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Intercaf 2024: une incursion dans la tête des étudiantes et étudiants

L’Intercaf 2024 s’est tenu au collège de Maisonneuve le 31 mai dernier. Pour cette 35édition, près de 65 responsables de centres d’aide en français (CAF) au sein du réseau collégial ont assisté aux présentations et participé avec plaisir aux échanges au programme ce jour-là. Cette année, le thème Quand la psyché freine l’apprentissage de la langue invitait à réfléchir entre autres à des notions comme la confiance en soi, le rapport à la langue, la motivation et l’intérêt des étudiantes et étudiants qui éprouvent des difficultés en français. L’évènement a également été l’occasion de mettre en valeur des projets et initiatives du cégep hôte.

La journée a débuté par le chaleureux message d’accueil de Cathie Dugas, directrice du CCDMD, qui a pris le temps de remercier les précieux acteurs et précieuses actrices de la communauté éducative, dont le comité organisateur de la journée : Hélène Lévesque (CCDMD), Marie-Pierre Krück et Maude Laparé (collège de Maisonneuve). Nathalie Lacombe, directrice adjointe à la Direction des études du collège de Maisonneuve, a ensuite pris la parole pour présenter brièvement son établissement et le programme de la journée, donnant le ton à une série de conférences et d’activités enrichissantes.

Conférence d’Isabelle Cabot : Pourquoi ils ou elles ne fréquentent pas les CAF? La suite

Isabelle Cabot, qui détient un doctorat en psychopédagogie de l’Université de Montréal et enseigne la psychologie au collégial depuis 2004, a ouvert l’évènement en revenant sur les conclusions de son étude PAREA, dont la phase préliminaire avait été présentée à l’Intercaf de 2019. Son étude, menée de 2018 à 2020, visait à comprendre pourquoi les étudiantes et étudiants faibles en français ne fréquentent pas les centres d’aide et à trouver des pistes de solution basées sur leurs perceptions. L’utilisation des perceptions motivationnelles à l’égard des CAF constitue une approche novatrice dans le domaine de l’éducation.

La chercheuse est d’abord revenue, avec humour et naturel, sur le déroulement, les objectifs et certains résultats de son étude. Sa première phase, dirigée en collaboration avec Stéphanie Facchin, portait spécifiquement sur les raisons de la fréquentation ou de la non-fréquentation des CAF. Près de 1 000 cégépiennes et cégépiens ont alors rempli des questionnaires, et un peu plus d’une douzaine de ces personnes ont été interviewées par la suite. Les résultats de cette phase, publiés dans la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, mettent en lumière les besoins et les suggestions de la communauté étudiante en ce qui a trait aux CAF.

La deuxième phase de l’étude, qui s’est déroulée à l’automne 2019, avait pour but d’identifier les perceptions d’étudiants et d’étudiantes envers le CAF et de déterminer si le choix d’une aide en présence ou à distance répondait bien à leurs besoins. Or, la recherche a dû être revue en fonction de trois difficultés qui sont apparues : peu de personnes optaient pour l’aide à distance, ce qui ne permettait pas de former un groupe significatif pour l’analyse; la cochercheuse de Cabot a dû quitter le projet; enfin, il y a eu la pandémie. Cabot se trouvait alors face à une impasse : même si elle avait des données longitudinales pour 650 étudiantes et étudiants, elle ne pouvait pas analyser l’impact de l’aide à distance ou en présence sur la motivation, la persévérance et la performance en français.

Après avoir lu quelques articles qui remettaient en question la pertinence des CAF, la chercheuse a décidé d’aborder l’efficacité des centres d’aide en utilisant les données recueillies lors de la seconde année du projet. Elle a d’abord tenté de comparer le résultat final au cours de français des personnes qui fréquentent le CAF et celui de personnes qui ne le font pas. Cette méthodologie s’est cependant avérée inadéquate, car les utilisateurs et utilisatrices, généralement plus faibles en français que la moyenne des étudiantes et étudiants, ont obtenu des notes plus basses. Elle a donc resserré son analyse en comparant seulement les personnes qui ont eu besoin d’aide durant la session, sans plus de succès. Après quelques essais méthodologiques infructueux, elle a trouvé la solution au cours d’une conversation avec une scientifique : elle a utilisé la méthode de l’appariement cas-témoins, qui permet de créer des paires de personnes utilisatrices et non utilisatrices des CAF ayant un profil semblable, déterminé en fonction de plusieurs prédicteurs du résultat final au cours de français. Elle a ainsi pu comparer les résultats des étudiantes et étudiants en fonction des mêmes prédicteurs, dont le plus significatif semble être le résultat à la première évaluation du cours de français. Il en est ressorti que les personnes ayant manifesté un intérêt pour le CAF dès le début de l’étude ont obtenu de meilleurs résultats. Elle en conclut qu’on peut jouer sur la perception du caractère agréable de la fréquentation du CAF et qu’il y a là une prise possible pour inciter ceux et celles qui en ont besoin à s’y inscrire. Elle a ensuite analysé la perception d’utilité des étudiantes et étudiants, qu’elle définit comme le rapport entre ce qui est fait au CAF et les objectifs que la personne cherche à atteindre. Le résultat est que les étudiantes et étudiants trouvent moins utile d’aller au CAF après l’avoir fréquenté : il y a donc un gros potentiel de développement pour les CAF, car on peut travailler sur cette variable et accroitre la motivation.

Après avoir répondu à quelques questions de l’assistance à propos de sa méthodologie, notamment sur la distinction entre les notes pour la langue et le contenu ainsi que sur l’influence du premier cours sur les perceptions des étudiantes et étudiants, Cabot a conclu en proposant deux solutions pour mettre en action les résultats de sa recherche :

  1. Un centre d’aide qui tente d’aider plus de gens devrait stimuler la perception d’intérêt;
  2. Un centre d’aide qui tente de maintenir l’engagement de ses utilisateurs et utilisatrices devrait stimuler la perception d’utilité.

La chercheuse a également pris en compte les pistes suggérées par les étudiantes et étudiants lors de la première année de l’étude, dont la réduction de la charge de travail qu’implique la fréquentation du CAF et la participation des usagers et usagères aux décisions concernant les activités qui y sont proposées.

En résumé, selon Cabot, l’utilisation des perceptions motivationnelles dans les CAF, en particulier en ce qui concerne l’intérêt et l’utilité, offre des perspectives prometteuses pour améliorer l’efficacité de ces centres, renforcer l’engagement des étudiantes et étudiants et encourager leur réussite en français.

Cette conférence a été suivie d’un remue-méninge collectif, où les responsables de CAF ont réfléchi à des moyens concrets d’appliquer les résultats de la recherche de Cabot dans leur établissement. Des projets déjà en place et de nouvelles idées ont été évoqués. L’assistance a notamment proposé les avenues suivantes :

  • Organisation d’une journée thématique en vue d’un évènement précis (rédaction finale, épreuve uniforme de français, etc.) dans une ambiance agréable pour créer des perceptions positives et mettre en évidence le sentiment d’utilité;
  • Mise sur pied de midis-correction disciplinaires, que les enseignantes et enseignants peuvent intégrer à leur plan d’action des programmes pour la valorisation de la langue (une solution gagnante pour tout le monde!);
  • Organisation de semaines thématiques liées aux programmes (par exemple, à partir de l’exploitation des lexiques spécialisés développés par l’Office québécois de la langue française) ou encore de compétitions entre les programmes (participation conjointe de la population étudiante et du corps professoral);
  • Rédaction de textes authentiques au CAF (rédactions liées aux programmes d’études);
  • Dictées non anxiogènes ouvertes à toute la communauté collégiale;
  • Activités pour développer la compétence orale;
  • Offre aux autres disciplines de prévoir au plan de cours des activités au CAF (visite de pairs aidants en classe, aide à la correction d’un travail, etc.);
  • Service d’autocorrection (après la rédaction, pour récupérer les points perdus);
  • Aide à la correction sur rendez-vous (offerte par les tuteurs étudiants et les tutrices étudiantes);
  • Centre d’autocorrection dans le local de classe après une évaluation;
  • Rédaction de textes au CAF pour s’approprier un genre particulier (ex. : atelier d’écriture pour le bilan réflexif de stage).

Bref, la visite de Cabot s’est terminée sur une note créative et inspirante, favorisant ainsi l’échange d’idées.

Isabelle Cabot a présenté les résultats de ses recherches avec humour et naturel.

Conférence d’Héloïse Masse : La motivation : clé de la réussite du cours Renforcement en français

Héloïse Masse, enseignante de français au collège de Maisonneuve, a ensuite pris la parole pour faire partager son expérience dans l’enseignement du français, plus particulièrement son récent projet pédagogique pour stimuler la motivation des personnes inscrites au cours Renforcement en français. Au moyen d’une nouvelle formule de cours explorant les stratégies coopératives et métacognitives, elle a cherché à susciter l’engagement des étudiantes et étudiants et à leur redonner confiance en leurs capacités.

Masse a d’abord raconté son parcours, évoquant les difficultés qu’elle a elle-même rencontrées en français. Cette expérience l’a conduite à devenir une excellente enseignante du cours Renforcement en français, car elle avait connu les mêmes obstacles que ses étudiantes et étudiants. En constatant leur manque de motivation en français, remontant souvent au primaire, et leur maigre taux de réussite, elle a choisi de se consacrer à cette population faible, désorganisée et peu motivée. Son projet en renforcement en français est aussi né d’une autre découverte marquante, c’est-à-dire le cours de monitorat, où elle a observé un niveau élevé de motivation parmi les étudiantes et étudiants forts. Cela a amené l’enseignante à repenser sa pédagogie pour mettre l’accent sur l’aide par les pairs et les enseignements horizontaux, où les étudiantes et étudiants s’enseignent mutuellement.

Dans le cadre de son projet pédagogique, Masse souhaitait développer, dans le cours Renforcement en français, les compétences en lecture, en écriture et en coopération de ses étudiantes et étudiants, tout en stimulant leur motivation par le travail collaboratif. Sa formule de cours, basée entre autres sur la création littéraire et le travail d’équipe, misait sur le plaisir de lire et d’écrire. Elle a renoncé aux exercices traditionnels et a fait peu de leçons de grammaire, demandant plutôt à ses groupes de se procurer une grammaire, qu’ils ont été invités à utiliser régulièrement en classe. Elle a d’ailleurs changé le nom du cours pour celui d’Atelier de français, un cours où vous serez les professeurs.

Les premières semaines du cours étaient axées sur la motivation par le travail collaboratif, grâce à la formation d’équipes et à des ateliers de lecture et de rédaction en groupe. Cependant, des difficultés ont émergé, notamment des abandons et des absences fréquentes, ce qui a conduit à des ajustements dans l’organisation du cours. Au fil des semaines, le cours a évolué pour stimuler l’investissement émotif des étudiantes et étudiants, qui étaient invités à imaginer la suite des récits lus et à mettre par écrit leurs rêves de vie. La perception de compétence a été renforcée par des activités de rédaction individuelle et de révision en équipe. Enfin, la session s’est conclue par une phase suscitant la motivation par la compétence de création, grâce à la réalisation d’un recueil de récits par les groupes. Ce projet leur a permis de mettre en pratique les compétences acquises et de s’approprier leur processus d’apprentissage de manière créative et autonome. Masse a l’intention de poursuivre le développement de cette formule de cours au fil des prochaines sessions.

Le projet pédagogique d’Héloïse Masse a suscité beaucoup d’intérêt chez les personnes présentes.

Témoignage et prestation artistique de David Goudreault

Le témoignage poignant de David Goudreault, poète et romancier québécois bien connu, est venu clore la série de conférences. À travers son récit personnel, il a souligné l’importance de l’accompagnement dans le parcours scolaire et le pouvoir transformateur de la relation professeur-élève. Il a raconté ses expériences marquantes et rendu hommage aux personnes qui ont façonné son cheminement, notamment son orthophoniste et certaines de ses enseignantes.

Il a mis en lumière le rôle essentiel de la lecture et de la littérature dans le développement personnel, plaidant pour une valorisation de la langue et de la créativité. Son engagement en faveur de la promotion de la littérature québécoise et de l’éducation témoigne de sa passion et de son dévouement envers les jeunes générations. Il a aussi proposé une improvisation poétique inspirée des mots fournis par l’assistance, en plus de lire quelques-uns de ses poèmes.

David Goudreault a fait vivre toute une gamme d’émotions à l’assistance.

Présentation des projets « hors les murs » du CAF de Maisonneuve

Au collège de Maisonneuve, l’entraide et le soutien entre pairs sont des valeurs fortes qui se manifestent à travers plusieurs initiatives[1]. Trois étudiantes et un étudiant ont décrit différents programmes : Éliane Lévesque et Shelli Shatalov ont présenté SOS Français, les brigades volantes et les midis-dictées, alors que Florence Yelle et Jules Côté ont présenté les Brigades Maisonneuve.

SOS Français, un service d’aide à la révision sans rendez-vous par et pour les étudiantes et étudiants, a été instauré en 2019. Il a permis d’aider un grand nombre de personnes, avec 89 réviseurs et réviseuses soutenant environ 1 600 étudiantes et étudiants par session. Plus de 6 500 erreurs linguistiques ont ainsi pu être évitées chaque année! Pour garantir un accompagnement de qualité, des locaux sont réservés pour les séances de révision durant les pauses communes à toute la population étudiante les mardis et jeudis midis, avec la possibilité de se rencontrer par Teams à d’autres moments, selon les disponibilités des tuteurs et tutrices.

Les brigades volantes sont aussi une composante importante de l’aide apportée à la communauté étudiante. Les tuteurs et tutrices des brigades interviennent directement dans les classes pour aider leurs pairs à corriger leurs travaux et à améliorer leurs compétences en rédaction. Les midis-dictées constituent une autre initiative mise sur pied pour répondre à la demande croissante d’aide en français. Ils sont proposés aux personnes sur la liste d’attente de L’Accord, le centre d’aide en français du collège, offrant alors une solution de rechange aux étudiantes et étudiants en quête de soutien. Outre ces services, des tuteurs et tutrices travaillent également à la révision du journal étudiant, contribuant ainsi à la vie de l’établissement.

Toutes ces initiatives reposent sur l’engagement de bénévoles qui ont suivi le cours Formation des monitrices et moniteurs en français. La promotion de ces services se fait à travers différents moyens, notamment par des affiches et grâce à la collaboration du personnel enseignant. L’expérience au sein de SOS Français est souvent décrite comme gratifiante, tant pour les bénéficiaires que pour les volontaires qui y participent.

Par ailleurs, les Brigades Maisonneuve à Chomedey représentent une extension de cet esprit d’entraide, cette fois envers les élèves du secondaire. Situé dans une école d’un quartier défavorisé, ce centre d’aide vise à soutenir les élèves du 2e cycle du secondaire, non seulement en français, mais aussi dans plusieurs autres matières. Depuis son ouverture à l’hiver 2023, il a déjà permis à 19 tuteurs et tutrices du collège d’apporter leur aide à 32 élèves de l’école secondaire lors de 27 séances en groupe. Ce projet novateur se distingue par sa capacité à intervenir sur place dans l’école et à valoriser la persévérance des élèves. Enfin, un lien significatif existe entre les différentes activités, comme en témoigne la contribution de l’équipe de SOS Français à la correction des copies lors de la simulation de l’épreuve unique de français de 5e secondaire. Cela démontre la cohérence et l’efficacité de ces initiatives.

L’engagement des pairs aidants venus présenter les différents projets auxquels ils participent a grandement impressionné les responsables de CAF qui prenaient part à l’évènement.

En conclusion, cette journée d’échanges a mis en lumière l’importance de la motivation et du soutien dans le parcours éducatif des étudiantes et étudiants. À travers des conférences inspirantes et des témoignages émouvants, les personnes participantes ont été invitées à réfléchir sur leur pratique pédagogique et à explorer de nouvelles pistes pour favoriser la réussite. Comme l’a annoncé à la toute fin de l’évènement Hélène Lévesque, chargée de projets au CCDMD et membre de l’équipe organisatrice, les responsables de CAF se donneront à nouveau rendez-vous au printemps prochain pour une nouvelle édition de l’Intercaf, cette fois au cégep de l’Outaouais.

De gauche à droite : Hélène Lévesque, chargée de projets au CCDMD; Cathie Dugas, directrice du CCDMD; Nathalie Lacombe, directrice adjointe à la Direction des études du collège de Maisonneuve; Dominique Fortier, chargée de projets au CCDMD; Marie-Pierre Krück, enseignante au Département de français du collège de Maisonneuve; Maude Laparé, enseignante au Département de français du collège de Maisonneuve.

  1. Plusieurs de ces initiatives, présentées à l’Intercaf 2024, ont été décrites plus en détail dans un article d’Héloïse Masse paru il y a quelques années dans Correspondance. [Retour]

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