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Chronique d’un échec annoncé?

Chronique d’un échec annoncé?

Le cas des étudiants allophones adultes très faibles en mise à niveau

La présence d’élèves allophones en assez grand nombre dans les cours de mise à niveau est une réalité surtout montréalaise qui a des retombées certaines sur les taux de réussite des étudiants en français. L’étude menée de 1998 à 2000 par Éléonore Antoniadès, Mona Chéhadé, Denyse Lemay, Françoise Armand et Patricia Lamarre[1] démontre clairement que ces étudiants sont souvent « à risque » d’échouer et qu’ils présentent, conséquemment, des besoins particuliers. Les auteures concluent aussi que les cégeps peuvent difficilement répondre à ces besoins, surtout depuis que les cours de français langue seconde ont été abolis, après la réforme de 1994. Bien sûr, il est possible de mettre en place des mesures particulières d’encadrement et de cheminement scolaire — par exemple, le jumelage du cours de mise à niveau à celui de français 101 — qui peuvent se révéler efficaces avec des élèves jugés moyennement faibles. Il n’en demeure pas moins qu’une fraction, de moins en moins négligeable, de la clientèle allophone qui fréquente les collèges n’est pas à classer dans cette catégorie.

Admis parce que… et même si…

Plusieurs étudiants nouvellement inscrits au cégep présentent des lacunes graves dans la connaissance de la langue française. Il s’agit souvent d’immigrants adultes, nouvellement arrivés au Québec, et qui ont obtenu du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI) des équivalences pour leurs études secondaires, lesquelles ont souvent été complétées dans leur pays d’origine. Ces équivalences, si elles permettent, dans un souci d’équité fort louable, de tenir compte de la scolarité de l’immigrant, ne considèrent cependant pas le fait que ces études ont habituellement été accomplies dans une langue autre que le français. Des élèves immigrants dûment diplômés peuvent donc être admissibles, selon le Ministère, aux études collégiales, même si elles ou ils ne maîtrisent pas encore — et cela s’est vu — l’alphabet français ! D’autres étudiantes et étudiants, eux, ont fréquenté le réseau d’enseignement secondaire francophone au Québec, mais durant une très brève période, et presque toujours dans les centres pour adultes. Or ces centres privilégient une approche modulaire de la matière, axée sur l’autoapprentissage, dans laquelle l’évaluation finale demande peu d’intégration de la matière et repose plus sur la répétition mécanique d’exercices. En somme, que leur formation ait été reconnue à travers des équivalences ou qu’elle se soit déroulée en partie dans le réseau de l’enseignement aux adultes, ces étudiants allophones possèdent, selon les critères du collégial, tous les diplômes requis pour poursuivre des études au cégep, mais ils sont souvent de très piètres locuteurs de français, quand ils ne sont pas carrément incapables d’en être des scripteurs.

Ces lacunes graves en français ne proviennent, du reste, ni de la mauvaise volonté ni de problèmes cognitifs chez ces étudiants. Elles découlent simplement de leur arrivée plutôt récente au Québec, et parfois aussi d’une situation socio-économique difficile. En effet, ces étudiants, ne l’oublions pas, sont des adultes, souvent parents (parfois même chefs de famille monoparentale), avec toutes les responsabilités que cela comporte et qui peuvent entrer en conflit direct avec les études. De plus, l’existence d’un seuil critique dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, qui se situe à la puberté, rend l’apprentissage du français plus ardue pour ces adultes.

Un miroir aux alouettes ?

Ces allophones, « sous-francisés » pourrions-nous dire, sont donc admis au collégial. On leur laisse donc entendre : si l’on vous accepte dans ce programme, c’est que l’on vous juge apte à le réussir, à condition bien sûr de fournir les efforts nécessaires. C’est le message qu’ils perçoivent, et nous ne pouvons les en blâmer. Cette entrée au collégial est souvent pour eux une étape décisive dans leur intégration à la société québécoise, un pas crucial dans leur marche vers l’emploi et l’autonomie financière (ils sont d’ailleurs majoritairement inscrits dans des programmes techniques).

Cependant, il faut nous interroger avec sincérité : est-il réaliste de faire croire qu’un cours de mise à niveau de 60, ou mieux, de 90 heures réparties sur 15 semaines, permettra à l’élève arabophone d’enfin discriminer les voyelles à l’oral pour ensuite acquérir assez de vocabulaire pour pouvoir analyser un texte ? Ou qu’il permettra à l’étudiant perse ou tamoul de maîtriser la graphie française au point de se montrer performant dans la rédaction d’un texte structuré de 500 mots ? Ou qu’il permettra aux Russes ou aux Roumains d’apprendre assez d’expressions idiomatiques et d’éléments de la culture française et québécoise pour pouvoir lire et apprécier un texte littéraire ? Bien sûr que non ! Et ce n’est pas la fréquentation du centre d’aide en français, ou un mince dégrèvement du professeur pour l’aide à la réussite, qui y changeront quelque chose. Non, il faut nous rendre à l’évidence, le cours de mise à niveau, du reste fort pertinent pour une majorité de la clientèle plus faible qui arrive au collégial, est ici totalement insuffisant. Pire, il est même fondamentalement inadapté : il est axé sur le français écrit, alors que ces étudiants ne maîtrisent souvent même pas encore le français oral, et il vise, ultimement, la compréhension de textes littéraires, ce qui est fort pertinent pour la réussite des cours de français subséquents, mais beaucoup trop ambitieux pour des allophones tels que ceux que nous avons décrits précédemment. Ne l’oublions pas : ces élèves ont encore de graves lacunes en vocabulaire de base et, parfois même, par rapport aux référents culturels courants du monde francophone. En outre, ce sont les professeurs de français formés à la littérature qui dispensent le cours de mise à niveau et ils n’ont, le plus souvent, aucune notion de la pédagogie du français langue seconde.

Alors, et c’est prévisible, ces étudiants échouent au cours de mise à niveau. À répétition, avec tous les efforts perdus et la démotivation que cela implique. Avant de quitter le collège, ou le réseau collégial francophone, et parfois même le pays.

Et pourtant, on fait d’immenses efforts pour tenter de les accompagner dans cette difficile appropriation du français. Ainsi, au collège de Bois-de-Boulogne, où l’on donne déjà des cours de mise à niveau de 90 heures, un groupe allophone spécial a été formé à l’automne 2001, sous la tutelle d’un professeur de mise à niveau aguerri, qui était de plus dégrevé à raison d’une journée par semaine pour l’encadrement de ces étudiants. Or, sur les 16 élèves de ce groupe, 2 seulement ont réussi leur cours. Cependant, à l’hiver 2002, ils ont tous les deux échoué au 601-101-04. Parmi les 14 autres, 7 ont de nouveau été inscrits en mise à niveau 90 heures à la session d’hiver, où ils ont montré des signes évidents de démotivation, alors que les 7 autres avaient déjà quitté le collège…

C’est grâce à une recherche effectuée à l’hiver 2002 par Marie-Nicole Gosselin, du Département de français de Bois-de-Boulogne, que nous connaissons ces chiffres précis, et décourageants, sur le cheminement des étudiants allophones de ce groupe spécial. Madame Gosselin concluait son rapport avec des propositions pour les cours de l’automne 2002 destinés à cette clientèle particulièrement faible, propositions que le collège de Bois-de-Boulogne a accepté d’appliquer et qui tentent de pallier le caractère inapproprié d’un simple cours de mise à niveau pour une clientèle aussi lourde. Ainsi, cette session-ci, les étudiants allophones les plus faibles ont encore été regroupés dans un groupe spécial, où ils sont peu nombreux. Leur horaire est allégé afin de leur permettre de consacrer un maximum d’efforts au français. Mais la grande nouveauté est surtout que cet horaire compte désormais deux cours de français supplémentaires de 45 heures, placés l’un à la suite de l’autre dans la session[2]. Ces cours sont axés sur l’apprentissage du français oral et se veulent un complément au cours de mise à niveau de 90 heures. Dispensés par un professeur de français langue seconde, ils permettent de combler une lacune de la mise à niveau classique, à savoir qu’on y néglige totalement l’aspect oral de la langue. De plus, le cumul des heures consacrées à l’apprentissage du français — 12 heures par semaine dans l’horaire de l’étudiant — permet de placer ces personnes dans une situation d’immersion relative, ce qui ne peut nuire à leur apprentissage de la langue.

Cependant, même 180 heures entièrement consacrées à l’apprentissage du français dans l’horaire de première session ne suffisent pas pour permettre à plusieurs des élèves allophones de cette trempe d’acquérir une maîtrise suffisante de la langue.

Constats et propositions

Quelle leçon faut-il tirer de ce genre d’expériences ? Le premier constat à faire est sans doute celui de « l’inconfort institutionnel » où se trouvent les cégeps, qui admettent une clientèle aussi faible en français et donc mal préparée à des études collégiales — dont le français et la littérature sont des éléments obligatoires, faut-il le rappeler — et ce, dans le contexte actuel où le cours de mise à niveau est la seule mesure qui puisse leur permettre de perfectionner leur maîtrise de la langue française. En les acceptant dans un programme, le réseau collégial leur lance le message qu’ils sont à même de réussir à obtenir leur DEC. Or, cela est totalement faux, peu importe l’ampleur des efforts qu’ils fourniront et que fourniront aussi les professeurs qui les encadreront ! Tout cela parce que professeurs et étudiants s’acharnent dans un contexte inadapté aux besoins de tout le monde. Il y a donc lieu de rétablir, le plus rapidement possible, des cours de langue seconde à l’ordre collégial. Et pourquoi ne pas créer dans les cégeps des sessions d’accueil pour ces étudiants, de la même façon que l’on place les allophones, au primaire et au secondaire, dans des classes d’accueil où l’apprentissage du français est central et dispensé par un professeur formé en langue seconde ? Ou alors, pourquoi ne pas s’inspirer des universités et offrir, à leur instar, une grande variété de cours axés sur le français langue seconde et sur la société francophone ? Finalement, pourquoi ne pas mieux harmoniser les structures d’inscription au collégial avec les cours déjà offerts par le ministère des Relations avec le citoyen et de l’Immigration ? En effet, en ce moment, le seuil de réussite de plusieurs cours de francisation offerts par ce ministère est encore trop faible par rapport à la compétence en français que devrait détenir un étudiant en première session au cégep, même s’il est en mise à niveau. Il y a donc un fossé à combler, une zone de la francisation où ne s’aventurent pas les cours du MRCI — surtout axés sur les compétences en français oral — et bien au-delà de laquelle se place déjà le devis du cours de mise à niveau. C’est sur cet hiatus dans lequel se perdent bien des immigrants pourtant emplis de rêves et de persévérance que nous devons travailler, si nous voulons vraiment offrir à tous une chance de réussir.

* * *

  1. On peut lire leurs conclusions dans le rapport La Réussite en français des allophones au collégial : constat, problématique et solutions. Deux articles concernant cette recherche ont paru dans des numéros précédents de Correspondance, en novembre 1999 (vol. 5, no 2) et en février 2001 (vol. 6, no 3). Retour
  2. Le premier cours (45 heures) s’échelonne sur les sept premières semaines de la session et le second (encore 45 heures), de la septième semaine jusqu’à la fin de la session d’automne. Ces cours sont dispensés à raison de deux rencontres par semaine, soit 6 heures hebdomadaires. L’étudiant obtient ainsi une note dès la mi-session ; malgré un échec, il peut suivre le cours suivant, conscient toutefois que ce second cours est déterminant pour la poursuite de ses études. Notons finalement que ces deux cours sont des cours complémentaires pour ces étudiants. Retour

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