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Stimuler la motivation pour l’apprentissage du français grâce à la collaboration interculturelle

Plus d’un quart de siècle s’est écoulé depuis la création des cours obligatoires de français langue seconde (FLS) dans le réseau collégial anglophone au Québec. Aujourd’hui, malgré le fait que les statistiques montrent un haut degré de bilinguisme chez les jeunes Québécois de langue anglaise, un tiers des élèves du collégial ne sont pas des utilisateurs indépendants du français (Gagné et Popica, 2017). Nombreux sont ceux qui affirment ne pas avoir les compétences langagières nécessaires pour prendre entièrement leur place dans la société québécoise (Ross, Robert et Brown, 2018).

En 2017, une étude révélait une faible motivation des étudiants et étudiantes de langue anglaise du collégial pour l’apprentissage du FLS, ainsi que des attitudes négatives à l’égard de la communauté francophone et de sa langue (Gagné et Popica, 2017).

Par ailleurs, les recherches ont montré que, pour les élèves ayant fait leurs études secondaires dans le secteur francophone, réaliser des études collégiales en anglais implique des défis scolaires, linguistiques, mais aussi ethnoculturels (Vieux-Fort, 2019).

Ces défis observés au sein des populations étudiantes anglophone et francophone pourraient s’expliquer par le fait que le système d’éducation préuniversitaire du Québec, organisé en deux secteurs séparés, l’un de langue française, l’autre de langue anglaise, ne favorise pas réellement les contacts entre les francophones et les anglophones.

La recherche[1] présentée ici avait pour but de répondre à cette problématique et d’offrir une piste de solution (Popica, 2020).

Le dispositif pédagogique conçu à cette fin s’inscrit dans la dimension éducative de la formation en langues telle que l’a présentée Beacco, qui conçoit cette dimension en termes de « rencontres avec l’altérité » ou d’« expériences de l’altérité » (Beacco, 2018). Mais comment susciter ce rapport à l’altérité dans le cadre d’un cours obligatoire, alors qu’il s’agit de « quelque chose qui ne peut pas se décréter, ni s’imposer » (Castellotti, 2019 : 7)? Pour faire naitre des « motivations existentielles » et une « implication personnelle des apprenants dans les activités proposées », Beacco propose le développement d’une « approche expérientielle » de l’altérité culturelle.

C’est pour donner l’occasion à nos élèves de vivre cette expérience, de l’analyser et de la gérer sur le vif que nous avons mis sur pied un cours de FLS réunissant des élèves anglophones du niveau 2 (cours 602-201-AB) et des élèves francophones du niveau 4 (cours 602-203-AB) au sein de communautés d’apprentissage collaboratif. Ils y ont été amenés à se doter d’un bagage conceptuel et à réaliser ensemble un projet de création collaborative visant à illustrer notre identité collective.

Assises théoriques  

La théorie des contacts intergroupes

La principale base théorique pour la mise en œuvre des activités de collaboration interculturelle de groupe est la théorie des contacts intergroupes (Allport, 1954; Pettigrew et Tropp, 2011), selon laquelle le contact entre groupes sociaux différents contribue à la diminution des préjugés et de la discrimination.

Selon cette théorie, il est très important d’assurer des conditions favorables lors des échanges intergroupes, sinon on risque d’augmenter les stéréotypes, les préjugés et la discrimination entre les groupes. Trois conditions optimales ont été définies par Gordon Allport (1954) et validées dans une métaanalyse de 515 études de contacts intergroupes ayant eu lieu dans divers contextes, études réunissant plus de 200 000 participants sur une période de 50 ans (Pettigrew et Tropp, 2011). Ainsi, il faut veiller à ce que les membres des deux groupes :

  1. visent un but commun qui les rassemblent et soient conscients qu’ils ont besoin de coopérer pour atteindre ce but;
  2. perçoivent qu’ils ont des statuts égaux lors des rencontres;
  3. perçoivent qu’ils sont appuyés officiellement par des personnes qui valorisent les rapports intergroupes harmonieux.

Pour contrecarrer l’accent mis sur l’appartenance à un groupe qui se définit en opposition à un autre (francophones-anglophones) et amorcer un changement d’attitude à l’égard de l’autre, Côté (2013 : 4) suggère d’amener les participants et participantes à entrer en contact d’un point de vue personnel (qui ils sont, ce qu’ils aiment, etc.) et à se trouver une identité commune « suffisamment inclusive pour que tous sentent qu’ils lui appartiennent », un Big Nous, qui nous semble correspondre à l’« égo collectif » théorisé par Maffesoli (1985). De plus, il faut leur faire vivre une expérience positive de rapprochement, étant prouvé qu’il « est plus facile de changer les attitudes d’une personne envers une catégorie d’individus en lui faisant vivre une expérience positive avec ceux-ci, qu’en lui donnant de l’information à leur sujet » (Côté, 2013 : 5).                        

L’apprentissage collaboratif

Notre projet a également été inspiré par l’approche collaborative, qui nous a semblé à même de maximiser l’efficacité des échanges entre élèves anglophones et élèves francophones.

S’il n’y a pas consensus entre les chercheurs pour définir l’apprentissage collaboratif, cette notion est conçue, de manière générale, comme une approche « fortement pédocentrée et sociocentrée » (Poelhuber, 2017), basée sur l’apprentissage par les pairs et exigeant « une véritable activité au sein des groupes, activité très dépendante de l’implication de chacun [et chacune] dans la réalisation collective » (Baudrit, 2005).

Trois éléments, revisités et expliqués par Springer, devraient constituer la base de l’apprentissage collaboratif en enseignement des langues : la communauté (le groupe est considéré comme « un système cognitif qui fonctionne à part entière »), le contrat social (la division du travail ne peut être dictée par une consigne; elle doit être déterminée par les membres de la communauté) et la culture partagée (qui résulte d’une « négociation permanente », d’« élucidations, [d’]explications, [de] justifications, [de] reformulations qui génèrent des apprentissages socioculturels ») [Springer, 2018 : 7].

Dans ce contexte, l’évaluation ne porte plus sur les seules compétences communicatives langagières, mais aussi sur les compétences d’ordre social et interculturel (Huver et Springer, 2011; Springer, 2018; Lussier, 2007). Par ailleurs, ce n’est pas seulement l’enseignante ou l’enseignant qui évalue, l’autoévaluation et l’évaluation des pairs trouvant leur place dans le processus.

Pour que l’apprentissage survienne au sein d’une communauté, une des voies suggérées par Springer (2018) est le projet de création collaborative, inspiré par les grandes lignes de la pensée créative, appelée également pensée design (design thinking).

Les apprenants sont amenés à vivre des expériences collaboratives à travers la conception et la création d’une œuvre commune, laquelle peut être un produit qui répond à un besoin de la vie sociétale, mais aussi une œuvre imaginaire, artistique. Lors du processus de cocréation, les apprenants mettent en commun des compétences et des ressources, échangent des idées, communiquent des stratégies, négocient des rôles, font des choix qui permettent d’être créatifs et de progresser dans la réalisation de l’œuvre. Le projet, aboutissant à la création d’un objet, n’est pas la finalité, mais le moyen permettant à la fois de développer des manières d’agir et d’être créatifs et de vivre des expériences socialement partagées. Il s’agit d’une démarche où chacune et chacun apportent des éclairages et une vision du monde personnels, ce qui implique, naturellement, émotion et possiblement désordre, voire conflit, qui se règle, le cas échéant, grâce au rôle de « médiateur culturel » de l’enseignante ou l’enseignant (Zarate et autres, 2003 : 16).      

L’apprentissage collaboratif émerge des situations dialogiques nécessaires au déroulement des processus, de la consultation de ressources externes, de la mise en commun des savoirs, savoir-faire et savoir-être des membres de la communauté d’apprentissage.

Objectif général de l’étude   

Notre étude avait pour objectif général d’évaluer l’impact de l’apprentissage collaboratif interculturel sur la motivation et l’intérêt des élèves du collégial pour l’apprentissage du français et sur leurs attitudes envers la communauté linguistique de langue seconde.

Il était attendu que résultent de ce jumelage interculturel 1) une augmentation de la motivation des élèves anglophones pour l’apprentissage du FLS et de meilleures perceptions à l’égard de leurs propres compétences linguistiques en français; 2) une augmentation de l’intérêt pour l’apprentissage du français des élèves francophones; 3) une amélioration des attitudes envers la communauté de langue seconde (L2) et de la compétence de communication interculturelle pour tous les participants et participantes.

Description du dispositif d’intervention

Dans le cadre du dispositif pédagogique mis en œuvre au cours de l’année scolaire 2019-2020, plusieurs communautés d’apprentissage actif ont été créées au sein d’un groupe multiniveau en FLS – constitué d’élèves d’un groupe du niveau 2 (locuteurs de niveau intermédiaire, ou B1, en FLS, selon le Cadre européen commun de référence pour les langues [CECRL]) et d’un groupe du niveau 4 (locuteurs natifs ou de niveau avancé, ou C1, en FLS, selon le CECRL) – auquel deux professeures ont enseigné en même temps dans deux salles de classe situées à proximité l’une de l’autre. L’objectif général était de réunir des élèves des deux communautés linguistiques au sein de communautés d’apprentissage collaboratif où ils seraient outillés, au moyen de diverses activités (Campeau-Devlin et Popica, 2020a; 2020b; 2020c; 2020d), pour interroger leur environnement, cerner des problématiques liées à l’identité collective, recueillir des idées et créer des solutions et les diffuser en réalisant des projets liés à leurs champs d’études.

Dans un premier temps, les enseignantes ont exploité les mêmes textes (adaptés à chaque niveau), chacune dans son cours, afin d’offrir aux élèves des deux groupes le même cadre conceptuel pour aborder les questions de l’identité, de la diversité et de la communication interculturelle.

Progressivement, à compter du troisième cours, des activités de jumelage (activités brise-glace[2], jeux théâtraux[3], jeu Fast-Friends, conférence commune à laquelle assister, cercle de lecture) ont été intégrées à la seconde moitié de chaque cours de trois heures. Ces activités ont mené à la réalisation d’une tâche complexe (projet de création collaborative) où chaque communauté d’apprentissage, constituée de deux élèves francophones et de deux élèves anglophones regroupés par champs d’études, a été appelée à créer un objet qui reflétait sa propre représentation de l’identité collective, à partir d’un canevas de base qui laissait aux élèves la liberté de décider ensemble des étapes à suivre et des rôles à assumer lors de chaque étape. Les élèves ont eu à prendre ensemble des décisions sur la façon de procéder, d’utiliser les ressources disponibles et de traiter les informations authentiques recueillies.

Quatre cours de trois heures ont été prévus pour la réalisation du projet de recherche créative, qui, normalement, aurait dû avoir lieu dans les deux salles de classe contigües, chacune des enseignantes assurant le rôle de médiatrice interculturelle pour neuf équipes. Cependant, à cause de la pandémie, toutes les activités se sont finalement poursuivies en ligne. Pour la communication synchrone et asynchrone et le partage de documents, c’est notamment Microsoft Teams, le courriel, la messagerie Facebook ou Instagram qui ont été utilisés, alors que la rédaction collaborative a été facilitée par l’application Google Docs. Ce déplacement subit et imprévu des activités en ligne a exigé une adaptation rapide qui a pu, par moments, déstabiliser les élèves. Les enseignantes ont facilité la communication en créant pour chaque équipe une liste d’envoi contenant les noms et les adresses électroniques de tous les coéquipiers. Les étudiants ont pu ainsi communiquer entre eux et prendre l’initiative de créer leurs propres équipes dans Microsoft Teams. Une fois les consignes expliquées et les documents de travail distribués, chaque équipe a été responsable de l’organisation du travail et de ses propres apprentissages. Les enseignantes avaient pour rôle de faciliter les rencontres, de servir de médiatrices dans les malentendus, de répondre aux questions et de corriger le tir, et de s’assurer de l’avancement du travail de chaque communauté. Le contact a été maintenu de vive voix ou par écrit, grâce aux plateformes Microsoft Teams et LÉA. De plus, après chaque rencontre d’équipe, les élèves ont eu à soumettre par écrit à leur enseignante un résumé des activités et une brève analyse réflexive. À la lecture des commentaires individuels des élèves, les enseignantes ont pu intervenir rapidement, au besoin, pour désamorcer des conflits et relancer le dialogue.

Résultats et discussion

Pour évaluer l’efficacité de l’intervention, nous avons adopté un devis quasi expérimental à design prétest/post-test pour un groupe expérimental (GE2) [n = 30] et un groupe témoin (GT2) [n = 28] du niveau 2 de même que pour un groupe expérimental du niveau 4 (GE4) [n = 32].

Nous avons élaboré une méthodologie mixte. Pour le volet quantitatif de l’étude, les instruments de mesure sont des sous-échelles de type Likert validées par des études antérieures[4]. Sur les données quantitatives, nous avons effectué des ANOVA factorielles, des MANOVA et des tests t pour échantillons appariés. Quant au volet qualitatif de l’étude, les réponses à des questions à développement prétest/post-test des élèves exposés à la condition expérimentale ont été soumises à une analyse thématique et de contenu.

L’interprétation des résultats est regroupée autour de trois thèmes : l’impact de l’apprentissage collaboratif interculturel (ACI) sur la motivation des élèves anglophones à apprendre le FLS, l’impact de l’ACI sur l’intérêt des élèves francophones à l’égard du français et l’apprentissage collaboratif comme expérience de communication interculturelle.

L’ACI et la motivation pour l’apprentissage du FLS des élèves anglophones

Les données quantitatives recueillies montrent qu’il y a une amélioration des moyennes de la motivation à la suite de l’expérimentation, mais que cette amélioration n’est pas assez élevée pour être considérée comme statistiquement significative. Parmi les trois composantes de la variable motivation (« Ideal L2 Self » [Moi L2 idéal], « Ought-to L2 Self » [Moi L2 conseillé] et « Attitudes towards learning French » [attitudes à l’égard de l’apprentissage du FLS]), c’est la « Ought-to L2 Self » qui connait une augmentation statistiquement significative pour le groupe expérimental du niveau 2 (voir figure 1). Comme le concept associé à cette variable renvoie à l’influence de l’entourage de l’apprenant ou l’apprenante sur sa décision d’apprendre la langue (Dörnyei, 2009), on peut en déduire que la collaboration avec des pairs francophones influence la perception des apprenants anglophones par rapport au niveau à atteindre en tant que locuteurs de la L2 et, de ce fait, leur décision d’améliorer leur FLS.

Figure 1
Moyennes (et erreurs types) des sous-échelles « Moi L2 idéal », « Moi L2 conseillé » et « Attitudes à l’égard de l’apprentissage du FLS » (agrégat de la motivation) pour le GT2 et le GE2

Les données quantitatives ne révèlent pas d’augmentation significative des perceptions des participants anglophones quant à leurs compétences langagières en FLS à la suite de l’intervention. Cependant, les données qualitatives révèlent que certains participants constatent une amélioration de leur compétence de communication en FLS (Je suis capable de mieux parler français / J’ai appris davantage sur la langue française[5]) et surtout de leur confiance en leur capacité de prendre la parole en français (J’ai plus de confiance / Je me sens plus à l’aise, ça n’a pas été aussi intimidant que je le pensais!).

Les participants affirment avoir pris plaisir à travailler en collaboration avec leurs pairs francophones (Ça a été amusant / Bonheur! / Ça a été agréable de travailler en équipe / Ça a été intéressant), ce qui peut avoir un effet positif sur leur motivation intrinsèque à apprendre.

L’ACI et l’intérêt pour le français des élèves francophones

L’intervention pédagogique a entrainé, chez les élèves francophones, une amélioration significative de l’intérêt personnel pour la langue française et de l’intérêt situationnel ressenti à l’égard du cours de français (voir figure 2). La différence est marquée concernant l’intérêt situationnel, mais semble être moins marquée concernant l’intérêt personnel. Les deux types d’intérêt comprennent en général un affect positif (Ainley, 2006; Ainley, Hidi et Berndorff, 2002). Si l’intérêt personnel renvoie à une prédisposition motivationnelle plutôt stable, qui pousse la personne à s’engager dans certaines activités et la mène à faire des apprentissages, l’intérêt situationnel a trait à des sensations immédiates déclenchées par la situation d’apprentissage et conduit à une attention concentrée, à un fonctionnement cognitif et affectif accru et au désir de faire un effort persistant.

Figure 2
Sous-échelles du QAF pour le GE4

L’augmentation marquée pour l’intérêt situationnel des participants du GE4 pourrait signifier qu’ils ont été encouragés par l’environnement d’apprentissage collaboratif à s’engager dans les activités, une situation d’apprentissage stimulante et valorisante contribuant au maintien de l’intérêt personnel. Cela concorde avec le modèle théorique de Hidi et Renninger (2006), selon lequel le développement d’un intérêt personnel nait du maintien d’un intérêt situationnel.

Ces résultats concordent également avec ceux obtenus par Cabot (2010) sur une population d’élèves francophones exposés à un dispositif interdisciplinaire dans un cours de français de mise à niveau.

Par ailleurs, d’autres composantes de la motivation pour l’apprentissage du français des participants du GE4 ont connu une amélioration. En effet, les moyennes montrent une amélioration des buts d’évitement en regard de la performance et du travail (dans ces deux cas, une réduction), de la perception d’utilité et d’importance du français de même que des buts de maitrise (dans ces deux cas, une augmentation). Seul le sentiment de compétence des élèves francophones n’a pas augmenté à la suite de l’expérimentation.

L’apprentissage collaboratif comme expérience de communication interculturelle

Le fait que la plupart des participants qualifient l’expérience d’« enrichissante », d’« intéressante », de « très le fun », d’« active » vient confirmer l’hypothèse de Springer selon laquelle l’approche de la création collaborative « permet un dépassement de soi, apporte à chacun [et chacune] satisfaction et joie d’avoir vécu une expérience humaine pleine d’enseignements » (Springer, 2018 : 17).

Les moyennes des variables « Attitudes envers la communauté L2 » et « Attitudes à l’égard du français parlé au Québec » connaissent une hausse entre le prétest et le post-test pour le GE2 (voir figure 3). De plus, l’amélioration de ces attitudes est statistiquement significative. Toutefois, comme elle l’est pour le groupe témoin aussi, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que la hausse des scores est attribuable exclusivement au dispositif pédagogique.

Figure 3
Moyennes (et erreurs types) des sous-échelles « Attitudes envers la communauté L2 » et « Attitudes à l’égard du français parlé au Québec » pour le GT2 et le GE2

Pour ce qui est du GE4, l’intervention pédagogique n’entraine pas d’amélioration des attitudes envers la communauté anglophone. Cependant, la moyenne de cette variable était déjà très élevée avant l’expérimentation (4,3) et elle est restée stable, ce qui montre la présence d’attitudes positives chez les participants du GE4 à l’égard de la communauté anglophone.

Les données qualitatives montrent une prise de conscience sur « ce que l’identité était plus profondément » et sur « l’identité collective », de même que des similitudes et des différences entre les membres de l’équipe. « J’ai réalisé que même si on a tous l’air similaires, il y a une vraie différence entre les francophones et les anglophones », affirme l’un des participants, alors qu’un autre témoigne avoir compris combien « différents et uniques nous sommes en tant qu’individus ». Un autre encore souligne le rôle du but commun dans le travail collaboratif :

J’ai découvert que même si nous provenons de différents milieux avec différentes cultures, si nous avons le même but, c’est simple de travailler avec des gens différents de nous. Nous devons simplement établir des bons moyens de communication.

De plus, un changement de perception à l’égard de l’autre semble s’être produit chez certains participants à la suite de l’intervention. Ainsi, une élève francophone fait le commentaire suivant dans la grille d’évaluation de ses pairs anglophones :

En tant que personne bilingue ayant étudié en français avant le cégep, j’ai souvent eu l’impression que les personnes anglophones ne faisaient jamais l’effort d’apprendre le français. Cependant, ce projet m’a prouvé que mon impression était totalement fautive. Il est vrai que X et Y ont parfois de la difficulté à s’exprimer en français, mais ils ont toutefois mis beaucoup d’efforts ces dernières semaines.

Un autre élève insiste lui aussi sur le changement de ses attitudes à l’égard de la collaboration, entre le début et la fin de la session :

Au début, je n’étais pas tout à fait pour ce projet, cependant tous les membres de mon équipe ont bien travaillé […] Honnêtement, j’aimerais bien faire un autre projet comme celui-ci, si mes prochains coéquipiers travailleront et auront une attitude comme ceux que j’ai maintenant.

Ces résultats confirment que l’apprentissage collaboratif interculturel peut favoriser l’ouverture à la culture de l’autre et, de ce fait, le développement de la compétence de communication interculturelle, indispensables à l’apprentissage d’une langue seconde. L’ACI s’inscrit ainsi dans la voie de la pédagogie interculturelle centrée sur les échanges « entre » les individus de différentes cultures et non « sur ces » individus (Abdallah-Pretceille, 2010). Cette pédagogie de la « relation » avec l’Autre vise davantage l’« appropriation » de la langue seconde par l’apprenant ou l’apprenante que sa maitrise, étant donné que « s’approprier une langue […], ce n’est ni la maitriser ni la posséder, c’est la laisser advenir en propre » (Castellotti, 2017 : 307) et c’est aussi « comprendre et accepter que les autres font sens autrement et qu’on se transforme soi-même à leur contact » (Castellotti, 2019 : 7).

* * *

Bien que l’humilité et la prudence soient de mise dans l’interprétation des résultats de cette étude à petite échelle, comme dans tout jugement portant sur les contacts intergroupes, ses résultats sont encourageants. Ceux-ci montrent que la coopération interculturelle en contexte scolaire peut conduire au rapprochement des communautés, leur permettant une renégociation des frontières (Magnan et Lamarre, 2016 : 7). Grâce aux projets collaboratifs interculturels, la culture est vécue de manière dynamique, en action, et les compétences disciplinaires et sociales sont mobilisées dans le but de réaliser des tâches complexes favorisant la pluralité des voix et l’approche de l’altérité. Il en résulte une amélioration de la motivation et de l’intérêt pour faire des apprentissages essentiels à l’épanouissement social et professionnel des individus dans la société.   

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RÉFÉRENCES

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WIGFIELD, A., et autres (2006). “Development of Achievement Motivation”, dans WILLIAMS, D., et R. M. LERNER (dir.). Handbook of Child Psychology, 4, Hoboken, New Jersey, John Wiley & Sons.

ZARATE, G., et autres (2003). Médiation culturelle et didactique des langues, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe.

  1. Ce projet a été subventionné par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), par l’entremise de l’Entente Canada-Québec relative à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement des langues secondes. [Retour]
  2. L’ouvrage suivant est recommandé pour les activités brise-glace : D. M. STRINGER et P. A. CASSIDAY, 52 Activities for Improving Cross-Cultural Communication, Boston and London, Intercultural Press, 2009. [Retour]
  3. Le guide suivant est recommandé pour les jeux théâtraux : ÉRIT-ÉLODIL, Manuel de formation. Atelier d’expression créative, Montréal, Théâtre Pluralité-ÉLODIL, 2013. [Retour]
  4. Pour mesurer la motivation, nous avons utilisé le modèle du Language Disposition Questionnaire (Dörnyei, Csizér et Németh, 2006). Pour les perceptions de ses compétences langagières en FLS, la sous-échelle de Gagné et Popica (2017). Pour les attitudes à l’égard de la communauté L2, l’Attitude/Motivation Test Battery (AMTB) de Gardner (1985, 2010) et certains items de Dörnyei. Pour les attitudes à l’égard du français parlé au Québec, la sous-échelle de Gagné et Popica (2017). Enfin, l’intérêt des participants francophones à l’égard du français a été mesuré au moyen du Questionnaire sur l’appréciation du français (QAF) créé par Cabot (2009; 2010) à partir de deux modèles théoriques : la théorie des attentes et des valeurs d’Eccles et Wigfield et la théorie des buts d’accomplissement d’Ames et Elliot (Wigfield et autres, 2006). [Retour]
  5. Tous les témoignages en anglais ont été traduits en français. [Retour]

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