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Un aperçu des pratiques d’enseignement de l’oral au collégial

La maitrise de l’oral est nécessaire à la vie citoyenne et son apprentissage devrait relever de la responsabilité de tous les enseignants et toutes les enseignantes. Or, l’oral demeure un objet difficile à cerner et peu abordé en classe, en particulier au collégial. À cet ordre d’enseignement, sur quatre cours de français obligatoires, seulement celui de la formation générale propre (FGP) comporte des éléments de contenu renvoyant à l’oral. Contrairement aux trois autres, davantage centrés sur la littérature, ce cours aborde directement la communication à travers la production de discours oraux et écrits de type informatif, critique ou expressif, liés au champ d’études de l’élève (MELS, 1998/2014). Afin de documenter les pratiques déclarées des enseignants de la FGP au collégial, nous avons mené, dans le cadre de notre maitrise[1], une recherche dont l’un des objectifs était de décrire les contenus d’enseignement de la compétence orale annoncés dans 36 plans de cours. Le présent article expose la synthèse des résultats obtenus à la suite d’une analyse de contenu effectuée sur ces plans de cours et sur les verbatims de six entretiens réalisés auprès d’enseignants de français du collégial.

Le choix des cas à l’étude

Nous avons ciblé trois cégeps situés dans des environnements distincts. Les cas ont été sélectionnés pour leur intérêt intrinsèque, notamment la différence de localisation, de population étudiante et de corps professoral, ce qui a conféré une certaine diversité à notre échantillon à défaut de pouvoir, dans les limites de notre étude, assurer une représentativité de l’ensemble du réseau collégial.

Les dimensions et les métadimensions de la compétence orale

La compétence orale peut être définie comme « l’aptitude à exprimer ses pensées et ses émotions, la maitrise des usages langagiers en contexte, la connaissance des scripts situationnels, la maitrise des genres oraux et l’aptitude à manier l’implicite en production comme en réception » (Gagnon, 2005, p. 39). En didactique de l’oral, plusieurs chercheurs entrevoient la compétence orale selon trois dimensions – linguistique, discursive et communicationnelle. Nous y ajoutons deux métadimensions – psychoaffective et réflexive –, puisque celles-ci exercent une influence directe sur la maitrise des trois dimensions. La figure 1 schématise cette conception de la compétence orale.

Les dimensions et les métadimensions de la compétence orale
Figure 1
Les dimensions et les métadimensions de la compétence orale, inspirées des travaux de Préfontaine, Lebrun et Nachbauer (1998), Viola, Dumais et Messier (2012) et Gagnon (2005).

Le tableau 1 propose une description des composantes de chaque dimension et métadimension de la compétence orale.

Tableau 1
Composantes des dimensions et des métadimensions de la compétence orale
DIMENSIONSCOMPOSANTES
LINGUISTIQUE

VOIX

Diction

  • Articulation
  • Timbre et portée de la voix
  • Prononciation

Faits prosodiques

  • Accentuation
  • Rythme
  • Intonation

LANGUE

Morphosyntaxe

  • Morphologie
  • Syntaxe

Lexique

  • Choix du vocabulaire
  • Étendue du champ lexical
DISCURSIVE
  • Délimitation du sujet
  • Organisation du discours
  • Fil directeur
  • Pertinence et crédibilité
COMMUNICATIVE

Interaction

  • Contact avec l’auditoire
  • Prise en compte de l’auditoire
  • Maintien de la motivation

Non-verbal

  • Attitudes, comportements
  • Mimiques, gestes, regard
MÉTADIMENSIONSCOMPOSANTES
PSYCHOAFFECTIVE
  • Expression de soi (émotions, valeurs, opinions)
  • Gestion du stress
  • Motivation intrinsèque
RÉFLEXIVE

Planification

  • Reconnaissance des forces et des défis
  • Anticipation des obstacles

Contrôle et autorégulation

  • Capacité à se reprendre en cas d’erreur

Autoévaluation

  • Prise de conscience et adoption de mesures d’amélioration
  • Explicitation de la démarche d’« orateur-communicateur »
Inspiré des travaux de Préfontaine et autres (1998), de Viola et autres (2012) et de Gagnon (2005)

Afin d’accompagner les étudiants dans le développement de leur compétence orale, les enseignants de français du collégial devraient prendre en compte l’ensemble de ces dimensions et métadimensions dans leur pratique. L’analyse de contenu effectuée nous conduit à exposer, dans la figure 2, des résultats relatifs à la présence des dimensions et des métadimensions de la compétence orale dans les plans de cours que nous avons consultés et à partir desquels des indicateurs ont été dégagés.

Les proportions accordées aux dimensions et aux métadimensions de la compétence orale dans les contenus d’enseignement.
Figure 2
Les proportions accordées aux dimensions et aux métadimensions de la compétence orale dans les contenus d’enseignement.

Pour l’ensemble des trois cégeps, il ressort que les dimensions linguistique et discursive sont sollicitées à part égale dans près du tiers des contenus d’enseignement analysés, et que la dimension communicative en représente un peu plus du cinquième. Pour sa part, la métadimension réflexive est exploitée dans le dixième des contenus d’enseignement, alors que la métadimension psychoaffective constitue la plus petite fraction. Bien que moins présentes dans les plans de cours, les métadimensions psychoaffective et réflexive seraient sollicitées par les enseignants interrogés de façon plus implicite et moins formalisée. À titre d’exemple, des activités d’expression de soi, de visualisation et de gestion du stress sont animées par certains de ces enseignants, ce qui touche à la métadimension psychoaffective. Le journal de bord, les rétroactions et les grilles d’auto-évaluation seraient pour leur part des moyens liés au développement de la métadimension réflexive de la compétence orale.

Les contenus d’enseignement priorisés par les enseignants de français du collégial

Le manque de formation spécifique à l’oral des enseignants de français du collégial explique peut-être le fait que ces derniers puisent leurs sources dans les domaines de la linguistique et des communications. En effet, la totalité des plans de cours recueillis comporte des séquences d’enseignement magistral des théories de la communication basées sur le schéma de Jakobson (1973). Certains contenus traitent également de l’emploi des registres langagiers, de l’histoire du français québécois, ou encore, des médias et de la propagande. Les ancrages théoriques se révèlent donc diversifiés, ce qui s’explique par le fait que les choix de contenus découlent des champs d’intérêt personnels, de l’expertise professionnelle et des visées pédagogiques de chaque enseignant ou enseignante.

Les genres oraux les plus exploités au collégial

Les plans de cours consultés présentent des séquences d’enseignement de genres oraux plus ou moins complexes. À l’instar du modèle didactique en enseignement de l’oral de Dolz et Schneuwly (1998), certaines de ces séquences comprennent une mise en contexte, une étape de production initiale, des ateliers formatifs, une production finale et des séances de rétroaction individuelle ou de groupe. Les deux genres oraux les plus exploités dans ces plans de cours sont l’exposé de vulgarisation scientifique (discours informatif) et la table ronde (discours critique). Nous y retrouvons également des séquences portant sur le compte rendu critique, l’entrevue, le débat, la publicité, le billet d’humeur, la lecture expressive, l’autoportrait, etc. Sans nécessairement suivre les modèles d’enseignement proposés en didactique de l’oral, les contenus auxquels nous avons eu accès démontrent pour la plupart une progression qui apparait non seulement cohérente, mais aussi propice à accompagner les étudiants vers une meilleure maitrise de leur compétence orale.

La production et la réception orales

L’enseignement de la compétence orale comporte deux volets : production et réception. Au collégial, comme au primaire et au secondaire, il apparait que les activités de production sont plus présentes que celles de réception. Toutefois, les résultats démontrent que la réception orale est enseignée au collégial. Le premier élément de compétence du devis ministériel consiste à reconnaitre les caractéristiques d’une situation de communication donnée. Un autre élément vise l’exercice du jugement critique des étudiants. Ainsi, des activités d’écoute, d’analyse ou d’appréciation d’une variété de discours oraux (conférencier invité, animatrice de télévision, personnage célèbre, film, pièce de théâtre, chanson, poème, etc.) figurent dans la plupart des plans de cours consultés.

L’oral au service de l’éducation citoyenne

Dans un souci partagé de former les étudiants à exercer un rôle actif dans une société démocratique, l’idée d’éducation à la citoyenneté semble être au cœur des préoccupations des enseignants interrogés. Cet intérêt correspond aux perspectives d’ouverture sur le monde et de participation à la formation d’un citoyen responsable, dans une société en continuel devenir, que propose le projet éducatif du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur pour le cours de la FGP. L’objectif de ces enseignants est d’offrir aux étudiants un temps d’arrêt pour réfléchir aux enjeux actuels de la communication et de leur apprendre à filtrer les discours médiatiques avec un œil vigilant et critique. Que ce soit par la sensibilisation à la désinformation, par des jeux de rôles sociaux ou par l’analyse des procédés médiatiques, les contenus d’enseignement analysés peuvent favoriser la consolidation de l’identité citoyenne des étudiants.

Outre cela, nos résultats démontrent qu’une grande proportion des activités proposées (42 %) fait référence au champ d’études des élèves, ce qui témoigne du souci des enseignants de correspondre au devis ministériel en favorisant le développement d’habiletés transférables au domaine d’activité professionnelle de chacun. À cet égard, un des enseignants interrogés s’inquiète du passage d’une culture générale vers une culture spécifique promue par le rapport Demers (2014), déplorant l’idée d’une formation générale utilitaire.

Les références à l’art et à la culture sont également nombreuses dans les contenus d’enseignement analysés (37 %), ce qui rejoint l’objectif premier de la formation générale en français : l’acquisition d’un bagage culturel commun. Sur ce plan, nos résultats témoignent de l’importance, pour les enseignants interrogés, de former globalement, culturellement et politiquement l’individu, de le préparer à la vie, et non seulement à la technicité.

Discussion et conclusion

Outil de communication, véhicule de la pensée, passeur de culture et porteur d’identité, plusieurs raisons justifient l’importance d’enseigner l’oral tout au long de la scolarisation. Ne faisant pas exception à la règle, l’ordre collégial serait même un lieu de prédilection pour développer la compétence orale dans sa globalité et ainsi favoriser la réussite de ces nouveaux citoyens dans toutes les sphères de leur vie. En dépit de la disparité observée entre les trois cégeps et à l’intérieur de chaque cégep, les contenus d’enseignement analysés reflètent la rigueur et l’unicité de chaque enseignant et enseignante. À ce propos, rappelons la diversité des orientations données au cours de français de la FGP dans l’ensemble du réseau. En effet, certains cégeps placent ce cours en début de séquence alors que d’autres, à la fin. Dans certains cas, le cours est utilisé pour former les élèves tuteurs ou tutrices du centre d’aide en français, où, dans un contexte d’aide par les pairs, la compétence orale est concrètement sollicitée. La recherche présentée ici ne couvre qu’une facette de la problématique liée à l’enseignement et à l’évaluation de la compétence orale à l’ordre collégial. Devant la disparité observée, la question de l’équité des critères d’évaluation, par exemple, demeure à explorer. De plus, dans la plupart des cours offerts au collégial, l’oral est employé comme moyen d’évaluation sans pour autant être enseigné de façon explicite. À ces égards, certains besoins pour les enseignants de français, mais également pour l’ensemble du personnel enseignant du collégial, ont pu être relevés. Les formations continues offertes par le programme Performa de l’Université de Sherbrooke semblent être le lieu indiqué pour mettre en œuvre de telles propositions.

Nous ignorons quelle place sera accordée à l’oral dans les futures prescriptions ministérielles, mais l’impératif de rehausser les compétences en français au collégial passe potentiellement par le développement de la compétence orale des étudiants. Nous espérons avoir donné ici un aperçu pertinent de la place qu’occupe l’enseignement de la compétence orale à l’ordre collégial et contribué ainsi à nourrir la réflexion dans un champ de recherche encore récent, mais porteur de réelles avancées pour la pratique enseignante.

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Références

DEMERS, Guy (2014). Rapport final sur le chantier de l’offre de formation collégiale, Québec, Gouvernement du Québec.

DOLZ, J., et B. SCHNEUWLY (1998). Pour un enseignement de l’oral : Initiation aux genres formels à l’école, Paris, ESF.

GAGNON, R. (2005). Analyse comparative de matériel didactique pour l’enseignement-apprentissage de la communication orale au secondaire, Mémoire (M.A.), Université de Genève.

JAKOBSON, R. (1973). Essais de linguistique générale, volume II, Paris, Minuit.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT (MELS) (1998/2014). Formation générale, commune, propre et complémentaire aux programmes d’études conduisant au diplôme d’études collégiales, Québec, Gouvernement du Québec.

PRÉFONTAINE, C., M. LEBRUN et M. NACHBAUER (1998). Pour une expression orale de qualité, Montréal, Logiques.

VIOLA, S., C. DUMAIS et G. MESSIER (2012). « Approche-programme et activités de communication orale en formation des maitres selon un processus de répartition spiralaire des contenus », dans BERGERON, R., et G. PLESSIS-BÉLAIR, dir. Représentations, analyses et descriptions du français oral, de son utilisation et de son enseignement au primaire, au secondaire et à l’université, Côte-Saint-Luc, Éditions Peijac, p. 147 à 164.

  1. Mémoire de recherche en sciences de l’éducation réalisé à l’Université de Sherbrooke, sous la supervision de Christelle Lison et de Martin Lépine. [Retour]

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