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La réécriture

La réécriture

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »

 
Ce célèbre passage de l’Art poétique de Boileau résume bien l’importance de la réécriture dans le processus scriptural. Un texte est une construction faite de multiples écritures et réécritures; la version finale n’est que la strate supérieure, constituée de ce qui a résisté à l’érosion de la gomme à effacer ou de la touche Supprimer[2]. Dans le présent article, nous verrons que la réécriture peut être un outil pour améliorer les capacités en écriture des élèves[3]. Certaines modalités didactiques permettent d’optimiser la réécriture; nous les exposerons avant de suggérer quelques activités qui stimuleront les élèves à travailler davantage leur texte ou qui les aideront à développer certaines aptitudes langagières.

Tout d’abord, on entend par réécriture le fait de retravailler un écrit par un retour sur les aspects discursifs, textuels et stylistiques, en reportant à une étape ultérieure la gestion de la ponctuation et de l’orthographe. De cette manière, le scripteur ne se retrouve pas en surcharge cognitive[4] et parvient à retravailler plus efficacement le sens et la structure de son texte. La réécriture, contrairement à la révision et à la correction, n’a pas pour objectif de corriger les erreurs de langue.

Des modalités didactiques facilitant la réécriture

Certaines modalités didactiques favorisent une réécriture fructueuse[5]. Il est d’abord pertinent que l’enseignant[6] et les pairs effectuent une lecture de la première version du texte. L’enseignant adopte alors une posture de lecteur et non pas de correcteur afin de voir le texte de façon globale, d’en relever les dysfonctionnements globaux. Il peut lire à haute voix le texte d’un élève devant la classe et le commenter : à l’oral, le sens est privilégié et les erreurs d’accord ou de ponctuation ne s’entendent pas – ou, à tout le moins, peuvent être subtilement palliées par l’enseignant. De cette façon, un élève qui a de la difficulté en orthographe pourra recevoir des commentaires sur d’autres aspects du texte, et même se voir félicité pour certaines réussites. Qui sait s’il ne sera pas fier pour la première fois d’une production et s’il n’aura pas envie de la retravailler… Par ailleurs, les commentaires faits à haute voix bénéficieront à toute la classe. Ils seront éventuellement intégrés : les élèves les reprendront lors de discussions en petits groupes sur les textes.

La lecture par les pairs a quant à elle l’avantage de donner une idée au scripteur de la réception de son texte. Parce que les collègues ont uniquement accès au texte réel – parfois loin du texte que s’imagine avoir produit l’auteur! –, ils décèleront les références inadéquates, les changements de système verbal, les citations qui ne conviennent pas à l’argument présenté, par exemple. Souvent, ils proposeront au scripteur des solutions aux problèmes relevés, quand ce dernier pourra croire que sa formulation est la seule possible. Les débats et discussions entourant les textes amènent en outre les élèves à expliquer les problèmes perçus. Cette verbalisation donne forme à des connaissances implicites sur la langue écrite et les textes; les hypothèses formulées sont ensuite validées auprès de l’enseignant ou à l’aide d’ouvrages de référence. Les élèves seront surpris de constater tout ce qu’ils savent… et dont ils n’ont pas conscience (Oriol-Boyer, 2000).

Afin d’optimiser les réécritures, il est important de laisser s’écouler du temps entre chacune d’entre elles. Cela favorise la distanciation : le scripteur distingue plus facilement son texte de celui qu’il s’imagine avoir produit. Des chercheurs (Cameron et collab., 1997; Chanquoy, 1997; Stainton, 1993, cités dans Alamargot, Chanquoy et Chuy, 2005) ont en effet remarqué qu’un auteur qui relit son propre texte à voix haute tout de suite après l’avoir produit y ajoute des mots qui n’y sont pas, mais qu’il s’imagine avoir écrits. Cet effet tend à disparaitre lorsqu’il se relit deux semaines après avoir rédigé. Nous l’avons dit, si les pairs et l’enseignant parviennent à jeter un regard critique sur le texte d’autrui, c’est qu’ils lisent ce qui est écrit, point à la ligne. En d’autres termes, le délai entre écriture et réécriture permet de travailler un texte « étranger », sur lequel le scripteur parvient à porter un jugement plus objectif. On recommande enfin de travailler le texte en format numérique, afin de faciliter le déplacement de segments textuels et de faire en sorte que la transcription – tâche fastidieuse pour certains – ne soit pas une limite à une réelle réécriture (Privat et Vinson, 2000).

Quelques consignes pour leur mettre le vent dans la plume

Des didacticiens qui se sont intéressés à la réécriture (Privat et Vinson, 2000; Masseron, 2000) recommandent de donner une consigne de réécriture afin de stimuler les élèves. Il va sans dire que les critères d’évaluation du texte final doivent être adaptés à la nouvelle consigne (Oriol-Boyer, 2000). En voici quelques exemples.

  1. Présenter une œuvre littéraire et réécrire un texte en adoptant le style de l’auteur lu. Par cet exercice, les élèves relèveront les caractéristiques du style, qui pourront ensuite être analysées dans une dissertation. Il est aussi recommandé de leur montrer des brouillons d’écrivains célèbres afin de leur faire constater qu’ils ne sont pas les seuls à raturer et que réécrire est en fait une stratégie employée même par les experts.
  2. Faire rédiger des textes intermédiaires tels une idée secondaire contenant une citation ou le portrait d’un personnage. Ces sections de texte devront ensuite être insérées dans un texte complet et par le fait même adaptées pour bien s’y intégrer. Une telle approche diminue le syndrome de la page blanche, présent chez certains élèves même lorsqu’une planification de groupe – tout à fait souhaitable – a été effectuée. De plus, elle facilite la mise en texte : les élèves se concentrent d’abord sur un court texte dont ils contrôlent l’entièreté. Ils arrivent à le peaufiner et savent qu’à tout le moins cette section du texte est satisfaisante.
  3. Réécrire un texte produit la session précédente ou un texte d’un élève plus jeune. Dans cet exercice, les élèves verront leur progrès, ce qui est stimulant, et constateront qu’ils possèdent des astuces pour enrichir un texte.
  4. Réécrire un même texte à deux ou à trois, ce qui permet de débattre des possibilités d’amélioration. Les élèves emploient alors l’oral dans un contexte authentique et doivent utiliser le métalangage pour être compris de leurs pairs.
  5. Réécrire individuellement un même texte pour l’enrichir (avec des exemples, une analepse – ou flashback –, des dialogues, un argument supplémentaire, etc.), puis comparer les versions obtenues. Les élèves découvriront ainsi plusieurs variantes possibles et il peut être valorisant pour certains de constater qu’avec un même point de départ, ils sont allés plus loin que d’autres, produisant un texte riche et original.
  6. Réécrire pour réinvestir de nouvelles connaissances. Par exemple, au moment de la production d’une lettre d’opinion, l’enseignant exposera une stratégie argumentative, puis l’élève devra ajouter un passage où elle est utilisée; pour une analyse littéraire, on enseignera quelques figures de style, puis on demandera aux élèves d’ajouter une idée secondaire à un paragraphe de leur texte en appuyant leur propos sur des exemples de ces figures de style; dans la lecture et la production de nouvelles littéraires, on enseignera un nouveau type de narration et on demandera aux élèves de réécrire leur texte ou celui d’un auteur en l’employant.
  7. Changer le genre du texte. Transformer une nouvelle journalistique – plutôt neutre – en chronique – subjective – en y ajoutant des termes connotés négativement ou positivement; partir d’une analyse littéraire pour produire une critique littéraire semblable à celles que l’on trouve dans Le Devoir du samedi; modifier une recette pour en faire un poème rimé… Les possibilités sont nombreuses.
  8. Ajouter des exemples dans une argumentation ou y introduire des citations littéraires. Étudier avec les élèves les marqueurs de relation permettant d’intégrer des exemples sera alors pertinent. Cette activité favorise le développement de compétences en lecture, puisque les élèves devront bien comprendre le texte à réécrire, en plus des sources documentaires ou des œuvres littéraires dans lesquelles ils trouveront les exemples pertinents pour soutenir l’argument présenté.

La réécriture, est-ce formateur?

Il est très formateur et même stimulant de réécrire. Premièrement, la réécriture change la conception que les élèves se font de la langue et de l’écriture. Il ne s’agit plus de refléter la pensée et la réalité au moyen d’un ensemble de structures et de normes à respecter; les élèves développent une vision plus ouverte, plus libre de l’usage de la parole, où la pensée se crée entre autres par l’écriture (Bucheton, 1996; Reuter, 2000). La réécriture possèderait une « vertu désacralisante; elle convainc que l’activité scripturale ne relève pas [uniquement] du bien dire, d’une gestion locale de microphénomènes ou d’un investissement de lecture […], mais qu’elle comporte l’idée d’un travail jamais achevé, simplement pour acquérir une compétence » (Rosier, 2002, p. 49). L’écriture n’est alors plus un processus linéaire : le texte peut constamment être amélioré, ce que les élèves perçoivent difficilement en général, puisqu’ils lisent habituellement des produits finis – livres, revues, textes numériques – dont ils ne voient pas les étapes de production (Privat et Vinson, 2000). Aussi, les modifications apportées deviennent-elles synonymes de réflexion plutôt que de déficience (Reuter, 2000).

Deuxièmement, on note de réelles améliorations sur le plan textuel. Bucheton (1996; 2000) a observé les suivantes dans la réécriture de textes narratifs :

  • des thèmes sont approfondis ou même ajoutés;
  • les personnages du récit évoluent (leur personnalité, leurs relations);
  • dans les récits, des dialogues sont ajoutés, de même que des analepses et des prolepses[7];
  • la division en paragraphes est améliorée;
  • des métaphores sont intégrées et des champs lexicaux, développés.

La composante orthographique n’étant pas évaluée dès le départ, la réécriture facilite la gestion des sous-systèmes de la langue par les scripteurs débutants et limite la surcharge cognitive : les élèves sentent que tous les problèmes ne sont pas à régler d’un coup (Reuter, 2000; Bucheton, 1996).

Enfin, la lecture par les pairs est pertinente à plus d’un égard. Elle donne une idée de la réception qu’aura le texte et, par la verbalisation qu’elle exige, elle amène un usage du métalangage. En outre, de notre vécu d’enseignante, il nous semble que les élèves sont plus satisfaits de leur production finale quand ils ont eu l’occasion de la retravailler à la lumière des critiques de pairs ou de l’enseignant-lecteur. S’ils sont réticents la première fois – parce qu’il peut leur sembler décourageant de constater que leur texte pourrait être retravaillé sans fin, mais aussi parce qu’ils craignent le jugement des autres –, par la suite ils réclament la réécriture[8], sachant qu’ils auront de meilleurs résultats grâce à elle.

Étant donné tous les avantages que procure la réécriture, il serait bon de reconsidérer notre façon d’enseigner l’écriture. Un texte exige une lente maturation, profite d’être réécrit sur un laps de temps assez long et avec l’aide des pairs et de l’enseignant. Nous-mêmes, scripteurs experts, n’oserions rédiger, puis diffuser tout de suite après un texte de grande importance; nous demandons l’avis d’autres scripteurs, nous relisons quelques jours plus tard. Il s’avère dommage que ce sous-processus n’occupe que peu de place en classe et ne puisse être déployé dans les contextes d’évaluations ministérielles de 5e secondaire et du collégial, où l’élève planifie, écrit et révise dans une même période de temps, plutôt brève.

* * *

  1. Je remercie Hélène Rousseau, enseignante au Collège Saint-Charles-Garnier à Québec, et
    Suzanne-G. Chartrand, didacticienne du français à l’Université Laval, pour leurs commentaires justes et pertinents concernant cet article. [Retour]
  2. Écrire n’est surtout pas coucher directement sa pensée sur papier; c’est donc tout le contraire de ce que Boileau exprime quelques vers plus haut que ceux déjà cités : « Avant donc que d’écrire, apprenez à penser / Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément »! [Retour]
  3. Ces informations sont tirées de notre mémoire de maitrise (Paradis, 2012), dans lequel nous effectuions une synthèse de recherches sur l’écriture et le processus scriptural à partir de textes édités entre 1995 et 2010, ainsi que d’une recension des articles publiés entre 2000 et 2010 dans les revues de didactique du français Pratiques, Le Français aujourd’hui et Repères. Cet article est le troisième d’une série portant sur les quatre sous-processus de l’écriture : la planification, la mise en texte, la réécriture et la révision.
    [Retour]
  4. Voir notre article sur la mise en texte dans le vol. 18, no 2 de Correspondance pour un résumé des niveaux d’organisation du texte et pour mieux comprendre les exigences cognitives de l’écriture. Nous y donnons aussi quelques suggestions pour alléger les tâches d’écriture afin d’éviter la surcharge cognitive et de faciliter l’apprentissage. [Retour]
  5. Plusieurs de ces modalités facilitent aussi la révision et la correction de texte. À ce sujet, voir Chartrand (2013). [Retour]
  6. Le masculin employé représente aussi bien le genre féminin que masculin; en français, il est épicène. [Retour]
  7. À cet effet, un enseignement des discours rapportés et des systèmes verbaux devient essentiel pour éviter que réécriture rime avec erreurs linguistiques nombreuses. [Retour]
  8. Quand il n’y a pas de réécriture possible et que nous faisons des commentaires sur les copies corrigées, des élèves nous disent : « Mais on ne le savait pas qu’il fallait faire ceci ou cela. On l’aurait fait si on avait su! » On constate alors l’imprécision de nos consignes (!), mais aussi la valeur didactique du processus de réécriture. [Retour]

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ALAMARGOT, D., L. CHANQUOY et M. CHUY (2005). « L’élaboration du contenu du texte : de la mémoire à long terme à l’environnement de la tâche », Psychologie française, vol. 50, no 3, p. 287-304.

BUCHETON, D. (1996). « L’épaississement du texte par la réécriture », dans DAVID, J. et S. PLANE (éd.), L’apprentissage de l’écriture de l’école au collège, Paris, Presses universitaires de France, p. 159-184.

BUCHETON, D. (2000). « Table ronde sur la réécriture (Cinq réponses écrites à un questionnaire commun) : réécrire ou penser à nouveau son texte », Pratiques, nos 105-106, p. 203-211.

CHARTRAND, S.-G. (2013). « Enseigner la révision-correction de texte du primaire au collégial », Correspondance, vol. 18, no 2, p. 7-9.

MASSERON, C. (2000). « Note sur quelques activités de réécriture », Pratiques, nos 105-106, p. 111-136.

ORIOL-BOYER, C. (2000). « Table ronde sur la réécriture (Cinq réponses écrites à un questionnaire commun) : réécrire ou penser à nouveau son texte », Pratiques, nos 105-106, p. 218-221.

PARADIS, H. (2012). Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures pour l’obtention du grade de M. A. en didactique, Université Laval [En ligne], référence du 30 décembre 2012.

PRIVAT, J.-M. et M.-C. VINSON (2000). « Table ronde sur la réécriture (Cinq réponses écrites à un questionnaire commun) : réécrire ou penser à nouveau son texte », Pratiques, nos 105-106, p. 225-232.

REUTER, Y. (2000). « Table ronde sur la réécriture (Cinq réponses écrites à un questionnaire commun) : réécrire ou penser à nouveau son texte », Pratiques, nos 105-106, p. 222-224.

ROSIER, J.-M. (2002). La didactique du français, Paris, Presses universitaires de France.

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