Enseigner la révision-correction de texte du primaire au collégial
C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Pas si simple que cela, même pour le forgeron… C’est en écrivant qu’on apprend à écrire, certes, mais, pour la majorité des gens, c’est à l’école qu’on apprend à écrire. Cet apprentissage long, difficile, un des plus couteux cognitivement et affectivement, est facilité par un enseignement spécifique dans l’institution scolaire en français. Dans un article précédent (volume 18, numéro 1), nous avons souligné certaines lacunes de l’enseignement de l’écriture au secondaire, en particulier le fait que les élèves étaient laissés à eux-mêmes au moment de la révision-correction de leurs textes. Nous inspirant de plusieurs recherches, nous proposons ici des pistes pour l’enseignement de cette composante du processus d’écriture. Après avoir défini ce sous-processus et déterminé les grandes orientations pour son enseignement[1], nous présenterons des stratégies de révision-correction de texte.
La révision-correction, un sous-processus du processus d’écriture
Selon les différents modèles théoriques de la production écrite (Paradis, 2012), le processus d’écriture est un processus itératif davantage que séquentiel, et dont le sous-processus de révision-correction (désormais R-C) est une composante[2]. La R-C n’est donc pas l’« étape » qui se situerait après la mise en texte seulement. Elle peut être engagée à différents moments de la production textuelle : en cours d’écriture; à la fin du premier jet; après une pause; après l’évaluation formative par un pair ou par l’enseignant[3]. À l’instar de Blain (1996), il nous semble nécessaire, d’un point de vue didactique, de distinguer la révision du texte de sa correction pour mettre en lumière les différences entre les activités que doivent mener les scripteurs et, conséquemment, entre les stratégies qui doivent leur être enseignées pour qu’ils puissent mener la R-C à bien. Au cours de la révision, le scripteur doit relire son texte pour diagnostiquer l’état de ce dernier en comparant le texte réel (celui qui est écrit) avec le texte projeté (qu’il veut écrire ou qu’il pense avoir écrit) et le texte demandé (la consigne) pour détecter les problèmes : erreurs, dysfonctionnements, faiblesses. Quant à l’activité de correction, elle consiste à faire les modifications nécessaires pour rendre le texte conforme aux normes de l’écrit. En effet, lorsqu’il déclenche le sous-processus de R-C, le scripteur vise à se rapprocher des normes linguistiques, discursives, textuelles ou génériques de l’écrit (Boré, 2004). L’élève[4], lui, en plus de cela, doit vérifier s’il a bien exécuté la tâche explicitée dans une consigne.
Se distancier de son texte : une nécessité pour le scripteur
Des chercheurs ont constaté que la révision est plus difficile que la correction (Bisaillon, 1991). Qui dit révision, dit distanciation, car il est impossible de bien réviser son texte si on n’instaure pas une distanciation avec ce dernier. Trois facteurs la rendent possible : le temps, l’intervention d’un tiers, la compréhension de la tâche (les 3 T).
Selon plusieurs chercheurs (Boré, 2004; Rousey et Piolat, 2005), le temps alloué à la R-C dans le processus d’écriture en situation scolaire est généralement beaucoup trop court. Laisser s’écouler du temps entre la mise en texte et la R-C pour diminuer l’interférence entre le texte réel, le texte projeté et le texte demandé diminue la charge cognitive nécessaire à la mise en œuvre du sous-processus de R-C. Laisser 15 minutes après la mise en texte pour réviser et corriger un texte de 200 mots est tout à fait insuffisant et peu efficace, même au secondaire. Ainsi, l’enseignement de la R-C impliquera un nouveau rapport au temps nécessaire à la production d’un texte de qualité.
L’intervention d’un tiers est aussi un facteur qui permet la distanciation. Tout scripteur devrait être encouragé à demander à un pair une rétroaction qui peut être générale ou au contraire porter sur un aspect du texte correspondant à une erreur récurrente repérée et consignée dans une grille diagnostic[5]. L’évaluation formative de l’enseignant, qui consiste à offrir une rétroaction orale ou écrite opérationnelle sur les problèmes détectés et leurs solutions, constitue une aide directe à la R-C, essentielle pour les scripteurs plus jeunes. Enfin, une tâche d’écriture bien comprise – grâce, entre autres, à une consigne claire et à l’établissement, si possible avec les élèves, d’une grille d’évaluation du texte à produire contenant des critères pondérés en fonction de la tâche – permet au scripteur de se distancier de son texte, ce dernier étant vu comme un produit répondant à une commande extérieure.
L’enseignement de la révision-correction de texte
Que ce soit dans le cadre de l’enseignement à un groupe d’élèves ou du soutien à un élève présentant des difficultés, l’enseignant doit varier les modalités et les exigences de la R-C selon le contexte. Voici quelques pistes pour orienter son travail sur cet aspect de l’écriture.
Pour pouvoir détecter ses faiblesses, errements ou erreurs compte tenu des exigences de la consigne (ou du projet d’écriture), l’élève doit adopter une posture de lecture évaluative, c’est-à-dire une façon de lire pour débusquer les problèmes. Il s’agit d’une posture bien différente de celle prise pour comprendre ou apprécier un texte. Pour les élèves ayant de faibles capacités en lecture, cela représente un grand défi, car la lecture évaluative exige encore plus de ressources cognitives que la lecture courante. En conséquence, ils auront moins de ressources disponibles pour la détection d’erreurs. Les élèves les plus faibles seront défavorisés, ils auront donc besoin d’encore plus de soutien.
L’enseignement de la lecture évaluative peut se faire par modelage à partir de textes d’élève d’un genre bien connu et dont la production a fait l’objet d’une planification collective. L’enseignant lit le texte à voix haute et modèle la tâche de lecture évaluative, en mettant en application les stratégies de détection, par exemple celles que nous présentons plus loin.
L’enseignant doit aussi amener l’élève à mettre en œuvre des stratégies d’autorégulation du sous-processus (Roussey et Piolat, 2005) en fixant des buts à sa relecture évaluative :
- vérifier l’adéquation du texte à la tâche formulée dans la consigne (d’où l’importance que celle-ci soit formulée par écrit);
- revoir, dans tout le texte, la posture énonciative : la manière dont l’énonciateur se présente dans son texte – texte en je, en nous, en on –, la cohérence nominale (les reprises) et la cohérence verbale temporelle (le temps dominant ou temps pivot)[6];
- analyser le plan du texte : ses parties, les articulations entre ses parties et le choix des organisateurs textuels;
- vérifier l’information ou en chercher de la nouvelle;
- consulter des ouvrages de référence (grammaire, dictionnaire de langue) ou des outils d’aide à l’écriture (correcteurs informatisés) dans un but précis : sens précis d’un mot, recherche d’un synonyme, règle de ponctuation[7]…
Des stratégies de révision pour l’apprenti scripteur[8]
Pour que les élèves puissent développer leur compétence à réviser et à corriger leurs textes, on devrait enseigner diverses stratégies, ce qui veut dire 1) présenter la stratégie et son utilité, 2) montrer comment s’en servir, 3) la faire expérimenter pendant un certain temps sous contrôle. Voici les stratégies de révision les plus importantes.
- Se fixer des objectifs précis de révision pour chaque item de la grille d’évaluation en privilégiant une révision fine de quelques aspects plutôt que de tous les aspects du texte, en fonction de la tâche, des aptitudes et des erreurs ou maladresses relevées dans d’autres textes et consignées dans une grille diagnostic.
- Suivre systématiquement la même procédure de révision des différentes dimensions d’un texte et le même ordre, allant de celles qui ont un impact plus global sur le texte à celles qui ont une portée plus locale : commencer par l’adéquation à la situation de communication, puis examiner le contenu (sa clarté et sa pertinence), le point de vue énonciatif, la structuration du texte (plan et division du texte), la cohérence verbale temporelle, et enfin, détecter les erreurs touchant des aspects formels de la langue dans l’ordre suivant : vocabulaire, syntaxe, ponctuation, conjugaison et orthographe. En effet, à quoi sert de corriger l’orthographe si le texte doit être réécrit parce qu’il n’est pas adapté à la situation de communication, que son contenu est déficient, ou encore, qu’il présente des dysfonctionnements sur les plans de l’énonciation, de la structure, de la cohérence ou de la syntaxe?
- Pour la détection des erreurs de langue, marquer son texte en suivant toujours la même routine (flèches, couleurs, points d’interrogation, etc.) pour réussir à l’automatiser. Afin de faciliter la révision-correction, on peut exiger des élèves qu’ils écrivent leur texte à double interligne (ce qui permet une lecture critique et une correction plus aisées) et sur des feuilles avec de larges marges pour diverses annotations.
Des stratégies de correction
Une fois les erreurs ou maladresses détectées et marquées sur le texte, vient le temps de la correction.
- Pour les aspects linguistiques, indiquer les corrections dans l’interligne.
- Après la correction et la mise en page du texte, le relire, paragraphe par paragraphe, en commençant par celui de la fin, pour déjouer la tendance du scripteur à dialoguer avec le texte. Ainsi l’attention pourra-t-elle davantage porter sur les formes fautives.
Écrire, c’est réécrire, dit-on
On peut donner trois sens différents au mot réécriture. Il peut être compris comme 1) un retour sur le texte dans le but d’améliorer différents segments; 2) une réécriture du texte visant à changer un des paramètres de la tâche, par exemple la posture énonciative; 3) une réappropriation de ce qui a déjà été écrit (toute production écrite comportant une dimension intertextuelle ou interdiscursive). Lorsqu’on travaille la R-C, c’est principalement de la première acception de la réécriture qu’il s’agit.
Soulignons enfin que cette conception du processus d’écriture et du sous-processus de R-C entre en contradiction avec les représentations de la plupart des enseignants, des élèves et des étudiants, qui ont une conception plus linéaire du processus d’écriture, une conception plus restreinte aussi de la R-C (pour beaucoup, elle consiste à corriger les erreurs de langue du brouillon), et qui sous-estiment le poids cognitif de ce sous-processus (Chartrand et Lord, 2013). En effet, les enseignants auront souvent tendance à mettre sur le compte de l’étourderie ou d’une relecture trop rapide, ou même bâclée, les erreurs de langue du texte final. Cette façon de voir la R-C a aussi des implications sur la manière d’évaluer les textes des élèves. Plusieurs enseignants pensent qu’ils doivent tout corriger lorsqu’ils évaluent un texte. Or, on peut évaluer quelques aspects seulement, puis faire retravailler le texte et l’évaluer sur de nouveaux aspects.
Bref, au cours de leur scolarité, les élèves devraient se faire dire et redire qu’écrire, c’est réécrire et que la correction de texte, c’est leur affaire, pas d’abord et principalement celle du « prof ». La tâche de ce dernier est de leur montrer comment faire pour se corriger efficacement et d’évaluer leurs textes, pas de les réviser et de les corriger à leur place. Cette précision n’est pas aussi banale qu’elle le parait. En effet, si les enseignants du primaire, du secondaire, voire du collégial, prenaient le temps d’enseigner la R-C, ils gagneraient beaucoup de temps en corrigeant moins et cela leur permettrait peut-être d’exiger davantage de tâches d’écriture. De plus, les élèves feraient de réels progrès, car c’est en forgeant…
- Il va de soi que les interventions seront différentes du primaire au collégial, mais les orientations restent les mêmes, selon nous. [Retour]
- Ce que nous appelons révision-correction est nommé révision, correction, édition, mise au point ou réécriture par différents chercheurs. [Retour]
- Dans les centres d’aide en français ou les cliniques d’orthopédagogie, le tuteur prend le relai de l’enseignant. Dans ce texte, le mot enseignant désigne toute personne responsable de la formation en milieu scolaire. [Retour]
- Désormais, nous emploierons le terme élève pour désigner tout apprenant en contexte éducatif du primaire au collégial. [Retour]
- Pour une grille qui sert à la fois d’outil de diagnostic et d’outil de révision-correction, voir Grille de compilation des maladresses et erreurs II, sur le Portail pour l’enseignement du français : www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca. [Retour]
- Pour les élèves du primaire et du début du secondaire, ces éléments devront faire l’objet d’un enseignement explicite, entre autres au moment de l’enseignement de la lecture. [Retour]
- Inutile de demander aux élèves de consulter un ouvrage de référence si on ne s’assure pas qu’ils savent comment faire. L’enseigner une fois dans l’année ne suffit pas, cela devrait être fait plusieurs fois par année sous forme de résolution de problèmes, tout au long de la scolarité obligatoire. [Retour]
- Depuis plus de 20 ans, on sait que la saisie des textes à l’ordinateur facilite grandement le processus de R-C (Bisaillon, 1991); aussi, lorsque c’est possible, l’enseignant devrait-il la favoriser. [Retour]
RÉFÉRENCES
BISAILLON, J. (1991). « Les stratégies de révision comme objet d’enseignement », Enjeux, n° 22, p. 39-54.
BLAIN, R. (1996). « Apprendre à orthographier par la révision de ses textes », dans CHARTRAND, S.-G. (dir.), Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Les Éditions Logiques, p. 341-358.
BORÉ, C. (2004). « Contributions des brouillons à la connaissance de l’écriture scolaire »,
Le Français aujourd’hui, n° 144, p. 42-51.
CHARTRAND, S.-G. et M.-A. LORD (2013, à paraitre). « L’enseignement de l’écriture et de la grammaire au secondaire québécois : résultats de la recherche ÉLE », Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol. 15, n° 1.
PARADIS, H. (2012). Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures pour l’obtention du grade de M. A. en didactique, Université Laval. [En ligne],
réf. du 15 novembre 2012, http://archimede.bibl.ulaval.ca/archimede/ meta/29157.
ROUSSEY, J.-Y. et A. PIOLAT (2005). « La révision du texte : une activité de contrôle et de réflexion », Psychologie française, vol. 50, n° 3, p. 351-372.
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