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Collegialité

Intercaf 2023: défis et innovations

Le 2 juin dernier, le 35e Intercaf s’est tenu en présence au cégep de Sainte-Foy, aux salons de la salle Albert-Rousseau. Après trois années de rencontres virtuelles, la soixantaine de personnes qui représentaient différents établissements collégiaux et universitaires éprouvaient manifestement un vif besoin d’échanger sur leur réalité. Le thème de cette année, Défis et innovations, était directement inspiré de l’usage des prépositions face à et grâce à. Depuis la pandémie, face à quels défis se sont trouvés les centres d’aide en français (CAF)? Grâce à quelles innovations les CAF ont-ils pu surmonter les difficultés dans ce contexte? Rosalie Lalancette, responsable du Tandem, centre d’aide multidisciplinaire du cégep de Sainte-Foy, a d’abord pris la parole pour accueillir les participantes et les participants et les remercier de leur présence.

Cathie Dugas, directrice du CCDMD, a ouvert officiellement la rencontre par un discours chaleureux qui insistait sur le plaisir de se retrouver et de s’entretenir des différentes réalités des cégeps. Lyse Cauchon, directrice des études par intérim au cégep de Sainte-Foy, a conclu l’ouverture de l’évènement en soulignant le dévouement des personnes travaillant dans les centres d’aide et en partageant avec l’assemblée sa conviction profonde quant à l’efficacité et à l’importance de ces services dans le réseau.

Conférence de Simon Larose : COVID-19, apprentissages disciplinaires et tutorat : un mariage nécessaire

Après les discours d’ouverture, Simon Larose, professeur titulaire depuis 2004 au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, a présenté une conférence fort actuelle et pertinente, intitulée COVID-19, apprentissages disciplinaires et tutorat : un mariage nécessaire. Ce chercheur s’intéresse particulièrement aux thèmes de la transition secondaire-collégial, de la persévérance scolaire et du mentorat scolaire et communautaire. Grâce à ses études longitudinales, il a été en mesure de mettre en lumière les traits distinctifs de la population étudiante fréquentant nos cégeps et nos centres d’aide. Trois constats majeurs se dégagent de ses travaux :

  1. Les jeunes du secondaire arrivent au collégial avec certains retards scolaires bien circonscrits (une réduction du temps d’apprentissage scolaire pendant la pandémie a mené à une perte des apprentissages de 30 % et à des retards importants en sciences, en mathématiques et en langue);
  2. Une assez forte anxiété et des inquiétudes qui ont pu être exacerbées par la pandémie habitent ces jeunes;
  3. Certaines sous‐populations sont plus à risque que d’autres (les garçons, les élèves venant de milieux défavorisés et les jeunes en situation de handicap).

À la lumière de ces constats, il appert que le tutorat est une voie à privilégier pour combler les retards inégaux entre les jeunes. En effet, cette pratique s’avère efficace puisqu’elle procure un temps d’enseignement bonifié. Grâce à ce dispositif pédagogique, le temps accordé à la tâche est augmenté. En rencontre individuelle, le tuteur ou la tutrice a l’espace nécessaire pour explorer des stratégies variées, ce qui permet un apprentissage personnalisé dans un climat plus sécurisant que la classe, un lien de confiance se créant entre la personne aidante et celle aidée. Selon Larose, les centres d’aide gagneraient à faire connaitre les conceptions de l’intelligence de Carol Dweck[1] aux tuteurs et aux tutrices. En effet, le fait d’avoir une conception dynamique de l’intelligence permet à l’élève de se réapproprier un certain contrôle sur l’acquisition de ses savoirs. Le chercheur suggère 10 stratégies exemplaires à privilégier en tutorat pour cultiver une conception dynamique de l’intelligence :

  1. Normaliser les difficultés;
  2. Encourager l’élève à relever des défis;
  3. Inclure le mot maintenant au vocabulaire de l’élève (si elle ou il ne comprend pas maintenant, cela ne veut pas dire que ce ne sera pas le cas plus tard);
  4. Démontrer à l’élève que le travail intense et la persévérance aident au développement du cerveau;
  5. Voir l’erreur comme une occasion d’apprendre;
  6. Fixer des objectifs;
  7. Proposer des exercices de coopération;
  8. Poser des défis à l’élève;
  9. Éviter de louanger l’intelligence (louanger plutôt le processus, la stratégie, etc.);
  10. Éviter de trop simplifier.

Pour conclure sa conférence, Larose a souligné l’importance de financer adéquatement les CAF dans les années à venir, en raison de leur grande efficacité.

Activité de discussion

Après une conférence nommant précisément les enjeux liés à la pandémie et suggérant des orientations à privilégier, une activité de discussion s’imposait pour aborder les réalités locales. Les tables regroupaient de cinq à huit personnes venant d’établissements aux caractéristiques diverses. Trois grandes questions étaient proposées, en lien avec la thématique de la journée :

  1. Quels changements avez-vous observés chez les étudiantes et les étudiants qui fréquentent votre centre d’aide?
  2. Quels changements avez-vous observés chez les tutrices et les tuteurs qui œuvrent à votre centre d’aide?
  3. De façon générale, en ce qui concerne le fonctionnement de votre centre d’aide (modalités, offre de service, financement), quels changements avez-vous observés dans les dernières années?

Les discussions à bâtons rompus ont été riches en partage d’expériences, de pratiques, de solutions. Les conversations se sont aussi poursuivies pendant l’heure du diner. Comme le veut la tradition, les responsables en français au Tandem, Marie-France Dubé, Marie-Hélène Hamel et Étienne Ratté, ont fait visiter les locaux du centre d’aide. Encore une fois, cela a suscité de stimulants échanges sur l’emplacement des centres d’aide dans les cégeps et sur les besoins toujours grandissants d’espace.

Présentation des projets mis en œuvre au Tandem

Toujours dans l’optique des face à et des grâce à, les personnes responsables du Tandem ont présenté les mesures et les projets qu’elles ont été appelées à créer, dans les dernières années, pour répondre aux défis rencontrés dans leur cégep. Marie-France Dubé a d’abord pris la parole pour décrire Mon français, ma carrière, une approche-programme visant à conjuguer compétences en français et compétences professionnelles. Né en 2016, ce projet s’est déployé et touche maintenant neuf programmes (sept techniques et deux préuniversitaires), soit plus de 600 étudiantes et étudiants de première session. Mon français, ma carrière propose aux programmes participants de valoriser les aptitudes langagières dans la fonction de travail et de soutenir les habiletés de rédaction auprès de la population tant étudiante qu’enseignante. Cette approche offre aux étudiants et aux étudiantes un soutien direct en fonction de leur niveau de maitrise de la langue (autoformation, ateliers, tutorat) ainsi qu’une formation à la révision linguistique à l’aide d’Antidote Web, fourni par le cégep à chaque élève pour la durée de ses études. Devant l’engouement suscité par Mon français, ma carrière, le projet semble appelé à prendre de l’ampleur.

Si Mon français, ma carrière souligne l’importance de la compétence langagière dès la première session, cette compétence reste essentielle jusqu’au terme des études. En effet, les étudiantes et les étudiants doivent réussir l’épreuve uniforme de langue pour obtenir leur diplôme d’études collégiales. Jusqu’à tout récemment, au cégep de Sainte-Foy, seules les personnes ayant échoué à deux reprises étaient admissibles à un soutien pour la réussite de l’épreuve. Pour répondre aux besoins grandissants, mais aussi pour travailler en prévention auprès des élèves qui doivent s’y soumettre pour la première fois, Marie-Hélène Hamel a créé sur Brio[2], avec la contribution de sa collègue Fannie Godbout, une formation autoportante en trois paliers conçus selon une progression des apprentissages. Le premier palier propose à l’ensemble des étudiantes et des étudiants une préparation générale. Le deuxième s’adresse aux personnes ayant besoin de voir ou de revoir plus en détail les notions propres à la dissertation critique, comme celles qui font un retour aux études ou qui ont échoué au cours Littérature québécoise ou à l’épreuve uniforme de langue. Le troisième palier, qui vient avec l’accompagnement personnalisé d’un enseignant ou d’une enseignante, est réservé aux personnes ayant connu des échecs multiples à l’épreuve. Ainsi, selon son profil et ses difficultés, l’étudiant ou l’étudiante peut désormais (de manière autonome pour les deux premiers paliers) se préparer adéquatement à la passation de cette épreuve si anxiogène pour plusieurs. Ce matériel clés en main, qui comprend des aide-mémoires de même que des exercices et leurs solutionnaires, peut aussi être utilisé dans les séances de tutorat au Tandem.

À l’automne 2021, au moment du retour en présence de la majorité de la population étudiante des cégeps, le gouvernement a débloqué des fonds pour le soutien à la réussite. Au cégep de Sainte-Foy, il a été décidé de créer une libération pour offrir du soutien à la cohorte qui intégrait le collégial. Ainsi sont nés les Ateliers de soutien en français, conçus comme des séances flexibles, récurrentes et pratiques, centrées sur les besoins de l’élève, en complément de l’offre existante du Tandem. Ces ateliers, au nombre de trois, permettent d’expérimenter une approche intégrée de questionnement grammatical pré/postrédaction. Liés par la même réflexion sur la méthode de correction, ils sont complémentaires, mais demeurent tous indépendants. Le premier atelier, intitulé Le questionnement systématique, repose sur le principe de la dictée zéro faute dans le but de mettre en évidence le fonctionnement logique de la langue. Le deuxième, La méthode d’autocorrection, propose un exercice de repérage de fautes (une douzaine dans un texte de quelques lignes). À l’aide d’une méthode d’autocorrection, les étudiants et les étudiantes repèrent les erreurs et prennent conscience de leurs faiblesses, ce qui les amène à développer leur confiance en leurs connaissances linguistiques et à transférer en contexte les apprentissages réalisés dans le premier atelier. Quant au troisième atelier, La postcorrection, il offre l’occasion aux étudiants et aux étudiantes de revenir sur leur copie corrigée, de faire la correction des fautes et des maladresses et de les classer dans une grille diagnostique, ce qui leur permet de voir leurs ilots d’erreurs. Ces prises de conscience faites, on les invite à ajuster leur méthode d’autocorrection et à réaliser des exercices qui ciblent leurs difficultés principales.

Ces ateliers ont guidé les trois responsables en français vers un projet-pilote qui sera implanté à l’automne 2023. Pour répondre au plus grand nombre possible d’élèves en difficulté malgré la pénurie de main-d’œuvre, les responsables tenteront de dégager du temps de tutorat aux tuteurs et aux tutrices en formation par le biais d’une modification de la mesure d’aide en français. Jusqu’à présent, lorsqu’une étudiante ou un étudiant obtenait entre 55 % et 59 % comme note finale au sommaire, mais que cette personne démontrait une maitrise de la compétence du cours et que l’échec était attribuable à des erreurs linguistiques, une mesure d’aide lui était accordée. Elle pouvait alors être inscrite au cours suivant à la condition de faire 20 heures de tutorat individuel. À partir de l’automne 2023, la mesure d’aide comptera 10 heures de tutorat individuel et 10 heures d’ateliers, ce qui libèrera 10 h/session par tuteur ou tutrice en formation. Il reste à voir si ce changement aura les effets escomptés.

Atelier de Marie-Andrée Lord : Utilisation de phrases complexes en situation d’écriture et développement de compétences syntaxiques

Pour terminer la journée en beauté, Marie-Andrée Lord, professeure titulaire en didactique du français au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, a proposé l’expérimentation d’une activité pédagogique stimulante pouvant être reproduite en contexte de tutorat. Ses recherches portent, entre autres, sur l’articulation de la grammaire aux activités de lecture et d’écriture, la justification grammaticale, l’enseignement de la grammaire rénovée et la formation initiale et continue du personnel enseignant en grammaire et en didactique de la grammaire.

Cet atelier avait pour objet l’enseignement de la syntaxe, plus particulièrement de la subordonnée, dans un contexte ludique et interactif. Pendant l’activité, les personnes participantes se sont retrouvées dans la posture de l’élève en travaillant en équipe sur un « chantier d’étude[3] ». Il s’agissait d’abord de lire sur Padlet une quinzaine de phrases contenant des subordonnées. En voici quelques exemples :

  • Chaque jour, la certitude que je réussirai à trouver mon emploi de rêve m’envahit.
  • Aujourd’hui, nous sommes conscients que le réchauffement climatique aura de graves répercussions sur les populations vulnérables.
  • Il avait compris, dès lors, que son séjour serait assurément mouvementé.
  • Quand j’étais en vacances et que je prenais le temps de lire, je me sentais bien mieux.

Ensuite, la consigne était d’observer plus attentivement les cas et d’effectuer des regroupements. Une question était posée pour orienter le travail : « Qu’ont en commun les phrases? Regroupez les phrases ayant des caractéristiques syntaxiques communes afin de former différents ensembles. » Une telle séance de travail peut facilement être reproduite dans un contexte de tutorat et appliquée à d’autres notions. En action, la personne aidante et la personne aidée doivent réfléchir ensemble à certains aspects de la langue. Le chantier d’étude donne donc accès aux conceptions de l’élève en difficulté, qui doit les verbaliser. Grâce à un outil comme Padlet, qui permet de déplacer aisément les phrases, il est possible de faire des essais et des ajustements pour bien visualiser les regroupements.

Malgré leur connaissance de la notion de subordonnée et une bonne maitrise de la terminologie de la grammaire, les personnes participantes ont rapidement constaté que leurs regroupements étaient différents (selon le type de subordonnant, la fonction syntaxique de la subordonnée, la position de la subordonnée dans la phrase, etc.). Cela a suscité de riches questionnements sur la langue au sein de l’assemblée.

En clôture, Hélène Lévesque, qui a orchestré avec brio le 35e Intercaf à titre de représentante du CCDMD, a exprimé sa gratitude envers les spécialistes qui ont pris la parole ainsi que l’équipe organisatrice du cégep hôte, formée de Rosalie Lalancette, Marie-France Dubé, Marie-Hélène Hamel et Étienne Ratté. Son allocution, qui a renforcé le caractère chaleureux et humain de la rencontre annuelle des responsables de CAF, s’est conclue par une invitation : à qui la chance de recevoir le prochain Intercaf?

Équipe organisatrice de l'Intercaf 2023

De gauche à droite : Dominique Fortier, chargée de projets au CCDMD; Rosalie Lalancette, responsable du Tandem; Lyse Cauchon, directrice des études par intérim au cégep de Sainte-Foy; Étienne Ratté, superviseur de l’aide en français au Tandem; Cathie Dugas, directrice du CCDMD; Marie-Hélène Hamel, superviseure de l’aide en français au Tandem; Marie-France Dubé, superviseure de l’aide en français au Tandem; Hélène Lévesque, chargée de projets au CCDMD.

  1. DWECK, Carol S. (2016). Mindset: The New Psychology of Success, New York, Ballantine Books, 320 p. [Retour]
  2. Brio est un environnement numérique d’apprentissage élaboré par l’Université Laval et utilisé en collaboration avec celle-ci par le cégep de Sainte-Foy. [Retour]
  3. Le chantier d’étude vise à faire prendre conscience du fonctionnement de la langue (une règle orthographique, grammaticale ou syntaxique) de manière dynamique en suivant différentes étapes : observation, formulation d’une hypothèse, vérification de l’hypothèse, proposition d’autres exemples, synthèse. [Retour]

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