2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique

Pourquoi et comment sortir l’aide du centre d’aide: trois nouvelles mesures «hors les murs»

À l’automne 2017, après avoir donné pendant une quinzaine d’années le cours de renforcement à des élèves éprouvant des difficultés en français, j’ai donné pour la première fois le cours Formation des moniteurs et monitrices en français écrit. La différence des « cultures » entre ces deux catégories d’étudiants et d’étudiantes m’a soufflée! J’étais pour la première fois en présence d’étudiantes[1] fortes qui n’hésitent pas à aller chercher de l’aide si nécessaire, ce qui contrastait avec les élèves auxquels j’avais l’habitude d’enseigner et qui rechignaient à aller au centre d’aide lorsque je le leur proposais. Pourquoi? De cette énigme est née l’idée de mener une enquête sur l’image de marque (le branding) de L’Accord, le centre d’aide en français du collège de Maisonneuve, afin de comprendre les raisons pour lesquelles les élèves éprouvant des difficultés en français sont souvent récalcitrants à venir y chercher de l’aide. L’objectif de la démarche était évidemment de réussir à les convaincre de le faire. Une approche de type « marketing » me semblait pertinente, car je voulais essentiellement sonder les sentiments et les émotions des étudiants et étudiantes (mais aussi des membres du personnel enseignant) par rapport aux services d’aide en français afin de revamper ces derniers en fonction des réponses obtenues. C’est ainsi que des équipes de monitrices et de moniteurs se sont dispersées à travers le collège pour interroger 280 répondantes et répondants issus autant de la population étudiante que du personnel enseignant. Nous tenions par ailleurs à consulter deux catégories de personnes : ceux et celles qui n’avaient jamais mis les pieds à L’Accord (perception externe), puis ceux et celles qui fréquentaient le centre ou qui y travaillaient (perception interne).

Il était assez prévisible que l’image interne du centre serait positive, comme le serait sans doute celle de tous vos centres d’aide d’ailleurs! Les répondants ont souligné la réelle amélioration de leur compétence en français, le dévouement et le professionnalisme du personnel et l’attrait du jumelage. Parmi les mots-clés représentatifs du centre d’aide, « amitié », « coopération », « entraide » et « confiance » sont ceux qui reviennent le plus souvent. En revanche, ceux et celles qui n’ont jamais fréquenté le centre en ont une image généralement négative. Ils et elles l’associent aux « cas désespérés », aux « étudiants et étudiantes en situation d’échec » et ne souhaitent surtout pas s’identifier à cette image. Ouch!

Comment expliquer un tel décalage de perception? Il est ressorti de la lecture des transcriptions que notre centre d’aide est invisible. En effet, perché au cinquième étage, près des laboratoires de physique et de biologie, peu d’étudiants et d’étudiantes savent où il se trouve. Par conséquent, seuls les élèves inscrits sont témoins de l’ambiance sympathique qui règne à L’Accord, véritable ruche bourdonnante d’entraide. De plus, contrairement aux centres d’aide disciplinaires (biologie, mathématiques, physique, etc.), L’Accord n’offre pas d’espace pour travailler seul ou en équipe, ce qui, selon les commentaires des répondants, en fait un lieu moins attrayant pour les étudiants et étudiantes. Finalement, les répondants externes déploraient surtout le fait que L’Accord n’offre que des jumelages étalés sur onze séances par session, mais pas d’aide ponctuelle pour celles et ceux qui, par exemple, n’auraient besoin que d’un coup de pouce grammatical pour venir à bout d’une règle épineuse.

Que faire pour répondre à ces besoins?

Grâce à un budget annuel d’environ 4 500 heures, L’Accord est en mesure d’aider environ 700 élèves par année. Or, le collège de Maisonneuve accueille environ 6 000 étudiantes et étudiants, ce qui représente un potentiel de 5 300 petites et grandes interrogations en français laissées sans réponses!

Le centre d’aide n’ayant pas la capacité physique ou matérielle d’aider plus d’élèves qu’il ne le fait actuellement, les résultats de notre « étude de marché » nous ont obligés à réfléchir, c’est le cas de le dire, « en dehors de la boite »! C’est donc à compter de la session d’hiver 2018 que j’ai commencé à transformer mon cours de monitorat en un outil concret pour bonifier l’offre des services d’aide en français dans le collège.

Après une session à donner le cours Formation des moniteurs et monitrices en français écrit, j’ai pu constater que je pouvais compter sur le professionnalisme et l’altruisme des étudiantes qui ont fait le choix d’un cours centré sur la relation d’aide. Chaque année, le cours forme 75 étudiantes en leur offrant une formation en grammaire, mais aussi en leur permettant d’obtenir plus de 20 heures d’expérience en relation d’aide au centre. En l’espace des 60 heures consacrées à ce cours, les monitrices et les moniteurs sont ainsi sensibilisés à la pédagogie du français, mais aussi – et c’est non négligeable – à l’empathie et à l’altruisme. De là m’est venue l’idée de faire de chaque évaluation du cours une occasion d’aider la communauté du collège en français. C’est ainsi que j’ai créé les « ateliers sur mesure », les « brigades volantes » et, pour les ex-monitrices et les ex-moniteurs qui veulent continuer d’apporter leur aide à la communauté, « SOS Français », un service ponctuel d’aide à la correction.

Les ateliers sur mesure

Lors de l’étude de marché, tous les professeurs et professeures sondés ont déploré la piètre qualité du français des travaux qui leur étaient remis. En effet, c’est comme si, pour reprendre certains propos recueillis, leurs élèves ne faisaient pas de transfert entre les connaissances acquises dans leurs cours de français (organisation du texte, progression des idées, stratégies d’autocorrection, etc.) et les productions écrites qu’ils doivent rendre dans leurs cours de concentration. Les « ateliers sur mesure », créés dans le cadre du cours de monitorat, offrent donc à ces professeurs la possibilité de confier à une équipe de monitrices et de moniteurs la charge de préparer des activités pédagogiques autour des notions de français nécessaires à la production des travaux écrits de leurs cours. 

Pour les élèves du programme Intervention en délinquance, par exemple, une équipe de moniteurs a créé des fiches d’autocorrection spécialisées incluant des notions de rédaction descriptive de lieux et de personnes (type de verbes à utiliser, ordre des idées, etc.), un lexique comprenant une centaine de mots de vocabulaire pour chaque catégorie d’observation (environnement, meubles, visage, chevelure, vêtements, caractère, etc.) ainsi qu’une fiche d’autocorrection syntaxique et grammaticale.

Pour les cours de politique et d’économie, dans lesquels les étudiants doivent rédiger des travaux de plusieurs pages sur des questions complexes, les monitrices et les moniteurs ont préparé des ateliers d’une heure et demie couvrant des notions de structure du texte, d’organisation des idées et d’autocorrection de la langue.

Des élèves du programme Informatique – Développement d’applications devaient créer une application pour le Service de développement pédagogique du collège. Or, il y avait plusieurs fautes de français dans les commandes de l’application. Une équipe de monitrices et de moniteurs ont donc préparé pour leurs pairs un atelier de rédaction portant sur les commandes des applications informatiques : type de phrase à privilégier, mode de verbe à choisir, ordre d’apparition des informations, stratégies de correction de la langue, etc. 

Depuis la session d’hiver 2019, les professeures et professeurs de la Formation continue qui donnent le cours Préparation à l’épreuve uniforme de français (FRA 601-EUF) invitent des équipes de monitrices et de moniteurs à venir donner des ateliers de français dans la langue d’origine de leurs élèves. En effet, les adultes inscrits à ce cours sont majoritairement allophones et éprouvent des difficultés avec la syntaxe (formation des phrases, choix des prépositions, etc.) et l’intégration des citations. Des équipes spécialement formées de monitrices et de moniteurs arabophones, hispanophones (ou simplement intéressés par l’enseignement du français langue seconde) préparent pour eux et elles des ateliers qui leur permettent de faire des liens entre le français et leur langue d’origine afin de mieux comprendre certaines notions de grammaire.

Arriver à créer des ateliers sur mesure qui soient satisfaisants tant pour les étudiants que pour les professeurs demande beaucoup de temps. Dans mon plan de cours, quatre semaines sont consacrées aux ateliers sur mesure : trois pour leur élaboration et une pour leur tenue. Au terme de l’activité, chaque équipe doit remettre un imposant dossier de préparation. J’évalue la qualité de la recherche et de la documentation sur le sujet de l’atelier, les objectifs pédagogiques, les types d’activités proposées (l’enseignement magistral est « interdit »), la création du matériel didactique, etc. Certes, l’aspect logistique représente quant à lui un sérieux casse-tête : il faut que les monitrices et les moniteurs soient disponibles au moment où les cours se donnent. Ainsi, il arrive qu’une monitrice travaille à un atelier en raison de ses disponibilités plutôt que par choix, mais le jeu en vaut la chandelle. Les sondages d’appréciation indiquent que les classes visitées par les monitrices et les moniteurs sont enthousiastes. De leur côté, ces derniers ont le sentiment d’avoir fait plus qu’obtenir une note pour un travail : ils et elles ont accompli une action concrète, une planification et une animation pédagogiques de A à Z.

Les brigades volantes

L’autre nouveauté au calendrier du cours de monitorat est la semaine consacrée aux « brigades volantes ». À la session d’automne 2018, le concept a été testé dans quelques classes de français et a rencontré un vif succès tant auprès des élèves et de leurs professeures ou professeurs que des monitrices et des moniteurs. Depuis, l’activité est devenue populaire au département de français et, cette année, nous avons même visité des classes de bureautique et de philosophie.

Il s’agit d’offrir aux professeures et professeurs qui en font la demande les services de trois ou quatre monitrices et moniteurs qui vont dans leur classe et aident leurs élèves à s’autocorriger avant ou après la remise d’un travail. Les profs, secondés par la « brigade », arrivent ainsi à offrir à chaque élève une aide ponctuelle de qualité.

Les brigades créent une belle ambiance de coopération dans les classes. Les élèves aidés rapportent qu’ils se sentent en confiance et osent poser des questions à leurs pairs qu’ils n’osent parfois pas poser à leur professeur ou leur professeure. Les élèves jugent également que les « brigadiers » et les « brigadières » leur permettent d’avoir un point de vue extérieur sur leur travail et de comprendre leurs fautes, ce qui s’avère utile pour leurs rédactions futures. Enfin, les élèves trouvent que cette aide, en plus de calmer leur anxiété, est la bienvenue étant donné que la langue est fortement pénalisée. De leur côté, les monitrices et les moniteurs retirent une fois de plus une grande fierté d’avoir su se rendre utiles de manière concrète.  

Un peu comme pour les ateliers sur mesure, la principale difficulté que je rencontre dans l’organisation des brigades volantes est d’ordre logistique. Le défi de faire correspondre les disponibilités de mes étudiantes avec les demandes des professeures et professeurs est important, mais le succès de cette activité en vaut la peine. À titre d’exemple, à la session d’automne 2019, nous affichions « complet » dès la quatrième semaine! Nous avons visité seize classes de sept professeurs qui avaient réservé notre service de brigades!  

La création de SOS Français

Au fil des sessions, j’ai constaté qu’après le cours de formation des monitrices et des moniteurs en français écrit, certains élèves souhaitaient poursuivre l’engagement dans la relation d’aide. Ces monitrices formées, compétentes et dévouées restent parfois une, deux ou trois sessions supplémentaires au collège. Elles ont développé des stratégies pédagogiques pour aider les élèves à repérer eux-mêmes leurs erreurs et à faire la démarche grammaticale nécessaire pour les corriger. J’ai donc voulu créer une structure qui permettrait à celles et à ceux qui le désirent de continuer à aider leurs pairs. C’est ainsi qu’à l’automne 2019, grâce à une libération, j’ai mis sur pied ce qu’un comité de monitrices et de moniteurs a baptisé SOS Français.  

Il s’agit d’un service d’aide à la relecture et à l’autocorrection de travaux écrits, et ce, pour toutes les disciplines (rapports de laboratoire, analyses littéraires, dissertations, présentations PowerPoint et travaux écrits de toutes sortes). En aidant les élèves à autocorriger leurs travaux avant de les remettre, SOS Français leur offre une occasion concrète d’améliorer leur français. Notre slogan est le suivant : « Les fautes de français te font perdre des points seulement si tu ne les corriges pas ». Cette session-ci, nous offrions onze heures de disponibilité hebdomadaire (à raison d’une à quatre heures par jour, du lundi au vendredi, généralement autour de l’heure du diner). À l’automne, j’avais réussi à obtenir une classe neuf heures par semaine, mais à la session d’hiver, nous avons voulu nous mettre en vitrine et nous avons préféré « squatter » une table dans un des espaces communs du collège.

Afin de motiver les monitrices et les moniteurs à s’engager dans SOS Français, je me suis assurée de la collaboration des Services aux étudiants pour qu’il y ait une reconnaissance de l’engagement des pairs aidants par une mention au bulletin. Parmi les sept catégories d’engagement, deux correspondaient à mon projet : la catégorie « Social et communautaire », pour les monitrices et les moniteurs qui souhaitaient se concentrer sur la relation d’aide, et la catégorie « Entrepreneurial », grâce à laquelle je me suis adjoint quatre véritables « entrepreneures » (trois femmes et un homme) de l’aide en français, avec lesquelles nous avons créé notre « petite entreprise ». Nous avons coordonné la logistique : disponibilité des ex-monitrices et ex-moniteurs, communications, organisation matérielle (local, matériel didactique et technique, création d’un sceau, etc.), comptabilisation des heures, etc.  Nous avons élaboré et mis en œuvre une structure d’accompagnement des pairs recrutés et nous avons déployé une campagne promotionnelle pour faire connaitre SOS Français. Malheureusement, la crise de la COVID-19 est venue chambouler nos efforts, mais grâce à la coopération des entrepreneures, des monitrices et des moniteurs, nous réfléchissons actuellement à des moyens d’offrir notre service à distance!

Bien sûr, nous ne savons pas encore de quoi sera faite l’année scolaire 2020-2021, mais mon défi sera d’assurer la relève du service par la nouvelle cohorte de monitrices et de moniteurs et surtout de mettre sur pied une campagne promotionnelle afin que SOS Français devienne un incontournable pour les élèves avant la remise de travaux à leurs professeurs. Souhaitons qu’au moment du retour en classe, que la « distanciation sociale » soit encore au gout du jour ou non, ils et elles soient nombreux à recourir à ce service de proximité!

* * *

  1. Comme il y a toujours une bonne majorité d’étudiantes qui s’inscrivent au cours de monitorat, le féminin générique sera parfois utilisé dans le présent article pour désigner indifféremment les moniteurs et les monitrices. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE