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La discussion littéraire intégrée au tutorat en français écrit

J’ai été titulaire du cours Relation d’aide appliquée en français écrit à de nombreuses reprises dans les dernières années, et ce, dans une formule classique : les futures personnes tutrices de L’Apostrophe, le centre d’aide en français (CAF) du cégep Garneau, sont initiées aux méthodes pédagogiques et aux stratégies propres à la didactique du français écrit, puis elles transfèrent ces apprentissages dans la conception et la prise en charge de séances de tutorat axées sur les besoins de leur élève qui est, dans bien des cas, à haut risque d’échec dans son cours de français. Toutefois, les acquis pourtant observés par les tutrices et tuteurs pendant les séances semblent souvent perdus à la fin de la session de tutorat. Le raisonnement grammatical parait limité. Le transfert des connaissances grammaticales ne s’effectue pas de manière satisfaisante dans la rédaction de phrases et de courts textes. Même si l’une des stratégies consiste, à la fin de chaque séance, à demander au tutoré ou à la tutorée de rédiger des phrases où il ou elle applique sa méthode d’autocorrection (le raisonnement grammatical orienté selon les faiblesses), tout semble à reconstruire à la séance suivante. Puis, à la dernière séance de la session, quand le tutoré ou la tutorée doit écrire un texte final de 200 mots sur un sujet précis, les idées manquent. La méthode d’autocorrection devient trouble. La proportion finale du nombre d’erreurs stagne ou diminue légèrement. De plus, le contenu des rédactions finales est peu pertinent; les étudiantes et étudiants aidés peinent à atteindre les 200 mots exigés. Devant un tel constat, comment créer un contexte favorisant la rédaction d’idées dans des phrases claires, structurées et révisées avec justesse, tout en évitant la surcharge cognitive des étudiantes et étudiants? J’ai voulu rendre les personnes tutorées autonomes à la fois dans l’application d’une méthode d’autocorrection et dans l’écriture de phrases signifiantes. Pour ce faire, j’ai intégré l’approche pédagogique de l’enseignement de la lecture littéraire au collégial (ELLAC) à la formation des pairs aidants, qui l’appliquent ensuite dans toutes leurs séances de tutorat.

Lire et écrire : interactions et inégalités

L’articulation de l’écriture à la lecture n’est plus à démontrer. La définition de la littératie que propose le Réseau québécois de recherche et de transfert en littératie le montre bien : la littératie est la « capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes » (Lacelle et autres, 2016). Comprendre et communiquer vont donc de pair pour s’inscrire dans sa société. Pourtant, la communication de l’information, notamment à l’écrit, n’est pas si simple. Selon les recherches récentes en didactique du français, l’écriture, loin de n’être qu’un canal pour exprimer ses idées, joue un rôle déterminant dans l’apprentissage en ce sens qu’elle est « un instrument de l’élaboration de la pensée » (Blaser, Lampron et Simard-Dupuis, 2015) et qu’elle permet la connaissance et la construction de savoirs. Toutefois, pour explorer des idées et construire des savoirs, une personne doit posséder un minimum de vocabulaire et avoir accès à des concepts et à des schémas mentaux déjà emmagasinés dans sa mémoire à long terme (Kirby, 2007). En effet, la compréhension des idées abstraites augmente lorsque la mémoire de travail, ou mémoire à court terme, est consacrée aux unités des niveaux supérieurs. Par exemple, un mot comme romantisme, qui demande une compréhension de haut niveau, évoque plusieurs idées chez un lecteur ou une lectrice détenant des connaissances préalables pertinentes. Quand il ou elle le voit dans un texte, sa mémoire de travail est alors consacrée à retenir les phrases, à les jumeler et à comprendre le sens global du texte. À l’inverse, la mémoire de travail d’un lecteur ou d’une lectrice faible (ayant un vocabulaire et des connaissances générales limités) est occupée à retenir le sens du mot, à agencer les mots de la phrase et à retenir la signification de cette phrase, ce qui l’empêche d’accéder à un haut niveau de compréhension. Pour que le sens d’un texte s’éclaircisse au fur et à mesure de la lecture, ce qu’on appelle la fluidité de lecture (Dubé, Bessette et Ouellet, 2016), le traitement de l’information doit d’abord s’effectuer de bas en haut : des mots aux phrases, des phrases aux idées, le lecteur ou la lectrice en vient à saisir le propos et à comprendre le sens des phrases dans leur contexte.

Schéma représentant les niveaux de traitement en compréhension de lecture selon Kirby (2007), avec une flèche vers le haut pour le traitement ascendant et une flèche vers le bas pour le traitement descendant. La liste des éléments à traiter pendant la lecture se trouve entre les deux flèches, répartie en cinq niveaux, de bas en haut : 1. mots, 2. phrases, 3. idées secondaires, 4. idées principales, 5. propos.
Figure 1

Les niveaux de traitement en compréhension en lecture [traduction libre] (Kirby, 2007)

On s’explique alors facilement que la mémoire de travail des lecteurs et lectrices faibles (ce que sont souvent les personnes tutorées des CAF), occupée par les plus bas niveaux de traitement, ne peut traiter les idées et le propos aisément. Quand vient le temps de communiquer à l’écrit leur analyse ou leur interprétation d’un texte, comme c’est le cas dans les cours de français au collégial, ces personnes atteignent rapidement une surcharge cognitive, car l’élaboration et l’enchainement d’idées ainsi que la révision linguistique s’ajoutent à la tâche de compréhension de lecture. Il m’apparait alors pertinent d’inclure dans les séances de tutorat une période dédiée à la lecture et à ses stratégies élémentaires, non pas pour engorger davantage la mémoire de travail, mais pour ajouter des informations à la mémoire à long terme, pour favoriser l’intégration de concepts abstraits dans cette partie de la mémoire qui est essentielle aux études supérieures. En liant l’écriture à la lecture, j’espère augmenter le niveau de littératie des tutorées et tutorés ainsi que le sentiment d’utilité du tutorat. Ayant déjà intégré certaines stratégies de lecture inspirées de l’approche ELLAC dans mes classes de la formation générale et du baccalauréat international, j’ai décidé d’en importer quelques-unes dans les séances de tutorat.

La discussion littéraire en tutorat par les pairs

À L’Apostrophe du cégep Garneau, une session de tutorat est constituée de 8 séances de 75 minutes, échelonnées de la cinquième à la treizième semaine de chaque trimestre. L’enseignement-apprentissage de la lecture a été intégré à toutes ces séances. Je présente d’abord ici la manière dont cette intégration prend forme au fil des semaines.

La banque de textes

Pour commencer, j’ai dû monter une banque d’extraits de textes et de textes complets dont le niveau de difficulté varie. Cette banque se compose de poèmes complets et d’extraits de romans. En tout, une dizaine de textes se trouvent dans la banque, que j’enrichis constamment avec les suggestions des tutrices et tuteurs, libres d’intégrer d’autres extraits, à condition que ceux-ci soient approuvés par la professeure.

Les stratégies de lecture inspirées de la méthode ELLAC

Ma méthode repose sur trois stratégies de lecture : les questions d’orientation de la lecture, l’annotation et la discussion. Les questions d’orientation sont divisées en trois niveaux :

  1. la compréhension littérale du texte (les mots difficiles, le résumé des évènements, le portrait des personnages ou des lieux);
  2. la compréhension des idées du texte (les thèmes principaux et secondaires, les idées et le propos);
  3. la prise de position par rapport à une idée du texte.

Je me suis inspirée des trois compétences de la séquence des cours de littérature pour bâtir ces niveaux de questions. Rapidement, je me suis aperçue que la très grande majorité des personnes tutorées doivent consolider le premier niveau. Les questions développées par les tutrices et tuteurs portent donc presque exclusivement sur le sens des mots, le résumé de l’intrigue et le portrait.

L’annotation, la deuxième stratégie, consiste d’abord à obliger la personne tutorée à lire en suivant chaque ligne avec un crayon afin de garder son attention sur le texte. Elle écrit les réponses aux questions d’orientation, les souligne et inscrit dans les marges la définition des mots inconnus. Elle peut aussi noter ses impressions de lecture. L’annotation est une stratégie qui rend la lecture active et qui augmente la rétention de l’information lue. Comme l’attention des lecteurs et lectrices plus faibles est réputée moindre, cette stratégie est un réflexe à développer et à conserver tout au long des études supérieures. La troisième stratégie, la discussion, sera décrite un peu plus loin.

Le modelage lors de la première séance

Les tuteurs et tutrices de ma classe consacrent leur première séance à faire connaissance avec leur tutoré ou leur tutorée, à observer ses réflexes de révision et d’autocorrection ainsi qu’à présenter un modelage de la lecture annotée et guidée par des questions d’orientation. À partir d’une nouvelle que j’ai préalablement travaillée en classe de tutorat, « Étalement urbain » de Nicolas Tremblay, les tuteurs et tutrices posent trois questions d’orientation, par exemple :

  1. Relève les mots inconnus et indique leur définition dans la marge;
  2. Fais le portrait du lieu où habitent les personnages;
  3. Relève trois thèmes abordés par cette nouvelle.

L’étudiant ou l’étudiante lit d’abord le texte à voix haute, puis c’est au tour du tuteur ou de la tutrice de faire la même chose. Le sens du texte s’imprègne peu à peu dans la mémoire du tutoré ou de la tutorée et l’annotation se fait de part et d’autre puisque le tuteur ou la tutrice doit, pendant et après la lecture, raisonner à voix haute pour montrer à son élève ce qui se passe dans sa tête pendant qu’il ou elle lit et annote. Le modelage peut faire l’effet d’une douche froide chez la personne tutorée, qui perçoit son manque de compétence. Souvent, à la lecture peu fluide de l’étudiant ou de l’étudiante se greffe une faible estime de soi qui agit comme un frein à la compréhension. Pour atténuer ce phénomène, les pairs aidants doivent soutenir le modelage par un discours d’encouragement. La personne tutorée doit comprendre qu’en s’exerçant à lire à voix haute et dans sa tête, à annoter et à réfléchir au texte avec son tuteur ou sa tutrice, elle augmentera ses compétences en lecture dans tous ses cours.

La rétroaction et la discussion littéraire à partir de la deuxième séance

À la fin de chaque séance, le tutoré ou la tutorée reçoit un devoir de lecture. On lui demande alors de répondre aux questions d’orientation préalablement inscrites sur sa copie et d’annoter le texte choisi par la tutrice ou le tuteur. À la séance suivante, lorsque l’étudiant ou l’étudiante revient avec sa copie annotée (ou non) et les notes prises (ou non), le tuteur ou la tutrice sort aussi sa propre copie annotée. Une comparaison des annotations est faite, et le tuteur ou la tutrice répond aux questions de compréhension, s’il y en a. Des impressions de lecture peuvent être échangées à brule-pourpoint. L’objectif de cette rétroaction sommaire est de valider le travail fait en devoir et d’encourager la lecture annotée de manière à inculquer une méthode par l’application de stratégies répétitives. Commence ensuite la discussion littéraire préparée en amont par le tuteur ou la tutrice. La discussion repose sur les réponses aux questions d’orientation du tutoré ou de la tutorée, enrichies par celles du tuteur ou de la tutrice, qui nuance en ajoutant des thèmes et des idées. En tout, la part consacrée à la discussion littéraire dans une séance de 75 minutes représente tout au plus 10 minutes. Si la personne se présente à sa séance de tutorat sans avoir lu ou annoté le texte, je conseille au tuteur ou à la tutrice de lui demander de le lire à voix haute et de l’annoter au fur et à mesure. Le but demeure toujours de ne pas accabler le tutoré ou la tutorée, mais de lui donner le maximum de soutien pendant la séance de tutorat.

La rédaction de phrases abstraites

Chaque séance de tutorat est construite autour d’un ou deux objectifs liés au code linguistique. Il s’agit du cœur de la séance; on y consacre environ 50 minutes. Après cette partie, en guise de synthèse, toutes les séances ordinaires se concluent par des exercices de création de phrases suivies. Ces phrases doivent obligatoirement porter sur les thèmes et les idées abordés pendant la discussion littéraire. Un schéma ou une banque de thèmes ou d’idées peuvent être affichés sur un carton (préparé avant la séance par le tuteur ou la tutrice) pour aider à la rédaction d’un court texte. Cette portion couvrant les 10 à 15 dernières minutes de la séance est cruciale. La personne tutorée doit arriver à rédiger des phrases complexes à partir d’une question globale que le tuteur ou la tutrice aura pris soin de préparer. Le tutorat vise en effet à développer la capacité de puiser dans une banque de concepts, de réactiver des notions lues et de rédiger des phrases d’un haut niveau d’abstraction, tout en appliquant les automatismes nécessaires à un raisonnement grammatical juste et efficace. L’exercice de rédaction peut prendre la forme d’un journal de lecture, d’un compte rendu de lecture ou de toute autre forme faisant appel aux idées abordées dans l’extrait lu. Après avoir révisé son texte, l’étudiant ou l’étudiante le soumet immédiatement au tuteur ou à la tutrice, qui effectue une rétroaction orale en pointant les erreurs de langue. Ainsi, semaine après semaine, le tutorat intégrant l’apprentissage de la lecture permet à l’étudiant ou à l’étudiante d’enrichir son vocabulaire, ses connaissances générales et les concepts qui alimentent sa pensée abstraite et sa mémoire à long terme. En rehaussant le niveau de littératie, le tutorat peut alors espérer atteindre une meilleure adéquation aux savoirs enseignés au collégial.

La séance finale : la lecture, la rédaction et la révision

La dernière séance, quant à elle, est entièrement consacrée à la rédaction d’un texte de 200 à 300 mots à partir d’une courte lecture littéraire. Les stratégies de lecture, de rédaction, de révision et de correction doivent être appliquées de manière judicieuse et efficace. Les tuteurs et tutrices s’en assurent en observant attentivement leurs étudiants ou étudiantes en action et en notant leurs observations dans une grille. Tous les ouvrages de référence peuvent être consultés lors de la rédaction finale. La préparation de cette dernière séance sera décrite plus en détail dans la prochaine section.

La préparation et l’encadrement des tuteurs et tutrices

Avant de lancer cette méthode appliquée au tutorat par les pairs, j’ai dû m’assurer de travailler avec des tutrices et tuteurs habiles en lecture. Avant l’automne 2023, dans la classe du cours Relation d’aide, j’ai animé des cercles de lecture et élaboré des tests de compréhension et d’analyse pour constater, après deux trimestres, que les étudiantes et étudiants sélectionnés pour le tutorat en français écrit possèdent de bonnes ou très bonnes capacités langagières. À l’hiver 2023, j’ai proposé à la classe d’intégrer la méthode d’enseignement-apprentissage de la lecture dans les séances de tutorat sur une base volontaire. J’ai dû ajuster l’encadrement des tuteurs et tutrices qui employaient la méthode. Puis, à l’automne 2023 et à l’hiver 2024, j’ai décidé de structurer toutes les séances de tutorat autour de cette méthode en la rendant obligatoire.

Pour favoriser l’aisance des tuteurs et tutrices ainsi que leur sentiment de compétence, je les initie d’abord à la méthode en leur proposant deux textes à lire dès la première semaine de cours. En classe, au cours 1b[1], je commence par un poème accompagné d’une série de questions sur la forme, le contenu et le code linguistique. En sous-groupes, puis en plénière, la discussion porte sur le sens littéral et le sens figuré, sur les différents procédés et thèmes, sur les types de phrases et sur la ponctuation. Nous terminons l’analyse en distinguant le propos du poème et en le résumant. En devoir, les tuteurs et tutrices doivent lire un autre poème et répondre à trois questions d’orientation. Cette fois, je leur demande d’annoter le texte et je leur explique la nécessité d’activer plusieurs zones du cerveau pour favoriser la rétention de l’information lors de la lecture. Au cours 2a, nous revenons sur ce devoir grâce à un bref test de lecture et à une discussion sur les réponses aux questions d’orientation. Puis, au cours suivant, je soumets un devoir de lecture sur un extrait de roman autobiographique. Ce devoir sera effectué et évalué avec minutie, puisqu’il servira à animer la discussion littéraire de leur deuxième séance de tutorat[2]. Il a donc pour but de donner un modèle de préparation de discussion littéraire aux tuteurs et tutrices.

Le but est de préparer l’animation de la discussion littéraire de la deuxième séance de tutorat.

Lisez d’abord l’extrait de La détresse et l’enchantement à la page 37 de votre recueil de notes.

Annotez le texte une première fois pour en relever les faits importants.

Puis, répondez à chacune des questions avec le plus de justesse possible.

  1. Annotez le texte dans le but de dégager trois thèmes, deux idées et le propos.
  2. Énoncez trois questions et leur réponse à partir des faits du texte.
  3. Énoncez deux idées et le propos du texte.
  4. Énoncez deux questions possibles pour amener une prise de position. Pour chacune des questions, énoncez une réponse possible. Chaque réponse doit être appuyée d’une preuve tirée du texte.
Figure 2
Consigne du devoir « Préparation de la discussion littéraire sur La détresse et l’enchantement de Gabrielle Roy »

Ce devoir me permet de cibler les tuteurs et tutrices qui distinguent difficilement les idées et les faits d’un texte littéraire. Je commente tous les devoirs remis, je fournis des pistes de solution aux réponses qui ne conviennent pas ou qui présentent une analyse moins riche. Je m’assure, en outre, de présenter une rétroaction très précise en classe. Au cours 3b, je donne un autre devoir qui porte sur la nouvelle « Étalement urbain », qui servira, comme mentionné plus tôt, à la première séance de tutorat. De la même façon que dans le devoir sur La détresse et l’enchantement, les tuteurs et tutrices doivent repérer les écueils de lecture et distinguer les faits et les idées du texte. Des questions d’approfondissement sont transmises au cours 4a. Elles ne serviront pas au modelage de la première séance, mais elles augmenteront le sentiment de compétence des tutrices et tuteurs :

  1. Montrez comment le portrait des banlieusards peut être lié au lieu où ils habitent. Faites d’abord le portrait en résumant très brièvement deux caractéristiques des banlieusards, puis faites le lien demandé.
  2. Énoncez en une phrase graphique le résumé de la nouvelle. Les deux mots du titre de la nouvelle doivent se trouver dans le résumé.
  3. Énoncez en une phrase graphique un propos possible de la nouvelle de Tremblay.

Pendant la session de tutorat, j’évalue toutes les préparations aux discussions littéraires, et ce, chaque semaine. Les tuteurs et tutrices pigent des extraits dans la banque selon les centres d’intérêt et les capacités de lecture de leur étudiant ou de leur étudiante. Hebdomadairement, je corrige, en plus de la leçon grammaticale, l’annotation de chaque extrait choisi, les questions d’orientation et les réponses possibles à chacune d’elles. Comme les discussions littéraires des deux premières séances ont été préparées et corrigées dans le cadre du cours, il n’en reste que six à évaluer.

Au cours 10a, alors que nous en sommes à la sixième semaine de tutorat, il est temps de prévoir la dernière séance en préparant le devoir de lecture qui servira à la rédaction finale. En classe, je présente deux extraits de romans très différents : une page de Lièvre d’Amérique de Mireille Gagné, tirée d’un chapitre sans ponctuation, et un extrait de L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante. La lecture des deux extraits est faite en classe, puis l’un des deux est choisi par chaque tuteur ou tutrice, toujours en fonction des capacités langagières de la personne tutorée. Des questions d’orientation sont préparées en classe par les tuteurs et tutrices, qui travaillent en sous-groupe selon le texte choisi pour leur étudiant ou leur étudiante. La consigne de rédaction est également traitée en classe et adaptée à chaque personne tutorée. Elle comprend la question de rédaction, le nombre de mots demandés et le temps alloué au retour sur le devoir de lecture (pour répondre aux questions et ajuster la compréhension, au besoin), à la rédaction et à la révision.

Les premiers effets de la démarche

Il serait prématuré d’affirmer que je constate une amélioration de la proportion du nombre de fautes après deux sessions d’application de la méthode, d’autant que plusieurs facteurs entrent en jeu dans l’analyse de la progression d’un groupe de tutorées et tutorés qui, en soi, est composé de personnes aux profils très hétéroclites. Je peux tout de même voir une légère amélioration de la moyenne de la proportion d’erreurs par nombre de mots au fur et à mesure que je peaufine et améliore la méthode. À l’automne 2023, la méthode était implantée, mais exigeait encore certains ajustements. La proportion a alors augmenté de 5,9 (la moyenne d’une faute tous les 9,7 mots en septembre est passée à une faute tous les 15,6 mots en novembre). À l’hiver 2024, moment où j’ai appliqué systématiquement la méthode à toutes les séances, la proportion a augmenté de 6,7 (la moyenne d’une faute tous les 6,9 mots en janvier est passée à une faute tous les 13,6 mots en avril).

Notre CAF ne fait pas de sondage pour recueillir les commentaires et les suggestions des pairs aidants ou des personnes tutorées. En classe, cependant, dans un journal de bord et une table ronde, les tutrices et tuteurs sont amenés à réfléchir à tous les éléments du cours. À propos de la discussion littéraire, certaines personnes affirment qu’elle leur demande beaucoup de temps de préparation, mais la majorité se sent mieux outillée pour ses études et plus à l’aise pour comprendre le sens global d’un texte. Les tutrices et tuteurs ont le sentiment d’accomplir une tâche pertinente. Elles et ils confirment que cette portion du tutorat aide leur étudiant ou leur étudiante à mieux concevoir l’arrimage entre les cours de littérature, qui requièrent de comprendre des textes, de les analyser et de rédiger des textes complexes, et leurs séances de tutorat. Une tutrice, lors d’une table ronde, a résumé ainsi ce que l’expérience de la discussion littéraire lui a appris :

Mon élève avait beaucoup de difficulté à comprendre un texte. Quand venait le moment d’écrire sur le texte lu en devoir, à chaque fois qu’il ne comprenait pas le texte, ça paraissait, mais tout de suite! Les fautes doublaient. Surtout les fautes de syntaxe et de ponctuation. Quand je lui demandais d’expliquer ce qu’il voulait écrire pour qu’on corrige ses phrases, il n’était pas capable. Je pense que quand les idées ne sont pas claires, c’est presque impossible de bien écrire. Comment écrire ce qu’on ne comprend pas?

L’expérience et l’observation auront amené cette tutrice à constater, à l’instar de la recherche sur la littératie, les liens étroits qui unissent lecture et écriture. Son témoignage et celui de plusieurs de ses pairs m’encouragent à poursuivre l’intégration de cette approche à la formation au tutorat.

L’étude de textes et l’écriture de phrases abstraites m’apparaissent des tâches essentielles à intégrer dans le tutorat en français écrit. Développer la lecture littéraire dans une formule intimiste comme le tutorat offre l’occasion de donner un sentiment de compétence à l’égard de la langue et fait prendre conscience, autant aux personnes tutrices que tutorées, de la nécessité d’exercer son cerveau à lire et à écrire des textes d’un haut niveau d’abstraction. Lire et écrire des textes pour mieux se situer dans le monde, telle est la voie que je tente d’ouvrir aux étudiants et étudiantes qui fréquentent L’Apostrophe du cégep Garneau.

Références

DUBÉ, France, Lyne BESSETTE et Chantal OUELLET (2016). « Développer la fluidité et la compréhension en lecture afin de prévenir les difficultés », La Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation, n76, p. 27-44. Également disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-la-nouvelle-revue-de-l-adaptation-et-de-la-scolarisation-2016-4-page-27.htm&wt.src=pdf.

BLASER, Christiane, Roselyne LAMPRON et Erika SIMARD-DUPUIS (2015). « Le rapport à l’écrit : un outil au service de la formation des futurs enseignants », [En ligne], Lettrure, no 3, p. 51-63. [https://www.ablf.be/images/stories/ablfdocs/_Lettrure3_51.pdf] (Consulté le 5 aout 2024).

ELLAC (2022). ELLAC – Enseigner la lecture littéraire au collégial, [En ligne]. [https://www.ellac.ca/] (Consulté le 5 aout 2024).

LACELLE, Nathalie, et autres. (2016). « Définition de la littératie », [En ligne], Réseau québécois de recherche et de transfert en littératie. [https://www.ctreq.qc.ca/projets/reseau-quebecois-sur-la-litteratie/] (Consulté le 15 avril 2024).

KIRBY, John R. (2007). « Reading Comprehension: Its Nature and Development », [En ligne], Encyclopedia of Language and Literacy Development, Canadian Language and Literacy Research Network. [https://www.researchgate.net/publication/242598620_Reading_Comprehension_Its_Nature_and_Development] (Consulté le 20 mai 2024).

  1. Le cours Relation d’aide est divisé en deux séances de quatre heures chaque semaine. Le cours 1b correspond donc à la deuxième séance de cours de la première semaine de la session. [Retour]
  2. Comme le tutorat à L’Apostrophe commence à la cinquième semaine de la session, les cinq premières semaines du cours Relation d’aide appliquée en français sont précieuses et bien remplies. [Retour]

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