" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
Portraits de famille: «banc», «chambre», «cou» et «sou»

Portraits de famille: «banc», «chambre», «cou» et «sou»

Curiosités étymologiques

Non seulement les mots banc (d’origine germanique), chambre, cou et sou (d’origine latine) datent tous de l’époque de l’ancien français, mais chacune de leurs familles respectives comprend des éléments surprenants, des descendants dont le lien de parenté étymologique s’est souvent obscurci au fil du temps. Portraits de famille.

Banque, banqueroute, banquet et saltimbanque : au banc des accusés!

Le nom banc (milieu XIe) vient du germanique bank-, mot désignant un siège allongé. Les dérivés français de banc, peu nombreux, sont apparus assez tardivement. Mentionnons le plus courant : l’adjectif bancal (milieu XVIIIe), signifiant « boiteux, mal équilibré » par allusion aux pieds souvent divergents d’un banc. Tous les autres mots de la famille nous sont venus par l’intermédiaire d’autres langues romanes.

La ressemblance entre les mots banque, banqueroute, banquet et saltimbanque n’est pas fortuite : ces mots d’origine italienne ont tous un lien étymologique avec l’idée de « banc ». Banque (XVe) est un emprunt à l’italien banca « banc », de même origine que le mot français banc. Banque, forme féminine de banc, désigne, à l’origine, la table ou le comptoir du changeur, puis, par extension de sens, l’établissement où l’on fait le commerce de l’argent. Le mot banqueroute (XVe), emprunté à l’italien banca rotta « banc rompu », se rattache au même sens : à la suite d’une banqueroute, on brisait symboliquement le comptoir (banc) du banquier en faillite. Le terme banquet (début XIVe) vient de l’italien banchetto, dérivé de banco signifiant « petit banc ». La coutume voulait, en effet, que, dans les banquets, les convives prennent place sur de petits bancs disposés autour des tables. Banquette (début XVe), un autre diminutif de banc, vient pour sa part de l’ancien provençal banqueta « siège à plusieurs places ». Le mot saltimbanque (XVIe), enfin, vient de l’italien saltimbanco, composé de saltare « sauter », de in « sur » et banco « banc », et signifiant littéralement « saute-en-banc ». Le mot désigne une personne qui fait des acrobaties sur une estrade, appelée ici banc.

Camarade, cabaret et cambrioleur : une affaire de chambre

Camarade, d’origine espagnole, appartient à la grande famille des mots issus du latin camera, qui a donné le mot français chambre. À l’instar de camarade, plusieurs membres de cette famille sont arrivés en français par l’entremise d’autres langues. Camarade (XVIe) est un emprunt à l’espagnol camarada « chambrée », de camara « chambre ». Camarade est à l’origine un terme militaire de genre féminin désignant une chambrée de soldats – sens disparu au XVIIe siècle – avant de s’appliquer, par glissement de sens, au compagnon de chambrée lui-même. En français moderne, camarade, dont le lien avec l’idée de « chambre » s’est complètement effacé, a un sens proche de compagnon ou collègue (un camarade de classe); c’est aussi, dans un contexte politique, l’appellation des membres de partis et de syndicats de gauche (nos camarades ont voté la grève). Associé à un monde tout différent, le terme camériste (ou camariste), resté étroitement lié à l’idée de « chambre », est également d’origine espagnole. Camériste (XVIIIe) est un emprunt à l’espagnol camarista, de camara « chambre » (avec influence de l’italien camerista). Aujourd’hui rare ou d’usage plaisant (pour « femme de chambre »), le mot a servi historiquement à désigner une femme de chambre attachée au service d’une femme noble en Espagne et en Italie. Dans Le mariage de Figaro (1784) de Beaumarchais, Suzanne, la fiancée de Figaro, est la camériste de la Comtesse.

Quant au mot chambre (cambre, milieu XIe), il est issu, comme ses cousins camara (espagnol et portugais), camera (italien), cambra (catalan) et cambro (occitan), du latin camera « voûte », lui-même emprunté au grec kamara. Le mot latin est passé du sens technique de « voûte » à celui de « chambre voûtée » en latin populaire, puis à celui de « pièce d’une habitation » (en particulier la pièce où l’on couche). Parmi les dérivés de chambre, mentionnons chambrette (fin XIIe), chambrière (XIIe, « servante ») et chambrée (XIVe), équivalent de l’espagnol camarada.

La chose paraîtra sans doute étonnante, mais le mot cabaret, emprunté au néerlandais, remonte également au latin camera. Cabaret (kabaret, fin XIIIe), mot désignant d’abord une petite auberge ou une buvette, est un emprunt au néerlandais cabret, lui-même emprunté au picard camberete ou cambrette « petite chambre », variante dialectale de chambrette. Supplanté dans son sens d’origine par café, bistrot, estaminet ou taverne, cabaret s’applique aujourd’hui à un établissement de spectacle où l’on peut consommer de l’alcool, manger et danser. Cambrioleur appartient également à la famille de « chambre ». Cambrioleur (début XIXe) est un dérivé du mot d’argot cambriole « vol », lui-même issu de l’occitan cambro « chambre ». Un cambrioleur, c’est, au sens premier du terme, un « voleur de chambre », qui dévalise un appartement en y entrant par effraction. Les termes cambrioleur, cambrioler (milieu XIXe) et cambriolage (fin XIXe), d’argotiques qu’ils étaient à l’origine, sont devenus d’usage courant au début du XXe siècle. Ajoutons le mot caméra (milieu XIXe), emprunté à l’anglais camera « appareil de photo », lui-même emprunté au latin des physiciens dans l’expression camera obscura « chambre noire ».

Collet, racoler, colis : en avoir jusqu’au cou

Les mots cou (fin XIe) et col (fin XIe) sont, en ancien français, de simples variantes phonétiques issues du latin collum et désignant la partie du corps qui unit la tête au tronc. Mais, dès le XIIe siècle, col s’applique aussi, par contiguïté, à la partie du vêtement qui entoure le cou. Les dérivés de cou/col sont tous produits, sans exception, à partir de la forme col. Toutefois, le lien avec l’idée de « cou » ne s’est pas toujours maintenu.

Ainsi, si la parenté de collet (fin XIe, « petit cou ») avec cou est toujours perçue, on ne peut en dire autant de son dérivé, le verbe colleter (fin XVIe, « saisir au collet »), employé aujourd’hui à la forme pronominale dans le sens de « se battre, s’empoigner » : se colleter avec des voyous. De même, s’il saute aux yeux que décolleter (XIIIe, « découvrir en laissant voir le cou ») et encolure (milieu XVIe) sont dérivés de col, ce lien de parenté n’est guère senti dans le cas du verbe accoler (fin XIe) signifiant à l’origine « embrasser en jetant les bras autour du cou », mais employé depuis longtemps dans le sens de « joindre, réunir ». Son dérivé accolement (« étreinte » au XIIIe) a été repris, au XIXe siècle, dans le sens de « rapprochement de deux choses ». Seul accolade (début XVIe), « le fait de mettre les bras autour du cou », a conservé son sens d’origine. Un autre dérivé d’accoler a connu une évolution plutôt inattendue : il s’agit du verbe racoler (XIIe, de re- et accoler), passé du sens d’origine d’« embrasser de nouveau » à celui d’« enrôler » (milieu XVIIIe), puis à celui d’« attirer (des clients) », d’abord dans un contexte commercial, puis dans le contexte de la prostitution (fin XVIIIe). Notons que le mot collier n’est pas un dérivé de col bien qu’il appartienne à la même famille. Collier (coler, fin XIIe) vient du latin collarium, dérivé de collum. Le terme d’habillement collerette (début XIVe) en est dérivé.

D’autres mots encore appartiennent à la famille de cou/col, quoique le lien avec l’idée de « cou » se soit depuis longtemps effacé : le nom colis (1723), emprunté à l’italien colli (pluriel de collo « cou »), mot signifiant proprement « charges portées sur le cou », et le verbe colporter (XVIe), qui résulte de la transformation, d’après col, de l’ancien verbe comporter (du latin comportare « transporter »). Colporter (littéralement « porter à son cou ») a d’abord le sens de « transporter des marchandises pour les vendre » (d’où colporteur « marchand ambulant ») avant de développer, à la fin du XVIIIe siècle, le sens figuré de « répandre des ragots ».

Soldat soudoyé : question de gros sous

Sou, solide et solde : voici trois mots issus, par des chemins différents, du même mot latin. Le mot sou (solt, fin XIe) vient du bas latin sol(i)dus « pièce d’or », substantivation de l’adjectif solidus « massif ». Or le latin solidus a aussi donné, par voie d’emprunt, le mot solide (début XIVe), dont la famille compte non seulement des dérivés comme solidement et solidification, mais aussi plusieurs termes d’origine latine comme solidité (XIVe), consolider (XIVe), solidaire (milieu XVe) et souder (fin XIe). Quant au nom féminin solde (XVe, « paye versée aux soldats »), c’est un emprunt à l’italien soldo, nom masculin signifiant proprement « pièce de monnaie », issu lui aussi du bas latin soldus.

Sont également empruntés à l’italien deux autres mots de la famille de solidus qui se rattachent à l’idée de « solde », de « pièce de monnaie » : le verbe solder (XVIIe, de l’italien saldare « arrêter un compte ») et le nom soldat (fin XVe, de l’italien soldato), lequel a d’abord désigné une sorte de mercenaire « à qui l’on paie une solde ».

* * *

Fait à signaler, en français, le mot soldat a remplacé soudard, aujourd’hui littéraire, et l’ancien français soldoier (passé à l’anglais au Moyen Âge : soldier), deux mots qui remontent à d’anciennes formes de sou. Soudard (souldard, milieu XIVe) résulte de la transformation de l’ancien français soldoier (variante soudoier) au moyen du suffixe –ard à valeur dépréciative. Le nom soudard s’est appliqué, à l’instar de soldat, à un soldat mercenaire « engagé pour une solde » avant de prendre, au XVIe siècle, le sens d’« homme de guerre brutal et grossier ». Soudard est à rapprocher du verbe soudoyer (soldoier, milieu XIIe), qui, en emploi intransitif, a d’abord signifié « servir comme mercenaire ». Tout comme soudard, le mot soudoyer est dérivé de sold ou soud, formes disparues de sou. En emploi transitif, soudoyer est passé du sens d’origine de « payer une solde (à des soldats) » au sens moderne et péjoratif de « corrompre ».

* * *

PRINCIPALES SOURCES

DUBOIS, J., H. MITTERAND et A. DAUZAT (2006).
Dictionnaire étymologique et historique du français,
Paris, Éditions Larousse.

REY, A., dir. (1994). Dictionnaire historique de la langue
française
, Paris, Éditions Le Robert.

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE