TIC et compétences langagières
Rédiger cet éditorial d’environ 900 mots sans mon ordinateur : régime table-papier-crayon, tel était mon défi! Nul accès, donc, à mes outils numériques habituels, Petit Robert ou autres. Si, bon an mal an, plus de 80 % des candidats à l’épreuve uniforme de français dissertent avec succès dans ces conditions, je parviendrai bien, me disais-je, à un résultat correct dans un délai raisonnable. Quelle expérience! À part le plaisir de mâchouiller le bout de mon stylo, aucune satisfaction… ou presque! Lenteur, sentiment d’inefficacité, voire d’incompétence. Accumulation de ratures, de flèches, d’annotations vite devenues quasi indéchiffrables. Mes idées, à moitié développées, se sont trouvées entremêlées, ne suivant pas mon plan initial. Pas de couper, copier/coller, déplacer pour corriger ce désordre. Peu de consultation spontanée des traditionnels ouvrages de référence imprimés – trop chronophage. En un mot : un échec! Je me suis donc résolue à organiser mon casse-tête de phrases avec un traitement de texte. Grand soulagement.
Des questions ont vite surgi : mes habiletés rédactionnelles auraient-elles régressé avec l’utilisation récurrente des technologies dans ma pratique professionnelle? Mes compétences auraient-elles subi une mutation? La qualité de mon texte aurait-elle été supérieure sans le recours aux outils d’aide à la rédaction électroniques, à commencer par le traitement de texte? Et que penser de ma motivation, subitement ranimée au moment de retrouver mes habitudes d’écriture? Thierry Karsenti, auteur de nombreuses études sur l’usage du numérique éducatif, réfléchit depuis longtemps à l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur l’acte scriptural. Dans son article ici, il met en perspective les critiques dans les milieux éducatifs à l’endroit de la compétence à écrire des élèves québécois et présente quelques données de recherche sur le potentiel des technologies pour le développement de cette compétence, en rappelant l’importance des mesures d’accompagnement des élèves.
Nathalie Marier et ses collègues du cégep de Victoriaville, au fait de cette réalité, ont mis en place un dispositif visant à intégrer certaines habiletés du profil TIC[1]. Le but : implanter un usage judicieux du logiciel d’aide à la rédaction Antidote dans les cours de la formation générale. L’atteinte de cet objectif nécessite, comme en témoigne le récit de la conseillère pédagogique, de la patience et de la persévérance et, surtout, un engagement collectif.
Aider les étudiants à mettre les TIC au service de leurs habiletés langagières, c’est aussi l’ambition d’Ophélie Tremblay. Notre nouvelle chroniqueuse de l’UQAM s’intéresse plus spécifiquement à la compétence lexicale et à la consultation des dictionnaires électroniques. Le premier article de sa série présente quelques pistes didactiques pour travailler en classe la notion de polysémie à l’aide de fonctionnalités propres au format numérique des dictionnaires.
On le sait, l’utilisation des incontournables TIC dans un cadre scolaire requiert des habiletés langagières complexes. C’est le cas lorsque les élèves réalisent leurs présentations à l’aide du logiciel PowerPoint ou d’un outil semblable. Sélectionner les renseignements à présenter oralement ou dans le document écrit, prévoir les images, tableaux ou schémas qui complètent le propos, observer certaines règles d’édition qui assurent une lecture aisée, telles que recourir à une syntaxe appropriée, à une hiérarchisation correcte de l’information et à des choix typographiques adéquats… Notre collaboratrice de l’OQLF, Audray Julie Charron, auteure des articles sur la présentation assistée par ordinateur de la Banque de dépannage linguistique, donne à ce propos quelques conseils aux cégépiens.
L’ajout d’une section sur la rédaction de documents numériques, dont ceux conçus pour soutenir une communication orale, constitue par ailleurs l’un des enrichissements appréciables de la 7e édition du Français au bureau. Daniel Marquis, bibliothécaire au cégep de Granby, offre ici un aperçu de la nouvelle mouture de l’ouvrage.
La séduction qu’exerce le numérique peut être mise au service des contenus grammaticaux, en favorisant leur appropriation. C’est ce que Karine Bélair, du Collégial international Sainte-Anne, s’est proposée d’expérimenter avec ses élèves du cours Renforcement en français, en les amenant à créer un site web coopératif dédié à leurs difficultés à l’écrit. L’enseignante témoigne des bénéfices qu’a pu tirer sa classe d’un tel projet.
Devant les difficultés en lecture et en écriture de nombreux cégépiens, mais également les lacunes observées chez certains collègues, le partage des savoirs et des expériences est souhaitable, voire nécessaire. Dans le présent numéro, il est question de deux initiatives allant dans ce sens. D’abord, celle de membres du groupe de recherche CLÉ qui s’intéressent aux pratiques et conceptions des enseignants du programme de sciences humaines : comment perçoivent-ils leur rôle dans le développement des compétences langagières chez leurs étudiants? Quel accompagnement offrent-ils dans les productions de lecture et d’écriture propres à leur discipline? Voilà un projet susceptible de favoriser les échanges entre les départements de français et de sciences humaines.
Enfin, ce numéro de Correspondance rend compte des activités du Réseau Repfran, qui consistent à partager des expériences dans le but d’améliorer la qualité du français dans les collèges. Le bilan de la rencontre tenue à l’automne 2014, qui portait sur le test à l’embauche, témoigne du souci des participants de tendre vers cet idéal : que tous les employés d’un cégep en contact avec des élèves maitrisent bien la langue.
- Le profil TIC est un cadre de référence visant à soutenir le développement d’habiletés informationnelles, méthodologiques, cognitives et technologiques chez les étudiants du collégial. Le Réseau des répondantes et répondants TIC (REPTIC), rattaché à la Fédération des cégeps, diffusait à l’automne 2014 une refonte du Profil de 2009 : www.reptic.qc.ca/cadres-de-reference/ [Retour]
Abonnez-vous à l’infolettre de Correspondance pour être informé une fois par mois des nouvelles publications