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Les étudiantes et étudiants en situation de handicap non visible au centre d’aide en français

L’encadrement d’étudiantes et d’étudiants en situation de handicap non visible est-il réellement compatible avec le mandat d’un centre d’aide en français (CAF)? Les tutrices et tuteurs étudiants ont-ils toutes les compétences nécessaires pour soutenir leurs pairs qui présentent une déficience neurologique ou cognitive? Nous-mêmes, enseignantes, enseignants, sommes-nous outillés pour vraiment répondre aux besoins de ces élèves? Le présent article se veut une réflexion personnelle sur les défis que pose le nombre de plus en plus important d’étudiants en situation de handicap non visible dans nos centres d’aide, en espérant susciter une discussion éclairée sur le sujet.

Des « étudiants handicapés » aux « étudiants en situation de handicap »…

L’expression « personne en situation de handicap » est utilisée depuis peu. Il est bon de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une modification lexicale dictée par la rectitude politique. Cette expression découle plutôt d’une analyse sociologique et politique de la personne atteinte d’une ou de plusieurs déficiences pouvant devenir des barrières dans certaines sphères de sa vie personnelle, sociale ou professionnelle (Fougeyrollas, 2002).

Dans la société, quand on dit, écrit ou pense « personne handicapée », l’on se représente généralement l’entièreté de la personne, qu’on caractérise comme étant constamment placée face à un obstacle. Le mot handicapé est porteur d’une charge négative très forte. On présume que c’est d’abord et avant tout sa différence qui définit la personne vivant avec un handicap. On tient pour acquis que pour s’intégrer, elle doit elle-même s’ajuster à la norme, dont elle dévie nécessairement à un niveau ou à un autre en raison de son état. Il s’agit là, on en convient, d’une approche stigmatisante. À l’opposé, l’on peut avoir un tout autre regard si l’on convient qu’une personne ne se définit pas seulement par ce qui la distingue des autres et si l’on admet que les différences ne sont hors normes que dans certaines circonstances bien précises.

Au 20e siècle, le passage d’un modèle médical du handicap à un modèle social est certainement lié à l’affirmation des droits de la personne soutenue par l’Organisation des Nations unies en 1949 et à toutes les déclarations qui en découlent, dont la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006). Ce changement de paradigme a nécessairement entrainé un glissement terminologique. Dès lors, le handicap en vient plutôt à être considéré comme un problème relevant de la marginalisation sociale de la différence : le terme handicapé ne revêt pas une connotation péjorative, mais il se rattache plutôt à son sens dénoté et figuratif d’« état de surcharge appelé à être compensé » (Le Petit Robert, 2010). Ici, handicap ne peut être dissocié du nom situation, qui suggère une circonstance particulière. On ne parle plus dun individu handicapé, mais d’un individu impliqué dans une situation de handicap. En conséquence, on envisage le « handicap » comme une caractéristique personnelle découlant non pas d’une condition médicale donnée, mais bien d’une situation circonstancielle émanant de l’interaction entre les caractéristiques d’une personne (incluant des déficiences physiques, mentales, neurologiques, etc.) et un environnement qui rend possible ou, au contraire, qui freine sa participation sociale pleine et entière. On pourrait également parler d’une « situation handicapante ». En d’autres termes, la personne n’est pas tenue responsable de sa situation de handicap, laquelle n’est d’ailleurs pas nécessairement présente dans toutes ses sphères d’activité.

Pour l’Office des personnes handicapées du Québec, le concept d’incapacité recouvre un large spectre de déficiences physiques et non physiques, ces dernières pouvant être liées, entre autres, à des problèmes de santé mentale, à des troubles neurologiques tels les troubles du spectre de l’autisme ou les troubles d’apprentissage. Des déficiences « pouvant être de niveau de gravité ou de durée variable, potentiellement cumulatives, stables ou évolutives dans le temps, cycliques, allant parfois même jusqu’à disparaitre complètement pendant un certain temps » (Bonnelli et coll., 2010, p. 4). Comme son nom l’indique, une « situation de handicap non visible » est causée par une incapacité relevant d’une déficience invisible, à l’opposé des déficiences qui peuvent être décelées à l’œil nu ou à l’oreille.

Au postsecondaire, une étudiante ou un étudiant qui présentent à leur établissement d’enseignement un diagnostic émis par une professionnelle ou un professionnel de la santé (médecin, psychologue, orthophoniste ou autre) bénéficient généralement de mesures adaptées pour pallier leur situation de handicap. Il peut s’agir de temps additionnel pour les examens, du recours aux outils technologiques et à des logiciels spécialisés, etc. Comme n’importe quel élève, l’étudiante ou l’étudiant en situation de handicap non visible peuvent présenter des lacunes dans la maitrise du français et, à ce titre, recourir aux services offerts par le CAF de leur établissement. Les mesures adaptées dont ils bénéficient ne remplacent pas les apprentissages à acquérir tout au long du parcours collégial. Ainsi, quand ils recourent à l’aide en français, leurs besoins ressemblent à ceux exprimés par n’importe quels autres étudiants. Là où il peut y avoir une différence, c’est dans la façon de répondre à leurs besoins et dans la nature de la relation qui s’établira entre le tuteur et le tutoré.

La relation d’aide

La relation d’aide est une approche humaniste fondée sur la confiance dans les ressources qu’un individu porte en soi et qui ne demandent qu’à être activées (Alvez Tassinari, 2008). Dans le contexte du CAF, l’on amène la personne tutorée à prendre conscience de ses connaissances déjà acquises, à les organiser, à combler les manques, pour l’aider idéalement à atteindre le niveau attendu de maitrise de la langue d’enseignement. Selon Foucart (2005, p. 11), la relation d’aide est asymétrique, contractualisée, circonstancielle, temporisée et, à certains égards, « comobilisatrice ». En d’autres termes, la relation est asymétrique, puisque les deux personnes n’ont pas le même statut; cependant, cette asymétrie est moins forte lorsque le tuteur est lui-même étudiant, formé sommairement à la tâche et inexpérimenté. La relation est contractualisée, puisque le mandat du centre d’aide est clair : l’élève s’y présente dans le but déterminé d’améliorer sa maitrise de la langue écrite. La relation est également circonstancielle et temporisée : la fréquence et la durée des rencontres sont préalablement déterminées; de plus, si elles peuvent être renouvelées d’une session à l’autre, il n’en demeure pas moins qu’elles sont circonscrites dans le cadre d’une session de cours selon la disponibilité de la tutrice ou du tuteur. Enfin, comme il s’agit d’une dyade, les échanges directs ne sont pas univoques, car les questions, les difficultés exprimées par le tutoré devraient permettre au tuteur d’approfondir sa propre maitrise des règles et des concepts, de même que sa capacité à les expliquer. Bref, la relation d’aide est enrichissante, « comobilisatrice », comme l’exprime Foucart, pour toutes les parties impliquées.

S’il y a relation d’aide entre le tuteur et le tutoré dans un CAF, cette aide doit se limiter au français, langue d’enseignement. Cependant, il appert que pour certains étudiants ou étudiantes en situation de handicap, les besoins excèdent le cadre strict de la grammaire et des règles de rédaction, mais touchent également la métacognition. Or, lorsque la demande de certains élèves en situation de handicap non visible dépasse le mandat du CAF, la tutrice ou le tuteur peuvent peiner à y répondre, surtout si le cadre de leur intervention n’est pas clairement établi au départ.

J’illustrerai ici mon propos avec deux cas de figure inspirés de situations réelles. Il va sans dire que les prénoms et les programmes ont été changés pour préserver la confidentialité des dossiers. Mon hypothèse est qu’il peut être difficile de répondre aux demandes d’étudiants en situation de handicap ou en très grande difficulté s’il n’y a pas de possibilités d’échanges interprofessionnels entre les enseignants tuteurs ou responsables du CAF et les professionnels qui interviennent auprès des étudiants en situation de handicap, et si les tuteurs étudiants ne sont pas suffisamment formés.

Deux cas de figure : Félix et Christine

Félix est un étudiant en techniques administratives. Il fréquente assidument le CAF depuis le début de son parcours au cégep, ne manque jamais une rencontre et fait tous les devoirs qu’on lui propose. Félix a aussi des mesures adaptées : 50 % de temps additionnel pour ses rédactions, et le droit de les faire à l’ordinateur. Pourtant, Félix progresse peu. Sa tutrice (une étudiante) sait qu’il est dyslexique, parce qu’il le lui a dit. Elle remarque que même lorsqu’il utilise le logiciel correcteur, il fait encore des fautes. Elle note aussi que Félix a parfois de la difficulté à prononcer certains mots. Bref, tous les deux ont l’impression qu’ils ont atteint leur limite. Peuvent-ils la surmonter?

Christine aussi fréquente le CAF depuis plusieurs sessions, même si elle éprouve moins de difficultés que Félix. Un peu plus âgée que la moyenne des étudiants, elle est actuellement dans le cheminement Tremplin DEC et ne sait pas encore dans quel programme elle s’inscrira. Christine semble toujours dépassée par les événements, cherche longtemps les réponses dans ses pensées, pose des questions compliquées qui ne sont pas reliées aux erreurs qu’elle doit corriger. Avec elle, il semble que ce soit toujours un éternel recommencement. Elle aimerait qu’on l’aide à rédiger ses textes, se plaint qu’elle n’a jamais assez de temps pour se corriger, craint d’échouer à son cours. Pourtant, Christine a droit à des mesures adaptées, c’est-à-dire 50 % de temps supplémentaire et l’utilisation de l’ordinateur, pour effectuer ses rédactions. La place de Christine est-elle vraiment au CAF? Le tuteur du centre d’aide, qu’il soit enseignant ou étudiant, est-il vraiment en mesure de l’aider?

En résumé, ces deux étudiants ont droit à des accommodements, ce qui signifie qu’ils ont reçu un diagnostic en bonne et due forme de la part d’un professionnel de la santé, qu’ils ont présenté ce diagnostic au conseiller en mesures adaptées de leur collège et que toutes ces informations sont consignées dans un dossier… confidentiel. Si celles-ci sont partagées avec les enseignants dans certains collèges, elles ne le sont généralement pas avec les tuteurs des centres d’aide. Aussi, dans les deux cas présentés, les étudiants sont assidus, en toute apparence, investis dans leur projet d’études, et ils fréquentent volontairement le centre d’aide. Mais de quelle aide ont-ils réellement besoin, puisque la démarche proposée ne semble pas vraiment fonctionner?

Dans la grande majorité des CAF, le tutorat est assuré soit par un ou plusieurs enseignants de littérature, soit par des étudiants encadrés par une enseignant ou une enseignante, ou encore, par des étudiants universitaires. Peu importe qui assure le tutorat, rares sont les tuteurs qui ont à la fois une excellente maitrise de la langue et une formation spécifique en adaptation scolaire. Or, les interventions requises dans les deux cas exposés précédemment nécessitent une analyse approfondie des difficultés spécifiques de ces étudiants, lesquelles dépassent les notions grammaticales ou l’apprentissage de la dissertation. Si l’on considère le mode de fonctionnement des centres d’aide actuellement, la solution se trouve à l’extérieur de ce cadre restreint. Dans les deux cas, les tuteurs manquent d’information sur leurs tutorés et l’enseignement de la grammaire tel qu’il est généralement pratiqué au CAF ne semble pas suffire ou convenir à leurs besoins.

La « rason », en tout « domène », « trihonfera » : comment aider Félix?

Pouvons-nous aborder la grammaire de la même façon avec un étudiant dyslexique que nous le ferions avec un normo-lecteur? Non, c’est impossible. L’étudiant dyslexique est tout à fait en mesure de comprendre qu’il existe une différence graphème/phonème, de connaitre par cœur toutes les règles d’accord du participe passé, de bien comprendre comment identifier un sujet dans une phrase et comment faire l’accord entre le noyau du sujet et le verbe. Son trouble d’apprentissage opère sur le plan non pas de la compréhension, mais du décodage de l’écrit. Les accommodements accordés à un étudiant dyslexique sont, généralement, du temps additionnel, l’utilisation de l’ordinateur pour ses rédactions, le recours au logiciel Antidote pour réviser son travail et à d’autres outils informatiques tels WordQ, Lexibar ou Médialexie, des logiciels qui servent à la fois de synthèse vocale et de prédicteur de mots, lequel est beaucoup plus efficace que celui qu’on retrouve dans les logiciels de traitement de texte courant.

La tutrice de Félix suit le programme imposé par son CAF et révise aujourd’hui avec lui l’accord du sujet lorsqu’il y a écran entre le noyau et le prédicat. Afin de travailler sur du concret, elle lui donne une dictée tirée du matériel du CCDMD :

Texte de la dictéeDictée de Félix
La raison, en tout domaine, triomphera. Les hommes de théâtre qui, […], se soucient fort peu de logique et de rigueur […] devraient s’en tenir à notre règle des trois unités, qui repose tout entière sur le simple bon sens. Monsieur de Molière […] devrait, en ses grandes comédies, se plier rigoureusement aux recommandations de nos doctes de l’Académie française. Ainsi, au théâtre comme à la cour, nous pourrions admirer l’idéal de l’honnête homme.
(source : CCDMD)
La rason, en tout domène, trihonfera. Les hommes de théhâtre qui se sousient fort peu de logique et de rigeur devraient s’en tenir à notre règle des trois unités qui reposse toute entière sur le bon sens. Monsieur de Molière devrait, en ses grandes comédis, se pliés rigoureusement aux recomansions de nos dottes de l’académie française. Inci, au téhâtre comme à la cour, nous pourions admirer l’idéale de l’honnête homme.

Félix n’a fait aucune faute d’accord du verbe avec le sujet. Il a commis deux fautes d’orthographe grammaticale très courante : il a confondu la terminaison de l’infinitif et du participe passé et il a omis un « r » à la forme du conditionnel présent du verbe « pouvoir ». Par contre, il y a de nombreuses fautes d’orthographe d’usage, certaines assez inusitées. En fait, Félix ne voit tout simplement pas ses fautes quand il se relit. Comme il a droit au logiciel correcteur, il recopie son texte à l’ordinateur tel quel, puis vérifie avec le correcteur Antidote. La capture d’écran ci-dessous illustre que le logiciel corrige la grande majorité des erreurs, mais quatre d’entre elles résistent.

Figure 1
Marques de correction du logiciel Antidote après la retranscription de la dictée de Félix à l’ordinateur

Tout d’abord, le logiciel ne reconnait pas « trihonfera » et « recomansions ». Pour « inci », le logiciel suggère « incise »; quant à « dottes », il suggère « dattes », ce qui constitue un non-sens dans les deux cas. La deuxième mesure à laquelle l’étudiant recourt est WordQ, qui lui permet d’entendre ce qu’il a écrit. Comme il ne reconnait toujours pas « recomansions », il demande à la tutrice de répéter le mot. Celle-ci s’exécute en parlant lentement et en séparant bien les syllabes [re/com-man/da/tions]. L’étudiant a omis une syllabe [da] et il s’est trompé sur la graphie de [sjɔ̃] : deux erreurs très courantes chez un dyslexique. Il a bien entendu [doc/te], mais hésite encore, car il ne connait pas ce mot. Par contre, la synthèse vocale ne l’aidera pas pour « trihonfera » et « inci ».

Quand sa tutrice l’interroge sur l’orthographe de « trihonfera », l’étudiant explique qu’il se souvenait que le mot prenait un « h », mais qu’il ne savait pas où placer cette lettre. Il a fait le même raisonnement pour « téhâtre », sauf que dans ce cas précis, Antidote a reconnu l’erreur. Il serait surprenant que la tutrice sache vraiment ce qu’est la dyslexie et quelles stratégies elle pourrait mettre en œuvre pour aider son tutoré. De plus, elle ne connait probablement pas les logiciels prédicteurs de mots comme WordQ, Lexibar ou Médialexie, qui sont assez efficaces et permettraient éventuellement de corriger des erreurs comme « inci » et « dottes ».

Le programme de tutorat d’un CAF peut tout de même être efficace pour un étudiant comme Félix qui présente une dyslexie assez sévère, car bien maitriser les règles grammaticales et orthographiques lui permettra d’utiliser à bon escient les outils mis à sa disposition pour pallier son trouble. Cependant, il est clair que les tuteurs qui encadrent ces étudiants ont besoin d’une formation plus poussée sur les stratégies appropriées proposées dans la recherche. Pensons, entre autres, à un enseignement adapté de l’orthographe lexicale, à un entrainement au décodage morphologique, à des trucs et astuces pour faciliter la relecture de ses propres textes. Si elle avait suivi une telle formation, la tutrice de Félix pourrait aussi entreprendre une révision des rapports phonèmes/graphèmes en français. Le tuteur qui reçoit une personne dyslexique devrait à tout le moins être informé des mesures adaptées qui sont offertes à son tutoré, de leur usage et de leurs limites. Ainsi, la tutrice de Félix aurait pu le guider dans l’utilisation des outils pour qu’il puisse profiter à plein des mesures adaptées qui lui sont offertes.

La formation aux tuteurs peut être donnée par une ou un spécialiste en adaptation scolaire. D’ailleurs, certains collèges ont déjà à leur emploi un orthopédagogue qui serait tout à fait en mesure d’offrir une telle formation. Sinon, le recours à une ou un spécialiste externe est tout indiqué. Les centres collégiaux de soutien et d’intégration (CCSI), desquels relèvent les conseillers en services adaptés, regroupent des conseillers pédagogiques spécialisés dans ce domaine.

« Oui, mais… ce n’est pas ça le problème! » : quels recours pour Christine?

Christine arrive à sa rencontre, accablée et déçue, car elle a encore un échec pour sa dissertation. Elle a déjà rencontré son professeur, mais elle ne comprend toujours pas pourquoi son texte n’est prétendument pas structuré comme il faut. Elle demande à son tuteur de réviser le travail avec elle. Il y voit des fautes de français, malgré les mesures adaptées dont l’étudiante dispose. Pour elle, ce n’est pas suffisant. Christine se plaint qu’elle n’a pas eu assez de temps pour se corriger. Elle ne manifeste pas l’intérêt de réviser les fautes de français; tout ce qu’elle veut, c’est savoir pourquoi elle n’a pas obtenu la note de passage, malgré toutes les heures de travail qu’elle a investies. Le tuteur la ramène au mandat qui lui a été confié : aider ses pairs à s’améliorer en français écrit. Il connait l’œuvre étudiée et constate que Christine n’a rien compris; elle mélange tout, n’a pas saisi le sens de la question. Il la croit quand elle dit s’être vraiment préparée, puisque le livre à l’étude est surligné et annoté à toutes les pages! Mais Christine insiste, se désorganise, pleure… Cette situation se produit chaque fois qu’elle reçoit un résultat en français ou en philosophie, et son tuteur ne sait plus comment réagir.

L’étudiante exprime sa détresse, mais son tuteur en vit aussi, car il se sent démuni face aux demandes de sa tutorée. Des situations semblables sont rapportées dans un article de Morand, Landry, Goupil et Bonenfant (2015). D’entrée de jeu, les chercheuses évoquent une étude menée par l’AQICESH[1] en 2011 et menant au constat que les élèves désorganisés et anxieux, comme Christine, font face à de multiples défis au cours de leurs études :

Or, plusieurs de ces étudiants ont des problèmes causés par des stratégies d’apprentissage déficitaires : problèmes d’organisation du temps ou du travail, mauvaise gestion du stress, difficultés d’attention en classe ou dans l’étude, problèmes dans la lecture ou dans la rédaction de textes, difficultés de structuration et de synthèse des informations. (Morand et coll., 2015, p. 2)

Le tutorat dont il est question dans cet article se rapporte à une mesure d’aide offerte aux étudiants en situation de handicap non visible dans une université montréalaise et est orienté vers le développement de stratégies d’apprentissage efficaces. Les tuteurs reçoivent une journée de formation au cours de laquelle on leur présente des outils concrets pour intervenir auprès de ces étudiants. Les chercheuses ont procédé à l’évaluation du programme. Or, bien que les tuteurs aient apprécié la formation préalable reçue, plusieurs l’ont trouvée incomplète, entre autres en ce qui concerne la relation tuteur/tutoré, qui peut être complexifiée par des enjeux personnels :

Si certains étudiants ont surtout des difficultés d’ordre scolaire, d’autres étudiants présentent des difficultés affectant davantage la vie personnelle, particulièrement ceux présentant un trouble de santé mentale relié à l’anxiété ou à l’humeur. Dans ce dernier cas, ce sont les difficultés affectives qui entraînent les difficultés scolaires […] La diversité des problématiques [des tutorés] souligne, encore une fois, la nécessité de bien cadrer le rôle du tuteur dans les stratégies d’apprentissage et d’offrir aux tuteurs des supervisions en cours de session. (Morand et coll., p. 10)

Dans cette étude, plusieurs tuteurs ont affirmé avoir dépassé le cadre des interventions prescrites et s’être engagés dans une relation d’aide ou dans des discussions personnelles avec leur tutoré au-delà de ce qui est prescrit dans leur mandat. Les tuteurs qui ont répondu au questionnaire d’évaluation soulignent l’importance de lignes directrices claires qui aident à tracer les limites de l’intervention.

Or, dans l’exemple qui nous intéresse ici, le tuteur de Christine, un étudiant du collégial, n’a pas la formation, ni l’expérience, ni même la maturité pour entamer une relation d’aide psychoaffective avec sa tutorée. Le tuteur doit en référer à son responsable immédiat, qui devrait être en mesure de préciser à Christine la portée des interventions d’un CAF, mais qui devrait aussi diriger Christine vers un professionnel en mesure de répondre à ses besoins. L’idéal serait que le responsable du CAF puisse travailler en collaboration avec ce professionnel pour que Christine profite à plein de ce que le CAF peut quand même lui offrir.

Formation, information et communication

Dans le cadre d’une recherche récente qui portait, entre autres, sur les stratégies pédagogiques utilisées par les enseignants du collégial pour favoriser l’inclusion, les enseignants que j’ai reçus en entrevue associaient l’encadrement des étudiants en situation de handicap à la relation d’aide (B. La Grenade, 2017). La majorité de ceux qui s’estimaient compétents pour s’investir dans une telle relation avec ces élèves avaient suivi une formation universitaire en sciences de l’éducation, ou avaient participé à des formations d’appoint dans leur collège ou ailleurs. Parmi eux, certains étaient membres d’un ordre professionnel ou avaient vécu une expérience de travail dans un milieu où la relation d’aide faisait partie des tâches courantes. Par conséquent, encore plus que l’ouverture à la diversité, les enseignants qui comprennent ce qu’impliquent les troubles d’apprentissage ou les troubles de santé mentale en milieu collégial se sentent plus compétents pour s’engager dans une véritable relation d’aide pédagogique avec leurs étudiants en difficulté.

En ce qui concerne le cadre du CAF, des formations ciblées sont tout à fait envisageables, voire souhaitables. Même les tuteurs étudiants peuvent en bénéficier si elles sont adaptées à leurs besoins. Il ne s’agit pas ici de transformer les intervenants des centres d’aide en orthopédagogues, mais bien de les amener à comprendre le sens et les limites de leur mandat. Les formations peuvent également fournir aux tuteurs les outils nécessaires pour qu’ils puissent mieux conscientiser leurs tutorés dyslexiques aux pièges de l’orthographe lexicale et leur apprendre certaines stratégies qui les aideront dans leur rédaction. De plus, les tuteurs devraient en savoir davantage sur les accommodements offerts, leur usage, mais aussi leurs limites.

Néanmoins, de telles formations ne sont efficaces que s’il existe un lieu d’échange et de communication entre les intervenants. Par exemple, un étudiant dyslexique devrait demander l’avis de son orthopédagogue avant de s’inscrire au CAF. L’orthopédagogue, pour sa part, devrait communiquer toute l’information nécessaire au responsable du centre d’aide : cet étudiant a-t-il besoin de revoir les règles orthographiques? Quelles sont les mesures adaptées qui lui ont été octroyées? Les utilise-t-il correctement? Le lieu d’échange permet aussi de transférer un dossier comme celui de Christine à un professionnel qui peut davantage répondre à ses besoins. Quant au tuteur de cette étudiante, s’il reçoit une formation qui tient compte des étudiants en situation de handicap, il aura vite compris que leurs besoins dépassent les limites de ses interventions. Par ailleurs, le lieu d’échange fera disparaitre son sentiment d’échec, car il saura que sa tutorée est prise en charge à un autre niveau d’intervention.

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En somme, il n’y a pas d’incompatibilité entre le mandat d’un CAF et les besoins des étudiantes et étudiants en situation de handicap non visible, si leur demande d’aide est relative à leurs difficultés en français écrit. Il est possible cependant que l’encadrement soit différent. En effet, un étudiant dyslexique peut avoir besoin d’être guidé pour exploiter le plein potentiel des outils technologiques qui sont mis à sa disposition. Un étudiant anxieux doit souvent être remis à l’ordre pour qu’il respecte le cadre d’intervention du CAF. Les tuteurs étudiants ou les enseignants sont-ils compétents ou outillés pour répondre aux besoins des étudiants en situation de handicap? Sans formation ciblée et sans soutien d’experts en adaptation scolaire, j’en doute. Par contre, organiser des communautés de pratiques interprofessionnelles, offrir des formations sur les troubles d’apprentissage et sur les interventions découlant de données probantes, c’est tout à fait possible. D’ailleurs, une telle formation a été offerte à des tutrices et tuteurs étudiants au cégep de Saint-Jérôme afin qu’ils encadrent plus spécifiquement des élèves en situation de handicap[2].

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Références

ALVES TASSINARI, M. (2008). « La dimension politique des relations d’aide : la contribution de Carl Rogers », Nouvelle revue de psychologie, vol. 2, no 6, p. 229-244.

LA GRENADE, Carole (2017). Les enseignants du collégial sont-ils inclusifs? Recherche PAREA 2014-019.

BONNELLI, H., A.-É. FERLAND-RAYMOND et S. CAMPEAU (2010). Portrait des étudiantes et étudiants en situation de handicap et des besoins émergents à l’enseignement postsecondaire, Québec, Direction des affaires étudiantes universitaires et collégiales (DAEUC), Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

FOUCART, J. (2005). « Relation d’aide, fluidité sociale et enjeux symbolico-identitaires. Du paradigme réparateur au paradigme d’accompagnement », Pensée plurielle, vol. 2, no 10, p. 97-117.

FOUGEYROLLAS, P. (2002). « L’évolution conceptuelle internationale dans le champ du handicap : enjeux sociopolitiques et contribution québécoise », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé (PISTES), vol. 4, no 2. [En ligne]. [http://journals.openedition.org/pistes/3663]

MORAND, J., F. LANDRY, G. GOUPIL et N. BONENFANT (2015). « Tutorat par les pairs pour des étudiants en situation de handicap non visible : la perception des tuteurs », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, vol. 31, no 2. [En ligne]. [http://ripes.revues.org/972]

ORGANISATION DES NATIONS UNIES (2007). Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (2011). Rapport mondial sur le handicap.

  1. AQICESH : Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap. [Retour]
  2. L’auteure tient à remercier Véronique Allard, orthopédagogue au cégep de Saint-Jérôme, pour ses conseils avisés. [Retour]

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