Les défis de l’Écriture zéro faute pour le tutorat

Depuis l’introduction de l’Écriture zéro faute dans l’arsenal pédagogique de notre CAF, il y a deux ans, nous réalisons à quel point la formation des tuteurs et des tutrices demande un soin particulier. Il ne suffit pas de décrire l’approche ni même de la modéliser ou d’en superviser la pratique, car la séance d’Écriture zéro faute glisse très facilement vers une séance d’écriture guidée[1]. La personne aidante se met à pointer les erreurs, à formuler des questions qui guident vers la réponse attendue (la « bonne » réponse), à rectifier le raisonnement de la personne aidée; bref, le processus s’éloigne de l’esprit de l’Écriture zéro faute, au point d’en rater la cible, soit le développement d’automatismes de réflexion grammaticale en situation de rédaction. La vidéo S’entrainer à l’Écriture zéro faute au cégep est ainsi née du désir de former de manière adéquate nos tutrices et nos tuteurs à cette approche.

Cette production audiovisuelle s’adresse d’abord aux responsables de CAF, qui pourront sélectionner les extraits les plus utiles pour accompagner leur enseignement. On y trouve une illustration de l’approche, soit une séance d’Écriture zéro faute dont les bons et moins bons coups sont commentés par Chaussé. La vidéo présente aussi une variété de réflexions et de témoignages d’élèves fréquentant le CAF ou y travaillant, de Chaussé ainsi que de nous-mêmes, à titre de responsables d’un centre d’aide et de la formation au tutorat. Dans tous ces propos sont abordés la lettre et l’esprit de l’Écriture zéro faute (rappel de ses objectifs et description de sa mise en pratique).

Bien que nous ayons formé à l’Écriture zéro faute quelques cohortes de tutrices et de tuteurs, nous avons dû encadrer nous-mêmes des élèves aidés durant plusieurs séances d’Écriture zéro faute pour véritablement mesurer les défis de l’approche. Cette expérience nous a en effet révélé à quel point le changement de posture proposé par Chaussé bouscule certaines de nos habitudes de tutorat. Dans les paragraphes suivants, nous examinerons les trois principaux défis que nous relevons dans la formation des tuteurs et des tutrices.

Juguler notre réflexe d’expliquer

Nos tuteurs et nos tutrices aiment expliquer et clarifier les règles de grammaire, et le font bien. Or, durant les séances d’Écriture zéro faute, l’intervention doit se limiter le plus souvent à souffler à la personne aidée les questions (pas les réponses!) qui doivent être les siennes au fil de l’écriture (« quelle est la classe du mot? la règle? ») et à lui rappeler les bons gestes à poser, par exemple consulter un ouvrage de référence. Dans cette forme d’assistance, le principal défi est lié à la nécessité de se mettre en retrait et de veiller à ce que l’aidée ou l’aidé ne s’appuie éventuellement sur personne pour écrire. La personne aidante devient ainsi une voix qui invite à douter et à se questionner continuellement, une voix qui accompagne, sans toutefois engager un dialogue (sauf bien sûr aux étapes du plan et du retour).

L’image de l’entrainement est éloquente; on l’utilise souvent au CAF pour faire comprendre la nouvelle posture que l’Écriture zéro faute demande aux tutrices et aux tuteurs d’adopter, celle d’une coach qui ne courra jamais un seul mètre de la course à la place de l’athlète. De la même façon, en Écriture zéro faute, on ne doit pas écrire avec l’élève puisqu’on ne sera pas à ses côtés lors des situations d’écriture réelles : on ne sera pas là pour souligner l’accord qui manque ou même dire « oups! » devant une erreur. Toutefois, on peut l’inciter, à chaque pas, à intégrer les bons réflexes d’écriture. Comme pour tout entrainement, cela demande que l’élève fasse et refasse les mêmes gestes, ces gestes étant, en Écriture zéro faute, de se poser systématiquement les bonnes questions au fil de l’écriture et de trouver soi-même la réponse.

La vidéo met fréquemment en évidence l’importance de la communication non verbale de la personne qui aide, y compris le ton et le volume de sa voix lorsqu’elle intervient. Elle doit apprendre à être une présence quelque peu diffuse, qui répète « Es-tu sûr? » quasi à chaque mot afin d’amener la personne aidée à automatiser le doute. Elle doit faire preuve de patience et de bienveillance afin d’encourager l’autre à ouvrir le dictionnaire et à prendre le temps d’effectuer correctement chaque étape. C’est ce calme et cette confiance s’exprimant par le non-verbal qui montrent la possibilité d’atteindre la certitude d’un travail sans fautes. Il importe donc d’aborder la question du non-verbal au cours de la formation, pour que les tutrices et les tuteurs prennent conscience des différents aspects de la communication avec l’élève qui reçoit de l’aide.

Apprivoiser le doute

La première séance d’Écriture zéro faute permet de constater que la personne aidée reste souvent sourde au doute grammatical afin de ne pas interrompre sa rédaction. Quand on lui pose la question « Es-tu sûr? », la réponse est non devant de très nombreux mots (y compris ceux qui ne contiennent aucune faute). Mais il lui semble préférable de continuer à écrire par peur d’oublier ses idées, sa phrase, ses mots. Or, dans une séance d’Écriture zéro faute, notre rôle est justement d’obliger notre élève à ralentir, à se questionner et à écouter ce doute, son allié en écriture.

Il peut être éprouvant pour les tuteurs et les tutrices de faire face aux émotions qui accompagnent le doute chez la personne aidée. Celle-ci peut devenir inquiète, voire anxieuse ou frustrée. Elle pourrait même se fermer à toute intervention. Les personnes qui offrent leur aide au CAF carburent souvent à la satisfaction d’avoir été utiles à quelqu’un, et tâchent donc de dissiper ce doute qui rend mal à l’aise. Elles corrigent rapidement le raisonnement fautif pour se soulager en même temps qu’elles soulagent la personne aidée. Mais, même si celle-ci comprend l’explication donnée, elle n’a pas effectué elle-même le processus de clarification amorcé par le doute.

Chaussé évoque souvent l’impuissance acquise de ses élèves faibles en français écrit. Comment combattre l’impression d’être incapable de corriger ses propres fautes[2]? Sa proposition de chiffrer la progression non pas en nombre d’erreurs, mais bien en nombre de mots rédigés en 15 minutes sans aucune erreur se révèle particulièrement encourageante pour les élèves en situation de vulnérabilité. L’approche Zéro faute ébranle puisqu’elle demande de douter, mais en prouvant que ce nombre de mots s’accroit d’une séance à l’autre, elle augmente la confiance de l’élève en sa capacité de régler les problèmes rencontrés. Toutefois, les tuteurs et les tutrices doivent avoir conscience que la première séance d’Écriture zéro faute est souvent décevante. Ils et elles devraient d’ailleurs en aviser la personne aidée. Il est essentiel de rappeler à cette personne la métaphore de l’entrainement, de l’amener à se percevoir comme une sportive ou un musicien qui développe des réflexes seulement après un certain nombre de séances d’exercices ciblés. Et les entraineurs dans tout ça? Leur confiance dans la capacité de l’autre de s’améliorer est cruciale. Il faut donc prendre un pas de recul, accepter de laisser toute la place à celui ou à celle qui doit cultiver son autonomie… et s’armer de patience en conséquence.

Modifier sa représentation du processus d’écriture

Après quelques séances d’Écriture zéro faute, un certain nombre de tutrices et de tuteurs reconnaissent dans cette approche leur propre processus d’écriture, processus qui a été intégré plus ou moins consciemment, peut-être dès l’école primaire, et qui leur a permis d’être capables de rédiger et de corriger simultanément. Cette prise de conscience devrait idéalement les mener à ajuster leur discours sur l’acte d’écrire. En effet, lors des rencontres de tutorat, nos tuteurs et nos tutrices reprennent spontanément le discours souvent entendu à l’école : l’écriture se ferait en trois « étapes » – la planification, l’écriture, la révision – en réservant du temps « à la fin » pour cette dernière étape, principalement destinée à traquer les fautes (s’ensuit une énumération de trucs). De la même façon, au collégial, une révision/correction efficace est souvent présentée par l’équipe enseignante comme la solution aux problèmes des fautes : nos devis ministériels demandent d’aider les élèves à acquérir une bonne méthode de révision/correction, et non un bon processus d’écriture. Nous ne voulons pas ici lancer un débat sur la question, mais plutôt insister sur le fait que les différentes représentations du processus d’écriture exigent d’être explicitées et réfléchies en tutorat, ne serait-ce que pour faire accepter cette forme d’entrainement parfois déstabilisante qu’est l’Écriture zéro faute[3].

Si l’Écriture zéro faute entraine à douter systématiquement, à s’interroger et à chercher la réponse dès le premier jet de l’écriture, il reste qu’en situation de rédaction, des adaptations sont possibles : le recours à un symbole signalant en marge un mot à vérifier plus tard dans le dictionnaire en est un exemple. Ces adaptations sont une autre des raisons pour lesquelles il est important que les tuteurs et les tutrices discutent avec leurs élèves du processus d’écriture que chaque jeune adoptera lors des différentes situations de rédaction, y compris, pourquoi pas, les textos.

Bref, il faut prendre conscience que l’Écriture zéro faute peut bouleverser les représentations du processus d’écriture : on gagne à expliciter cet aspect lors de la formation des tutrices et des tuteurs. Ce sont elles et eux qui sont en contact étroit avec les élèves aidés et qui sont ainsi les mieux placés pour les convaincre d’au moins essayer une nouvelle approche qui fait de plus en plus ses preuves.

Chaque CAF fera face à ses propres défis dans la formation à l’Écriture zéro faute des tuteurs et des tutrices. Peut-être que les obstacles que nous avons nous-mêmes rencontrés seront évités d’emblée ailleurs grâce à une formation initiale différente de la nôtre. Dans tous les cas, l’Écriture zéro faute est une approche qui mérite d’être soigneusement intégrée à nos pratiques de tutorat, ne serait-ce que pour l’enthousiasme qu’elle soulève chez toutes les personnes qui y trouvent leur compte.