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Jasons littérature: la baladodiffusion au service des enseignements à distance

Avec la collaboration de Roxane Doré, enseignante de littérature au cégep de Drummondville

La pandémie nous a tous forcés, enseignants comme étudiants, à nous initier dans l’urgence à l’enseignement à distance. À la session d’hiver dernier, la transformation soudaine des cours en présentiel en cours à distance a été réalisée avec les moyens du bord. Dans cet enseignement dit « alternatif », qui implique la virtualisation du contexte d’apprentissage, et pour lequel ni les enseignants ni les étudiants n’étaient spécifiquement formés ou préparés, des efforts et concessions ont dû être faits de part et d’autre. Dans la mesure où les cours de l’automne 2020 se réaliseront encore dans ce cadre d’enseignement alternatif, des inquiétudes peuvent subsister et de nombreuses questions, se poser. Veut-on simplement diffuser les cours habituellement donnés en présentiel par l’entremise de vidéoconférences synchrones? Beaucoup d’entre nous ont déjà pu expérimenter la fatigue qui s’installe à force de passer des heures devant des écrans… Quelles sont les autres options? Enregistrer des vidéos ou des présentations PowerPoint (PPT) commentées oralement? Certes, cette façon de faire laisse davantage de flexibilité aux étudiants, mais le problème de l’écran demeure – et cette fois, sans l’interactivité que l’on souhaiterait retrouver pour dynamiser les apprentissages. Certains opteront pour des lectures, ce qui a au moins l’avantage de réduire le temps d’écran. Mais quand l’on sait toutes les difficultés en lecture qu’ont plusieurs étudiants du collégial – non pas simplement pour lire, mais pour apprendre véritablement par la lecture –, on peut se demander s’ils parviendront vraiment à appréhender la matière uniquement par cette voie. Quelle que soit l’approche envisagée, une question demeure : que deviendra la prise de notes? Les étudiants s’efforceront-ils vraiment de prendre des notes s’ils perçoivent que leurs ressources sont disponibles à l’écrit (textes, notes de cours, PPT combinant la voix et le texte)? Parce qu’il faut bien se l’avouer : une des principales raisons qui incitent les étudiants à prendre des notes dans un cours est qu’ils sont bien conscients que le discours oral nécessite d’être mis par écrit pour être « sauvegardé ». Cependant, ce que beaucoup d’étudiants ignorent, c’est qu’au-delà de la nécessité pragmatique de sauvegarder ce discours, la prise de notes est en elle-même un acte d’apprentissage : elle oblige à transférer par écrit l’information reçue oralement, ce qui demande en soi un effort cognitif considérable (Piolat, Olive et Kellogg, 2005). Les étudiants, ne pouvant tout noter, doivent s’astreindre à synthétiser et à sélectionner les éléments qu’ils croient pertinents; ils peuvent aussi organiser graphiquement les liens établis entre les éléments d’information qu’ils reçoivent. Tous ces gestes, même exécutés avec plus ou moins d’habileté, contribuent à leur apprentissage. C’est donc dans une volonté à la fois de ne pas rendre les étudiants « captifs » de l’écran, de leur rendre la matière « vivante » et de les inciter à prendre davantage de notes que nous avons décidé d’explorer cette session-ci un nouveau support d’enseignement à distance.

La baladodiffusion

À notre époque numérique, le premier réflexe de beaucoup d’enseignants, lorsqu’ils créent des ressources pour leurs étudiants, est de les concevoir sur support visuel – ce qui peut, par exemple, en inciter certains à écrire sur leurs présentations PPT toute l’information qu’ils souhaitent transmettre. Pourtant, l’oral est une option qui mériterait d’être considérée davantage.

Les balados, aussi connus sous le terme podcasts, connaissent un succès qui ne cesse de grandir. Le terme anglais podcasting est en fait un mot-valise résultant de la contraction du nom de l’outil technologique développé par Apple pour écouter des contenus audionumériques, le « iPod », et de broadcasting (en français, « diffusion ») [McLoughlin, Lee et Chan, 2007]. Cela dit, le développement incessant de ce mode de diffusion nous invite à considérer plus largement le mot pod comme un acronyme de Play On Demand (Paladino-Christin et Bétrancourt, 2016). Si le terme français baladodiffusion pose en évidence la mobilité qu’offre la ressource, le terme podcasting, lui, souligne surtout la flexibilité du moment de l’écoute de celle-ci.

Pour l’enseignante ou l’enseignant, le balado[1] a par ailleurs comme avantage non négligeable d’être considéré comme un « support audio généralement construit en série (avec des épisodes, une unité de temps et une unité de ton) » et qui, en ce sens, permet un « rendez-vous avec l’auditeur [ou l’auditrice] » (Content Shaker, 2018) et la création d’une communauté. En effet, Paladino-Christin et Bétrancourt (2016) ont mené une enquête afin de connaitre les usages et préférences d’utilisateurs réguliers de balados; les répondants affirment dans une grande majorité que, au-delà des considérations techniques, c’est la prestation de l’intervenante ou l’intervenant et, surtout, sa capacité à plaisanter, à traduire sa passion dans son discours, qui les incitent à les écouter régulièrement. Sachant que l’humour de connivence est un élément structurant des communautés (Wenger, 1998), il est pertinent de soulever que la plaisanterie et les référents compris uniquement par un groupe d’initiés, reliés par une histoire commune, sont susceptibles de contribuer à la création d’une certaine appartenance qui, on le sait, n’est pas sans importance sur le plan de la motivation en contexte d’apprentissage. Le deuxième élément relevé dans l’enquête de Paladino-Christin et Bétrancourt (2016) comme étant particulièrement apprécié par les auditeurs est la capacité du baladodiffuseur ou de la baladodiffuseuse à faire part de son expérience afin d’illustrer ses propos. Ces éléments rejoignent en fait des caractéristiques propres à l’oral en contexte d’apprentissage : alors que l’écrit comporte assurément des avantages quant à la précision et à la concision des informations que l’on peut transmettre, la parole permet plus facilement de recourir aux allégories, aux récits et à des éléments relationnels pour enrichir l’expérience d’apprentissage. La durée elle-même des ressources audios offre davantage de latitude : l’étude précédemment mentionnée soulignait que les auditeurs aimaient mieux écouter des balados de longue durée (de une à trois heures). Évidemment, dans un cadre d’apprentissage où les enseignants ne sont pas forcément des professionnels de la baladodiffusion, nous ne suggèrerons pas d’aller jusque-là; toutefois, cette préférence indique, à notre sens, que les étudiants pourraient s’accommoder plus aisément d’une ressource orale d’une trentaine de minutes – alors que l’on suggère fortement de ne pas dépasser, pour les ressources audiovidéos, la dizaine de minutes (Awad et autres, 2017).

On le voit, la baladodiffusion présente plusieurs caractéristiques susceptibles de répondre à certaines problématiques : moins d’écran, plus de temps à la disposition de l’enseignante ou l’enseignant pour transmettre un contenu ainsi que l’occasion d’offrir une prestation plus personnelle et, évidemment, un support de diffusion qui pourrait encourager davantage les étudiants à recourir à la prise de notes. Voyant ces avantages, j’ai eu l’idée, en mai dernier, de créer des balados pour mes étudiants de première session, idée qui a suscité l’intérêt de plusieurs collègues de mon département, mais également d’une enseignante d’une autre discipline (histoire de l’art) et même d’une enseignante d’un autre cégep (Drummondville). Même si le développement des ressources est toujours en cours et que nous ne puissions pas encore, à ce stade, confirmer si ces dernières s’avèrent efficaces ou même populaires auprès des étudiants, nous avons cru bon de présenter ici notre démarche de planification générale ainsi que notre première expérience de réalisation d’un balado. Nous espérons qu’en présentant la façon dont des novices telles que nous s’y sont prises pour mener à bien ce projet, nous contribuerons modestement à ouvrir de nouvelles voies d’exploration pédagogique aux lecteurs et lectrices de Correspondance.

La planification d’un balado

Avant toute chose, il faut savoir que les enseignantes impliquées dans ce projet ont décidé de créer deux types de balados : des ressources créées individuellement et des ressources communes. Les balados animés par une seule intervenante sont évidemment plus rapides et moins complexes à concevoir, puisqu’ils ne nécessitent pas de concilier des objectifs d’apprentissages divers et d’organiser la prise de parole; cependant, ils reposent alors sur le dynamisme de la prestation d’un seul individu qui se doit donc de parler… tout seul, évidemment. On aurait tort, en tant qu’enseignants non professionnels de la baladodiffusion, de sous-estimer le défi que représente ce type de discours. À l’opposé, les balados réalisés à plusieurs ont l’avantage d’offrir aux étudiants l’écoute d’une discussion, ce qui, en soi, permet plus facilement d’instaurer un certain dynamisme dans le discours. Par ailleurs, il peut être intéressant de profiter de l’expertise de personnes ayant différentes perspectives ou domaines de spécialisation. Le défi, dans ce cas, repose tout particulièrement sur la dimension collaborative du travail de développement de la ressource.

De manière générale, il convient d’abord de cerner le propos du balado. À plusieurs, le défi est de dégager les éléments de contenu permettant de tenir un propos commun – ce qui est évidemment plus facile lorsque les enseignants sont de la même discipline et donnent le même cours. Toutefois, la démarche demeure potentiellement intéressante malgré la disparité. Une discussion entre deux enseignantes, l’une de littérature et l’autre d’histoire de l’art, a amené les interlocutrices à évoquer la notion « d’effet » produit par différents procédés propres à chaque discipline; des échanges sur le sujet ont permis de mettre en évidence des stratégies similaires pour appréhender des procédés par ailleurs très différents, par exemple le repérage d’indicateurs symboliques (langagiers en littérature, visuels en histoire de l’art) associés à une atmosphère donnée. Dans une autre discussion, des enseignantes donnant respectivement des cours de français 601-101 et 601-102 ont pu constater une thématique commune à leurs deux cours : la résilience. De même, ces enseignantes, en discutant avec une enseignante donnant un cours complémentaire sur la paralittérature, ont relevé des genres potentiellement intéressants à évoquer ensemble afin de mieux les distinguer les uns des autres : le merveilleux (601-101), le fantastique (601-102) et le fantasy (cours complémentaire). Il faut noter que le processus est, en soi, intéressant en ce qu’il permet d’établir un dialogue disciplinaire et interdisciplinaire trop peu souvent engagé entre les enseignants, dialogue qui contribue à s’éloigner de l’enseignement en « silo ».

Dans le cadre de la planification de notre premier balado commun[2], nous avons d’abord été appelées à préciser certains éléments essentiels à l’élaboration d’une activité d’apprentissage cohérente. Voici un aperçu de ces éléments, que nous détaillons par la suite sous la forme d’un tableau (voir ci-dessous) :

  • Objectifs d’apprentissage à court terme : Ce sont les résultats que l’on attend à court terme de l’activité qui s’appuie sur le balado. Il peut s’agir d’apprentissages théoriques ou de connaissances procédurales en prévision d’une autre activité.
  • Objectifs d’apprentissage à long terme : Ceux-ci entrent dans la planification globale de chaque enseignante ou enseignant, au-delà de cette ressource précise. Ils permettent aux collaborateurs d’avoir une vision d’ensemble des raisons sous-tendant les objectifs à « court » terme de chacun et chacune, ce qui peut favoriser la compréhension des attentes de chacun et chacune. Il peut s’agir ici aussi d’objectifs très concrets (réutiliser dans un exercice ultérieur une notion déjà abordée ou préparer les étudiants à la lecture d’une œuvre X) ou plus généraux (instaurer un état d’esprit dans lequel on veut que les étudiants appréhendent la matière).
  • Ligne directrice : Après l’établissement des objectifs d’apprentissage, la ligne directrice vise à s’entendre sur une orientation commune (une sorte de métaobjectif) qui guidera non seulement la production du balado, mais aussi la manière de diriger l’écoute. Quand chaque enseignante ou enseignant poursuit des objectifs différents, la ligne directrice aura pour objet de cerner l’apport de la combinaison de chacun de ces objectifs. Par exemple, si trois « profs » ont pour objectif de présenter trois genres distincts (le merveilleux, le fantastique et le fantasy), la ligne directrice insistera sur l’idée d’amener les étudiants à mieux appréhender le genre X en précisant ce qui le distingue de genres apparentés (ce qu’il a de commun, ce qu’il a de différent).
  • Visées pédagogiques : Celles-ci sont plutôt liées à des considérations extradisciplinaires relatives à l’enseignement lui-même. Il peut s’agir par exemple de définir à l’avance des stratégies d’enseignement visant à susciter la motivation des élèves ou de préciser le niveau d’approfondissement de l’apprentissage recherché. Ces visées pédagogiques influenceront grandement le type d’encadrement offert par l’enseignante ou l’enseignant avant, pendant et après l’écoute du balado.
  • Éléments de contenu : Il s’agit de préciser ici les connaissances déclaratives à aborder. Ces éléments pourraient éventuellement être communs aux deux enseignantes impliquées dans la production du balado, mais le tableau ci-dessous présente pour cette catégorie des colonnes non fusionnées, afin de donner à voir l’angle par lequel chacune comptait initialement aborder le sujet dans son cours.
  • Exemples d’appui (allégories, récits, ressources textuelles, etc.) : Sont précisés ici les éléments plus concrets qui enrichiront notre discours, qui lui donneront du « corps ». Le langage oral, nous nous en sommes vite rendu compte, soutient mal la transmission de concepts théoriques ou trop abstraits : il a besoin des mécanismes du conteur ou de la conteuse afin de susciter un intérêt – pour ne pas simplement dire une écoute réelle. Ces mécanismes, bien que mieux servis par une bonne oratrice ou un bon orateur, sont plus facilement mis en place lors de l’évocation d’exemples concrets, de récits ou d’allégories permettant à l’auditoire de « visualiser » le contenu du message. Au mode oral, l’exemple règne en maitre et c’est souvent par lui que l’on doit passer pour bien faire comprendre une notion. Le recours à des « référents communs » est une autre stratégie à exploiter afin de concentrer l’attention : référence à une activité faite précédemment, à un passage textuel lu par les élèves, mais aussi à un évènement cocasse survenu en ligne, au commentaire fait par un étudiant ou une étudiante… Il convient d’exploiter, lorsque possible, ce genre de rappels implicites à une communauté, qui peuvent créer une appartenance et favoriser ainsi l’apprentissage.

Voici donc le tableau que nous avons élaboré afin de nous guider dans les premiers pas de notre conception de balado :

Tableau de planification d’un balado
 Enseignante 1 Enseignante 2 
Objectifs d’apprentissage à court terme 
  • Introduire la notion de « situation de communication » (celle du texte qu’on lit, celle du texte qu’on écrit)  
  • Faire voir la complexité du phénomène, surtout le fait que le texte est un construit social dont il importe de décoder les paramètres afin de lire ou d’écrire adéquatement 
  • Amener les étudiants à définir leur posture de lecteur ou lectrice dans le contexte du cours en suscitant leur vigilance sur des éléments essentiels de l’environnement implicite de production du texte, de la relation locuteur/destinataire, des dynamiques (ou mécanismes) internes du texte et de leurs biais de lecteur ou lectrice 
  • Sensibiliser les étudiants au fait qu’il y a plusieurs lectures possibles pour un même lecteur ou une même lectrice et encore plus pour des lecteurs différents 
  • Préparer la rédaction du portrait de lecteur ou lectrice
Objectifs d’apprentissage à long terme 
  • Préparer les étudiants à un premier exercice d’approche du texte (paratexte + horizon d’attente) 
  • Initier les étudiants à la notion de « situation de communication » en vue du genre de texte à écrire (explication de texte) 
  • Développer des réflexes de lecteur ou lectrice pour chercher les traces de la situation de communication, notamment à travers le genre, les procédés d’énonciation et les tonalités 
Ligne directriceDéconstruire leur vision habituelle du texte et de la lecture et reconstruire (les recadrer dans la bonne posture), à savoir :

  • La lecture comme construit (lecteur ou lectrice, contexte de lecture et texte), donc… 
    Importance de considérer le lectorat (biais, connaissances antérieures, savoir-être) 
  • Le texte comme construit social complexe (paratexte) – soumis à des règles, à des implicites, etc.
Visées pédagogiques
  • Varier les médias des ressources (audio)
  • Amener les élèves au niveau de la compréhension; peut-être plus haut dans un deuxième temps
  • Rendre le concept de « situation de communication » intelligible, concret – mais aussi vivant, objet de discussion et d’intérêt 
  • Situer l’œuvre littéraire et la lecture littéraire dans son « écosystème » 
Éléments de contenu
  • Paratexte (époque, culture, techniques), auteure ou auteur et public, édition
  • Cultures : mœurs sociales/classe sociale, politiques (lois), littératies, éditeur ou éditrice (considérations éditoriales)
  •  Genres : « sous-cultures » de situations de communication
  •  Objectifs de communication
  •  Objectifs vs mécanismes vs effets 
  • Biais de lecteur ou lectrice
  • Situation de communication
  • Objectifs de lecture vs objectifs de communication du texte
Exemples d’appui (allégories, récits, ressources textuelles, etc.) 
  • Contes de Perrault vs contes des frères Grimm (commande/protecteur vs « anthropologues ») 
  •  Exemple d’une personne qui écoute un film après des années et qui remarque alors des éléments qui ne l’avaient pas marquée auparavant (l’influence du contexte de production vs l’écoute non contemporaine + notre propre évolution) 
  •  Slam (fait pour être entendu) vs calligramme (fait pour être vu)
  •  Extrait d’une pièce de théâtre (lecture à une voix neutre vs « lecture à l’italienne ») 
  • Description de l’observation d’une toile selon qu’on le fait pour le plaisir ou à des fins de compréhension ou d’analyse
  •  Extrait de Lettre poétique à Georges Floyd (mécanisme affectif)
  • De l’horrible danger de la lecture par Voltaire (mécanismes de la critique, rhétorique)
  • Image de la lecture littéraire comme une rencontre avec une personne que nous voulons essayer de comprendre et de connaitre…
  1. En faisant des recherches sur elle (paratexte) – mais cela ne nous dira pas tout (ce n’est pas parce que la personne est connue pour être féministe que ce sera son propos quand je la rencontrerai)
  2. En étant à l’écoute de ce qu’elle dit (propos)
  3. En étant à l’écoute de ce que nous ressentons (les effets ressentis pouvant découler de mécanismes utilisés pour atteindre l’objectif de communication), mais en prenant garde à nos « préjugés » (biais)

La mise en forme d’un scénario détaillé

Une fois la planification de ces éléments généraux établie, il convient de scénariser dans le détail le contenu du balado, en prévoyant, par exemple, les alternances de sujets et de prises de parole. En ce qui nous concerne, nous avons choisi de mettre le scénario de notre balado sous forme « théâtrale » abrégée, c’est-à-dire avec l’indication de la locutrice ou du locuteur à chaque prise de parole. Cette « scénarisation » détaillée nous a permis de structurer notre discours, d’organiser les enchainements et notre dynamique d’interaction.

Le scénario lui-même peut être très détaillé ou sommaire (par mots-clés), selon les préférences des intervenants. L’important est d’organiser les alternances de paroles (savoir en gros quand quelqu’un a fini de parler pour pouvoir prendre à son tour la parole), les transitions de sujets, les questions à poser et les précisions supplémentaires à donner et de s’assurer de faire des synthèses afin de « regrouper » les propos.

La réalisation

Nous avons par la suite procédé à une « répétition-test » au cours de laquelle nous reprenions la scénarisation et tentions de discuter de tout ce que nous avions prévu. L’aspect « répétition » nous a permis de repérer les exemples peu efficaces ou trop longs, de même que les transitions manquantes – tout en nous familiarisant avec le discours de l’autre personne (sa façon de nous « passer la parole », de faire des digressions ou non, etc.). L’aspect « test », quant à lui, visait à évaluer la durée du balado. Ayant constaté (sans surprise) que nous prenions une heure vingt alors que nous visions un balado de trente à quarante minutes, nous avons procédé à des coupures et à des ajustements afin de resserrer notre propos.

Lors de notre premier enregistrement, nous avons tenté de nous interrompre le moins souvent possible – un peu comme si nous étions en direct. Ce fut une erreur. Après un premier essai de montage peu concluant et fortes des apprentissages faits dans ce processus, nous avons effectué un second enregistrement. Cette fois, nous avons opéré deux changements majeurs : nous avons laissé de longues pauses entre les échanges de prise de parole et nous n’avons pas hésité à faire plusieurs « prises » du même commentaire au fil de l’enregistrement, et ce, jusqu’à ce que nous soyons satisfaites – toujours en laissant des pauses de trois à cinq secondes avant de reprendre la parole. Si ce deuxième enregistrement fut d’une durée initiale de une heure dix, les coupures effectuées à postériori – rendues cette fois très aisées grâce aux silences visuellement repérables dans le logiciel de mixage – ont permis d’obtenir un balado d’à peine 37 minutes tout à fait satisfaisant pour nos besoins.

Extrait du balado La lecture littéraire : appréhender le texte en tant que situation de communication.

Quelques aspects techniques

À ce stade, nous avons décidé d’opter pour une approche low-tech (ou basse technologie), surtout en raison des considérations pratiques liées au manque de temps qu’implique l’enseignement à distance dans le contexte actuel. Nous avons donc procédé à la prise de son de notre discussion via l’enregistrement d’une rencontre Zoom. La plateforme génère systématiquement un fichier audiovidéo en plus de deux fichiers audios (il faut toutefois paramétrer cette option dans les préférences d’enregistrement du compte). L’avantage de faire l’enregistrement audio dans le cadre d’une vidéoconférence, outre la simplicité de la manœuvre, était de nous donner la possibilité d’indiquer visuellement à notre interlocutrice les moments de prise de parole. Beaucoup de forums et de spécialistes en baladodiffusion insistent sur l’importance de la qualité du micro. Nous confirmons qu’une qualité minimale est requise. L’utilisation des micros intégrés aux ordinateurs doit vraiment être évitée, ceux-ci générant trop d’échos et d’interférences. Les microécouteurs de type EarPods ou les fils d’écouteurs pour cellulaire (avec micro intégré) sont préférables aux micros intégrés aux ordinateurs (ils génèrent moins d’échos), mais leur qualité sonore demeure toute relative. Celle-ci pourrait cependant être suffisante pour un court balado (10-15 minutes). En fin de compte, nous avons utilisé un casque d’écoute avec micro intégré Logitech H390 ClearChat Comfort ainsi qu’un micro Shure SM58 et une interface audio iRig HD[3], ces deux types de micros s’étant avérés d’une qualité suffisante pour notre balado. Nous soulevons qu’à plusieurs intervenants, il importe de prioriser l’uniformité du son à sa qualité elle-même : entendre très bien une voix et enchainer avec une autre voix nettement moins forte ou claire finit par être beaucoup plus irritant que d’avoir une qualité sonore moyenne, mais uniforme.

Pour réaliser le montage, nous avons utilisé l’application GarageBand (une des participantes l’ayant sur son ordinateur Mac). Le logiciel nous était parfaitement inconnu, mais un petit « cours » maison donné par un proche le connaissant bien nous a permis, en une trentaine de minutes, d’appréhender les fonctions nécessaires à nos besoins. Le logiciel permet d’ajouter plusieurs pistes où l’on peut simplement « déposer » l’enregistrement audio fait par le biais de Zoom (une piste par voix). Il offre aussi un grand nombre de « boucles » sonores qui, lorsqu’on ajoute une troisième piste, permettent d’intégrer une petite musique au début et à la fin du balado. Nous avons ajouté l’enregistrement d’une voix « off » présentant le titre du balado et l’identité des intervenantes sur une quatrième et dernière piste. Une fois ces pistes sonores établies et l’indicatif musical déterminé, on obtient un canevas facilement réutilisable pour tous les enregistrements subséquents. Toutefois, ce genre de fioritures n’est pas essentiel au type de balados décrit dans le présent article.

L’encadrement de l’écoute du balado

Pour structurer l’activité liée à la baladodiffusion, nous nous sommes basées sur les mêmes principes que nous recommandons de considérer dans le contexte d’une activité de lecture (Bélec, 2016), soit d’offrir un encadrement avant, pendant et après celle-ci. La raison de considérer cette ressource orale au même titre qu’une lecture réside dans la similitude de leur contexte de réception : un contexte où l’élève est seule ou seul et, donc, sans soutien de l’enseignante ou l’enseignant ni aucune interactivité susceptible d’enrichir la communication.

Avant l’écoute

Nous avons décidé, d’abord, de structurer l’écoute du balado par les étudiants en leur fournissant des objectifs d’écoute sous forme de questions auxquelles ils devront répondre. Ayant organisé nos cours de manière à composer des équipes de travail de trois ou quatre étudiants, nous avons spécifié dans nos consignes précédant l’écoute qu’ils devront :

  • répondre, soit par écrit, soit oralement[4], dans le canal de leur équipe de travail (dans Microsoft Teams), à deux questions préparatoires, et ce, 24 heures avant la tenue du cours;
  • répondre à ces questions en prenant en compte les réponses données précédemment par les autres membres de l’équipe, de manière à ce que chaque réponse ajoutée permette de compléter, nuancer ou corriger celles les ayant précédées.

Il est à noter que nous avons formulé nos questions préparatoires après la scénarisation détaillée de notre balado. Nous nous sommes ainsi assurées que les réponses à celles-ci se trouvaient effectivement dans le texte scénarisé; en fait, cela nous a forcées à ajouter quelques phrases clés dans notre scénarisation et à préciser une question. Nous insistons sur ce point, parce que nous nous sommes rendu compte qu’il existait parfois un écart entre ce que nous pensions dire et ce qui était effectivement dit; cet écart peut être minime, résider dans la simple absence d’un terme explicite permettant de bien faire comprendre à l’auditoire ce à quoi nous référons. Le fait de se forcer à constituer une réponse à partir de divers éléments de la scénarisation permet de s’assurer que l’on a posé les bonnes questions (ou dit les bonnes choses!).

Pendant l’écoute

Afin de structurer le traitement de l’information pendant l’écoute du balado, nous comptons fournir aux étudiants une feuille de prise de notes comprenant une liste de concepts auxquels ils devront être attentifs ainsi qu’un tableau visant à les aider à sélectionner et à structurer l’information. Les concepts abordés étant nombreux et complexes, nous jugeons important d’offrir un soutien métacognitif aux étudiants; en contrepartie, en les invitant à classer ces concepts d’une manière particulière, nous exigeons d’eux et elles un réel travail intellectuel (ce qui ne survient pas lorsqu’on leur fournit l’information déjà traitée).

Après l’écoute

Pour revenir sur les notions théoriques présentées dans le balado et « travaillées » de manière autonome par les étudiants, nous organiserons finalement une séance d’enseignement synchrone, par vidéoconférence. Cette séance sera l’occasion de revenir en groupe sur les réponses formulées par certaines équipes, tout en permettant aux autres de confirmer ou de corriger leurs réponses. Un travail d’approfondissement des réponses à l’une des questions préparatoires sera ensuite poursuivi en sous-équipes (grâce à l’option de Microsoft Teams permettant de scinder la classe en canaux privés), pour finalement mener à un retour en plénière. L’ensemble de cette activité menée en mode synchrone devrait durer environ 30 à 35 minutes.

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Il est évident que bien d’autres options d’encadrement seraient possibles. Nous aurions pu simplement commenter, en mode asynchrone, les réponses données par les équipes de travail. Si nous réalisions un balado individuel, par exemple où nous viserions simplement à mettre les étudiants en contexte par rapport à une œuvre littéraire à lire, à leur donner des clés de lecture, nous pourrions probablement nous contenter de fournir le balado sans autre encadrement (avant, pendant ou après), la baladodiffusion devenant en soi une activité d’encadrement avant la lecture plutôt qu’une activité d’apprentissage à proprement parler. Toutefois, compte tenu de l’engagement qu’implique la création d’un balado à plusieurs intervenants, nous souhaitions que cette ressource contribue à un apprentissage plus complexe afin de « rentabiliser » davantage le temps et l’effort investis dans sa conception.

L’ensemble de la démarche peut sembler complexe – et elle l’est, jusqu’à un certain point. Cela dit, nous en sommes à présent à la conception d’un deuxième balado et nous constatons que nous arrivons à structurer nos idées de manière plus efficace et parvenons à éviter davantage les pièges et difficultés auxquels nous avions été confrontées lors de notre première expérience. Cela prouve que la création de balados implique simplement le développement d’une nouvelle compétence – ce qui n’est pas si différent, quand on y songe, de celles que nous avons développées à nos débuts en tant qu’enseignantes. Par ailleurs, nous avons aussi noté que ce travail sur le discours oral nous a forcées à réfléchir aux discours que nous tenons habituellement devant nos étudiants. Par exemple, le constat de l’écart entre ce que nous pensions avoir dit et ce que nous avions réellement dit, à l’étape de la constitution des réponses à nos questions orientant l’écoute du balado, nous pousse à nous interroger : dans quelle mesure ce phénomène ne se produit-il pas quand nous donnons un exposé en classe? Le fait de « penser » un discours oral comme une ressource équivalente à une lecture nous a aussi menées à nous questionner : ne serait-il pas pertinent d’orienter l’écoute de nos étudiants même en classe? Pourrait-il être pertinent de structurer leur prise de notes – du moins dans certains cas précis (matière particulièrement complexe, début de session, étudiants à risque, etc.)? Ainsi, malgré l’investissement cognitif et temporel qu’a exigé de nous jusqu’ici la création de ces balados, nous estimons que celui-ci aura valu la peine à bien des égards : en plus d’être une belle occasion de tisser des liens avec des collègues et de fournir des activités d’apprentissage plus diversifiées aux étudiants, cette expérience aura été une occasion de pratique réflexive susceptible de dépasser le cadre de l’enseignement alternatif actuel et d’avoir une portée sur notre discours en tant qu’enseignantes de manière générale – à distance comme en présence.

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Références

AWAD, E., et autres (2017). « Planifier, réaliser et diffuser des vidéos éducatives : lignes directrices et astuces pour les enseignants », [En ligne], Profweb. [https://www.profweb.ca/publications/dossiers/planifier-realiser-et-diffuser-des-videos-educatives-lignes-directrices-et-astuces-pour-les-enseignants].

BÉLEC, C. (2016). « L’alignement pédagogique des lectures », [En ligne], Correspondance, vol. 22, no 4. [https://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/lalignement-pedagogique-des-lectures].

CONTENT SHAKER (2018). « Podcast, le format qui séduit audiences et annonceurs », [En ligne], Content Shaker. [https://contentshaker.webedia-group.com/article/podcast-le-format-qui-seduit-audiences-et-annonceurs_a479/1].

MCLOUGHLIN, C., M. J. W. LEE et A. CHAN (2007). Promoting Engagement and Motivation for Distance Learners through Podcasting. Communication présentée à Naples, Italie, dans le cadre de la conférence annuelle du European Distance Education and E-learning Network (EDEN), [En ligne]. [https://researchoutput.csu.edu.au/en/publications/promoting-engagement-and-motivation-for-distance-learners-through].

PALADINO-CHRISTIN, M., et M. BÉTRANCOURT (2016). « Usages et préférences de design concernant les podcasts audio professionnels : enquête auprès des professionnels des TIC », Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, vol. 13, nos 2-3, p. 46-59.

PIOLAT, A., T. OLIVE et R. T. KELLOGG (2005). “Cognitive Effort during Note Taking”, Applied Cognitive Psychology, vol. 19, no 3, p. 291-312. doi : 10.1002/acp.1086.

WENGER, E. (1998). Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity, Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press.

  1. Nous utiliserons le terme français à partir de maintenant. [Retour]
  2. Le balado, La lecture littéraire : appréhender le texte en tant que situation de communication, a été réalisé par deux enseignantes de littérature (Catherine Bélec, du cégep Gérald-Godin, et Roxane Doré, du cégep de Drummondville) dans l’objectif d’introduire la notion de lecture littéraire et le rôle des savoir-être dans celle-ci à leurs étudiants de première session, respectivement dans le cours Introduction à la littérature (601-XAA-GG) et Littérature et écriture (601-101-MQ). [Retour]
  3. Un micro USB serait tout à fait fonctionnel aussi. [Retour]
  4. Il est possible de concevoir des forums « oraux » par le biais de l’application Flipgrid. Pour en savoir plus, lisez cet article publié dans Profweb : https://www.profweb.ca/publications/outils-numeriques/flipgrid-un-forum-de-discussion-video. [Retour]

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