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CAF à distance ou en présence: l’engagement cognitif de celles et ceux qui les fréquentent

Avec la pandémie de COVID-19, la plupart des centres d’aide en français (CAF) de la province ont dû adapter leur service à la formation à distance. Cette formule, qui nous apparait maintenant comme une nouvelle norme, était pourtant plutôt marginale il n’y a pas si longtemps. Le cégep de Matane, entre autres, avait développé un CAF à distance en 2014 afin de répondre aux demandes de soutien provenant des divers programmes à distance relativement à la formation initiale et à la formation continue. Cette innovation, décrite en détail par ma collègue Mylène Desrosiers dans les pages de Correspondance, reposait essentiellement sur la visioconférence, le partage d’écran et une plateforme de partage de documents. De la sorte, il était possible de recréer, de façon fonctionnelle, l’équivalent des rencontres individuelles synchrones proposées dans notre CAF traditionnel. Il n’en a pas fallu davantage pour que le CAF à distance suscite chez moi, outre l’enthousiasme, une réelle curiosité pédagogique. Ainsi, la comparaison de l’engagement cognitif au CAF en présence et au CAF à distance est devenue l’objectif général de mon projet d’essai de maitrise en éducation. Ce concept correspond au degré et à la qualité de l’effort mental investi dans une tâche. Ma question de recherche visait plus précisément à vérifier si l’engagement cognitif des étudiants fréquentant le CAF à distance du cégep de Matane était comparable à celui des étudiants qui le fréquentent en présence. Les résultats de cette recherche qualitative de type étude de cas ont non seulement permis de dégager, de ce point de vue, certaines ressemblances et différences entre ces deux formules, mais ils fournissent aussi diverses clés pour diagnostiquer et stimuler l’engagement cognitif des élèves inscrits à l’un ou l’autre service.

Des données tirées de l’observation et d’entrevues

La collecte de données s’est tenue à l’automne 2016 auprès de 7 sujets : 3 fréquentant le CAF à distance, 3 profitant de séances en présence et 1 étudiant participant aux rencontres tantôt en présence, tantôt à distance[1]. Les données ont d’abord été recueillies grâce à l’observation des étudiants lors des rencontres au CAF. Plus précisément, pour chacun d’eux et chacune d’elles, un total de 50 minutes parmi les moments les plus significatifs de 4 ou 5 séances durant la session ont été retenues aux fins d’analyse, à raison de 10 à 12 minutes par séance. Deux entrevues individuelles, une réalisée dès le début de la collecte et une autre à la toute fin, sont venues compléter la première méthode de collecte de données. Au cours de ces rencontres, la personne était d’abord appelée à rédiger un texte bref sur un thème imposé, puis à le réviser et à le corriger, tout en décrivant verbalement, de la façon la plus détaillée possible, les actions posées de même que toutes les réflexions qui les motivaient. Chaque entrevue se concluait ensuite par un échange plus traditionnel, comportant des questions ouvertes à propos de l’exercice de rédaction-révision et des stratégies habituelles des sujets.

L’engagement : une notion polysémique

Le terme engagement est employé de plusieurs façons en éducation pour désigner autant de réalités différentes (implication dans des activités parascolaires, temps consacré aux études, assiduité aux cours, participation en classe, etc.). Ma recherche a été spécifiquement consacrée à l’engagement cognitif, que Viau (2009) considère comme un indicateur de la motivation scolaire. Concrètement, d’après plusieurs chercheurs (Barbeau, 1993; Butler et Cartier, 2004; Viau, 2009), l’engagement cognitif est révélé par les stratégies d’apprentissage mises en œuvre par l’élève et par la gestion qu’il ou elle en fait lors d’une activité pédagogique. Ainsi, pour comparer l’engagement cognitif des sujets de ce projet de recherche, il fallait d’abord identifier les stratégies d’apprentissage qu’ils employaient, ce qui est devenu le premier objectif spécifique de la recherche.

Pour ce faire, la taxonomie des stratégies d’apprentissage de Bégin (2008) a servi de cadre de base à l’observation des participantes et des participants. Bégin (2008) considère les stratégies d’apprentissage non pas comme des comportements isolés adoptés en situation d’apprentissage, comme on l’entend souvent dans le milieu, mais plutôt comme des « […] catégorie[s] d’actions métacognitives ou cognitives utilisées dans une situation d’apprentissage, orientées dans un but de réalisation d’une tâche ou d’une activité scolaire et servant à effectuer des opérations sur les connaissances en fonction d’objectifs précis ». Plusieurs actions différentes peuvent donc être regroupées sous une même stratégie d’apprentissage. Le chercheur en dénombre douze, réparties en deux plans : les stratégies métacognitives et les stratégies cognitives (elles-mêmes subdivisées en stratégies de traitement et d’exécution).

Figure 1
Taxonomie des stratégies d’apprentissage de Bégin (2008)

Si cette taxonomie a suffi à catégoriser toutes les actions recensées dans la collecte de données, il a toutefois fallu clarifier les définitions de chacune des stratégies d’apprentissage qu’elle contient en fonction des activités proposées au CAF, axées essentiellement sur la qualité du français écrit. La classification des actions des participants parmi les catégories de Bégin (2008) a mis en lumière certaines similitudes entre les sujets en présence et ceux à distance.

Principales ressemblances dans l’engagement cognitif des sujets en présence et à distance

Les mêmes six stratégies[2], dont la plupart seront décrites et illustrées plus loin, sont ressorties comme les plus fréquentes, peu importe le mode de prestation : Décomposer, Vérifier, S’autoréguler, Répéter, Comparer et Sélectionner. Au total, elles comptent pour 93,1 % des stratégies décelées durant les séances en présence et pour 94,4 % de celles observées dans les séances à distance. Il a cependant été impossible d’associer une stratégie particulière à un degré d’engagement faible ou fort : chacune d’elles comportait des actions plus ou moins engagées (voir l’encadré ci-dessous, au sujet de la stratégie Vérifier). Par conséquent, et contrairement à ce que laissait présager notre cadre théorique, l’identification des stratégies d’apprentissage n’a pas suffi à déterminer si une ou un élève était engagé ou non sur le plan cognitif. D’autres outils, dont il sera question plus loin, ont été utilisés pour y arriver.

Vérifier : une stratégie plus ou moins engagée

À titre d’exemple, la stratégie Vérifier englobe des actions comme valider l’existence et l’usage d’une expression en lisant l’article complet d’une entrée du dictionnaire, utiliser un correcticiel en acceptant systématiquement toutes les corrections proposées ou demander à son assistante de confirmer une réponse dans un exercice. Comme on peut le constater, la première de ces actions est plus engagée que les deux autres, parce qu’elle se base sur des critères grammaticaux plutôt qu’intuitifs, qu’elle est accomplie avec plus d’autonomie et qu’elle exige un plus grand effort cognitif.

Il existe donc pour une même stratégie des variations selon le degré d’engagement avec lequel elle est mise en œuvre. Cela est particulièrement vrai pour les stratégies Vérifier, Décomposer et S’autoréguler, qui sont celles qui ont fluctué le plus au fil de la collecte et d’un individu à l’autre. L’observation des variations des stratégies d’apprentissage chez les sujets constituait d’ailleurs le deuxième objectif spécifique de la recherche. La fréquence et la rigueur avec lesquelles sont appliquées les stratégies, leur qualité, la fiabilité des sources d’informations consultées et le degré d’autonomie avec lequel elles sont utilisées sont aussi des facteurs qui peuvent faire varier les stratégies. En outre, même si une légère amélioration de la qualité des stratégies d’apprentissage a pu être constatée chez l’ensemble des participants entre le début et la fin de la collecte, cette amélioration se révèle dans la plupart des cas insuffisante pour considérer qu’un étudiant ou une étudiante atteint une forme d’engagement supérieure.

Une utilisation peu engagée des outils numériques

Il a également été possible de constater que les sujets, autant en présence qu’à distance, ont recours aux outils numériques (correcteur automatique, moteur de recherche, dictionnaire en ligne, suggestion orthographique, etc.), en particulier lorsqu’ils révisent leurs textes de façon autonome (donc surtout lors des entrevues). Malheureusement, la plupart d’entre eux utilisent ces outils de manière peu engagée : ainsi, le niveau de compétence avec lequel ils s’en servent ne semble pas influencé par le fait de participer aux séances en présence ou à distance. La maitrise de ces outils, qu’ils soient numériques ou imprimés, apparait néanmoins comme une clé importante pour améliorer l’engagement cognitif de l’apprenant ou l’apprenante. Pour les intervenants et les intervenantes des CAF, cela signifie qu’il est primordial d’enseigner des stratégies de Vérification efficaces, d’en modeler l’usage et d’en superviser l’application, tout en s’assurant d’accorder progressivement de plus en plus de liberté à celui ou celle qui les mobilise, ce que Bucheton et Soulé (2008) nomment la « préoccupation d’étayage ».

L’influence de la relation tutorale

Ce souci de laisser graduellement plus d’autonomie à l’étudiant ou l’étudiante est appuyé par d’autres résultats de la recherche, qui tendent à montrer que la relation individuelle proposée par le tutorat au CAF peut engendrer, autant à distance qu’en présence, un risque de dépendance de la personne aidée envers la personne aidante. Ainsi, les tutorés, en particulier pour certaines stratégies comme la Vérification, peuvent facilement en venir à déléguer la charge cognitive de la tâche aux tuteurs. Ceux-ci, par dévouement ou en raison de la pression qu’exercent sur eux les demandes fréquentes des personnes aidées, peuvent alors leur offrir un suivi trop serré, ce qui aurait pour effet de nuire à l’engagement et à l’autonomie de ces dernières. Les intervenants des CAF ont donc intérêt à donner le plus de liberté possible aux apprenants dans le choix et l’exécution des stratégies d’apprentissage. L’adaptation des interventions des tuteurs au degré d’engagement des tutorés apparait aussi comme une piste à considérer pour éviter cet écueil. Notons à cet égard que les employées du CAF du cégep de Matane, désignées comme assistantes en français, font partie du personnel de soutien et qu’elles travaillent à temps plein; notre CAF n’adopte pas le modèle du tutorat par les pairs, contrairement à la majorité des autres cégeps du réseau. Le contexte dans lequel cette recherche a été menée diffère donc de celui de la plupart des collèges. Étant donné que la distance sociale entre tuteurs et tutorés est plus faible entre pairs, on peut supposer que les tuteurs étudiants seraient moins à même de résister à la pression des demandes fréquentes des étudiants moins engagés, ce qui pourrait augmenter d’autant le risque de dépendance.

Perception différente, effet différent

Enfin, la perception de la valeur de la tâche peut également influencer le degré d’engagement des élèves, peu importe le mode de prestation. Quand cette perception est bonne, elle produit un effet positif sur l’engagement cognitif des apprenantes et des apprenants, et l’inverse a aussi pu être constaté. Alors qu’il révise son texte pendant la deuxième entrevue, Philippe (en présence) décide de ne pas mettre en œuvre d’autres stratégies pour régler un problème de typographie, car l’activité n’est pas notée et n’est pas sommative. Il abandonne donc et poursuit sa révision. À l’opposé, Pierre-Louis (en présence et en ligne) affirme que l’adoption de nouvelles stratégies a été facilitée par le fait qu’il était motivé à apporter ces changements. Une perception positive des tâches proposées au CAF ne suffit cependant pas à elle seule à entrainer une hausse de l’engagement cognitif. On le constate dans le cas de Lucie (en ligne), qui accorde une grande importance à la qualité de la langue pour sa future carrière, mais qui peine à améliorer significativement ses stratégies tout au long de la collecte. En résumé, si les résultats de la recherche ont permis de révéler certaines similitudes entre les CAF à distance et les CAF en présence, il convient maintenant de mentionner deux différences notables.

Principales différences dans l’engagement cognitif des sujets en présence et à distance

Les ouvrages de référence à la disposition des étudiants

L’une des principales différences réside dans la disparité entre les ouvrages de référence disponibles en ligne et ceux disponibles en présence. Dans les locaux du CAF, plusieurs ouvrages en format papier sont fournis aux personnes aidées. Ces dernières ont donc aisément accès à des outils fiables et variés, avec lesquels elles peuvent répondre à la plupart de leurs questions en lien avec la langue. Il est aussi plus facile pour l’assistante de diriger les tutorés vers les ressources en question lorsqu’ils la questionnent. Au moment de la collecte de données, à l’automne 2016, on demandait aux étudiants du CAF à distance d’utiliser, durant leurs rencontres, les ouvrages de référence dont ils disposaient à la maison, ce qui se résumait parfois à bien peu de choses. Privés d’outils pour leur fournir l’information dont ils avaient besoin, les sujets à distance avaient alors tendance à se tourner vers l’assistante et à l’interroger pour obtenir réponse à leurs questions, ce qui limitait grandement leur autonomie et ne leur donnait pas l’occasion de développer des stratégies de Vérification efficaces. Le CAF à distance présentait ainsi un risque accru de dépendance à l’assistante. Depuis ce temps, des améliorations ont été apportées, et le CAF à distance a enrichi sa banque de ressources linguistiques en ligne. Les assistantes peuvent maintenant diriger les apprenants vers ces outils quand ils ont besoin de trouver un renseignement; ils sont d’ailleurs encouragés à ouvrir les onglets correspondants dès le début de la séance afin de pouvoir les consulter rapidement et de développer l’habitude de recourir à ces sources fiables plutôt qu’à d’autres, peu spécialisées (par exemple les moteurs de recherche ou la suggestion orthographique d’un téléphone cellulaire). L’influence de l’utilisation de ces nouvelles ressources sur la qualité des stratégies de Vérification des étudiants à distance n’a toutefois pas été mesurée.

Un inconvénient de la proximité

Une autre différence importante est qu’au CAF en présence, la proximité physique des tuteurs et des tutorés peut inciter certains élèves à se servir de déictiques (ex. : « ça », « là », « ici ») et de la gestuelle (ex. : pointer sa copie) pour éviter d’utiliser la métalangue et ainsi diminuer la charge cognitive. Or, nous avons établi que le recours à une terminologie exacte est associé à un engagement plus fort : la métalangue juste et abondante révèle la présence de critères grammaticaux et améliore la clarté cognitive (Fisher et Nadeau, 2014) en permettant de mieux cerner les concepts. Les intervenants des CAF ont donc avantage à employer une terminologie précise lorsqu’ils accompagnent des étudiants et à les encourager à adopter eux aussi ce vocabulaire spécialisé, de manière à favoriser leur autonomie et leur engagement cognitif, bien que le lien entre métalangue et engagement mériterait d’être davantage approfondi.

Hormis ces deux principales différences observées, les CAF en présence et les CAF à distance semblent beaucoup se ressembler, du moins en ce qui a trait aux stratégies d’apprentissage déployées et à l’engagement cognitif qu’ils suscitent. Leur étude nous invite donc à proposer des pistes supplémentaires pour aider à reconnaitre le degré d’engagement chez les usagers des CAF, indifféremment du mode de prestation.

Diagnostiquer le degré d’engagement cognitif des tutorés des CAF

Pour arriver à comparer l’engagement cognitif des sujets de la recherche, il fallait évidemment évaluer leur degré d’engagement. Le modèle de l’engagement cognitif de Corno et Mandinach (1983) a servi à catégoriser les participants dans l’une des quatre formes d’engagement qu’il comprend, et qui témoignent d’une progression de l’engagement cognitif. L’Attention passive[3] (recipience), la forme la plus faible d’engagement cognitif, est caractérisée, comme son nom l’indique, par une réaction passive à l’environnement d’apprentissage, soit parce que ce dernier fait le travail à la place de l’apprenant ou l’apprenante, soit parce que celui-ci ou celle-ci tente d’éviter l’effort mental. La Gestion des ressources externes (resource management) dénote une propension à utiliser les ressources (matérielles ou humaines) disponibles afin de déléguer l’effort mental. La Régulation empirique (task focus) est marquée par une tendance à miser sur ses propres capacités pour résoudre un problème, par exemple en procédant par essais et erreurs, et par une réticence à recourir à l’aide extérieure. L’Autorégulation (self-regulated learning), la forme d’engagement la plus élevée et la plus exigeante de ce modèle, se démarque essentiellement par l’emploi habile et organisé de plusieurs types de stratégies, incluant des stratégies métacognitives grâce auxquelles l’apprenant ou l’apprenante pose un regard critique sur ses façons de faire et les ajuste si elles ne lui paraissent pas adéquates. Ces quatre formes d’engagement ont chacune pu être observées au moins une fois durant la collecte de données. Une forme d’engagement dominante a été relevée pour chaque personne, et un portrait individuel détaillé a été brossé pour le sujet le plus représentatif de chaque forme d’engagement. Ces portraits donnent à voir la façon dont peuvent se manifester concrètement les divers degrés d’engagement au CAF. Le tableau 1 résume les comportements types des quatre représentants des formes d’engagement de Corno et Mandinach (1983). Leur description sommaire en aidera peut-être certains à les reconnaitre chez les tutorés.

Tableau 1
Formes d’engagement des sujets de la recherche
Attention passive
(Philippe)
Gestion des ressources externes
(Lucie)
Le comportement de Philippe est caractérisé par l’inertie : l’assistante doit le stimuler constamment pour qu’il mobilise diverses stratégies. S’il est laissé à lui-même, sa révision-correction se restreint à une relecture linéaire du texte et il fait surtout des corrections intuitives. En cas de doute, il reste inactif et ne cherche pas l’information nécessaire pour prendre une décision, probablement en raison du cout cognitif trop élevé des stratégies à déployer. Il est cependant toujours ponctuel et assidu aux rencontres.Lucie a tendance à se fier à autrui pour mettre en œuvre des stratégies, en particulier en contexte de révision de texte. Au CAF, elle sollicite fréquemment l’assistante afin de valider ses stratégies, et cette dernière doit souvent insister pour que l’étudiante ait recours à des critères grammaticaux. Lucie déclare d’ailleurs que, lorsqu’elle n’est pas au CAF, elle demande à un tiers de réécrire ou de réviser ses textes pour elle. Cela fait en sorte qu’elle ne sait pas vraiment quelle stratégie mobiliser quand elle se retrouve seule face à son texte.
Régulation empirique
(Patricia)
Autorégulation
(Pierre-Louis)
Patricia cherche toujours à être en action et elle préfère amorcer elle-même ses stratégies. Elle emploie la métalangue et les critères grammaticaux, et réinvestit ses apprentissages antérieurs, même dans les situations où elle est libre de le faire ou non. Elle prend des initiatives et abandonne rarement une tâche ou une stratégie. Toutefois, elle se sert peu des stratégies métacognitives, ce qui fait en sorte qu’elle reste bloquée devant les difficultés, car elle ne trouve pas de stratégie de rechange.La forme d’engagement dominante de ce sujet est la Régulation empirique, mais, comme il est le seul à atteindre l’Autorégulation à certains moments de la collecte, il a été choisi pour illustrer cette dernière. Dans les moments où il atteint la forme d’engagement la plus élevée, Pierre-Louis utilise des stratégies cognitives de façon autonome et est capable de mobiliser des stratégies métacognitives plus approfondies que les autres sujets. Il ajuste ou change ses stratégies s’il se rend compte qu’elles sont inefficaces. Les critères grammaticaux lui servent notamment d’outils pour valider ses stratégies, donc pour s’autoréguler.

En étudiant les portraits individuels, il a été possible de constater que quatre stratégies d’apprentissage sont particulièrement révélatrices quant à l’engagement cognitif de tous les sujets : Vérifier, Répéter, Comparer et S’autoréguler. La figure 2 présente la définition de chacune d’elles et résume en quoi elles méritent d’être ciblées pour déterminer le degré d’engagement des sujets.

Figure 2
Quatre stratégies[4] particulièrement révélatrices de l’engagement cognitif

La stratégie S’autoréguler, la stratégie métacognitive la plus fréquente, n’est pas systématiquement associée à un fort engagement cognitif, bien que la similitude entre son nom et celui de la forme d’engagement la plus élevée (dans le modèle de Corno et Mandinach) le laisse présager. En fait, l’étude de cette stratégie amène à prendre conscience de la faiblesse généralisée de la métacognition chez les sujets de la recherche, comme Viau (2009) a pu le constater également dans ses propres travaux. Pourtant, l’usage approfondi et régulier des stratégies métacognitives est un élément clé pour atteindre l’Autorégulation. Ainsi, le développement des stratégies métacognitives des étudiants devrait constituer un objectif déterminant des intervenants des CAF qui souhaitent stimuler leur engagement cognitif. Pour y arriver, Lafortune, Hébert et Jacob (2000) suggèrent de suivre une séquence graduelle d’intériorisation des stratégies en quatre étapes : le modelage, la pratique guidée, la pratique coopérative et la pratique autonome.

Des indicateurs de l’engagement cognitif

Au-delà des seules stratégies d’apprentissage et de leurs variations, onze indicateurs de l’engagement sont ressortis de l’analyse des données et se sont révélés des outils essentiels afin d’attribuer à chaque participante ou participant une forme d’engagement dominante à différents moments de la collecte de données. Pour chaque indicateur, des descripteurs opposés, le plus souvent des adjectifs, ont servi à qualifier les comportements observés, puis à identifier la forme d’engagement de chaque participante ou participant à chaque étape de la collecte. Deux d’entre eux se sont avérés incontournables quand est venu le temps de déterminer le niveau d’engagement des sujets : le type de régulation et le type de critères privilégiés. La régulation correspond à un processus d’évaluation et d’ajustement des connaissances exercé par soi (régulation interne) ou par autrui (régulation externe). Plus l’élève utilise la régulation interne pour juger de la qualité de ses stratégies, plus elle ou il est engagé. Les critères grammaticaux ou intuitifs sur lesquels se basent les stratégies des sujets ont aussi joué un rôle fondamental dans l’attribution des formes d’engagement. Ces critères font référence aux principes et règles qui guident les apprenants dans leur choix de modifier ou non un mot. Les critères grammaticaux, auxquels correspondent les différentes notions et différents concepts habituellement enseignés au CAF (classes de mots, fonctions, procédures d’accord, etc.), sont associés à un degré d’engagement supérieur et sont révélés le plus souvent par une métalangue juste et adéquate. D’un autre côté, les critères intuitifs, qui relèvent davantage de la perception, de la mémoire visuelle ou auditive d’un sujet, dénotent un engagement plus faible et mènent d’ailleurs plus fréquemment à des erreurs ou à des cas d’abandon d’une stratégie.

* * *

En somme, la comparaison de l’engagement cognitif au CAF en présence et au CAF à distance a mis au jour plusieurs ressemblances entre les deux modes de prestation, notamment en ce qui a trait aux stratégies privilégiées et à leur amélioration, à l’usage des outils numériques et à l’effet de la relation tutorale sur l’apprenant ou l’apprenante. Il n’en demeure pas moins que certaines différences méritent aussi d’être mentionnées, en particulier la disponibilité des ouvrages de référence et la proximité physique entre l’assistante et la personne aidée. Il ressort également de la recherche diverses pistes pour diagnostiquer le degré d’engagement cognitif des étudiants et intervenir de manière à favoriser un meilleur engagement cognitif. On doit d’abord s’assurer que tous les étudiants, qu’ils soient en ligne ou en présence, ont accès à des outils de langue fiables et variés et qu’on leur enseigne à les utiliser efficacement. Il semble aussi bénéfique de modeler et d’encourager l’usage de la métalangue durant les séances du CAF. La stimulation de la métacognition apparait également comme un élément essentiel pour améliorer l’engagement et l’autonomie des apprenants. Enfin, l’observation du type de régulation et du type de critères privilégiés par les tutorés aide à déterminer s’ils sont beaucoup ou peu engagés : les intervenants des CAF gagnent ensuite à les inciter à miser sur les critères grammaticaux pour appliquer leurs stratégies, et sur la régulation interne pour juger de leur pertinence et pour trouver une autre solution en cas de problème.

Néanmoins, cette recherche comporte plusieurs limites qui doivent en nuancer les résultats. D’abord, étant donné qu’il s’agit d’une étude de cas menée auprès d’un échantillon très restreint et réalisée sur une courte durée, ces résultats ne sont aucunement généralisables. Ils peuvent toutefois être transférables de diverses façons et amener des pistes intéressantes pour susciter la réflexion des intervenants des CAF. Qui plus est, la comparaison des CAF en présence et des CAF à distance que propose cette recherche se limite à celle de l’engagement cognitif : d’autres différences et ressemblances pourraient émerger d’une étude plus étendue de ces deux modes de prestation. De plus, comme il a été mentionné au début de l’article, le modèle du CAF du cégep de Matane, où des employées de soutien accompagnent les tutorés, n’est pas très représentatif de celui adopté par la majorité des CAF de la province. Les résultats pourraient varier dans un contexte de tutorat par les pairs. Il existe en outre peu d’études portant sur l’efficacité des CAF en général, et la nôtre ne s’est pas échelonnée sur une durée suffisamment longue pour révéler une amélioration ou un changement du mode d’engagement des sujets. Il faut aussi dire que l’aide à distance a beaucoup évolué dernièrement, et le savoir-faire en formation à distance des étudiants et du personnel s’est grandement développé, notamment en ce qui a trait à l’usage des outils linguistiques en ligne.

En ce moment, il est difficile de prédire quel sera l’avenir de l’aide à distance dans les CAF. Une fois de retour majoritairement en présence, que restera-t-il des expérimentations que chacun et chacune d’entre nous auront menées? Avant la pandémie, la formation à distance était un choix, une option parmi d’autres. C’est sans doute ce qu’elle redeviendra, mais son offre sera peut-être plus répandue qu’elle ne l’était auparavant. Comme le mentionne Isabelle Cabot dans un article qui parait également ce mois-ci, les compétences en formation à distance des responsables de CAF, des tuteurs et des tutorés ont explosé durant la dernière année et tous sont devenus des habitués de cette formule. Maintenant que l’aide à distance n’est plus réservée à une poignée de praticiens et d’étudiants, une cohabitation entre services en présence et services à distance est envisageable, autant pour les uns que pour les autres. Il est aussi possible d’espérer que les améliorations technologiques et les réflexions pédagogiques générées par la formation à distance exclusive nourriront les pratiques dans l’ensemble des CAF, que leurs activités se déploient en ligne ou dans un lieu physique partagé.

* * * 

Du nouveau à la direction éditoriale de Correspondance

Comme le mentionne Valérie Plourde à la toute fin de son article, il est encore difficile de mesurer l’impact qu’aura eu cette immersion soudaine et radicale dans la formation à distance sur les pratiques qui s’ancreront à l’avenir dans les CAF. Chose certaine, la revue Correspondance sera là, comme elle l’est depuis plus de vingt-cinq ans, pour rendre compte de ces évolutions et pour contribuer à la réflexion qu’elles susciteront. Je tiens justement à profiter de la parution de cet article pour saluer l’arrivée de Valérie à la codirection éditoriale de la revue. Après six ans à occuper moi-même ces fonctions, je lui passe le flambeau en toute confiance, dans cet esprit de collaboration si caractéristique de notre communauté d’intervenantes et d’intervenants, d’enseignantes et d’enseignants, de chercheuses et de chercheurs investis dans la valorisation du français au collégial. Déjà très active dans le réseau, Valérie saura sans difficulté se faire porteuse des préoccupations qui en émanent. Pour ce faire, elle pourra également compter sur le soutien inestimable de Dominique Fortier, chargée de projets au CCDMD et codirectrice de la revue. Je remercie d’ailleurs personnellement Dominique pour la confiance qu’elle m’a accordée durant toutes ces années de travail (et de plaisir) et souhaite à Valérie de s’épanouir autant que moi dans cette belle aventure!

Jean-Philippe Boudreau
Codirecteur éditorial de Correspondance

Références

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BUCHETON, D., et Y. SOULÉ (2008). « Des postures enseignantes aux postures des élèves : une dynamique didactique plus ou moins efficiente », [En ligne], La Lettre de l’AiRDF, vol. 43, p. 20-22. [https://www.persee.fr/doc/airdf_1776-7784_2008_num_43_2_1796]. (Consulté le 11 avril 2021).

BUTLER, D. L., et S. C. CARTIER (2004). “Promoting Effective Task Interpretation as an Important Work Habit: A Key to Successful Teaching and Learning”, [En ligne], Teachers College Record, vol. 106, no. 9. [http://www.sfu.ca/~jcnesbit/EDUC220/ThinkPaper/ButlerCartier2004.pdf]. (Consulté le 22 avril 2021). 

CABOT, I. (2021). « De l’expérimentation à l’épreuve du réel : bilan (et surprises) d’une étude sur l’aide à distance dans les CAF », [En ligne], Correspondance, vol. 26, no 9. [http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/de-lexperimentation-a-lepreuve-du-reel-bilan-et-surprises-dune-etude-sur-laide-a-distance-dans-les-caf].

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (2008). Au collégial – L’engagement de l’étudiant dans son projet de formation : une responsabilité partagée avec les acteurs de son collège. Avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Gouvernement du Québec. Également disponible en ligne : http://www1.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0457.pdf. (Consulté le 11 avril 2021).

CORNO, L., et E. B. MANDINACH (1983). “The Role of Cognitive Engagement in Classroom Learning and Motivation”, Educational Psychologist, vol. 18, no 2, p. 88-108. doi : 10.1080/00461528309529266.

DESROSIERS, M. (2019). « Loin des yeux, près du CAF : une formule d’aide à distance au cégep de Matane », [En ligne], Correspondance, vol. 24, no 8. [https://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/loin-des-yeux-pres-du-caf-une-formule-daide-a-distance-au-cegep-de-matane/]. (Consulté le 11 avril 2021).

FISHER, C., et M. NADEAU (2014). « Usage du métalangage et des manipulations syntaxiques au cours de dictées innovantes dans les classes du primaire », [En ligne], Repères, vol. 49, p. 169-191. [https://journals.openedition.org/reperes/742]. (Consulté le 21 avril 2021).

LAFORTUNE, L., D. HÉBERT et S. JACOB (2000). Pour guider la métacognition, Québec, Presses de l’Université du Québec.

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VIAU, R. (2009). La motivation à apprendre en milieu scolaire, Saint-Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique inc.

  1. Les sujets sont désignés par des pseudonymes dont la lettre initiale indique s’ils participaient aux séances en présence (« P ») ou en ligne (« L »). Le sujet nommé Pierre-Louis a donc assisté aux rencontres tantôt en présence, tantôt à distance. [Retour]
  2. Certaines stratégies sont quasi absentes des données de la recherche, dont la stratégie Produire, qui est associée à la rédaction. Cette stratégie est évidemment mise en œuvre dans les CAF, mais les moments de rédaction ont été exclus de l’analyse, car il était trop difficile d’accéder aux processus cognitifs des apprenants dans ce contexte. [Retour]
  3. Pour nommer les formes d’engagement en français, nous adoptons presque intégralement la traduction proposée par Langlois et Corriveau (2009). [Retour]
  4. Les stratégies sont issues de la taxonomie de Bégin (2008). Par souci de concision, les définitions proposées ici ont été reformulées. Dans l’essai, elles ont été précisées grâce aux résultats de recherche. [Retour]

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