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Définir les attentes en termes de maîtrise et de qualité du français oral et écrit à l’université: des compétences communicationnelles et langagières

Définir les attentes en termes de maîtrise et de qualité du français oral et écrit à l’université: des compétences communicationnelles et langagières

Avec la collaboration du comité de travail CommUniQ : Bruno Boulianne (UQAR), Carole Fisher (UQAC), Anne-Marie Grandtner (UQ-UQAR), Elisabeth Haghebaert (UQAR)

Un article publié dans le bulletin Correspondance de septembre dernier[1] présentait sommairement l’historique du RUSAF, sa mission et ses objectifs. J’aimerais exposer ici plus en détail, comme prémisse à la rencontre Rusaf-Intercaf que nous préparons, le résultat de nos réflexions sur les besoins du réseau en ce qui touche les compétences communicationnelles et langagières des étudiants universitaires. En fait, le présent article résume l’état de nos travaux sur les différents types de savoirs essentiels en termes de communication et de langue, savoirs que devrait développer tout étudiant pendant sa formation à l’université. Cette réflexion des derniers mois nous a conduits à intégrer au programme de la journée RUSAF[2] un grand débat sur la norme de l’acceptable en termes de maîtrise et de qualité du français oral et écrit à l’université.

Que fait-on à l’université afin de soutenir les étudiants dans leurs efforts pour maîtriser le français oral et écrit ? Il semblait naturel que les centres universitaires d’aide en français empruntent un chemin similaire à celui des CAF collégiaux, c’est-à-dire qu’ils fournissent des outils pour l’amélioration de la langue, tout en mettant l’accent sur le transfert des connaissances générales en français dans le discours[3] courant ; rappelons que l’article du Correspondance de septembre présentait ce dernier point comme une préoccupation majeure dans le monde universitaire. Le projet CommUniQ est intéressant à ce titre, puisqu’il offre un cadre de référence déterminant les compétences communicationnelles et langagières attendues de la part des étudiants universitaires, compétences susceptibles d’être sollicitées à toutes les étapes du cursus et dans la vie professionnelle. Nous prendrons le temps de définir ces notions un peu plus loin. Décrivons d’abord la genèse du projet.

Le projet CommUniQ

Piloté conjointement par l’UQAR et la Direction des études et de la recherche de l’Université du Québec, le projet CommUniQ réunit tous les établissements de l’UQ[4] et a pour but de soutenir l’appropriation de compétences communicationnelles et langagières dans tous les secteurs de la vie universitaire, soit dans les cours, dans les activités propres aux programmes d’études et dans les événements réunissant les établissements du réseau de l’Université du Québec. Découlant initialement d’une demande des doyens de premier cycle, le projet propose un outil permettant de trouver des solutions à certaines difficultés éprouvées par les étudiants de tous les cycles universitaires et apporte le soutien nécessaire aux besoins exprimés par des professeurs en termes d’outils et de stratégies pédagogiques propres à appuyer la formation. Il répond également à des demandes formulées par les milieux professionnels et visant à ce que les compétences essentielles requises soient clairement définies par l’établissement et atteintes par les candidats au moment de l’embauche. Le référentiel est donc un outil permettant aux intervenants de tous les niveaux d’arrimer leurs exigences et leurs stratégies en ce qui a trait aux compétences communicationnelles et langagières. Tout un programme !

La notion de compétence

La notion de compétence est utilisée ici au sens large d’« ensemble de ressources à mobiliser pour agir dans différentes situations ». Cette définition fait correspondre les compétences à des sommes de savoirs (connaissances), de savoir-faire, de savoir-être activés dans des situations permettant de les reconnaître. La précision apportée par Perrenoud (2004) est ici utile. Ce dernier précise (p. 3) que « la compétence équivaut à ce qui permet de maîtriser une catégorie de situations complexes, en mobilisant des ressources diverses, acquises à des moments différents du cursus, qui relèvent souvent de plusieurs disciplines ou simplement de l’expérience » (c’est nous qui soulignons). Autrement dit, une compétence, quelle qu’elle soit, est transférable ; entendons par là qu’elle s’adapte à toutes sortes de situations et qu’elle associe librement des ressources cognitives et des savoirs variés. Ainsi, de même que le linguiste Chomsky[5] définissait la compétence linguistique comme l’habileté de comprendre et de produire spontanément un nombre infini de phrases avec un nombre limité de mots et de structures, on peut dire que la compétence, dans son acception générale, est une habileté qui permet d’associer de façon créative des ressources acquises tout au long de l’existence.

Compétences de base et compétences disciplinaires

Nous distinguons ici deux types de compétences : les compétences de base (aussi nommées « génériques » ou « transversales »), que l’on trouve dans toutes les sphères d’activités, et les compétences disciplinaires, qui, comme leur nom l’indique, sont propres à des champs d’études.

Les compétences de base sont celles qui peuvent être développées parallèlement aux domaines de formation disciplinaire. Elles viennent appuyer l’acquisition de connaissances disciplinaires, et à ce titre, sont utilisées à tous les niveaux du cursus. Lorsqu’elles relèvent à la fois de la formation générale et du développement des compétences disciplinaires ou professionnelles, elles sont dites transversales ; les activités qui permettent leur intégration portent alors la couleur du domaine de formation disciplinaire ainsi que du domaine professionnel. Ainsi en est-il de la communication et de la langue, lorsqu’elles deviennent les véhicules du contenu des autres disciplines. Quelques exemples de mise en pratique des habiletés communicationnelles dans leur dimension transversale : argumenter dans le domaine du droit ; inciter (à la consommation) dans le domaine de la publicité ; informer des résultats d’une expérience dans le domaine de la recherche fondamentale[6].

Comme les compétences génériques, les compétences disciplinaires possèdent leur propre objet d’étude, mais se distinguent par leur schème conceptuel et leur vocabulaire spécialisé, ce qui assure à chaque programme le développement de compétences reliées à leur domaine de spécialisation. Ces compétences sont déterminées en fonction des concepts généraux de chacune des orientations disciplinaires. Quelques exemples de compétences disciplinaires alliées aux compétences communicationnelles et langagières : présenter l’application d’une jurisprudence ; expliquer un concept publicitaire ; produire un rapport sur le clonage des cellules.

Les compétences communicationnelles et langagières

Par « compétences communicationnelles et langagières », nous entendons l’ensemble des compétences de communication qui se trouvent impliquées dans les situations de formation, au sens large, en vue de comprendre, penser, s’exprimer et interagir, et qui anticipent également les activités propres au champ d’exercice professionnel auquel mènent respectivement les formations données à l’université.

Les compétences langagières sont celles qui ressortissent plus spécifiquement au maniement de la langue (ici, le français), dans tous ses aspects communicationnels. L’exercice qui consiste à définir ces compétences prend appui sur le Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, publié en 2001 par le Comité de l’éducation du Conseil de l’Europe[7]. Ce document présente des caractéristiques des éléments de compétence, soit les particularités qui permettent la réalisation d’activités langagières variées ; ces dernières peuvent relever de la réception, de la production, de l’interaction et de la médiation.

Les compétences communicationnelles englobent tous les savoirs, savoir-faire et savoir-être sollicités dans des situations de communication où les compétences langagières sont mises en œuvre. L’utilisation des différents moyens de communication vient alors optimiser considérablement l’accès à l’information et la capacité de la traiter, de la transformer et de la diffuser, tout en modifiant les modes d’interaction.

Ainsi, lorsqu’un étudiant détermine la structure du texte qui convient à une exigence d’un cours (analyse critique, résumé, réflexion, texte argumentatif), il doit faire appel à des compétences communicationnelles et langagières. Il lui faut à la fois décoder le sens de consignes et mobiliser ses connaissances sur le type de discours demandé. Il doit aussi être en mesure de formuler et de structurer ses idées dans le but de produire un message clair et efficace, selon les contraintes du média utilisé. De même, dans une situation qui exige d’articuler, d’organiser et d’appuyer ses positions, la mobilisation des habiletés langagières est indissociable de la capacité d’évaluer la situation de communication.

La structure référentielle

Issu de recherches et de réflexions menées par le groupe de travail du projet CommUniQ[8], le référentiel de compétences communicationnelles et langagières constitue actuellement l’élément central autour duquel s’articulent des projets, des activités d’apprentissage et des activités d’aide à la réussite dans le réseau de l’UQ. À la manière d’une carte géographique, ce document a pour but de guider le développement de compétences communicationnelles et langagières dans le cadre des différentes formations universitaires. Le référentiel s’attache à des compétences de base (génériques ou transversales) indispensables au développement personnel continu et à l’intégration dynamique dans la société. En cela, il se distingue d’un référentiel professionnel ou disciplinaire.

Le développement de compétences de base est un moyen d’assurer le passage de la compréhension à l’expression des savoirs tant disciplinaires que professionnels, ce qui favorise la réussite des étudiants. Pouvoir communiquer de façon appropriée ses connaissances selon les différentes pratiques adoptées dans le programme d’études constitue en soi un savoir et un savoir-faire transférables dans les situations professionnelles reliées au domaine disciplinaire.

Le référentiel répond à une intention d’harmonisation des pratiques qui se concrétise par le relevé de compétences communicationnelles et langagières essentielles à une formation de qualité. En nous inspirant du Cadre européen commun de référence pour les langues (2001), nous avons déterminé que l’étudiant, tout au long de sa formation, se trouve en position de réception, de production, de médiation ou d’interaction.

Situation de réception

Le rôle de l’étudiant dans la communication lorsqu’il se trouve en position de réception est de traiter l’information qu’il reçoit pour construire du sens. Cette compétence lui permet d’être informé, de comprendre un phénomène ; de réfléchir sur une situation en la situant dans son contexte actuel ou historique ; de connaître les faits tout en les mémorisant. L’étudiant est en mesure de comparer, d’évaluer et de juger une situation, de prendre des décisions et d’intervenir. Se connaissant mieux, il intervient de façon plus appropriée. Les activités de formation reliées à la réception font référence aux connaissances déclaratives. Elles supposent l’apprentissage formel, le silence et l’attention au support.

Situation de production

Le rôle de l’étudiant dans la communication lorsqu’il est en position de production consiste à produire une communication orale ou écrite claire, organisée et efficace. De façon plus spécifique, cette compétence lui permet de situer une réalité, de présenter un historique, de décrire et d’illustrer une situation, d’expliquer un phénomène, de faire un rapport, car il est informé. Ses connaissances l’aident à réfléchir et à analyser afin de présenter une argumentation qui démontre une juste connaissance et une appropriation du sujet tenant compte de ses propres réactions, opinions et expériences. Il pourra exprimer son accord, formuler des objections, compléter l’information, répondre à des questions, formuler des solutions, discuter une hypothèse, fournir des indications, des conseils, des consignes, faire réfléchir, et finalement éclairer une prise de décision et orienter une action. Les activités de formation reliées à la production mobilisent les connaissances procédurales. Leurs fonctions sont importantes comme objet d’évaluation dans le secteur de l’enseignement (forme des travaux écrits, des présentations et des exposés oraux, etc.).

Situation de médiation

Le rôle de l’étudiant dans la communication lorsqu’il est en position de médiation consiste à transmettre, reformuler, traduire, adapter un message existant en tenant compte des exigences de la situation de communication. Cette compétence lui permet d’utiliser ses compétences de réception et de production pour, d’une part, connaître un sujet, et, d’autre part, informer, illustrer, démontrer, argumenter, faire réfléchir et faire agir. Les activités de formation qui se rapportent à la médiation font appel au transfert des connaissances. Elles facilitent l’appropriation des compétences par la capacité de synthèse, d’évaluation et de création de discours oraux ou écrits.

Situation d’interaction

Le rôle de l’étudiant dans la communication en situation d’interaction consiste à participer de manière efficace à une communication réciproque. Cette dernière compétence lui permet d’obtenir et de transmettre de l’information tout en tenant compte de sa propre réaction et de celle des autres ainsi qu’en réfléchissant aux effets de la communication. L’étudiant pourra synthétiser, analyser et tirer des conclusions ; manifester son accord ou son désaccord, exprimer son opinion ; faire comprendre, réguler un comportement, résoudre un problème, aplanir un conflit, parvenir à un consensus, prendre une décision. Les activités de formation centrées sur l’interaction mobilisent les connaissances contextuelles ; l’interaction joue un rôle majeur dans la communication. Elles renvoient aux échanges choisis en fonction du contexte et des conditions de communication.

Conclusion

De grands courants de formation[9] dans toutes les disciplines témoignent de l’importance de la lecture et de l’écriture dans la formation universitaire, quelle que soit la discipline. Dans un cas comme dans l’autre, les productions orales, écrites et médiatiques des étudiants constituent pour les professeurs un observatoire unique où l’on peut travailler la compréhension des contenus (clarifier, établir des liens, mémoriser, exprimer, etc.), la maîtrise des pratiques et des processus liés au domaine de formation disciplinaire, tout comme le repérage des conceptions qui souvent font obstacle à l’apprentissage. Cela permet de souligner l’importance de l’interaction et de la communication, à la base même de l’apprentissage et de la réussite.

Considérées comme compétences primordiales par les employeurs canadiens, après celles se rapportant à l’attitude et avant celles qu’inclut la formation, les compétences communicationnelles sont de plus en plus sollicitées dans l’exercice des professions auxquelles l’université prépare. Ainsi, les connaissances techniques acquises en formation seront mises en œuvre à l’occasion de différentes situations de communication, qu’elles fassent appel à l’écrit, à la prise de parole, à l’échange de connaissances ou d’expertises, à l’établissement de relations avec les collègues, les supérieurs, les clients, etc.

Au collégial, les programmes techniques et préuniversitaires portent une attention spéciale aux compétences qui s’exercent particulièrement dans l’épreuve synthèse de programme. À l’université, le défi demeure aujourd’hui d’envisager une pédagogie centrée non seulement sur la discipline, mais aussi sur l’apprentissage par l’organisation d’activités pédagogiques de complexité croissante dans les cours et dans les programmes. Les centres universitaires d’aide en français ont comme principal enjeu de démontrer qu’ils représentent une valeur ajoutée à la formation donnée en contribuant aux compétences communicationnelles et langagières. Chacun des centres a le souci de travailler en fonction du développement de ces compétences auprès des étudiants qu’il accompagne.

Nous invitons les collèges à se joindre à nous et à poursuivre cette réflexion à l’occasion de la journée RUSAF, le 29 mai prochain.

* * *

  1. Volume 13, no 1 (septembre 2007), p. 3-5. Retour
  2. Voir le bulletin Correspondance de février, volume 13, no 3. Retour
  3. Le terme discours inclut autant la communication orale que la communication écrite. Retour
  4. Université du Québec à Montréal, Université du Québec à Chicoutimi, Université du Québec à Rimouski, Université du Québec à Trois-Rivières, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Retour
  5. Cité dans Perrenoud (1998). Retour
  6. La distinction entre compétences transversales et compétences génériques ne fait pas consensus. Voir à ce sujet Legendre (1993) et MEQ (2001). Retour
  7. Conseil de l’Europe, Conseil de la coopération culturelle, Comité de l’éducation (2000), Apprentissages des langues et citoyenneté européenne. Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Division des langues, Strasbourg. Créé pour encadrer l’apprentissage des langues secondes, le Cadre peut néanmoins être adapté à différentes situations d’apprentissage. Retour
  8. Les membres du Groupe de travail CommUniQ qui ont participé à l’élaboration du référentiel sont : Nicole Beaudry, UQAM ; Carole Fisher, UQAC ; Anne-Marie Grandtner, UQ-UQAR ; Elisabeth Haghebaert, UQAR. Retour
  9. En font foi les courants Language accross the Curriculum (LAC), Writing Accross the Curriculum (WAC) et, plus récemment, Communication Accross the Curriculum (CAC). Retour
Références

CONSEIL DE L’EUROPE. CONSEIL DE LA COOPÉRATION CULTURELLE. COMITÉ DE L’ÉDUCATION. Apprentissages des langues et citoyenneté européenne. Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Division des langues, Strasbourg, 2000.

CONSEIL DE L’EUROPE. CONSEIL DE LA COOPÉRATION CULTURELLE. COMITÉ DE L’ÉDUCATION. Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Paris, Conseil de l’Europe / Les Éditions Didier, 2001,192 p.

CHABANNE, J.-C. et D. BUCHETON (dir. publ.). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, Paris, PUF, 2002.

DEMERS, M. et C. FISHER. Grille d’évaluation de l’oral, Département des arts et lettres, Université du Québec à Chicoutimi, document du cours 7LNG110, Communication et expression orale.

DOLZ, J. et B. SCHNEUWLY. Pour un enseignement de l’oral. Initiation aux genres formels à l’école, Paris, ESF, 1998.

MEYER, B. Les pratiques de communication. De l’enseignement supérieur à la vie professionnelle, Paris, Armand Colin, 1998, 231 p.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION. Service de la titularisation et de la formation générale, Programme de formation à l’école québécoise, Les compétences transversales, Québec, Gouvernement du Québec, 2001.

PERRENOUD, Ph. Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF, coll. « Pratiques et enjeux pédagogiques », 1998, 125 p.

PERRENOUD, Ph. L’université entre transmission de savoirs et développement de compétences, texte d’une conférence au Congrès de l’enseignement universitaire et de l’innovation, Girona (Espagne), 2004.

PRÉFONTAINE, C., M. LEBRUN, et M. NACHBAUER. Pour une expression orale de qualité, Montréal, Les Éditions Logiques, 1998, 255 p.

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