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Valoriser le français dans les collèges: l’ambitieuse et délicate mission du réseau Repfran

Valoriser le français dans les collèges: l’ambitieuse et délicate mission du réseau Repfran

Mettre en place une offre accrue de services permettant d’améliorer la qualité du français des élèves, du personnel enseignant et des membres de la communauté collégiale », voilà le mandat que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) donnait aux collèges en approuvant un cadre de mesures de 13 millions de dollars en juin 2011[1]. Ce vaste chantier touche autant l’encadrement et le cheminement scolaire des élèves que la pédagogie, l’embauche et les compétences langagières du personnel. Pour atteindre le but visé, tous les services d’un cégep sont interpelés, et favoriser l’engagement individuel et collectif constitue l’enjeu principal.

Quelles actions entreprendre? Comment valoriser la qualité du français? Comment développer une cohérence institutionnelle autour d’une culture de la langue? Devant toutes ces questions auxquelles les intervenants de chaque collège cherchaient des réponses, le désir et le besoin de sortir de l’isolement pour partager des expériences ont fait naitre le Réseau Repfran[2] (réseau des RÉPondants du dossier de la valorisation du FRANçais dans les collèges), que le Carrefour de la réussite a accepté de soutenir à partir de l’automne 2012[3].

Un cadre de référence

La valorisation de la langue repose sur une responsabilité collective où chaque personne, dans le champ de ses activités, s’engage à poser des gestes parfois exigeants, mais nécessaires. Par exemple, imposer un test à l’embauche implique la mise en place d’une logistique particulière et la mobilisation de ressources pour le suivi. Mettre sur pied et maintenir un centre d’aide en français pour les élèves ou des services de référence linguistique pour le personnel suppose des choix budgétaires pour les administrateurs. Offrir des cours de mise à niveau et des activités de consolidation aux élèves qui en ont besoin requiert une contribution particulière de la part des enseignants de français, dont la formation est avant tout littéraire. Évaluer la qualité de la langue amène une augmentation de la tâche de correction pour tous les enseignants. Sans la conviction profonde que la valorisation du français nécessite de tels efforts, la mobilisation reste un vœu. Le répondant du dossier dans un collège – ou repfran – doit donc développer une vision globale des problématiques en cause afin de motiver et de guider sa communauté vers des décisions et des pratiques efficaces, adaptées aux valeurs et aux particularités du milieu. À titre d’animatrice du Réseau, ma première préoccupation a été de fournir aux membres un cadre de référence conçu pour étayer un diagnostic de la situation dans leur établissement. Cet outil s’intitule Valorisation de la langue française : où en êtes-vous? Dans ce document, j’invite les repfrans à faire un tour d’horizon de ce qu’il est possible de réaliser au collégial pour valoriser et améliorer le français, et ce, tout en les aidant à contextualiser leur mandat, à mettre en évidence les forces de leur politique institutionnelle actuelle, à prioriser leurs interventions, à identifier les avenues qu’ils souhaitent explorer et les aspects pour lesquels ils recherchent ressources et soutien. Sans être exhaustif, le guide que je propose a l’avantage d’être personnalisable et de couvrir les différents champs d’intervention. On y trouve énumérés, en plus des grandes actions touchant l’ensemble d’un collège, le perfectionnement du personnel, les cours de français, les cours des autres disciplines et l’aide aux diverses catégories d’élèves (voir l’encadré ci-dessous).

Dresser un premier bilan de la situation institutionnelle, éclairé par le cadre de référence, est primordial si l’on veut éviter de se lancer dans des interventions ponctuelles sans retombées structurantes. En effet, tracer un plan d’ensemble cohérent soutient les efforts des intervenants, à court comme à long terme, et aide à juger de l’adéquation d’une mesure en fonction de l’objectif poursuivi : plus un collège se montre transparent quant à la manière dont son plan d’action traduit sa vision, plus il nourrit chez son personnel le sentiment de participer à un projet collectif signifiant. En fait foi l’histoire des trois tailleurs de pierre qu’un roi, un jour, interrogeait sur leur travail… Le premier lui dit, sans entrain : « Je taille des pierres »; le deuxième, sur le même ton : « Je gagne ma vie »; et le troisième de répondre fièrement : « Moi, je bâtis une cathédrale ». Avoir conscience de contribuer à une grande œuvre, sachant même que de son vivant il n’en verrait pas l’achèvement, permettait à ce dernier de trouver de la satisfaction dans sa tâche quotidienne. De même, les objectifs que nous poursuivons tous dépassent les mouvements velléitaires des campagnes du bon français. Nous faisons œuvre d’éducation, et la maitrise de la langue constitue une clé indispensable d’accès aux savoirs, à la liberté de la pensée et à la puissance de la communication sociale et professionnelle. C’est dans une politique institutionnelle congruente et dans le soutien aux intervenants que l’engagement collectif puise sa force.

Les acteurs

L’interrelation nécessaire entre les différents acteurs impliqués dans la valorisation du français dans un collège peut s’illustrer par un organigramme où les composantes s’emboitent les unes dans les autres (voir la figure 1). On remarque que les élèves, qui sont à la fois les acteurs et les principaux bénéficiaires de la mobilisation, se trouvent au cœur du schéma. Tout autour, pour les former, les aider et les soutenir, gravitent d’abord leurs modèles réalistes, soit leurs enseignants de toutes les disciplines, y compris ceux de français; ensuite, les différents services viennent prêter mainforte, du registraire aux aides pédagogiques en passant par les services aux élèves, le centre d’aide en français (CAF) et le centre de référence linguistique au personnel (CRL). Le Collège encadre l’ensemble par une politique institutionnelle de valorisation de la langue française (PVLF) aussi cohérente et incarnée que possible. Ainsi, chacun voit et trouve sa part de responsabilité à assumer. Cette figure permet de situer tous les éléments recensés dans le cadre de référence (présenté dans l’encadré). Par exemple, du Collège dépendent le test à l’embauche et la mise sur pied des services de perfectionnement offerts aux élèves par le CAF et au personnel par le CRL; les enseignants ont la responsabilité d’intégrer l’enseignement et l’évaluation des compétences langagières; quant aux élèves, ils ont le devoir d’appliquer les stratégies apprises.

Figure 1
Interrelation des acteurs engagés dans la valorisation de la langue

Où se situe l’action du repfran dans cette dynamique? En fait, il ou elle a la possibilité d’agir sur plusieurs plans : conseiller les décideurs; former, soutenir et motiver les intervenants; valoriser les efforts de tous; faciliter la mise en application des mesures auxquelles il ou elle croit. C’est dire toute l’importance de son rôle. Loin de jouer le gardien de la norme linguistique, le repfran incarne plutôt la personne-ressource qui sait construire une relation d’aide stimulante, qui fait fondre les préjugés et qui déploie toute sa créativité et sa compétence pour faire avancer les pratiques.

Le plan institutionnel

Par où commencer? Il n’y a pas de trajet unique ni de règles absolues, les variables étant trop nombreuses : le parcours de chaque collège en matière linguistique, sa culture institutionnelle, les caractéristiques sociales et scolaires de sa population étudiante, le degré de conviction des dirigeants, l’organisation du travail, pour ne nommer que celles-là. Certains commenceront par la rédaction d’une politique du français ou sa révision, d’autres mettront d’abord les gens en action dans des pratiques d’enseignement et d’évaluation de la langue, d’autres encore augmenteront l’offre de services de perfectionnement. On peut lancer le projet par une grande activité promotionnelle ou procéder par étapes; on peut aborder la maitrise de la langue en concentrant les travaux sur l’amélioration et l’évaluation des habiletés linguistiques ou en visant le développement des différentes composantes de la compétence langagière, entre autres à travers les écrits disciplinaires. En fait, en éducation, il n’y a pas de modèle parfait, pas plus qu’il n’y a de recette magique.

Comme il importe d’entreprendre une démarche cohérente et adaptée au milieu, on ne négligera pas de prévoir, en élaborant un plan institutionnel, les moyens de favoriser l’adhésion de tous et la concertation dans l’action pour développer une culture de la langue positive et constructive. Dès lors, les travaux de valorisation et d’amélioration du français doivent s’inscrire dans la durée. La mise en place des mesures suggérées par le Ministère appelle une réelle transformation des habitudes didactiques et pédagogiques, des procédures administratives et des attitudes à l’égard de l’écrit. Aussi, croire qu’il puisse se produire des changements profonds et généralisés en quelques années seulement tiendrait de la pensée magique. Comme il ne suffit pas d’édicter une politique pour qu’elle soit correctement appliquée par les intervenants, le vaste chantier entrepris par les collèges ne portera ses fruits que dans un accompagnement judicieux, constant et pérenne.

De même, on ne peut s’attendre à ce que les difficultés constatées chez les élèves disparaissent de manière miraculeuse, parce que, faut-il le rappeler, la maitrise du français demande du temps. Elle n’est jamais complètement acquise et se parfait progressivement à travers le parcours scolaire, du primaire à l’université. Les textes à lire et à écrire au cégep dépassent en complexité ceux du secondaire. Que tous les cours du collégial fassent de l’écrit un objet d’enseignement et d’évaluation en fonction des exigences des études supérieures ne fait que respecter l’ordre des choses et contribue à accorder une valeur accrue à la langue. L’amélioration des compétences langagières des cégépiens appelle nos efforts concertés et continus.

Le défi du Carrefour

La grande diversité des milieux, de leurs besoins et des degrés d’avancement des travaux représente un défi pour le Carrefour. Comment aider les différents intervenants à remplir le mandat reçu du Ministère[4], tout en respectant la singularité de chacun? Le Carrefour veut agir comme un phare en mettant en lumière les résultats des recherches liées à l’amélioration de la langue et les pratiques exemplaires. Il veut également offrir son soutien aux répondants du dossier dans les collèges. La création du Réseau Repfran est vite apparue comme un moyen efficace de satisfaire les différentes attentes. Une communauté d’intérêts donne en effet la possibilité de mettre les répondants en contact, de leur offrir un lieu et des occasions pour partager leurs préoccupations, leurs découvertes et leurs bons coups. D’abord, le Carrefour a invité chaque collège à nommer un repfran; ensuite, un espace a été ouvert et réservé aux membres du réseau sur le site internet lareussite.info pour échanger informations et documents. Une première rencontre en présence a été tenue le 26 octobre 2012. Réunies sous le thème « Réseauter pour mieux intervenir dans nos collèges », les 56 personnes qui y participaient ce jour-là représentaient 43 établissements, dont deux anglophones. Les discussions ont porté sur la promotion d’une politique de la langue, les activités pour améliorer la compétence linguistique du personnel, les moyens d’encourager la correction du français et le développement des compétences langagières des élèves dans toutes les disciplines. Enfin, pour faire suite à cette rencontre, un second rassemblement s’est tenu le 5 avril dernier, le lendemain du colloque du Carrefour.

Les principaux objectifs poursuivis au cours de ces journées de ressourcement sont de présenter des approches, des pratiques ou des stratégies inspirantes; de stimuler le partage d’idées et de matériel; de favoriser le codéveloppement professionnel des repfrans et de faire connaitre les résultats des études en cours. Entre les réunions en présence, mon rôle d’animatrice consiste à accompagner les repfrans dans leur travail sur le terrain en répondant à leurs demandes; à diffuser l’information en hébergeant les communications sur le site, en tenant à jour un répertoire des réalisations et des champs d’action; enfin, à assurer une veille sur les recherches pertinentes.

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Valoriser le français dans les collèges, c’est ouvrir l’ensemble de la communauté collégiale aux bénéfices et au plaisir de maitriser la langue. Une mission ambitieuse et délicate que le Réseau Repfran veut contribuer à remplir avec toute l’intelligence passionnée, la bienveillance, la patience et la persévérance possible. Une mission éducative fondamentale, parce qu’améliorer les compétences langagières des cégépiens, c’est bâtir notre cathédrale.

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  1. Lettre de la sous-ministre adjointe, Mme Christiane Piché, aux directions générales des collèges, le 20 juin 2011. [Retour]
  2. La formation du Réseau est apparue essentielle à un groupe de responsables du dossier du français qui avaient répondu à l’invitation de Stéphanie Carle (collège Montmorency) et de Julie Roberge (cégep André-Laurendeau), toutes deux organisatrices de rencontres informelles en octobre 2011 et février 2012. Elles ont cosigné à ce sujet un article dans lequel elles décrivent les différentes problématiques auxquelles sont confrontés les collèges : « La nécessité de créer un réseau de répondants en français », Correspondance, vol. 17, no 3, avril 2012, p. 3-6. [Retour]
  3. Le Carrefour de la réussite, organisme créé par la Fédération des cégeps, a reçu la demande ministérielle d’ajouter à sa mission habituelle – le soutien aux collèges dans la réalisation de leur plan institutionnel de la réussite – le soutien de ces établissements dans l’application de leur plan de valorisation de la langue par « […] la préparation d’activités visant l’amélioration de la maitrise du français au collégial et la diffusion de pratiques exemplaires en la matière. » (Lettre du 27 juin 2011 à la présidente du Carrefour). [Retour]
  4. Rappelons que depuis l’automne 2012, les cégeps relèvent du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST). [Retour]

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