruence cognitive. [Retour]
  3. D’après une citation tirée de Foot, Shute, Morgan et Barron (1990), traduite par Baudrit. [Retour]
  4. La recherche dont il est question est celle de Mesnier et Omont (1985). [Retour]
  5. Quelques-unes, en vrac : « pallier à leurs faiblesses » (p. 43) ; « une aide peut compatible » (p. 45) ; tout au long de l’ouvrage, l’usage de l’adjectif académique dans le sens de scolaire ; « d’autres aspects, plus complexes, plus subtiles » (p. 115). [Retour]

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