L’usage raisonné d’un logiciel de correction
L’impression générale d’une diminution de la qualité du français écrit chez les élèves, y compris chez ceux du collégial, préoccupe plusieurs enseignants. La situation parait d’autant plus inquiétante que la réussite en français est considérée comme un atout majeur pour la réussite dans toutes les disciplines et qu’elle semble constituer le meilleur indicateur de la réussite des cours de première session au collégial – et, plus tard, de l’obtention du diplôme. L’analyse des erreurs commises par les élèves révèle cependant que la majorité d’entre elles portent sur des cas simples et étudiés très tôt dans la scolarité[1]. Pourquoi les cégépiens font-ils autant d’erreurs, et souvent les mêmes d’une production à une autre ? Pour quelle raison n’appliquent-ils pas les règles simples qui leur ont été répétées depuis le primaire ? Nous souscrivons aux propos de Cogis (2005, p. 143) avançant que « ce [que les élèves écrivent] est l’effet de ce qu’ils peuvent mobiliser comme savoir à un instant donné ».
Cogis (2005, p.15) rappelle avec pertinence que « parler ou écrire ne consiste pas à faire de la récupération de matériaux linguistiques dans l’environnement, mais à recréer sans cesse de nouveaux agencements langagiers ». Il s’agit en effet d’actes complexes qui sollicitent des processus cognitifs et des représentations sociales, et qui peuvent conduire rapidement à une surcharge mentale[2]. Nous savons en ce sens que les élèves négligent souvent l’étape de la révision de leurs textes, soit qu’ils ne prévoient pas de temps pour s’y consacrer, soit qu’ils manquent de connaissances ou de stratégies pour le faire. Une formation au logiciel Antidote, reçue à l’automne 2009[3], nous a amenée à penser que l’usage raisonné d’un correcticiel pourrait constituer un vecteur d’apprentissage, en amenant les élèves à réfléchir sur la langue et à consacrer plus de temps à l’étape de la révision de leurs textes. C’est dans un tel esprit, sensible aux possibilités offertes par le développement des outils informatiques, que nous entreprenons le projet de recherche Évaluation et mesure des apports d’un correcticiel[4], qui s’échelonnera sur une période de deux ans.
Si notre projet cible uniquement les aspects qui correspondent au critère ministériel « maitrise de la langue », c’est parce que les élèves québécois n’éprouvent pas de difficultés particulières en ce qui concerne les autres aspects (Lefrançois et collab., 2008). Les données ministérielles révèlent d’ailleurs que leurs difficultés en lien avec le critère « maitrise de la langue » perdurent d’un ordre d’enseignement à l’autre et représentent le principal facteur d’échec en français.
Le présent article donne un aperçu des orientations de notre recherche. Nous ferons quelques remarques d’abord sur le comportement des élèves quant à la révision et à la correction, puis sur le potentiel pédagogique d’un outil d’aide à la rédaction. Nous préciserons ensuite quelques paramètres de notre recherche, ses objectifs et les principales étapes de l’expérimentation.
Révision et correction : une étape négligée par les élèves
Le modèle tiré de la psychologie cognitive découpe le processus complexe de l’écriture en trois composants principaux – la planification, la mise en texte et la révision – et distingue l’étape de la révision comme fondamentale. Il semble cependant que les élèves consacrent très peu de temps à cette étape, soit 3 % du temps total dédié à l’écriture[5], et que les élèves faibles remplacent souvent une forme par une autre pour « des raisons aussi peu rigoureuses que l’esthétique visuelle ou musicale » (Bisaillon, 1991, p. 42).
Il est généralement reconnu que le processus de révision comprend trois opérations : la détection, l’identification et la modification. Des expériences révèlent toutefois qu’en l’absence d’un travail préliminaire pour amener les scripteurs à prendre conscience de leurs faiblesses, ceux-ci se montrent généralement peu habiles à détecter les erreurs dans leurs textes. Par surcroit, les élèves faibles doivent corriger plus d’erreurs que les autres alors qu’il leur manque souvent les connaissances pour le faire et les stratégies pour les éviter. Lalande (1988) fait la distinction entre les erreurs de performance et les erreurs de compétence selon que les erreurs sont liées à une surcharge de la mémoire de travail ou à des connaissances erronées ou manquantes. À l’étape de la révision, dans le meilleur des cas, seules les premières pourront être repérées par les élèves, d’où l’importance de la rétroaction (sur les connaissances et sur les stratégies utilisées par les élèves), qui permet, entre autres, de reconstruire correctement une règle erronée.
Formation des élèves et accompagnement
Les outils informatiques d’aide à la rédaction développés après 1990 permettent un repérage plus efficace des erreurs et en font un meilleur diagnostic. Ils sont aussi plus conviviaux et plus accessibles.
Antidote est un correcticiel qui fonctionne en différé, permettant aux élèves de concentrer leur attention sur la relecture de leur texte, une fois les étapes de la planification et de la mise en texte terminées. Il met à la disposition des utilisateurs trois prismes différents (correction, révision et inspection) et il donne accès, entre autres, à une dizaine de dictionnaires et à une grammaire interactive en ligne. De façon générale, cet outil se montre très efficace dans la détection des erreurs relatives à l’orthographe lexicale et aux accords. Il l’est également pour relever les erreurs de ponctuation les plus fréquentes, soit l’absence de virgule devant certaines conjonctions de coordination ou dans le contexte d’un complément de phrase. Sa performance est moindre sur le plan de la détection des erreurs syntaxiques, ce qui peut représenter un inconvénient puisque les élèves du collégial se montrent généralement peu habiles sur ce plan.
Pendant l’année scolaire 2010-2011, nous avons offert une formation au logiciel Antidote à plusieurs groupes d’élèves. En collaboration avec les enseignants de différents cours de la formation spécifique, nous avons invité les élèves à procéder à la révision d’un texte par étapes successives, en se concentrant d’abord sur les erreurs « graves[6] » détectées par le prisme de correction. Ils activaient ensuite à tour de rôle les différents modulateurs (alertes, ambigüités et analyses partielles[7]) de façon à évaluer les erreurs « mineures » ou « potentielles » présentes dans le texte. Dans tous les cas, ils devaient prendre connaissance du contenu des infobulles[8] reliées à chacune des erreurs signalées avant de prendre la décision d’appliquer ou non une correction. Après cet exercice, ils étaient invités à franchir les mêmes étapes pour réviser un de leurs textes, le but essentiel de l’expérience étant de les amener (i) à s’engager dans le projet d’améliorer leurs textes et (ii) à s’interroger sur la langue écrite en s’appuyant sur des sources avant de procéder ou non à la correction d’un élément. Les élèves savaient qu’ils pouvaient solliciter notre aide s’ils avaient de la difficulté à interpréter le métalangage utilisé par le logiciel ou s’ils mettaient en doute la détection d’une erreur ou une proposition de correction. Ils pouvaient aussi poser des questions relatives à certains contenus ou à certains outils (les dictionnaires et la grammaire).
Objectifs principaux de la recherche
L’expérience que nous avons menée pendant l’année scolaire 2010-2011 nous a permis de constater que les élèves du collégial réussissent, après un investissement de temps assez restreint, à corriger un nombre important d’erreurs « graves » lorsqu’ils utilisent Antidote. Cogis (2005, p. 179) affirme que « enseigner la révision, c’est […] mettre en place des dispositifs qui permettent à ce savoir-faire de se construire, de s’exercer et de s’améliorer ». Dans cet esprit, nous aimerions former les élèves à la révision assistée par ordinateur et leur fournir un contexte où ils pourront s’y exercer et progresser. La révision assistée par ordinateur favorise, comme l’expriment Desmarais et Bisaillon (1998, p.194), la « centration [de l’attention de l’élève] sur un seul aspect du texte à la fois », condition qui semble essentielle, outre la distanciation que propose Bisaillon (1991), pour que les élèves se détachent du sens du texte et accordent une plus grande attention au code. Par la recherche, nous voudrions évaluer et mesurer si, au-delà de la correction d’un certain nombre d’erreurs – qui représente déjà un bénéfice important –, l’usage fréquent d’un correcticiel permet aux élèves de réaliser des apprentissages en français écrit. Nous aimerions aussi savoir si l’usage fréquent d’un correcticiel modifie la façon dont les élèves perçoivent l’étape de la révision d’un texte et la manière de l’aborder.
La littérature que nous avons consultée apporte des réponses partielles à ces questions. Mentionnons à titre indicatif que, globalement, les résultats obtenus varient en fonction des protocoles de recherche retenus par les chercheurs (par exemple : sujets d’âges distincts et d’habiletés variées ; conditions – qui incluent le temps prévu pour l’expérimentation – et logiciels distincts ; moyens différents utilisés pour l’évaluation de l’impact de la mesure). Il semble toutefois que les élèves s’engagent plus longtemps dans le processus de correction d’une production écrite lorsqu’ils travaillent dans un environnement informatique. À cet égard, ceux qui ont travaillé avec nous ont apprécié faire des découvertes sur la langue grâce à un correcticiel. Cogis (2005, p. 52) affirme par ailleurs que les exceptions « ne doivent plus faire l’objet de toutes les attentions en classe », entre autres parce qu’elles suscitent une attitude négative quant à la langue écrite et le sentiment frustrant, pour les élèves, de se trouver devant une tâche trop lourde. Il est donc permis de penser que la prise de conscience de certaines erreurs fréquentes, l’assimilation de formes, la clarification de certains points de grammaire et le fait d’avoir à évaluer les signalements d’un logiciel puissent être des vecteurs d’apprentissage.
Expérimentation et instruments de mesure
Notre protocole de recherche comporte deux étapes principales : (i) formation au correcticiel et identification des erreurs fréquentes pour chacun des élèves (travail que ceux-ci réaliseront à partir du texte diagnostique rédigé la première semaine de leur cours de français) et (ii) séances hebdomadaires de relecture[9], une fois complétées les étapes de la planification et de la mise en texte, avec guidage du correcticiel et de l’enseignant, selon les besoins.
Le groupe expérimental sera composé d’environ 100 élèves dont la moyenne générale au secondaire est faible, et inscrits à leur première session au cégep de Drummondville : une première cohorte à l’automne 2011 et une seconde à l’hiver 2012. Pour les deux cohortes, nous comparerons les résultats du groupe expérimental aux résultats d’un groupe de contrôle constitué par appariement.
Les instruments de mesure pour la recherche seront principalement un test de connaissances en français, un questionnaire d’opinion concernant l’étape de la révision d’un texte et un certain nombre de textes produits par les élèves en cours de session.
Les indicateurs de l’éducation montrent de façon récurrente que le critère « maitrise de la langue » est celui qui présente le plus bas taux de réussite, dans des proportions d’environ 15 % autant à l’épreuve de français de 5e secondaire qu’à l’épreuve uniforme de français au collégial (MELS, 2010). Or, il est généralement admis que les élèves consacrent très peu de temps à la révision de leur texte et que plusieurs éprouvent des difficultés à l’étape de la détection ou encore du diagnostic de leurs erreurs. Par notre projet de recherche, nous tenterons de mieux cerner quels peuvent être les apports de l’usage fréquent d’un correcticiel (i) sur les apprentissages que les élèves font en français et (ii) sur la façon dont ils perçoivent (et abordent) l’étape de la révision et de la correction d’un texte.
Notre projet de recherche est en lien avec certaines recommandations d’un comité d’experts du MELS (2008, p. 28), recommandations qui visent « l’amélioration globale de la compétence à écrire tout au long du parcours scolaire » plutôt que l’amélioration directe des résultats aux épreuves de français. Une telle vision favorise l’usage d’un français correct dans l’ensemble des cours auxquels les élèves sont inscrits et pas seulement dans les cours de français – où ils perçoivent qu’un effort supplémentaire est exigé, entre autres pour la réussite de l’épreuve uniforme. Notre projet s’inscrit également dans un contexte qui favorise la collaboration avec les enseignants de la formation générale et spécifique en ce qui concerne la valorisation du français et l’amélioration de la performance des élèves à l’écrit. Nos résultats présenteront un intérêt pour tous les enseignants qui ont choisi de rendre disponible, pour leurs élèves, un outil informatique d’aide à la correction.
- Voir, entre autres, Bibeau et coll. (1975) et Vézina (1993). [Retour]
- Mentionnons, par exemple, la grande complexité des règles phonographiques, qui sont difficilement généralisables. [Retour]
- Voir l’article de Charbonneau (2007), responsable de la formation. [Retour]
- Le projet de recherche est subventionné par le Programme d’aide à la recherche et à l’apprentissage (PAREA). [Retour]
- Voir Lainé (2003, p. 26), citant Lecavalier et collab. (1991). [Retour]
- Les erreurs « graves » sont celles que le correcticiel fait apparaitre en rouge gras. Pour ces erreurs, Antidote fait une proposition de correction. Les erreurs « mineures » ou « potentielles » sont celles que le logiciel fait apparaitre en orange. [Retour]
- Dans le cadre de notre expérience, pour des raisons de priorité, nous avons choisi de ne pas considérer les erreurs reliées à la typographie. [Retour]
- Les infobulles donnent des informations sur la nature et le diagnostic des erreurs (suggestions, questions et explications contextuelles). [Retour]
- La période hebdomadaire de 50 minutes de laboratoire prévue pour les séances de relecture avec le logiciel est associée aux activités d’un cours précis du programme des élèves, puisqu’il s’agit d’un élément qui a généralement de l’impact sur l’assiduité. [Retour]
Références
BIBEAU, G., L. DOUCET, J.-C. POIRIER et M. VERMETTE (1975). Enquête sur le français écrit dans les cégeps, Montréal, Cégep de Maisonneuve.
BISAILLON, J. (1991). « Les stratégies de révision comme objet d’enseignement », Enjeux, no 22, p. 39-54.
CHARBONNEAU, R. (2007). « Applications pédagogiques d’Antidote », Correspondance, vol. 13, no 2, p. 14-21.
COGIS, D. (2005). Pour enseigner et apprendre l’orthographe, Paris, Delagrave.
DESMARAIS, L., et J. BISAILLON (1998). « Apprentissage de l’écrit et ALAO » dans Hypermédia et apprentissage des langues, numéro thématique d’Études de linguistique appliquée, no 110, p. 193-204.
LAINÉ, C. (2003). Analyse et description du maniement d’un correcticiel par des étudiants du collégial, Montréal, Université du Québec à Montréal.
LALANDE, J.-P. (1988). Élaboration d’un modèle théorique de l’apprentissage de l’orthographe lexicale au primaire, Montréal, Université de Montréal.
LECAVALIER, J., C. PRÉFONTAINE et A. BRASSARD (1991). Les stratégies de lecture / écriture au collégial, Rapport de recherche, Valleyfield, Collège de Valleyfield.
LEFRANÇOIS, P., M. D. LAURIER, R. LAZURE et R. CLAING (2008). Évaluation de l’efficacité des mesures visant à l’amélioration du français écrit du primaire à l’université, Suivi de la situation linguistique, Étude 9, Montréal, Office québécois de la langue française.
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT (2010). Indicateurs de l’éducation, [En ligne]. [
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