Intercaf 2018: entre préoccupations pédagogiques et célébration
Pour souligner ses 30 ans d’existence, le Centre d’apprentissage et de ressources linguistiques (CARL) du cégep de Trois-Rivières s’est offert un défi des plus stimulants en acceptant d’être l’hôte de l’édition 2018 de l’Intercaf. Ainsi, le 1er juin dernier, près de 80 participantes et participants ont mis le cap sur la Mauricie avec l’envie d’en apprendre davantage sur les élèves éprouvant des troubles d’apprentissage. C’est en effet sur ces élèves, et plus particulièrement sur la façon de bien les accueillir dans les centres d’aide en français (CAF), que portait la rencontre de cette année. Cette question taraude bien des responsables de centres d’aide, qui se demandent souvent comment soutenir au mieux les élèves qui doivent composer avec de telles difficultés. Le programme de la journée, concocté par les organisatrices Marie-Claude Brasseur, Mélissa Doucet, Dominique Fortier, Marie-Claude L’Heureux et Maryse Saint-Pierre, cherchait à faire émerger quelques éléments de réponse.
Une entrée en matière réussie
Après les traditionnels mots de bienvenue prononcés par Cathie Dugas, directrice du CCDMD, et Dany Harvey, directrice adjointe des études au cégep de Trois-Rivières, deux activités ont servi à briser la glace et à exposer toute la richesse du sujet qui nous réunissait ce jour-là. Les participantes et participants ont d’abord pu tester leurs perceptions à l’égard du thème de la journée grâce à un jeu-questionnaire intitulé « Mythes et réalités ». Animée par Édith Denoncourt, orthopédagogue au cégep de Trois-Rivières, cette activité visait à déboulonner certaines idées reçues concernant les troubles d’apprentissage. Des mythes tels que « Les élèves avec un trouble d’apprentissage sont plus nombreux qu’avant » ou encore « Antidote rend paresseux » ont nourri des échanges en petits groupes, puis ont été soumis à l’épreuve des faits. Il va sans dire que tous les participants s’en sont tirés haut la main!
La parole a ensuite été donnée aux principaux intéressés de cette journée : les élèves aidants et aidés. Par l’entremise d’une capsule vidéo, quelques-uns d’entre eux se sont confiés sur la réalité des troubles d’apprentissage, donnant lieu à des témoignages remplis d’authenticité et de respect. Le portrait que ce vox pop a permis de dresser est celui d’élèves conscients de leurs faiblesses comme de leurs forces, motivés à réussir et heureux de pouvoir compter, pour ce faire, sur l’aide conjointe du CAF et des services adaptés. La candeur et l’humour de certains en ont fait sourire plus d’un, et c’est sur cette note sympathique que s’est achevé le préambule de la journée.
Les troubles d’apprentissage : de la théorie…
La table étant bien mise, les participants et participantes étaient désormais prêts à plonger dans le vif du sujet. Pour ce faire, un survol théorique s’imposait d’emblée. En effet, pour intervenir efficacement auprès d’élèves ayant des troubles d’apprentissage, il faut avant tout saisir la nature de ces troubles. Cette mission a été confiée au neuropsychologue et professeur de l’Université de Montréal Dave Ellemberg. Dans une conférence intitulée TA 101 : Comprendre les troubles d’apprentissage pour bâtir la réussite, M. Ellemberg a fait la lumière sur cette réalité que nous côtoyons régulièrement sans la connaitre en profondeur. De cette présentation particulièrement éclairante, nous retenons notamment les points suivants :
- Il faut se garder de confondre trouble et difficulté d’apprentissage. Si la difficulté nait de variables contextuelles et peut potentiellement disparaitre – par exemple, un élève dont la situation familiale complexe nuit à sa réussite scolaire peut voir ses résultats s’améliorer une fois le calme revenu à la maison –, le trouble, quant à lui, est plutôt d’origine neurologique et est permanent – une élève dyslexique le sera toute sa vie.
- De solides fondements scientifiques guident la définition des troubles d’apprentissage et les interventions qui y sont reliées. De même, des critères clairs et précis en encadrent le diagnostic. D’ailleurs, comme le faisait remarquer M. Ellemberg lors de la période de questions, il est virtuellement impossible pour un élève mal intentionné de tricher à un test de dépistage afin d’en fausser les résultats à son avantage.
- En première ligne du repérage des troubles d’apprentissage se trouvent l’élève lui-même (il est après tout le meilleur témoin de sa propre situation), ses parents et les enseignants. Ces intervenants sont les mieux placés pour observer et lancer l’alerte au besoin. Et certains signes ne mentent pas : un élève qui n’atteint pas les exigences, ou encore, qui les atteint, mais au prix d’efforts incommensurables, qui a des problèmes de comportement ou des problèmes affectifs, voilà autant d’indices à considérer avec attention.
- La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) garantit à l’élève qui manifeste un trouble d’apprentissage l’accès à des mesures d’accommodement, puisque celles-ci relèvent du droit à l’égalité[1]. Un accommodement raisonnable est celui qui assure à l’élève les mêmes opportunités de réussite qu’aux autres élèves et qui évite les pièges de la discrimination ou du privilège.
- Tous les individus ont besoin de reconnaissance et de valorisation, et l’élève aux prises avec un trouble d’apprentissage ne fait pas figure d’exception. Malheureusement, puisque ses efforts ne donnent pas toujours les résultats escomptés, l’approbation se fait souvent rare. Il perd alors progressivement espoir en ses capacités et développe un sentiment d’impuissance. Les enseignantes et enseignants doivent donc être particulièrement sensibles au bagage émotif de l’élève s’ils veulent lui offrir le meilleur accompagnement possible. Il est également essentiel de tabler sur ses forces pour renforcer son estime et construire sa réussite autour d’elles. Comme l’a joliment formulé M. Ellemberg, le trouble d’apprentissage n’est qu’un « ilot de faiblesses dans un océan de forces ».
Tel que le laisse entrevoir l’expression précédente, cet exposé théorique n’était pas dénué de poésie, M. Ellemberg ne ménageant pas la métaphore pour illustrer son propos. Nous retiendrons donc que d’accorder du temps supplémentaire à un élève dyspraxique qui peine à tenir son crayon revient à offrir des lunettes à un myope et qu’à l’instar du coureur de fond qui complète un marathon en dépit d’un souffle au cœur si on lui permet de le faire à son rythme, l’élève ayant un trouble d’apprentissage réussira la tâche demandée si on lui octroie les accommodements nécessaires. Ce sens de la formule témoigne de la passion contagieuse de M. Ellemberg pour son sujet et, surtout, de l’immense respect qu’il démontre à l’égard des élèves en difficulté.
…à la pratique
Après les considérations plus théoriques de l’avant-midi, le volet pratique de la journée s’est amorcé sur l’heure du midi avec l’habituelle visite du centre d’aide, jumelée cette année à celle des services adaptés du cégep de Trois-Rivières, visite qui tombait sous le sens étant donné le thème de la rencontre. Les participants ont été à même de constater que l’aménagement des locaux favorise une belle collaboration entre le CARL et les services adaptés.
Une table ronde a par la suite donné l’occasion à trois intervenantes du réseau collégial de partager leurs pratiques gagnantes avec les élèves en difficulté. Lélia Tabard, responsable du dossier des étudiantes et étudiants en situation de handicap (EESH) au collège de Maisonneuve, a ouvert le bal avec une présentation intitulée TSA, TDAH, dyslexie : comment travailler sur les textes littéraires avec des étudiants en situation de handicap? L’enseignante de littérature a mis au point des fiches[2] qui offrent quelques repères aux personnes qui soutiennent les élèves éprouvant ces troubles. L’accompagnement rendu possible ainsi est fort apprécié des tuteurs et tutrices du CAF. Martine Ouellet, quant à elle, nous a offert une communication intitulée Stratégies de réussite et stratégies d’apprentissage. La responsable du CAF du cégep de Drummondville a conçu un dispositif qui vise à ralentir mécaniquement la lecture et à mieux encadrer l’apprentissage de la syntaxe : les jeunes rédacteurs sont invités à écrire leurs énoncés dans un tableau, à raison d’un mot par case. Le procédé semble efficace, puisque les élèves sont de plus en plus compétents dans la construction de phrases complexes. La dernière contribution à cette table ronde, intitulée Une ressource pour soutenir l’apprentissage des mots scientifiques, nous est venue de l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Enfin, Ingrid Gagnon, coordonnatrice de l’aide à la réussite de cet établissement, a développé une méthode visant une intégration plus efficace de l’orthographe des nombreux termes techniques que les élèves doivent mémoriser, défi de taille pour les dyslexiques. La stratégie, fondée sur la morphologie, porte ses fruits. Ces trois projets innovants nous confirment ce que nous savions déjà depuis longtemps : les responsables de CAF sont capables de la plus grande créativité lorsqu’il est question de favoriser la réussite des élèves. Parions que les présentations de Mmes Tabard, Ouellet et Gagnon auront fait germer de nouvelles idées au sein de leur auditoire!
En écho à la conférence du matin et dans la foulée des initiatives présentées lors de la table ronde, Daniel Daigle, didacticien du français et professeur à l’Université de Montréal, nous a invités à passer de la théorie à la pratique avec la formation En mode solution. Dans une présentation tout aussi dynamique que pertinente, il a offert aux participants une série d’observations et de recommandations. En voici quelques-unes :
- La réussite d’un élève est la responsabilité de tous. Dès qu’on devine qu’il a de la difficulté à apprendre, il faut se mettre en mode solution. Bien que les services adaptés et les CAF offrent un soutien dont on ne saurait se passer, l’aide à la réussite commence d’abord et avant tout dans la classe. L’enseignante ou l’enseignant se doit d’accompagner l’élève et de travailler de concert avec les orthopédagogues, psychologues et autres tuteurs. En développant une bonne connaissance de son élève, il peut alors faire office de GPS pour celui-ci. Apparemment, M. Ellemberg n’est pas le seul à verser dans la métaphore…
- La première des clés à fournir à l’élève pour favoriser son apprentissage est de définir avec lui ce que veut dire « apprendre ». M. Daigle nous a rappelé que les connaissances ne s’acquièrent pas isolément les unes des autres, mais qu’elles sont plutôt interreliées. Ainsi, apprendre, c’est partir des connaissances antérieures et les transformer à l’aide des nouvelles. C’est pourquoi on évitera de demander à l’élève ce qu’il ne comprend pas et qu’on lui demandera plutôt ce qu’il comprend déjà. Il s’agit d’établir ce qu’il sait, de prendre en compte ce qu’il doit savoir, puis d’évaluer l’écart qui existe entre les deux.
- L’élève lui-même doit être en mesure de déterminer s’il est en situation de compréhension ou non. Ce faisant, il développe son sentiment de compétence, un facteur des plus déterminants dans l’apprentissage et la réussite. M. Daigle suggère d’interroger l’élève au moyen de questions du genre « Sur une échelle de 1 à 10, comment évalues-tu tes compétences en lecture et en écriture? » pour le rendre davantage conscient de sa situation.
- L’enseignant ou l’enseignante veillera enfin à demeurer dans la zone proximale de développement, cette condition étant essentielle pour que l’élève puisse lier entre elles ses connaissances antérieures et les nouvelles notions qu’il doit intégrer. Décomposer une tâche complexe en micro-tâches s’avère alors une démarche gagnante.
Comme on peut le voir, ce n’est pas une marche à suivre unique ou une recette magique qu’a voulu transmettre M. Daigle aux participants de l’Intercaf, mais plutôt un état d’esprit, une façon d’aborder l’apprentissage dans laquelle l’élève et l’enseignant sont tenus pour principaux responsables de la réussite. S’en tenir au rôle du spectateur passif n’est évidemment une option pour personne. Voilà une résolution qu’ont depuis longtemps adoptée les responsables des CAF!
Le temps de célébrer
Après avoir exploré, en théorie et en pratique, la réalité des troubles d’apprentissage, et après avoir fait le plein d’idées inspirantes pour mieux répondre aux besoins des élèves qui doivent composer avec ceux-ci, l’heure était à la fête. Le CARL a convié tous ses invités à un cocktail organisé en l’honneur de son 30e anniversaire. Bulles, bouchées et trio jazz ont succédé aux conférenciers stimulants et aux collaboratrices inspirantes afin de clore en beauté cette journée bien remplie. Que demander de mieux pour ses 30 ans?
- Quelques jours après la rencontre de l’Intercaf, la CDPDJ lançait un cri d’alarme et pressait les instances gouvernementales et les milieux de l’éducation d’agir concrètement pour favoriser l’inclusion des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) en publiant Le respect des droits des élèves HDAA et l’organisation des services éducatifs dans le réseau scolaire québécois : une étude systémique (2018). [Retour]
- Les fiches pédagogiques de Lélia Tabard sont librement accessibles sur le site de l’Intercaf, dans la section Documents d’intérêt. [Retour]
NDLR
- À l’hiver 2019, le CCDMD fera paraitre un entretien filmé avec M. Dave Ellemberg. L’échange portera sur l’aide aux élèves ayant des troubles d’apprentissage, plus particulièrement dans le contexte du tutorat dans les centres d’aide du milieu collégial..
- Responsables de CAF, à vos agendas! Le prochain rendez-vous Intercaf se tiendra en mai 2019 au cégep Saint-Jean-sur-Richelieu.
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