Les bénéfices socioaffectifs du tutorat par les pairs
À l’aide !
L’élève s’inscrit au Tandem pour obtenir de l’aide. Selon ses dires, le professeur, qu’il soit de physique, de mathématiques ou de français, n’apporte pas son aide, il remplit une obligation, celle de faire son travail, c’est-à-dire d’enseigner : <C’est […] plus quelqu’un qui te montre quelque chose, c’est sa job, c’est ça qu’il fait. » L’élève sait qu’il pourrait le rencontrer à son bureau, mais il aurait alors l’impression de le déranger, comme si son rôle se limitait à sa présence en salle de cours. De plus, l’enseignement étant ici un gagne-pain, le professeur n’est pas perçu comme quelqu’un qui est là d’abord et avant tout pour aider un élève, contrairement à un tuteur : « Ma tutrice, elle fait ça parce qu’elle veut. » Serait-il possible que nous oubliions que l’enseignement est une relation d’aide et que nous ne transmettions pas à nos élèves l’idée que, si nous avons choisi cette profession, c’était parce que nous l’aimions et que nous désirions aider des jeunes à améliorer leurs connaissances dans le domaine qui nous intéresse ?
Le tuteur… parce que ce n’est justement pas un professeur !
L’élève vient chercher l’aide d’un autre élève et non d’un second professeur : « Un tuteur, c’est pas comme un professeur. » Si le tuteur perd son « naturel » et « fait son professeur », il ne sera pas apprécié. Nous avons raison d’être fiers de notre formation et de nos années d’expérience accumulées, nous avons également raison de croire que, au fil des ans, nous avons acquis une certaine compétence, et l’élève qui fréquente le Tandem partage cette dernière perception. Toutefois, celle-ci peut jouer contre nous : nous faisons figure d’experts. Ainsi, certains élèves diront que « le prof, il connaît trop son affaire ; l’autre, c’est un élève, il a déjà passé par là ; le prof aussi, mais ça fait longtemps et il est plus habitué à enseigner », ou encore, que « le prof, c’est rare qu’il va avoir de la difficulté avec quelque chose ». Outre le fait que le tuteur ne soit pas quelqu’un de « super bon et qui comprend tout », il est aussi « comme un ami », puisqu’il a presque le même âge et les mêmes expériences de vie que l’élève, le même vocabulaire également : « Le langage n’est pas le même : ils n’ont pas les mêmes mots scientifiques à sortir ; le tuteur nous parle comme on comprend, comme on est habitués de parler entre nous. Le prof, des fois, va nous sortir des mots à 200 ou 300 $, des mots à coucher dehors. »
Le tuteur… parce que le rapport humain est de première importance !
Le fait que l’élève entretienne avec son tuteur une relation égalitaire plutôt que hiérarchique présente plusieurs avantages non négligeables sur le plan socioaffectif. Sans doute le tuteur inexpérimenté croit-il que son rôle premier est d’aider un élève à accroître ses connaissances et à améliorer ses résultats scolaires, mais, au fil des semaines, il constatera que le tutorat représente pour certains une occasion unique de connaître quelqu’un, de combler un besoin social : « Je viens de loin, je n’ai aucune parenté ici ; ils sont à Montréal. Alors je me suis dit : « Ça va me permettre de rencontrer des gens ». » Parfois, c’est pour l’élève la possibilité de sentir qu’il a de l’importance dans ce grand établissement qu’est le cégep ; toutes les semaines, il est assuré de recevoir l’attention exclusive d’une personne qui « comprend plus si ça ne file pas ». Parfois encore, ce sera une véritable amitié qu’il espère du contact avec son aidant : « Un tuteur, j’aime qu’il ne soit pas juste genre prof, qu’il soit aussi ami, justement, comme je le rencontre et le salue, tandis que le prof est là pour enseigner, ce n’est pas la même affaire. Je veux qu’on soit capable de se parler en dehors de [la matière]. » Cette possibilité d’établir une relation qui n’est pas centrée exclusivement sur le travail, comme c’est le cas avec son professeur, constitue un atout fort important aux yeux de l’élève. Ses discussions avec le tuteur sont plus agréables, plus intéressantes parce qu’on l’écoute et qu’il peut « parler d’autres choses » : « Avec mon tuteur, on parle, et on fait pas rien que du français, on prend le temps de parler et j’apprends en m’amusant dans le fond ; j’aime ça. » Comme l’expliquait un autre élève, « un tuteur, c’est plus près, c’est plus intime, c’est plus proche de ce que l’élève a besoin comme personne et comme étudiant ».
Le tuteur… parce que les risques sont réduits au minimum !
Certains élèves s’inscrivent au centre d’aide parce qu’ils sont attirés par les bénéfices attendus du tutorat par un pair ; d’autres sont davantage motivés par ce qu’ils veulent éviter, c’est-à-dire un jugement négatif de leur professeur. Poser des questions est un comportement normalement attendu de toute personne qui a besoin d’explications. Or, souvent, poser des questions à un professeur est un comportement que n’ose pas adopter un élève, de peur de paraître peu intelligent. C’est aussi LA raison principale pour laquelle on demande de l’aide, le risque associé au fait de poser des questions étant réduit au minimum avec un autre élève qui « est plus à ta hauteur », avec qui « tu ne te sens pas poche », alors qu’il est très élevé auprès de « quelqu’un qui montre ça à tous les jours ». C’est plus facile et moins menaçant pour son image personnelle de demander de l’aide à « du monde de ton âge, alors tu peux parler avec eux autres sans être gêné et poser des questions qui pourraient être idiotes auprès des professeurs ». Même si ses questions touchent des notions élémentaires déjà vues en classe, l’élève ne se sent pas « tout petit, écrasé », comme il pourrait l’être avec un professeur. S’il entretenait au départ des doutes quant à ses aptitudes intellectuelles, il peut constater, en contexte de tutorat, qu’il est capable de comprendre et qu’il n’est donc pas « aussi pire » qu’il le croyait : « Moi, je pensais que je n’étais pas bonne. [Ma tutrice] me faisait faire des exercices, et il fallait que j’écrive le mot comme il faut. Je commençais, et elle me disait : « C’est ça ! », et je continuais. Je me suis rendu compte que j’étais moins pire que je pensais. » Selon ses dires, l’élève peut même développer une certaine confiance en lui qui l’encouragera à persister dans son apprentissage : « Tu peux reprendre confiance en toi en sachant que la personne ne rira pas de toi, même si tu fais plein de fautes. »
Un tuteur aide… et l’attitude change !
L’élève aidé au Tandem estime qu’il améliore son français. Aucune donnée systématique n’a été recueillie sur ce sujet, mais le témoignage des élèves confirme ce qui apparaissait déjà régulièrement dans les rapports annuels du centre d’aide : ils changent leur attitude à l’égard du français. Non seulement les élèves en viennent-ils à comprendre les exigences reliées à la production écrite : « Maintenant, quand j’écris, je fais vraiment plus attention, je ne pense pas de la même manière : je vais écrire et me relire alors qu’avant, je ne me relisais pas », mais ils considèrent le français comme plus important et moins rébarbatif qu’auparavant : « Au secondaire, je ne voyais pas l’importance du français et je ne faisais pas les travaux. » Ou encore : « Je vois le français comme un peu moins méchant qu’avant. »
Le tutorat par les pairs et les préalables affectifs
La lecture de ce qui précède pourrait susciter chez nous l’intention de quitter l’enseignement pour accéder au statut privilégié de tuteur. Il nous faudra toutefois résister à cette tentation, car notre âge serait une contrainte ! Il nous appartient plutôt d’encourager l’entraide par les pairs : elle se déroule dans des conditions qui contribuent probablement à l’amélioration du français des élèves aidés. Rappelons-nous la théorie des besoins de Maslow : elle peut nous aider à comprendre le rôle important des pairs à cet égard. Les besoins cognitifs de connaître et de comprendre sont situés aux niveaux supérieurs de la hiérarchie. Ils s’appuient toutefois sur la satisfaction des besoins physiologiques, des besoins de sécurité mais aussi et surtout sur la satisfaction des besoins d’appartenance et d’estime. Le tutorat par les pairs, pas plus que l’enseignement d’ailleurs, ne peut répondre à tous ces besoins. Cependant, l’un et l’autre sont en mesure, à leur façon, de permettre aux élèves de se sentir en sécurité, de s’affilier aux autres, d’être acceptés et d’appartenir à un groupe, de la même façon qu’ils peuvent tous les deux les aider à réussir, à développer leur estime personnelle et leurs compétences, à obtenir la reconnaissance et l’appréciation des autres. L’enseignement individualisé qui caractérise le tutorat par les pairs permet sans doute de combler plus facilement les besoins affectifs des élèves. Cependant, est-il irréaliste de croire qu’il serait possible que notre salle de cours soit, comme le Tandem, « un petit coin où tu as vraiment ton importance dans le cégep » ?
- Jocelyne Désy, Le tutorat par les pairs tel que perçu par les élèves, Sainte-Foy, cégep de Sainte-Foy, 1996, 136 p. Retour
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