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Comment les activités de grammaire menées en vase clos pourraient-elles développer les compétences scripturales?

Comment les activités de grammaire menées en vase clos pourraient-elles développer les compétences scripturales?

De tout temps, on a justifié l’enseignement de la grammaire par son impact sur la maitrise de la langue, écrite surtout. Ce credo est quotidiennement mis à rude épreuve et éloquemment contredit par les résultats aux examens nationaux d’écriture de cinquième secondaire depuis 25 ans[1]. Devant ce constat affligeant, autant les responsables du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) que les enseignants répliqueront que c’est parce que « les élèves ne transfèrent pas leurs connaissances grammaticales lorsqu’ils écrivent ». Ce seraient donc les élèves, les coupables! Et si l’on s’interrogeait plutôt sur le statut de l’enseignement grammatical en classe, sur ses liens avec la lecture et l’écriture, sur la qualité des exercices de grammaire — qui occupent encore beaucoup de temps au secondaire —, sur l’impact des dictées sur les compétences orthographiques des élèves et, enfin, sur l’enseignement de la révision-correction de textes?

Dans ce premier de deux articles, nous verrons à partir de résultats de la recherche ÉLEF (État des lieux de l’enseignement du français[2]) qu’aujourd’hui encore, l’enseignement de la grammaire et l’enseignement de l’écriture de textes sont fortement cloisonnés. Aussi l’impact du premier sur le second est-il plus que douteux. Dans le prochain article, nous remettrons en question cette vision simpliste du non-transfert par les élèves qui tient lieu d’explication et présenterons des pistes pour l’enseignement de la révision-correction de textes issues de recherches (pour une synthèse récente, voir Paradis, 2012). Dans des activités de révision- correction, le travail grammatical prendrait non seulement tout son sens pour les élèves, mais pourrait sensiblement améliorer la qualité de leurs écrits (Bisaillon, 1992) et de leur rapport à l’écrit.

Portrait de l’enseignement du français au secondaire

Les résultats de la recherche ÉLEF, qui visait, notamment, à comparer les représentations et les pratiques déclarées des enseignants de français et des élèves d’aujourd’hui avec celles de l’enquête du Conseil de la langue française (CLF) en 1984-1985, montrent que, globalement, on enseigne le français à peu près comme il y a 25 ans[3]. L’enseignement de la grammaire, principalement de l’orthographe grammaticale (orthographe liée aux accords), domine. Cet enseignement est encore fortement traditionnel, malgré des changements majeurs dans la terminologie et un accent mis sur l’étude de la syntaxe. Il est essentiellement magistral, étant constitué davantage d’assertions qui transmettent des informations que d’explications qui viseraient la compréhension du phénomène grammatical à l’étude. Il est aussi répétitif : il n’épouse aucune réelle progression de la fin du primaire à la fin du secondaire; ainsi, on revient sur les mêmes notions durant tout le secondaire. Enfin, il est fragmentaire, puisque les notions abordées ne sont pas mises en relation avec d’autres travaillées auparavant, ce qui a pour conséquence d’occulter le fait que la langue est un système.

Il faut toutefois souligner qu’une minorité d’enseignants a des pratiques différentes. Certains recourent, par exemple, à des activités stimulant la réflexion et la discussion des élèves autour de problèmes de grammaire, comme la « dictée 0 faute[4] » ou la « phrase dictée du jour ». D’autres animent le travail de révision-correction de textes en petites équipes disposant de consignes, de procédures et de grilles de correction précises. Dans tous ces cas, les élèves doivent verbaliser leur raisonnement grammatical et justifier oralement leur analyse d’un fait de langue.

L’enseignement grammatical chronophage

Selon les résultats de la recherche ÉLEF (enquête sur un échantillon représentatif de l’ensemble des enseignants de français du Québec en 2008), on passe nettement plus de temps à faire des dictées et autres exercices d’orthographe qu’à écrire des textes ou à les réviser et corriger. En effet, l’écriture occupe la quatrième place (sur cinq) pour la fréquence des activités en classe, selon les répondants au questionnaire ÉLEF. Dans les séquences filmées de cinq à sept cours donnés par des enseignants chevronnés, les activités d’écriture arrivent après celles de lecture et de grammaire, à peine avant la dictée. Au cours de ces activités au deuxième cycle du secondaire, les enseignants font des interventions didactiques à propos de tous les volets du processus d’écriture, mais c’est la planification qui se taille la part du lion (61 % des interventions); les interventions à propos de la révision-correction de textes viennent très loin derrière (10 %). Or, l’enseignement de la grammaire aura peu d’impact sur les compétences langagières s’il est cloisonné et si les pratiques de l’écriture de textes en classe ne sont pas des moments où l’on convoque systématiquement et explicitement les savoirs grammaticaux en gestation ou prétendument acquis. Lorsqu’ils font écrire des textes, peu d’enseignants mettent en place des activités où les élèves apprendraient comment les réviser et les corriger.

L’élève est laissé à lui-même pour la révision-correction de textes

Les interventions des enseignants sont peu nombreuses au cours du processus de révision- correction[5]. Les plus fréquentes consistent d’abord en des commentaires formulés individuellement sur des faits de langue (9 % des occurrences dans l’ensemble des séquences), puis en l’incitation à consulter des ouvrages de référence sur la langue, prin- cipalement des dictionnaires de langue et de conjugaison. Diverses manières de réviser et de corriger sont aussi proposées à neuf reprises (4 % des interventions) : corriger son texte au fur et à mesure, par étapes ou au moment de la mise au propre. Les conseils, voire les consignes d’un intervenant étant contredites par celles d’un autre, il ne semble pas y avoir consensus dans le corps enseignant sur une façon éprouvée de réviser et de corriger un texte.

D’ailleurs, les termes sont interchangeables : on dira tout aussi bien à un élève « révise ton texte » que « corrige ton texte ». Or, quelle est la différence entre les deux? Quand réviser, quand corriger? Quels aspects et dans quel ordre? Est-ce plus efficace et formateur de procéder seul ou en petites équipes? Quels outils sont utiles pour mener ces tâches? Autant de questions auxquelles des recherches apportent des réponses éclairantes, comme nous le verrons dans le prochain article.

Dans les séquences de cours analysées par l’équipe de recherche ÉLEF, on n’observe pas d’enseignement de stratégies de révision-correction – par exemple, une consigne incitant l’élève à effectuer une lecture différée de son texte pour la détection; le marquage du texte; la détection progressive des erreurs selon une séquence prédéfinie; des procédures de correction comme une démarche progressive ou la justification de la correction. Ces stratégies seront décrites dans le prochain article.

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Le cloisonnement entre les activités d’apprentissage de la grammaire et celles d’écriture de textes ne peut favoriser le fameux transfert des savoirs développés dans un contexte différent de celui où ils doivent être utilisés. On accuse les élèves de ne pas transférer, mais est-ce raison- nable de le leur demander sans leur en fournir les moyens? En d’autres termes, est-on certain que le problème est bien posé? Nous ne le croyons pas et tenterons dans un prochain article de déboulonner ce fantasme du transfert afin de montrer qu’il est possible d’enseigner la révision-correction de textes pour les améliorer; nous souhaitons montrer que faire cela, c’est aussi faire de la grammaire.

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  1. Depuis 25 ans, la moyenne nationale en syntaxe et en orthographe grammaticale est sous la barre des 60 %. [Retour]
  2. La recherche ÉLEF a été dirigée par l’auteure du présent article et a bénéficié de la collaboration du Conseil supérieur de la langue française et d’une subvention du CRSH de 2008 à 2011. [Retour]
  3. Pour plus d’information sur la recherche ÉLEF, consulter les articles sur le Portail pour l’enseignement du français : www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca et CHARTRAND, S.-G., et M.-A. LORD (2010). « État des lieux de l’enseignement grammatical au secondaire. Premiers résultats de l’enquête
    ÉLEF », Québec français, n° 156, p. 66-67. [Retour]
  4. WILKINSON, K., et M. NADEAU (2010). « La dictée 0 faute : une dictée pour apprendre », Québec français, n° 156, p. 71-73. [Retour]
  5. Il s’agit d’un même processus, mais qui se déroule en deux temps: d’abord la révision, qui est la détection des erreurs et maladresses texte, puis leur correction. [Retour]

RÉFÉRENCES

BISAILLON, J. (1992). « La révision de textes : un processus à enseigner pour l’amélioration des productions écrites », Revue canadienne des langues vivantes, vol. 48, n° 2, p. 276-291.

CHARTRAND, S.-G. (dir.). Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Les Éditions Logiques, p. 341-358.

PARADIS, H. (2012). Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures pour l’obtention du grade de M. A. en didactique, Université Laval. Bientôt en ligne.

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