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Qui corrige apprend. Quelles leçons peut-on tirer des erreurs en français écrit? (seconde partie)

La première partie de cet article est parue dans le numéro précédent du bulletin Correspondance (vol. 21, no 2, janvier 2016).
François Lépine a travaillé de 1985 à 2015 dans le domaine de l’enseignement de la communication écrite à l’Université Laval, d’abord à l’École de langues de la Faculté des lettres et des sciences humaines, puis, à compter de 2002, à la Faculté des sciences de l’éducation, où il a coordonné, à partir de 2008, le Centre de développement des compétences langagières. Il s’intéresse particulièrement à l’analyse des erreurs dans les productions écrites et a donné pendant plusieurs années des cours de correction de textes d’élèves dans les programmes de formation à l’enseignement secondaire.

Nous poursuivons le compte rendu partiel de l’expérience du cours de didactique du français Étude pratique de la correction (EPC) donné pendant plusieurs années à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval dans le cadre du baccalauréat en enseignement secondaire, voie français, langue première. Dans la première partie, nous avons présenté les objectifs et la démarche pédagogique de ce cours portant sur l’analyse des erreurs et des divers dysfonctionnements dans les copies d’élèves du secondaire et du postsecondaire. Nous nous y sommes arrêté en particulier sur les problèmes d’ordre orthographique et avons exposé quelques caractéristiques des erreurs de syntaxe, de ponctuation et de vocabulaire.

Dans cette seconde partie, nous décrirons d’abord la manière dont ont été traitées plus spécifiquement les erreurs de syntaxe dans le cours EPC et montrerons ensuite, à partir de la correction détaillée d’un conte écrit par un élève de 3e secondaire, quelques particularités des erreurs de ponctuation, de vocabulaire et de cohérence textuelle. Auparavant, il conviendrait de préciser l’orientation du cours EPC comme élément de la formation des futurs enseignants et futures enseignantes en ce qui touche la correction des copies d’élèves. Axée sur le développement de la capacité de détection et d’analyse des erreurs, donc sur les compétences préalables – surtout linguistiques – à l’acte de correction, la démarche qui sous-tendait le cours EPC est étroitement liée aux deux premières des « trois opérations du processus de révision selon Scardamalia et Bereiter (1983) adaptées à la correction d’une production écrite, effectuée par l’enseignant », que Julie Roberge expose dans son excellent ouvrage sur la correction des textes d’élèves[1]. Il s’agit, en effet, de « Comparer » (« l’enseignant lit le texte de l’élève, compare avec ce qui était attendu et repère une erreur ou un bon coup » sur le plan de la langue, de la structure ou du contenu), puis de « Diagnostiquer » (« l’enseignant diagnostique la nature de l’erreur et établit les causes possibles »). La troisième opération, « Opérer » (sic), renvoie à l’action qu’effectue l’enseignant, à savoir l’écriture d’un commentaire[2].

Le travail sur les erreurs de syntaxe

L’analyse des erreurs de syntaxe, comme nous l’avons signalé dans l’article précédent, est plus exigeante que celle des erreurs d’orthographe. Le travail, dans notre expérience, portait d’abord sur le développement de la capacité de détection des erreurs, puis sur leur description en termes linguistiques, ce qui menait à la correction, accompagnée d’une justification.

Pour beaucoup des étudiants et étudiantes qui suivaient le cours EPC, la notion même d’« erreur de syntaxe » était une découverte, si bien que, même si la consigne d’un exercice précisait « toutes les phrases qui suivent contiennent une erreur de syntaxe » (toute autre erreur éventuelle présente dans ces phrases ayant été corrigée par moi au préalable), certains s’obstinaient à y trouver des « erreurs » d’un autre ordre, ce qui montrait que la conceptualisation des grandes catégories linguistiques n’était pas terminée. Il s’agissait donc de guider les étudiants, de phrase en phrase, dans un exercice de « scrutation syntaxique ».

Certains problèmes étaient faciles à détecter et à analyser; par exemple :

Il faut remédier ce grave problème rapidement.

Omission de la préposition à liée au verbe remédier : on remédie à un problème, complément indirect du verbe (CI).

L’écrit est indissociable aux moyens audio-oraux de communication.

Erreur sur le choix de la préposition liée à l’adjectif indissociable : une chose est indissociable d’une autre.

Tout ce dont j’ai pu apercevoir, ce sont des policiers et un ambulancier.

Erreur sur le choix du pronom relatif. Dont est soit CI, soit complément du nom; ici, le verbe apercevoir requiert un complément direct (CD), donc : Tout ce que j’ai pu apercevoir

On peut décider de ne pas pratiquer aucune religion.

Erreur relative à la construction de la phrase négative. Celle-ci doit inclure deux termes négatifs corrélatifs : l’adverbe ne et un autre mot négatif. Or, on a ici le ne suivi de pas et d’aucune, ce qui est redondant. Il faut supprimer l’un des deux mots. Deux corrections sont possibles : de ne pratiquer aucune religion, de ne pas pratiquer de religion.

Une aide financière de l’État aux familles inciterait surement les couples.

Omission d’un CI obligatoire : inciterait les couples à avoir des enfants.

Peu à peu, toutefois, les choses se corsaient. Ainsi, dans la phrase Le problème de la consommation de drogues chez les jeunes fait surgir d’autres, les étudiants constataient l’omission du pronom personnel en, mais ils auraient eu du mal à expliquer à l’auteur de cette phrase la construction correcte – en apparence si « évidente » – « en fait surgir d’autres »! L’analyse de l’erreur impliquait la reconnaissance de certains traits syntaxiques : le fonctionnement du pronom en combiné à un autre terme, le lien sémantique et grammatical entre en… d’autres et le verbe surgir (le pronom joue ici le rôle d’agent auprès du verbe à l’infinitif, alors qu’il en est habituellement le CD) et la construction causative faire + infinitif. En isolant et en clarifiant chacun de ces éléments tout en s’appuyant sur le sens de l’énoncé, il est possible de reconstruire la phrase étape par étape, à peu près comme suit : d’autres problèmes ont surgi -> ce problème a fait surgir d’autres problèmes -> ce problème en a fait surgir d’autres.

Parmi les problèmes de syntaxe sur lesquels je souhaitais attirer l’attention des étudiants, en raison de leur fréquence, figuraient notamment ceux-ci :

  • L’articulation défectueuse du gérondif ou du groupe participe présent (GPart) par rapport à la phrase : Je crois que mes compositions ou mes rapports pourront profiter de cette démarche en augmentant la clarté et la précision.
  • L’articulation défectueuse du groupe verbal infinitif (GVinf) par rapport à la phrase : Tout enfant a besoin d’avoir ses deux parents afin de lui apporter la sécurité affective.
  • Le fait de lier un même « complément » (à la fois direct, indirect ou autre) à deux verbes (ou locutions verbales) de régimes différents : L’étude montrait que la qualité du travail des personnes handicapées était équivalente ou surpassait celle des autres employés.
  • L’erreur de construction dans la comparaison : Les Noirs américains sont deux à trois fois plus de chômeurs que chez les Blancs.

L’étude approfondie d’erreurs comme les précédentes démontrait aux étudiants la différence entre un savoir intuitif, en grande partie inconscient, relativement à une multitude de phénomènes syntaxiques, et un savoir explicite, c’est-à-dire une véritable capacité d’analyse s’appuyant sur des connaissances linguistiques.

Le travail s’étalait sur trois ou quatre semaines et était souvent, dois-je en convenir, ardu. Pour atteindre à un niveau raisonnable de compétence relativement à la détection, à l’analyse et à la correction d’erreurs de syntaxe, il me semblait que les étudiants devaient être exposés à de nombreux cas différents ainsi qu’à plusieurs occurrences des erreurs fréquentes. Cela tenait parfois de la séance d’entrainement (grammatical) et faisait suer (les méninges) en conséquence… À la différence des erreurs d’orthographe grammaticale les plus fréquentes – qui renvoient à des oppositions simples touchant le genre, le nombre, la personne –, l’analyse d’un segment suspect sur le plan syntaxique implique que soit mobilisé un ensemble considérable d’outils conceptuels, c’est-à-dire une représentation claire, solide et opératoire de la phrase (constituants obligatoires et facultatifs, formes et types de phrases, fonctions syntaxiques, subordination, coordination, etc.), du fonctionnement interne des groupes (pour pouvoir expliquer, par exemple, les erreurs touchant les compléments du verbe) de même que des catégories grammaticales (nom, pronom, déterminant, préposition, etc.). Et encore, on peut être habile à reconnaitre et à décomposer les différentes constructions syntaxiques étudiées dans les cours de grammaire ou de linguistique, mais savoir expliquer à un élève en quoi la phrase qu’il a écrite s’écarte, sur le plan structurel, de la forme attendue, c’est une autre paire de manches! Évidemment, aucun enseignant de français n’est tenu de tout savoir « sur le bout de ses doigts » en matière de syntaxe (ou de tout autre domaine de la langue), d’où l’importance accordée dans le cours EPC à la recherche dans des ouvrages de référence (Le petit Robert, Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Grammaire méthodique du français, etc.), la Banque de dépannage linguistique, Le français tout compris : Guide d’autocorrection du français écrit, Antidote, etc., pour justifier la correction d’une erreur.

La correction d’un texte complet

À la fin du cours EPC, les étudiants devaient, en équipes de trois, analyser un texte complet « sous toutes les coutures », c’est-à-dire y relever les erreurs ou dysfonctionnements de tous ordres, les décrire, les expliquer et les corriger, effectuer par ailleurs l’évaluation globale des forces et des faiblesses de l’auteur et proposer une démarche de remédiation (apprentissages prioritaires). Le travail sur un texte complet est indispensable pour observer nombre de questions  d’ordre linguistique ou textuel : reprise de l’information (anaphores), emploi des temps verbaux dans la narration, pertinence et organisation de l’information, articulation du discours, division en paragraphes, répétition (justifiée) d’un mot, etc. C’est l’un de ces textes (un conte écrit par un élève de 3e secondaire) qui est reproduit à la figure 1A. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux erreurs de syntaxe, de ponctuation, de vocabulaire ou de cohérence textuelle qui font l’objet d’un bref commentaire (et non d’une analyse détaillée, par manque d’espace), reporté à la figure 1B. Les erreurs d’orthographe lexicale ou grammaticale, non commentées, sont soulignées.

L’exercice de correction globale et explicite d’un texte d’élève est des plus formateurs et je ne peux qu’inciter les enseignants à se réunir périodiquement autour d’une copie (ou plus, si le temps le permet) pour l’examiner à fond, et surtout, pour confronter leurs positions respectives en matière de correction et de qualités textuelles.

Il ne faut pas voir dans ce qui suit une « correction modèle ». Il s’agit plutôt du résultat de l’examen aussi détaillé que possible des composantes linguistiques et textuelles d’une production écrite scolaire, l’aboutissement d’un exercice visant à développer les habiletés de futurs enseignants de français en matière de correction. On taxera probablement certaines interventions de purisme, de sévérité excessive, ou l’on attribuera à une trop grande tolérance, voire à l’ignorance, le fait que telle ou telle maladresse n’ait pas été relevée. En matière d’orthographe lexicale ou grammaticale, il n’y a guère de place à l’hésitation, il y a ou non écart par rapport à une règle ou à une norme consignée dans une grammaire ou un dictionnaire. Mais il en va souvent autrement en ce qui regarde la syntaxe, le vocabulaire et la ponctuation. Dans leur pratique, le correcteur ou la correctrice doivent donc faire preuve de prudence. Devant un emploi lexical ou syntaxique qui leur apparait suspect, ils n’ont pas toujours le temps de vérifier dans un ouvrage de référence ou ne savent peut-être pas où trouver l’information requise pour déterminer s’il y a une erreur ou non. Ainsi, les dictionnaires de cooccurrences ne peuvent dresser la liste complète des combinaisons lexicales possibles et l’on n’a pas toujours le loisir d’effectuer une recherche avancée sur Google pour vérifier si telle combinaison nom + verbe ou verbe + complément est fréquente, et employée par des scripteurs compétents[3].

Cliquez (un clic) sur les images ci-dessous pour les agrandir.

figure 1A

Figure 1A
Conte écrit par un élève de 3e secondaire
Les erreurs numérotées dans le texte sont commentées à la figure 1B.
fig2-lepine
Figure 1B
Commentaires relatifs aux erreurs relevées dans le texte d’élève (voir figure 1A)

Au terme de l’examen linguistique de la copie, il est possible de formuler quelques remarques générales sur les problèmes observés concernant la syntaxe, la ponctuation, le vocabulaire et la cohérence textuelle.

Sur le plan syntaxique, les erreurs relevées sont « classiques » et ne doivent pas faire perdre de vue la variété des structures employées par l’élève. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que des apprentissages restent à faire, notamment en ce qui regarde la phrase subordonnée relative (1), la répétition des prépositions (4), la construction de la comparaison (19, 28), l’emploi des auxiliaires (23), etc.

En matière de ponctuation, l’erreur dominante a consisté à omettre une ou deux virgules d’insertion (ou doubles) encadrant un CP (7, 18, 20), un complément du nom en apposition (8, 26), ou placées après la conjonction donc (6, 16).

Sans surprise, les lacunes de l’élève dans le domaine lexical concernent l’impossibilité de combiner certains mots compte tenu de leurs traits sémantiques respectifs (aller à son passe-temps, la maison pour ainés, chorégraphie de danse, la maison avait déménagé), le manque de précision (copie géante des Chipmunks), une confusion paronymique (amener/emmener) et l’influence de la langue orale familière (chez les vieux, les Chipmunks brisèrent).

Les problèmes liés à la cohérence textuelle mettent à l’épreuve la « collaboration » du correcteur comme lecteur. Ainsi, concernant les erreurs 12 et 35, admet-il qu’il a inféré correctement l’antécédent du pronom personnel (leur, les) ou estime-t-il qu’il y a une confusion possible à cet égard? Enfin, la chute du conte est plutôt abrupte et devrait être retravaillée.

Les lecteurs de Correspondance ne manqueront pas de le voir : l’exercice de correction explicite d’une copie d’élève dans le cadre de notre cours est très exigeant, puisqu’il oblige les membres de chaque équipe à évaluer ensemble toutes les composantes du texte ainsi qu’à poser un diagnostic consensuel et étayé sur chacune des erreurs ou chacun des dysfonctionnements qu’ils ont pu relever. Inversement, c’est aussi l’occasion de se pencher à nouveau sur les « qualités attendues », celles que l’on souhaite que les élèves et les étudiants visent lors de la production de tout texte, donc de préciser les compétences scripturales que l’on veut développer chez eux.

* * *

Nous espérons avoir montré que « qui corrige apprend », que chaque copie à corriger, en raison des problèmes qu’on y détecte, est, à des degrés variables et sous des formes différentes, une occasion pour le correcteur d’approfondir sa connaissance de la langue de même que sa compréhension des difficultés que doivent maitriser les élèves et les étudiants dans la production de textes.

Les informations recueillies grâce à l’analyse des erreurs et des dysfonctionnements observés dans les textes produits en contexte scolaire devraient par ailleurs être prises en considération lors de l’élaboration des dispositifs didactiques et des outils pédagogiques visant le développement des compétences scripturales.

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  1. ROBERGE, Julie (2006). Corriger les textes de vos élèves. Précisions et stratégies, Montréal, Chenelière Éducation, p. 4. [Retour]
  2. J’en profite pour rappeler que, dans son ouvrage, J. Roberge s’est intéressée à de nombreux autres aspects de la correction des copies et pour souligner qu’elle y décrit avec pertinence, précision et efficacité les interventions liées à l’action « Opérer » : annotation, commentaire, utilisation des grilles de correction, correction selon diverses modalités, etc. [Retour]
  3. J’ai constaté plus d’une fois qu’un correcteur avait considéré comme une erreur de vocabulaire une combinaison lexicale ne figurant pas dans Antidote, mais dont on trouvait pourtant des milliers d’occurrences en ligne, dans des sites universitaires ou journalistiques on ne peut plus recommandables. [Retour]

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