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Les grands dossiers 2003-2004 de la formation générale

Les grands dossiers 2003-2004 de la formation générale

Pas quatre forums, mais cinq !

Le premier ministre Jean Charest a annoncé, à la fin du récent congrès du Parti libéral, qu’il se tiendra bientôt au Québec quatre forums, dont l’un sera consacré à l’éducation. Or le réseau collégial aura droit à un forum à lui seul, un cinquième, comme si l’on devait discuter de cet ordre d’enseignement indépendamment du système d’éducation dans son ensemble.

Il faut le dire d’emblée, la tenue de ce forum est inquiétante. Bien que le ministre de l’Éducation clame haut et fort qu’il ne souhaite pas abolir les cégeps, toutes les positions des instances en cause vont dans le sens d’un affaiblissement de la place de la formation générale dans les études collégiales. L’avenir de ce que nous appelons le « tronc commun », celui qui garantit la transmission d’un fonds culturel général à toutes celles et tous ceux qui poursuivent des études collégiales, est dangereusement compromis selon les propositions émises dans nombre de documents parus récemment.

Les tenants de l’approche orientante veulent que l’école forme des travailleurs et des travailleuses, alors que la Fédération des cégeps veut qu’on enseigne moins de littérature et plus de français écrit en formation technique, et ce, à l’instar du ministre de l’Éducation.

Le concept d’école orientante : première phase du changement

L’épithète orientante n’est pas française, mais elle fait désormais partie de la réalité en éducation au Québec. L’école orientante est une approche qui s’harmonise assez bien avec celle proposée par la Fédération des cégeps et dont il sera question plus loin.

Cette approche fonde sa raison d’être sur le fait que le jeune qui trouve dans l’école le moyen de se raccrocher à un avenir professionnel concret est plus motivé à poursuivre des études que s’il la fréquente simplement pour apprendre. On cherche ici à répondre à la sempiternelle question : À quoi cela me sert d’apprendre ? L’école assumerait ainsi une mission utilitariste puisque l’élève, dès la fin du primaire, commencerait à anticiper sa vie professionnelle et à établir des rapprochements palpables entre ce qu’il apprend et ce qu’il accomplira plus tard comme travailleur. Pour ce faire, les enseignantes et les enseignants devraient inclure dans leurs cours, quelle que soit la matière, des activités liées à des professions parmi lesquelles le jeune serait appelé à choisir.

Une telle façon d’envisager l’école assurerait au jeune un « projet professionnel défini[1] ». On vise par là à contrer son anxiété devant l’avenir aussi bien que son sentiment d’incompétence à réussir, de telle sorte qu’il soit moins tenté de décrocher.

La position de la Fédération des cégeps : deuxième phase du changement

En février 2003, la Fédération des cégeps publiait Les cégeps, une force d’avenir. Plan de développement du réseau collégial. Ce document se fait assez fortement l’écho de l’approche orientante. On se souviendra de la réaction, un mois après cette parution, du président de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CRÉPUQ) : selon lui, et comme le dira aussi la Fédération des commissions scolaires l’automne suivant, si la Fédération tient à établir à ce point une distinction entre les secteurs préuniversitaire et technique, elle n’a qu’à s’occuper du technique et à accorder une année de plus au secondaire et une seconde à l’université pour toutes les étudiantes et étudiants du préuniversitaire[2]. L’éducation au Québec calquerait ainsi son système sur le modèle nord-américain.

Certaines des 69 pistes d’action du plan de développement de la Fédération proposent que soit revu à la baisse le contenu des cours de français dans le secteur technique étant donné que le taux d’échec y est plus élevé qu’au préuniversitaire. La Fédération avance l’idée qu’il faudrait analyser la possibilité de rabaisser les exigences dans ces cours, comme à l’Épreuve uniforme de français, pour contrer le problème. Pourtant, elle affirme aussi que « l’éducation ne se limite pas à la qualification de la main-d’oeuvre, mais vise plutôt la formation globale de la personne[3] ». C’est dans cet esprit que le Comité des enseignantes et des enseignants de français (CEEF) a adressé une lettre à la Fédération dans laquelle il conteste les moyens que cette dernière propose pour parvenir à cette fin.

Plusieurs des pistes d’action proposées par la Fédération dans son plan de développement touchent des domaines qui ne se rapportent en rien à la formation générale. Mais l’esprit même du document est propre à susciter des inquiétudes compte tenu du fait qu’on y insiste sur la nécessité de distinguer nettement la formation technique de la formation préuniversitaire. C’est ici que le tronc commun intrinsèque aux cégeps se trouve sérieusement affaibli au profit d’une formation spécifique dont les buts sont liés à la future vie professionnelle.

Le Groupe de travail sur les cours de français : troisième phase de ce virage

Cet hiver, le ministre de l’Éducation, Pierre Reid, a demandé qu’un groupe de travail[4] soit mandaté pour analyser la problématique de l’échec dans les cours de français et à l’Épreuve uniforme, et proposer des pistes de solutions. Le mandat comportera trois volets et le groupe de travail tiendra quatre rencontres du début de mars à la mi-mai.

Volet 1

Faire le point sur la situation et dégager les traits caractéristiques du problème.

Le groupe de travail analysera les données sur la réussite des élèves dans les cours de français et à l’Épreuve uniforme et examinera les effets des mesures mises en place dans les plans d’action pour aider les élèves présentant des difficultés particulières en français, dont les résultats de la recherche menée récemment au Ministère sur les cours de mise à niveau. L’équipe de la Direction des programmes d’études et de la recherche (DPER) sera chargée de colliger l’ensemble des données pertinentes sur la réussite des élèves aux cours de français et à l’épreuve uniforme depuis le renouveau de 1994.

Volet 2

Proposer des hypothèses d’ajustements ou de modifications à apporter aux cours de français et à l’Épreuve uniforme.

Ces hypothèses devraient tenir compte des préoccupations suivantes :

  • permettre un meilleur arrimage avec les exigences en français au secondaire (considérer, par exemple, la possibilité que les activités de mise à niveau s’insèrent dans les cours obligatoires de français, langue d’enseignement) ;
  • accorder une attention plus soutenue à la maîtrise de la langue dans tous les cours ;
  • viser une meilleure harmonisation des cours de français selon les différentes voies de formation, ceci dans le cadre de l’approche programme ;
  • mieux répondre aux besoins des élèves qui présentent des problèmes particuliers en français écrit.

Volet 3

Analyser l’impact et la faisabilité de la mise en oeuvre des hypothèses proposées et consulter le Comité-conseil de la formation générale sur ces hypothèses.

Pour ce faire, le groupe de travail recueillera les avis de la Direction générale du financement et de l’équipement (DGFE) et de la Direction des relations de travail (DRT) pour ce qui concerne la tâche des enseignants, l’organisation scolaire et les coûts du système, et il rédigera un rapport qui sera déposé au comité-conseil à la fin de juin.

Les deux enseignants de français qui font partie de ce groupe de travail verront à ce que les opinions que le CEEF a déjà émises au sujet des cours de français soient constamment considérées.

Les effets immédiats du forum : quatrième phase de la « réingénierie »

Le ministre Reid a décidé de geler délibérément tout projet touchant à l’enseignement collégial dans la perspective du forum de juin prochain, car on y remettra en question, selon les informations qui circulent, la structure profonde du réseau telle que nous la connaissons depuis son implantation. Or les cours de littérature risquent fort de subir un dur coup si nous ne restons pas vigilants. Quelles sont les conséquences immédiates de la paralysie des travaux souhaités et souhaitables ? Par exemple, un cours intitulé Pratique du français oral et écrit a été mis en oeuvre en 2002-2003. Le comité de rédaction de ce devis a mis fin à ses travaux vers la fin de mars, le CEEF a voté son adoption à sa réunion annuelle du 29 mai 2003, le Comité- conseil de la formation a fait de même, et enfin, toute la procédure nécessaire de mise en oeuvre a été suivie de sorte que les collèges puissent l’implanter dès l’automne 2003.

À ce jour, il semblerait qu’aucun collège du réseau n’a implanté ce cours qui s’adresse « […] à des étudiantes et des étudiants présentant des lacunes graves dans la compréhension de textes courants ou la production de textes brefs, et plus particulièrement à des étudiantes et à des étudiants qui ont complété leurs études secondaires à l’extérieur du Québec (dans une autre province canadienne ou dans un pays étranger) ; à des étudiantes et à des étudiants dont la langue maternelle n’est pas le français et qui arrivent au cégep par voie d’équivalence[5] ». Nous comprenons par là que le cours devait surtout s’adresser à des allophones sans exclure d’autres catégories d’étudiantes et d’étudiants.

Néanmoins, au moins deux problèmes persistent relativement à ce nouveau cours de pré-mise à niveau.

Le premier est celui du financement. En effet, le comité de rédaction du devis avait demandé que ce cours bénéficie d’un mode de financement particulier selon deux approches : réduire le nombre d’élèves par classe ou, le cas échéant, offrir des cours individualisés. Il semble que le ministre de l’Éducation n’ait pas jugé bon de donner suite à cette recommandation du comité de rédaction, laquelle lui a pourtant été acheminée par plusieurs voies : par le comité de rédaction lui-même, par la résolution votée par le CEEF et, enfin, par le président du Comité-conseil de la formation générale, Christian Ragusich. Au MEQ, on répond que c’est en vue du forum que le ministre Reid a ordonné le gel des travaux, même si ceux-ci visent à améliorer la qualité des services.

Le second problème concerne les activités qui devaient assurer le pont entre ce cours et les autres cours de français, langue d’enseignement et littérature, voire tout autre cours offert dans le réseau collégial francophone. Il avait effectivement été prévu que la discipline français soit ajoutée aux cinq champs de cours complémentaires déjà inscrits dans le Règlement sur le régime des études collégiales afin que les enseignantes et enseignants de français puissent eux aussi offrir de tels cours. Cet ajout n’a pas encore été fait. Il nous aurait pourtant permis de travailler à la rédaction de devis de cours complémentaires en français de manière à assurer aux étudiantes et étudiants allophones, entre autres, la possibilité de s’inscrire à des cours adaptés à leur réalité linguistique afin de mieux les préparer à suivre les autres cours du collégial en français.

Le fantôme de l’abolition des cégeps hante le réseau collégial presque depuis sa naissance, et nombreuses sont les voix qui se sont prononcées dans les journaux, entre la fin de l’automne et le début de l’hiver, sur la crainte qu’une telle idée fasse son chemin. D’aucuns semblent convenir que les cégeps ont besoin d’ajustements, mais on estime aussi qu’une autre réforme en profondeur de l’enseignement, à peine dix ans après celle de 1994, serait néfaste pour ces établissements.

Nul doute qu’il y aura fort à faire pour convaincre les gouvernants actuels qu’une transformation de cet ordre représente bien plus qu’un réaménagement des apprentissages. Elle participe de la définition d’une nouvelle société en devenir. Le problème soulevé ici n’est pas exclusif à l’éducation. Il s’agit de savoir si nous voulons ou non la société que les gouvernants cherchent à déconstruire. Il importe que nous participions tous et toutes au débat qu’ils soulèvent.

Le schisme redouté entre la formation technique et la formation préuniversitaire risque fortement de prendre la formation générale en otage.

* * *

  1. Carrefour de la réussite au collégial, Trousse 5, École orientante, p. 5. Retour
  2. P. Lucier, « Les cégeps veulent-ils chambouler la formation préuniversitaire ? », Le Devoir, les samedi 1er et dimanche 2 mars 2003, p. B 5. Retour
  3. Fédération de cégeps, Le cégep, une force d’avenir pour le Québec, Plan de développement du réseau collégial public, Québec, 1er trimestre 2003, p. 44. Retour
  4. Ce groupe de travail est constitué de trois représentants de la Direction des programmes d’études et de la recherche au MEQ, d’un représentant du secteur de la formation professionnelle et technique et de la formation continue, de deux directeurs des études ainsi que de deux enseignants de français. Retour
  5. Ministère de l’Éducation, devis du cours Pratique du français oral et écrit. Retour

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