Perfectionnement grammatical et formation des moniteurs: description d’une démarche
Au cégep du Vieux Montréal, les futurs moniteurs et monitrices du Centre d’aide en français doivent suivre un cours de 45 heures (crédité comme cours complémentaire) en plus de faire un stage de cinq heures s’échelonnant sur cinq semaines au CAF. Ils y seront embauchés dès la session suivante. Deux objectifs étroitement associés fondent ce cours :
- amener ces élèves à actualiser leurs connaissances grammaticales ;
- dans l’esprit du tutorat par les pairs, les préparer à intervenir auprès d’élèves éprouvant des difficultés en français écrit, inscrits au CAF.
Il s’agit en fait de former, dans un temps relativement court, des assistants capables de saisir, à partir d’un texte, les difficultés particulières d’un élève sur les plans de la grammaire, de la syntaxe et de l’organisation textuelle. Il s’agit aussi, à partir de cette analyse, d’aménager des séquences didactiques adéquates : c’est l’esprit même du tutorat. Nous examinerons ici un exemplaire du dernier travail de la session d’hiver 2008, remis par une monitrice en formation. Il consiste dans la correction du texte d’un élève aidé au CAF, assortie du diagnostic qui accompagne le profil d’erreurs et du plan de travail qui en découle. Ce travail de fin de session illustre de manière bien concrète à la fois la démarche de notre cours et ce qui constitue le cœur du travail de nos moniteurs : la perspective grammaticale (la nouvelle grammaire), l’approche pédagogique (l’autocorrection), le travail d’évaluation et d’analyse, et enfin, le plan d’intervention.
Au Centre d’aide en français du cégep du Vieux Montréal, l’adaptation à la nouvelle grammaire est chose faite depuis plusieurs années déjà. On peut même dire que le métalangage et la méthode d’analyse que cette grammaire propose marquent nos réflexes à tel point que la manière ancienne d’expliquer la langue nous semble désormais exotique. Par ailleurs, l’autocorrection demeure la voie pédagogique privilégiée par les responsables successifs du CAF depuis presque 20 ans. Les moniteurs et monitrices ont comme mandat, au cours de leur tutorat, de transmettre à leurs élèves aidés un ensemble de moyens visant à favoriser, par une relecture dynamique de leurs textes, une autocorrection efficace organisée autour de leurs propres difficultés. Développer des réflexes et une méthode d’autocorrection reste la condition pour mener ces élèves vers une plus grande autonomie à l’écrit. Ainsi, c’est dans cette perspective que, au cours de leur formation, les moniteurs et monitrices abordent la correction des textes d’élèves et élaborent le plan de travail personnalisé.
Voici donc, présentées de façon détaillée, les étapes de ce travail final du cours Formation des moniteurs et des monitrices en français écrit. Nous vous proposons de suivre le parcours d’une future monitrice qui, ayant reçu un texte d’élève aidé, doit établir le profil d’erreurs à l’aide d’une méthode de relecture et d’une grille de correction, établir un diagnostic et dresser un plan de travail.
1. La consigne de travail donnée aux élèves du cours
Ce troisième et dernier travail donné aux élèves dans le cadre du cours reproduit toutes les étapes d’une situation réelle de monitorat. La liste des tâches apparait en encadré (figure 1) ; ces tâches sont les mêmes que celles des moniteurs au moment de la prise en charge du dossier de leurs élèves, dossier contenant notamment le texte à partir duquel toute la démarche diagnostique sera construite. L’évaluation du travail portera sur chacun des éléments de la consigne, éléments que nous examinerons en détail.
FORMATION DE MONITRICES ET DE MONITEURS EN FRANÇAIS ÉCRIT 601 MON VM Travail 3 Méthode de relecture, correction du texte, établissement du profil d’erreurs, analyse de la grammaire du texte, de la syntaxe et élaboration du plan de travail |
Tâches demandées dans le dernier travail
Dans ce travail qui constitue la synthèse du cours, notre future monitrice devra prendre connaissance du texte de son élève en y appliquant la méthode de relecture (MDR), qui consiste à identifier les phrases syntaxiques, les groupes de base – groupes du nom, groupes du verbe, compléments de phrase – et leur fonction. Un exemplaire du cadre de la méthode de relecture est fourni à la fin de ce texte (voir l’Annexe I). Cette lecture particulière permet, dans un premier temps, de repérer les erreurs et de les identifier avec précision ; dans un deuxième temps, la MDR aide à prendre connaissance de la dynamique globale du texte tout en restant en arrière-plan de la correction proprement dite. Une telle analyse peut mettre en évidence, par exemple, des structures répétitives (CP + GN + GV) ou une surabondance de formes passives, qui, sans être formellement des erreurs, confèrent une certaine lourdeur au texte. Les erreurs seront répertoriées et classées de manière à former un profil d’erreurs de l’élève (voir l’Annexe 2) ; c’est à partir de ce profil enrichi des impressions laissées par la MDR que se formulera l’analyse de la grammaire et des caractéristiques syntaxiques du texte de l’élève. Ce travail accompli, le moniteur peut enfin planifier des séquences didactiques détaillées et proposer à son élève ce plan de travail qu’il a élaboré.
2. Le travail sur le texte : méthode de relecture (MDR) et correction des erreurs
L’élève en difficulté dont le texte est étudié dans le cadre de cet article porte le pseudonyme de Max. Sa faiblesse en français compromet la réussite de ses cours ; il a décidé de s’inscrire au CAF pour tenter de résoudre ce problème qu’il traine depuis toujours. Les exigences au collégial ne lui laissent plus le choix : il doit s’améliorer s’il veut poursuivre ses études en génie mécanique. Il n’est pas très à l’aise avec le discours littéraire, car il n’aime pas lire. Mais il est motivé, il aime bien le CAF et nous a donné la permission d’utiliser son texte. Nous n’en présentons ici qu’une partie (figure 2). Il s’agit d’une analyse de « L’albatros » à partir de la consigne : Montrez que, selon Baudelaire, le poète suscite à la fois le ridicule et l’admiration.
L’écrivain utilise des termes qui donne au lecteur une image ridicule de cette oiseau qui est l’albatros. Il le décrit comme un maladroit et honteux, qu’il laisse piteusement leurs grandes ailes traîner comme des avirons. L’écrivain utilise un champs lexical qui fait deux contraste, car l’admiration est développée grâce à des expression comme : « rois de l’azur, grandes ailes blanches, beau ». |
Une portion du texte de l’élève aidé
L’opération de correction s’articule en deux temps : il s’agit d’abord d’analyser la structure syntaxique de chacune des phrases au moyen de la méthode de relecture, puis de corriger les erreurs en utilisant le code de correction.
2.1. La méthode de relecture
La méthode de relecture (MDR) permet de retracer les structures syntaxiques d’un texte : organisation de la phrase de base, présence et position des groupes, articulation des subordonnées et des phrases coordonnées, phrases transformées, etc. L’application de cette méthode vise à comprendre la dynamique d’un texte et, le cas échéant, à trouver la source des erreurs. Par exemple, ici, la portion de texte analysée à l’aide de la MDR (figure 3) met en évidence l’abondance de relatives en qui dont l’unique référent est l’écrivain, ce qui donne une piste intéressante pour faire réfléchir l’élève sur ses propres stratégies d’écriture et pour l’amener à les ajuster. La MDR est un outil diagnostique puissant, puisqu’elle contribue à déterminer la source des erreurs et à comprendre l’organisation du texte ; c’est également un outil de perfectionnement grammatical pour les futurs moniteurs qui doivent, en l’appliquant, rendre compte de leurs acquis en analyse syntaxique ; elle constitue enfin une méthode d’autocorrection que les élèves aidés peuvent mettre à profit après y avoir été initiés.
Application de la méthode de relecture (MDR)
2.2. L’apprentissage de la correction
Tout au long de la session, nous nous entrainons à la collecte d’erreurs et à leur analyse : chaque cours commence par une mise en forme grammaticale, le vu et entendu de la semaine, tour d’horizon de curiosités linguistiques glanées ici et là – le journal Métro est une source inépuisable de ce genre de curiosités. Ainsi, nous souhaitons bien faire comprendre qu’en matière de langue, l’erreur vient la plupart du temps illustrer la rigueur du système. Nous tenons à ce que les erreurs soient comprises et analysées à la fois du point de vue du système linguistique et du point de vue de l’élève en difficulté. Il s’agit de repérer les erreurs, mais aussi – et surtout – de les analyser dans le contexte où elles apparaissent.
L’habileté à corriger est évidemment considérée, par les élèves du cours, comme le défi des défis. Nous devons domestiquer leur ferveur et les contraindre à une véritable correction fine, c’est-à-dire leur apprendre à cibler le vrai problème, à éviter la surcorrection ou la correction abusive des formes correctes, à choisir le code de correction précis qui décrit la source de l’erreur plutôt que celui qui décrit simplement l’erreur de surface. En ce sens, on peut dire que le code de correction induit des notions à réviser. La pratique intensive de la correction durant les 45 heures du cours vise à développer chez nos moniteurs et nos monitrices des réflexes de bons correcteurs, c’est-à-dire de correcteurs qui manipulent les codes avec aisance et précision, mais aussi avec intelligence (on voit ainsi qu’il en va des bons correcteurs comme des bons scripteurs…). Nous voulons qu’ils et elles détectent ce qui brouille la lecture du texte de l’élève et ce qui nuit à la compréhension de son argumentation. Nous souhaitons que cette correction les amène à manipuler les notions de phrase dense et de cohérence textuelle. Par exemple, en cours de session, ils et elles comprennent le rôle fondamental de la subordination dans l’argumentation, mais constatent aussi qu’une phrase longue n’est pas nécessairement le signe d’une bonne maitrise ou d’une bonne maturité syntaxique. C’est dans cet esprit que les moniteurs et les monitrices du cours apprennent à appliquer la grille de correction.
2.3. Le profil d’erreurs
La grille de correction du Vieux Montréal, comme les autres grilles en circulation dans les CAF, renvoie aux principaux chapitres de la grammaire, y compris certains éléments de la grammaire du texte. Elle constitue l’ossature de notre guide d’autocorrection, le Parce que[1], présentant les erreurs les plus fréquentes repérées dans les textes d’élèves du collégial. La grille révèle le profil et la fréquence d’erreurs de l’élève ; en ce sens, elle représente un outil diagnostique important et vient compléter les informations sur la structure syntaxique des phrases que fournit la MDR.
Classant les erreurs recensées dans les différentes sections de notre grille, le profil d’erreurs présente une synthèse de la correction effectuée par le moniteur ou la monitrice ; il suggère les grands axes de l’intervention et il doit être lu en parallèle avec les informations livrées par la MDR. Une version intégrale du profil d’erreurs de Max est donnée en annexe (voir l’Annexe II). On remarquera que le document indique la fréquence d’erreurs de Max selon l’échelle de fréquence établie par notre département pour les cours 101, 102 et 103. Par rapport à cette échelle, notre élève, Max, semble se trouver dramatiquement loin de la fréquence attendue en 101. Il faut toutefois souligner que la correction effectuée par nos moniteurs (sous notre supervision) est réputée pour sa rigueur, et garder à l’esprit qu’au CAF cette fréquence est établie dans un esprit d’autocorrection et non d’évaluation. Les élèves aidés semblent bien faire cette nuance. On peut observer sur la portion du texte de Max la correction effectuée par la future monitrice (figure 4). Cette correction révèle qu’il devra travailler :
- en grammaire du texte (GT) : les répétitions (la reprise de l’information), l’articulation des idées, le discours rapporté ;
- en syntaxe : la phrase de base, l’ordre sujet/CP, la coordination, la subordonnée relative ;
- certains types d’accord, la ponctuation, la justesse du lexique.
Application de la grille de correction
On remarquera au passage la rigueur du travail de la future monitrice qui, à la fin de la formation, est en mesure de détecter des difficultés qui touchent les structures profondes de la langue.
3. Le diagnostic
Le diagnostic posé ici sur le texte de Max s’inscrit dans un modèle sur lequel nous travaillons toujours. Nous voulons raffiner le rapport entre la grammaire du texte (GT) et la syntaxe, rapport qui nous semble comporter encore quelques zones d’ombre. Ainsi, le lien souvent très étroit entre la reprise de l’information et la syntaxe devrait apparaitre plus clairement dans notre modèle ; c’est le cas, dans le texte de Max, de la surutilisation de la relative, qui devrait être traitée comme un problème de reprise de l’information. De la même façon, le lexique ne devrait pas être analysé uniquement sous l’angle de sa justesse, mais aussi comme élément-clé dans la construction des groupes ; ainsi, dans le GN une image ridicule de cette oiseau qui est l’albatros, il est clair que le choix de l’adjectif ridicule pose un problème de structure du GN qui dépasse la question de la justesse du lexique. Cela étant dit, examinons ce diagnostic des difficultés de Max (figure 5). Le texte de la monitrice apparait en italique.
Nom de l’élève : ____________________
En général, l’élève démontre une très bonne maitrise du point de vue distancié. Max fait de son mieux pour écrire dans un registre soutenu, mais il utilise souvent les expressions toutes faites et elles ne se trouvent pas toujours dans le bon contexte. Il faudra donc l’aider à améliorer son vocabulaire pour qu’il puisse rendre ses idées plus précises et utiliser les expressions appropriées. La reprise de l’information sera également à travailler. Une utilisation plus fréquente et adéquate des marqueurs de relation contribuerait à rendre son texte plus fluide et plus clair. Syntaxe : description des caractéristiques syntaxiques du texte
L’élève s’efforce de densifier ses phrases en les enchâssant, mais ses structures de coordination et de subordination alourdissent le texte, n’étant pas assez variées. Nous l’aiderons donc à varier ces structures, mais sans les sur-utiliser. Il faudra aussi s’assurer qu’il utilise les subordonnants et les coordonnants justes. Ses phrases peuvent parfois être incomplètes ; une bonne utilisation de la MDR l’aidera sans doute à s’assurer que tous les constituants de la phrase sont présents. La construction du groupe du nom serait également à travailler. Une meilleure structure rendra son texte plus facile à comprendre. |
Diagnostic de l’élève
Que dirons-nous à la monitrice en formation qui propose ce diagnostic ? Nous lui demanderons de faire attention au ton, d’exclure les adjectifs ou les expressions à connotation négative, de rester très pédagogique dans ses commentaires et recommandations ; nous lui rappellerons qu’en syntaxe, une attention particulière doit être portée aux complétives, si importantes dans l’argumentation ; nous lui conseillerons enfin de bien expliquer à Max ce qu’est une complétive en appliquant la structure dans l’introduction, puis dans la conclusion.
4. Le plan de travail
Élaboré en cohérence avec le diagnostic, le plan de travail propose à la fois des priorités inspirées du profil de l’élève et une hiérarchie dans le traitement des thèmes grammaticaux, hiérarchie inhérente à la structure de la langue elle-même et propre à favoriser la progression des apprentissages. Ainsi, la phrase de base sera vue avant toute chose même si l’élève semble bien la maitriser : il faut revoir cette structure à laquelle s’amarrent toutes les autres.
Le plan de travail préparé pour Max par notre monitrice en formation (figure 6) propose une séquence de révision qui doit être envisagée à long terme : les 10 semaines de rencontres de la session CAF ne suffiront sans doute pas à aborder tous ces aspects ni même à régler l’ensemble des problèmes de l’élève. On peut cependant dire que cette planification trace une démarche globale à travers laquelle la monitrice a classé les difficultés et organisé le travail à faire pour y remédier. On remarquera également que les éléments que Max maitrise bien sont mentionnés d’emblée : nous insistons, en effet, pour que les moniteurs fassent état des points forts des textes de leurs élèves, car il y en a toujours.
Points forts : Bonne orthographe générale Point de vue adéquat : bonne compréhension de la consigne de rédaction Conjugaison Points à améliorer : Structure de la phrase (et de la subordination) Groupe du nom (construction, accord) Ponctuation Lexique
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Le plan de travail
Conclusion
La formation de nos moniteurs et monitrices revêt une importance capitale pour l’existence, le dynamisme et l’évolution du CAF. Leur implication dans ce cours, extrêmement stimulante pour les professeurs qui le donnent, se fonde d’abord sur une immense curiosité ainsi que sur d’intenses préoccupations d’ordre linguistique. Chaque session, quelques défis nous attendent. Ces élèves sont forts en français : leur inscription au cours est acceptée à cette condition. Ils se font donc souvent la plus haute idée de leurs compétences en tant que scripteurs. Nous devons briser les idées reçues et ébranler leurs certitudes linguistiques héritées d’un enseignement normatif et d’une performance individuelle supérieure à la moyenne. Nous expliquons la grammaire du français écrit comme un système de règles cohérent dont la compréhension est nécessaire pour lire, écrire, étudier, communiquer… Nous avons ensuite à construire leurs réflexes pédagogiques liés à la situation d’enseignement du tutorat par les pairs, qui impose un ton et une attitude inspirés du rapport d’égalité et exempts de jugement.
Ce cours est devenu au fil des ans un laboratoire linguistique et pédagogique extrêmement vigoureux et inspirant. Et c’est la vigueur qui nourrit le CAF de session en session.
Annexe 1
- Fortier, Dominique et Suzanne Beauchemin, Parce que. Un guide d’autocorrection du français écrit, Anjou, CEC, 2005. Retour au texte
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