«Tracer un chemin / Meshkanatsheu»: les écrits des Premiers Peuples dans les cours de littérature au collégial
Depuis une dizaine d’années, la production littéraire des auteures et auteurs des Premiers Peuples est en plein essor au Québec. Elle se déploie dans des genres variés, et les recueils, monographies ou études critiques[1] qui lui sont consacrés se multiplient. Plusieurs événements littéraires[2] d’envergure nationale lui sont également dédiés. Au vu de la richesse et de l’originalité de ces écrits, le temps nous a semblé venu de mieux faire connaitre cette littérature aux élèves des classes du dernier cycle du secondaire et à ceux du collégial. C’est dans cette perspective que nous avons conçu, en collaboration avec l’Institut Tshakapesh et les éditions Hannenorak, un projet éditorial inédit : la réalisation d’une anthologie de textes d’auteurs des Premiers Peuples et d’un guide pédagogique pour les enseignants et enseignantes[3].
L’anthologie Tracer un chemin / Meshkanatsheu, parue l’automne dernier, rassemble une quarantaine de textes susceptibles de retenir l’attention des lecteurs et lectrices peu au fait des littératures autochtones, de leur procurer un plaisir de lecture et de leur donner envie de découvrir davantage les productions littéraires des auteures et auteurs des Premiers Peuples. Il ne s’agit donc pas d’un travail de recension exhaustif de la production ancienne et actuelle ni du résultat d’une sélection se voulant représentative de l’évolution historique de cette littérature. Nous avons toutefois veillé à ce que les textes choisis soient de genres variés, proviennent d’auteures et d’auteurs de générations et de nations différentes, et témoignent d’une diversité de choix stylistiques.
L’anthologie a été pensée volontairement comme un objet littéraire en soi. Elle est organisée en chapitres construits autour d’un fil thématique léger, au sein desquels les textes fonctionnent en écho. Des informations minimales relatives aux auteurs ainsi que quelques notes explicatives indiquant le sens de certains termes en langues autochtones ou de référents culturels sont fournies dans la section finale du livre.
En complément, un guide pédagogique, accessible en ligne, est destiné aux enseignants et enseignantes qui interviennent au dernier cycle du secondaire ainsi que dans la formation au collégial. Il propose des pistes de travail à explorer en classe autour des textes retenus. Les activités ont été conçues en priorité pour les enseignants et enseignantes de français qui travaillent dans les milieux scolaires fréquentés par les élèves autochtones, mais elles sont tout à fait adaptables pour les autres contextes d’enseignement.
En prenant appui sur nos expériences professionnelles, ainsi que sur les développements récents dans le domaine de la didactique de la lecture des textes littéraires – développements qui invitent à prendre en compte l’activité du sujet lecteur –, nous présentons des pistes didactiques visant les quatre objectifs suivants :
- faire découvrir une majorité des textes du recueil;
- réfléchir aux particularités de ces écrits et aux composantes de la création littéraire;
- développer des compétences de lecture, d’écriture et de communication orale;
- susciter l’intérêt envers ce domaine particulier de la littérature et contribuer à donner le gout de lire ce type d’œuvres.
Le guide est organisé en plusieurs parties. La première est la plus développée. Elle contient des pistes de lecture pour chaque chapitre de l’anthologie, construites chaque fois autour de trois ou quatre textes. Les activités sont orientées vers un traitement du contenu thématique des textes ou vers l’observation de certains procédés langagiers propres à la création littéraire. Le travail sur les textes peut se conclure par des échanges collectifs ou la réalisation d’une production écrite.
Plusieurs activités amènent les étudiants à reconnaitre la part subjective de l’activité de lecture. Elles débouchent sur une production écrite ou orale dans laquelle ils sont amenés dans certains cas à prendre position, que ce soit sur le plan individuel ou collectif. Cela passe, par exemple, par un échange oral à propos des valeurs dominantes dans certaines sociétés ou l’écriture d’un rap sur le thème des préjugés d’ordre raciste.
L’étude de cette littérature peut agir de façon très positive sur la motivation scolaire des étudiantes et étudiants des Premiers Peuples. En plus de leur offrir un regard actuel sur leur réalité, elle les aide à se positionner par rapport à leur culture et à découvrir des modèles au sein de leurs communautés. Elle contribue à faire de la classe de français un lieu qui valorise les cultures autochtones en plaçant ces dernières au cœur des apprentissages.
Pour les autres étudiantes et étudiants, le travail autour des textes réunis dans l’anthologie fournit une occasion extraordinaire de découvrir la réalité actuelle des Premiers Peuples, de réfléchir aux relations entre les sociétés québécoise et autochtones, et de mieux comprendre les revendications politiques, mais aussi les rêves et aspirations des individus qui appartiennent à ces communautés.
Par exemple, à partir d’un poème de Joséphine Bacon qui ouvre l’anthologie et dans lequel sont passées en revue les appellations des différentes nations en distinguant les noms attribués par les colonisateurs et ceux existant dans chaque langue autochtone, les étudiants sont amenés à réfléchir aux dénominations associées aux peuples autochtones et aux représentations du monde qu’elles véhiculent : Sauvages, Indiens, Amérindiens, Autochtones, Premières Nations, Premiers Peuples, etc. Ils comprennent alors mieux l’effet que ces appellations ont pu avoir sur la façon de percevoir les cultures des Premiers Peuples. En complément de cette activité, on peut aussi s’intéresser aux relations établies avec les Premiers Peuples à la lumière des façons de désigner le peuple québécois (Français, Canayens, Canadiens français, Québécois) au fil de l’histoire.
Chaque groupe d’activités est suivi d’une liste de lectures complémentaires en lien avec le thème qui constitue le fil conducteur du chapitre. Ces suggestions de lectures, qu’il s’agisse d’autres œuvres littéraires ou d’études théoriques, ont été pensées en particulier pour les étudiantes et étudiants du postsecondaire. Elles aident à mieux situer les œuvres sur les plans historique et culturel. Elles établissent également des liens entre les corpus autochtones, québécois et états-uniens, ce qui recadre la réception des œuvres dans une perspective continentale. Cette approche rappelle l’idée que les littératures des Premiers Peuples ne sont pas limitées par des questions de frontières ni de langues, mais invitent à considérer l’expérience américaine à une échelle différente de celle imposée par la culture occidentale.
Ainsi, nous proposons d’approfondir le travail effectué à la suite de la lecture de l’extrait de Je suis une maudite sauvagesse d’An Antane Kapesh en le comparant à la postface du recueil Nous sommes tous des sauvages[4] écrite par Louis Hamelin. On étudiera les différents sens du mot « sauvage » et on examinera la connotation qu’il a pu prendre au fil des années. Ce faisant, c’est toute une réflexion sur la façon d’envisager l’histoire de l’Amérique que l’on abordera à partir d’un seul mot.
L’analyse d’un extrait de la pièce de théâtre récente Muliats[5] gagnerait également en profondeur si cette dernière était comparée à une pièce de Tomson Highway. En plus de faire connaitre aux étudiants différents dramaturges autochtones, ce travail comparatif les amène à cerner certains enjeux, thèmes ou procédés propres au théâtre des Premiers Peuples tout en se demandant comment ces pièces s’inscrivent dans la grande histoire de la dramaturgie.
Enfin, le guide se conclut par une section qui propose des activités permettant aux étudiants de parcourir de façon autonome l’ensemble du recueil et de faire part de leur appréciation personnelle des textes, ainsi que par des suggestions d’évaluation de la compréhension en lecture.
Le projet Tracer un chemin / Meshkanatsheu est une invitation à repenser les choix de lecture offerts à nos étudiantes et étudiants et à faire entrer le corpus littéraire des Premiers Peuples dans les classes de français, peu importe le niveau scolaire ou l’endroit où l’on se trouve dans la francophonie. Nous avons l’intime conviction que l’étude de cette littérature peut agir de façon très positive sur la motivation des étudiantes et étudiants autochtones, car elle leur offre un regard actuel sur leur réalité et leur permet de se positionner par rapport à leur culture. Pour les étudiants non autochtones, la lecture et le travail sur les textes d’auteurs des Premiers Peuples fournissent l’occasion d’améliorer leurs connaissances socioculturelles au moyen de la littérature, ce qui nous semble être une façon efficace – et agréable! – de ne pas reproduire les stéréotypes et la méconnaissance historique qui peuvent plomber le regard porté sur les nations autochtones d’Amérique. La découverte de ces textes amènera aussi tous les lecteurs, nous l’espérons, à apprécier le travail créatif des auteures et auteurs et à réfléchir aux effets de l’écriture et de la lecture de tels textes.
- Les lecteurs intéressés par ces questions pourront notamment consulter les ouvrages de Maurizio Gatti (Littératures autochtones [avec L.J. Dorais] (2010), Être écrivain amérindien au Québec : indianité et création littéraire (2006) ou encore Littérature amérindienne du Québec. Écrits de langue française [2004]), de Tomson Highway (From oral to written [2017]), de Laure Morali (Aimititau! Parlons-nous! [2008]), de Joëlle Papillon (« Imaginaires autochtones contemporains », paru dans la revue Temps zéro), d’Isabelle Saint-Amand (La crise d’Oka en récits : territoire, cinéma et littérature [2015]) ou encore l’essai de Jean-François Létourneau (Le territoire dans les veines [2017]). [Retour]
- Pensons, par exemple, au Kwahiatonhk / Salon du livre des Premières Nations, qui se tient à Wendake au mois de novembre. La première édition a eu lieu en 2011. [Retour]
- L’anthologie est en vente en librairie; le guide enseignant peut être consulté dans « L’espace enseignants » du site Internet de l’Institut Tshakapesh. [Retour]
- J. ACQUELIN et J. BACON (2011), Nous sommes tous des sauvages, Mémoire d’encrier, 70 p. [Retour]
- Pièce de théâtre coécrite par Charles Bender, Marco Collin, Xavier Huard, Natasha Kanapé Fontaine et Christophe Payeur (2016). [Retour]
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