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Les allophones à la conquête de la réussite en français?

Les allophones à la conquête de la réussite en français?

Échos de recherche en cours
Menée sous la direction des auteures du présent article de même que de Denyse Lemay, conseillère pédagogique au collège de Bois-de-Boulogne, la recherche intitulée La réussite en français des allophones au collégial : constat, problématique et solutions est subventionnée par le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) du ministère de l’Éducation du Québec et par Immigration et Métropoles. Françoise Armand et Patricia Lamarre, professeures de didactique des langues de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, y collaborent également.

Situation des élèves allophones dans les collèges

Les élèves allophones sont admis au cours collégial avec des niveaux de francisation très différents, car leur nombre d’années de scolarisation en français est variable selon leur moment d’arrivée au Québec. Malgré les différences que présentent les élèves, les cégeps n’ont jamais eu de classes d’accueil ou de francisation, et ce, contrairement aux ordres d’enseignement primaire et secondaire. De plus, la réforme des programmes de 1994 a aboli les cours de français, langue seconde que les cégeps offraient aux élèves allophones en difficulté, et, du même coup, le ministère de l’Éducation ne subventionne plus de groupes de mise à niveau distincts pour francophones et allophones.

Il appert par conséquent que, dans la plupart des cégeps, une fois admis, l’élève allophone, tout comme l’élève francophone, passe un test de classement en français. Si la note obtenue est inférieure à la note de passage, l’élève doit suivre des cours de mise à niveau en langue française ; ces cours sont préalables à ceux de la séquence obligatoire de français.

Ainsi, des élèves qui résident depuis peu au Québec, qui ont une langue maternelle éloignée du français et qui, pour diverses raisons, pratiquent peu ou ne pratiquent pas le français hors des cours de français, ne peuvent, malgré les mesures mises à leur disposition, surmonter leurs difficultés et réussir les différents cours de français. En 45 ou 90 heures de cours, et ce, en 15 semaines, ces élèves n’arrivent pas à acquérir une connaissance du français telle qu’ils puissent rédiger les travaux exigés au collégial et posséder les compétences que requiert l’épreuve uniforme de français. Il ne faut pas oublier que l’obtention du diplôme d’études collégiales (DEC) dépend de la réussite ou non de cette épreuve.

Ainsi, des enseignants des cours de mise à niveau, des enseignants travaillant dans les centres d’aide et des enseignants des cours de la séquence régulière ont constaté que ces mesures de soutien linguistique sont quelquefois inadéquates pour certains allophones. Ces enseignants ont remarqué aussi des faiblesses dans l’intégration linguistique de certains allophones au collégial.

Finalement, les difficultés contre lesquelles butent certains élèves allophones peuvent non seulement nuire à la poursuite de leurs études, mais aussi obliger un bon nombre parmi eux à les abandonner. Cette situation alarmante interpelle tous les effectifs enseignants des cégeps.

Présence et proportion d’élèves allophones au collégial

Le projet de loi 101 a rendu obligatoire pour les immigrants, à l’exception de certains cas, la fréquentation de l’école francophone. Toutefois, cette loi ne vise que les ordres d’enseignement primaire et secondaire, pour lesquels la scolarité est obligatoire. Dans la suite de leurs études, à l’ordre d’enseignement collégial, les élèves retrouvent le choix de la langue d’études : ils peuvent s’inscrire tout autant dans un cégep anglophone que dans un cégep francophone.

Cette Loi et la liberté de choix ont modifié la proportion des allophones dans les cégeps francophones. Ainsi, en 1983, 21,7 p. 100 des allophones se retrouvaient dans les cégeps francophones alors que ce chiffre montait à 50 p. 100 en 1995. Parallèlement, pour la même période, la proportion des allophones dans le secteur anglophone passa de 78,24 p. 100 à 50 p. 100. Toutefois, les chiffres de l’année scolaire 1996-1997 montrent qu’un écart se creuse de nouveau, cette fois au profit du secteur anglophone, soit 53 p. 100 contre 47 p. 100.

Répartition géographique des élèves allophones

Les élèves allophones se retrouvent pour la très grande majorité dans la région de Montréal. À la lecture des chiffres de la Direction des études collégiales (DEC), nous savons que les cégeps anglophones de l’île de Montréal comptaient 27 p. 100 d’allophones en 1983 alors qu’ils en comptaient 28,47 p. 100 en 1995. Du côté des cégeps francophones, l’augmentation pour le même laps de temps est des plus significatives, le pourcentage passant de 4,12 p. 100 à 14,23 p. 100.

Si nous regardons les chiffres de la DEC couvrant la même période, soit de 1983 à 1995, mais concernant le Québec dans son ensemble, nous remarquons que, pour le secteur anglophone, les chiffres passent de 27 p. 100 à 28,47 p. 100 tandis que, pour le secteur francophone, ils passent de 1,5 p. 100 à 4,4 p. 100. À la lumière de ces données, nous pouvons affirmer que le phénomène des élèves allophones est avant tout essentiellement montréalais.

Cheminement scolaire et réussite en français des élèves allophones dans trois cégeps montréalais

L’étude de la situation de la réussite des élèves allophones au collégial nous mettait ainsi inévitablement sur la piste des collèges de la région de Montréal, étant donné la forte concentration des allophones du Québec dans cette région. Nous avons alors choisi les cégeps de Bois-de-Boulogne, de Maisonneuve et Marie-Victorin. Ces trois collèges accueillent chacun des groupes linguistiques d’allophones assez variés, et cela nous permettait de faire des comparaisons intéressantes entre eux.

Démarche méthodologique

Nous avons, tout d’abord, recueilli les données statistiques sur la réussite en français des élèves de la cohorte de 1995 : celle-ci arrivait dans les collèges une année après l’implantation de la réforme de 1994, et la majorité des élèves qui la composaient avaient théoriquement eu le temps de compléter leurs études collégiales au moment où nous avons entrepris notre recherche, soit en août 1998.

Pour chacun des trois cégeps, nous avons obtenu la liste des élèves qui n’ont pas commencé la séquence régulière des cours obligatoires en français parce qu’ils devaient suivre au moins un cours de mise à niveau afin de consolider leurs connaissances du français écrit avant d’aborder la littérature dans les cours obligatoires. Le collège de Maisonneuve n’a participé activement qu’à la phase préliminaire de la recherche.


Dans un premier temps, nous avons décrit et comparé le cheminement des élèves depuis le test de classement[1] jusqu’au français 103, en passant par la mise à niveau, le français 101 et 102. Nous avons ensuite étudié le taux de réussite des allophones comparativement à celui des francophones dans les cours précédemment énumérés en incluant les reprises possibles. Par la suite, nous avons analysé le profil du cheminement scolaire de ces élèves à risque en fonction de l’établissement et de la langue maternelle. Pour cela, nous avons établi cinq profils selon le nombre de cours réussis (quatre cours avec l’épreuve ministérielle, trois ou deux cours, un ou aucun cours) et selon que les élèves avaient changé de cégep ou abandonné complètement leurs études. Toutes ces analyses nous ont permis d’établir un diagnostic relatif à chaque cégep étudié, diagnostic que nous n’allons pas publier pour le moment, car nous allons raffiner nos résultats au cours de cette deuxième année de recherche. Ces données statistiques nous ont aussi permis d’établir un diagnostic général pertinent. Nous ne présentons ici qu’une partie de nos résultats ; ceux-ci aussi seront examinés en profondeur durant la session en cours.

Résultats préliminaires

À ce stade-ci de notre recherche, nous pouvons déjà communiquer certains résultats fragmentaires.

Dans l’ensemble du réseau collégial de langue française :

  • la réussite globale est semblable chez les allophones et les francophones ;
  • cependant, en français, les taux de réussite sont inférieurs chez les allophones,
  • et ce, tout au long du cheminement, y compris à l’épreuve uniforme de français.

Aux collèges de Bois-de-Boulogne et Marie-Victorin :

  • au test de classement, les allophones obtiennent des résultats inférieurs à ceux des francophones ;
  • ils sont « sur-représentés » dans les cours de mise à niveau et ils sont plus nombreux à échouer à ces cours ;
  • peu d’élèves à risque d’échec en français, autant parmi les francophones que les allophones, ont réussi après trois ans tous leurs cours de français ainsi que l’épreuve ministérielle (moins de 10 p. 100 dans tous les cas) ;
  • la majorité des élèves à risque d’échec en français, allophones et francophones confondus, abandonnent leurs études ou changent de cégep.

Autres sources de données

Aux collèges de Bois-de-Boulogne et Marie-Victorin, nous avons organisé des entrevues de groupes de professeurs et d’élèves afin de recueillir leurs perceptions sur le cheminement proposé dans les deux cégeps.

En outre, nous avons cherché, auprès de diverses sources, des exemples de mesures déjà utilisées auprès d’élèves allophones en apprentissage d’une langue seconde de l’âge de nos cégépiens, au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Nous avons ensuite fait un premier inventaire des mesures efficaces prises par certains cégeps francophones et anglophones de Montréal pour l’enseignement d’une langue seconde et le cheminement des élèves en difficulté dans des contextes variés.

Conclusion

À l’issue d’une première année de recherche et grâce aux échanges d’idées avec les spécialistes universitaires de l’apprentissage d’une langue seconde, nous avons pu déterminer quelques mesures susceptibles d’aider les allophones en difficulté et d’améliorer leur réussite au collégial.

À la lumière des données présentées ici et au terme de notre deuxième année de recherche, nous serons à même de formuler des recommandations institutionnelles et didactiques qui permettront aux cégeps de s’ajuster à leur clientèle multiethnique. Ces recommandations sont, en ce moment, l’objet de réflexion, d’analyse, d’expérimentation et d’évaluation. Elles seront rendues publiques dans notre rapport qui sera publié en juin 2000.

Rappelons, pour terminer, que, selon la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle au Québec, « l’égalité des chances implique non seulement l’accessibilité aux services éducatifs de base pour l’ensemble des élèves, mais aussi la mise en place de moyens particuliers et de mesures compensatoires […] pour les élèves qui en ont besoin[2] ».

Nous pouvons alors affirmer, sans nous tromper, que la responsabilité des cégeps est d’assurer à leurs élèves, quel que soit leur groupe linguistique d’origine, un cheminement scolaire qui doit être couronné de succès.

* * *

  1. Le test TEFEC (test de classement en français écrit). Retour
  2. Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, Une école d’avenir : Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, Québec, ministère de l’Éducation, 1998, p. 7. Retour

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