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Métamorphose d’une pratique enseignante en Renforcement: les bénéfices d’une communauté de pratique

Depuis 2012, j’ai donné à plusieurs reprises le cours Renforcement en français au cégep de Drummondville. J’ai pu constater au fil du temps à quel point ce cours est mal aimé tant des étudiantes et étudiants que du personnel enseignant, et ce, pour diverses raisons. Mon département a toutefois entrepris récemment une vaste démarche pour améliorer la situation.

Précisons d’entrée de jeu les particularités du cours dans notre collège. D’abord, il s’adresse à l’étudiant ou à l’étudiante ayant obtenu une moyenne inférieure à 71 % dans le cumul des trois compétences en français de 5e secondaire (écriture, lecture et expression orale) et dont la moyenne générale est inférieure à 75 % (un test de classement est offert à quiconque n’a pas fait ses études secondaires au Québec). Il s’agit d’un cours de 60 heures dont la réussite est obligatoire pour accéder au premier cours de littérature (601-101-MQ).

Comme la longue liste des défis rencontrés dans les classes de Renforcement (troubles d’apprentissage, faible motivation, anxiété, absentéisme, présentéisme, difficultés socioéconomiques, etc.) et le sentiment d’impuissance du personnel enseignant face à ceux-ci ont entrainé un manque de relève, il a été convenu par l’ensemble du département d’entreprendre une démarche de résolution de problèmes par le biais d’une communauté de pratique. De 2022 à 2024, celle-ci a orienté son travail sur des moyens d’outiller les enseignantes et enseignants pour répondre à ces enjeux, espérant du même souffle améliorer leur sentiment d’efficacité personnel. Le but du présent article est donc de faire partager ma propre expérience de ce riche processus collaboratif, qui m’a amenée à transformer ma pratique enseignante de différentes manières.

La composition et le fonctionnement de la communauté de pratique

Au total, sur deux ans, sept enseignantes ont participé à ce projet et ont mené diverses expérimentations dans leurs classes. Ma collègue Anne Bussières-Gallagher et moi-même avons assuré la responsabilité de la communauté de pratique. Nous avons collaboré avec l’orthopédagogue de notre cégep, deux conseillères pédagogiques et l’équipe des services adaptés. Nous nous sommes réunies régulièrement pour définir nos objectifs d’enseignement, échanger sur nos essais et observations en classe, dégager des pistes d’action prometteuses et approfondir nos connaissances grâce à différentes ressources pédagogiques. Chaque personne a procédé à sa manière à des transformations de sa pédagogie en fonction des réflexions tenues au sein de la communauté de pratique. Le projet n’a pas mené à une méthode unique et clés en main; il nous a plutôt poussées à repenser les visées du cours et à tendre vers une plus grande cohérence dans nos pratiques enseignantes. De plus, nous avons partagé en cours de route nos progrès avec le département et organisé deux formations sur l’enseignement de la grammaire actuelle pour nos collègues, amenant l’ensemble de l’équipe enseignante à suivre nos travaux et à réfléchir aux enjeux soulevés par le cours et par notre démarche.

L’objectif du cours : s’interroger sur le devis pour planifier la suite

Le premier problème auquel nous nous sommes consacrées est l’objectif du cours, un facteur déterminant du choix des notions à enseigner. Plusieurs interrogations ont été soulevées quand nous avons étudié en détail le devis ministériel. L’énoncé de la compétence (communément appelée « compétence 1001 ») indique que le cours doit amener l’étudiante ou l’étudiant à « [r]épondre aux exigences d’entrée en lecture et en écriture au collégial » (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2018, p. 25). Or, quelles sont ces exigences? Au-delà des notes, qu’attend-on des étudiantes et étudiants exactement? Qu’est-ce qui distingue une activité favorisant la réussite (AFR) non créditée, ce qu’est le cours Renforcement en français, d’un cours ordinaire? Qu’est-ce qui est propre au cours de Renforcement par rapport aux autres cours de français au collégial? En Renforcement, faut-il préparer les étudiantes et étudiants au premier cours de littérature ou aux études collégiales en général? Ces questions nous ont conduites à clarifier notre vision du cours. Personnellement, j’ai choisi de me concentrer sur un objectif : outiller l’étudiant ou l’étudiante pour qu’il ou elle puisse faire face à différentes situations scolaires, personnelles et professionnelles en développant son autonomie en rédaction, en révision et en lecture. Dans la communauté de pratique, ce ne sont pas toutes les enseignantes qui ont retenu cette cible et, d’une session à l’autre, selon les expérimentations de chacune, nous en sommes venues à explorer différents sous-objectifs. Par exemple, certaines se sont consacrées à la relation pédagogique, d’autres au sentiment d’efficacité personnel des étudiantes et étudiants, d’autres au développement de la mentalité de croissance (growth mindset[1]).

Nos sous-objectifs individuels ont ensuite servi de critères de base pour déterminer les contenus et activités d’apprentissage essentiels, en plus de fournir un cadre de réflexion pour construire le cours. Nous avons ainsi pu concentrer notre démarche sur une approche concrète du problème. Dans mon cas, les trois dimensions du cours, soit la rédaction, la révision et la lecture[2], ont été interrogées sous l’angle du développement de l’autonomie. J’en suis venue à remettre en question le type de texte à écrire. Je me suis demandé pourquoi je choisirais l’analyse littéraire si je souhaite que les étudiantes et étudiants soient capables de structurer leurs idées, de justifier le propos d’un texte et de corriger leur rédaction. Même sans exiger qu’ils entrent dans l’explication des procédés d’écriture, ce défi me semblait trop spécifique aux cours de littérature, peu authentique et peu transférable à d’autres situations d’écriture. Viser l’amélioration de la maitrise du français devrait, selon moi, avoir un effet sur toutes sortes de tâches d’écriture (rédiger un résumé, faire ressortir les thèmes importants d’un texte, etc.) et pas uniquement sur celles liées au premier cours de littérature.

Mon intention de préparer mes groupes à différentes situations de rédaction et de correction m’a conduite à identifier les savoirs importants à transmettre. Mes collègues et moi nous sommes ensuite interrogées sur la manière d’y arriver. Est-ce que chaque atelier permet de transférer des savoirs à d’autres situations? Est-ce qu’un type d’enseignement donné suscite une appropriation profonde des savoirs en grammaire actuelle? Quels outils simples et gratuits peuvent être utilisés en classe et dans la vie? Comment systématiser les savoir-faire en révision de sorte que la personne soit en mesure de se débrouiller seule devant les défis courants en langue? Ces questionnements ont donné lieu à des conversations riches au sein de notre communauté de pratique, nous amenant à reconsidérer nos méthodes, notre rôle en classe en tant qu’enseignantes de même que les difficultés des étudiantes et étudiants ainsi que leurs besoins.

« À quoi bon essayer encore de m’améliorer en français? » : le problème du rapport à l’écrit

Notre expérience du cours de Renforcement nous avait convaincues que les étudiantes et étudiants à qui il était imposé entretenaient un rapport négatif à l’écrit. Certaines personnes semblent contrariées par l’allongement de leur parcours scolaire; d’autres ont l’impression de ne pas être à leur place dans ce cours, de ne pas avoir fait suffisamment d’efforts au secondaire pour atteindre les exigences du collégial, mais d’en être capables. Curieuse d’aller au-delà de ces impressions, la communauté de pratique a mené un sondage informel et anonyme auprès de toutes les personnes inscrites en Renforcement à l’automne 2022. Nous leur avons demandé de décrire, en s’aidant d’un lexique d’une cinquantaine de mots, les émotions qu’elles avaient vécues à l’annonce de leur classement dans ce cours de même que lors des premières journées en classe. Les sentiments les plus souvent nommés étaient la tristesse et la honte, ce qui nous a amenées à revoir notre perception des étudiantes et étudiants et de leur rapport à l’écrit ainsi qu’à repenser les activités en début de session et notre rôle comme enseignantes en classe.

À la suite de ce sondage maison, encourager tout un chacun à dépasser sa gêne, ses complexes linguistiques et sa peur d’échouer est devenu important pour moi. J’ai fait le choix d’accorder, en début de session, une plus grande attention à la vulnérabilité que crée le classement en Renforcement. J’envisage désormais la difficulté des étudiantes et étudiants à se mettre à la tâche non pas comme un manque d’effort, mais plutôt comme une manifestation de découragement qui requiert soutien et compréhension. En classe, j’explicite davantage l’importance de se percevoir comme capable de s’améliorer, de se mettre en action et de considérer les difficultés comme des défis propres au chemin de l’apprentissage plutôt que comme une tare ou une fatalité désespérante. Cette posture enseignante s’inscrit dans la lignée des travaux sur la mentalité de croissance.

Les apprentissages suscitent une grande vulnérabilité et nécessitent une perception positive de soi. En effet, comme le précisent Suzanne Chartrand et Michèle Prince :

Écrire, c’est se dire, se dévoiler, s’exposer, se révéler à d’autres, mais aussi à soi-même ou au contraire s’abstraire du monde (ce qui est aussi, souvent, le rôle de la lecture). De même, lire, c’est entrer en dialogue avec soi et avec les autres, se révéler à soi-même, se construire. Dans l’écriture, comme dans la lecture, les émotions, les sentiments, les désirs, les fantasmes se manifestent; le sujet peut en prendre conscience, les objectiver (2009, p. 322).

Si écrire et lire sont des gestes intimes, qui impliquent un dévoilement de soi (tant sur le plan de la maitrise de la langue que sur le plan des idées, des opinions, des valeurs et des sentiments), mais que, chaque fois qu’une personne s’exprime sur un sujet donné, on souligne les failles de son discours, il y a un risque que l’on inhibe sa motivation à apprendre. Partant de ce constat, la communauté de pratique a réfléchi à des activités pédagogiques qui permettraient de prendre en compte la dimension affective de l’écrit, en particulier lors de la rétroaction, qui nous paraissait un bon moyen de soutenir et de créer un rapport positif à l’écrit.

Dans cette perspective, le début de la session représente un moment charnière. La relation avec l’étudiant ou l’étudiante en est à ses balbutiements et est donc particulièrement fragile. La dynamique de classe n’est pas encore installée. Pour favoriser un meilleur rapport à l’écrit et pour développer la mentalité de croissance, j’ai changé la vocation du texte diagnostique rédigé au premier cours. Traditionnellement, cette évaluation formative a pour objectif, entre autres, d’indiquer à la personne ses difficultés pour l’inciter à mettre des efforts dans ses apprentissages. Or, l’étudiante ou l’étudiant est déjà classé en Renforcement, et c’est rarement la première fois de son parcours scolaire qu’on lui souligne ses lacunes. Comme ses savoirs ne sont pas encore consolidés au premier cours de la session, je considère que de réaffirmer que sa maitrise de la langue est à parfaire ne l’amène pas à redoubler d’ardeur. Au contraire, cela peut surtout cristalliser son incapacité à s’améliorer et amplifier une posture rigide, négative, fermée aux apprentissages.

Cette première rédaction en classe sert plutôt à faire connaissance, à se familiariser avec l’idée que lecture et écriture vont de pair et à installer les assises d’une relation pédagogique saine, axée sur l’ouverture aux idées des autres et sur un rapport affectif à l’écrit qu’on souhaite décomplexer petit à petit. La rétroaction, dans ce type d’activité, peut être utilisée comme un levier pédagogique servant à créer un lien avec la personne étudiante. Cela lance aussi la session sur une posture que j’aime encourager chez l’étudiant ou l’étudiante : la réflexivité[3]. Avant ou après chaque évaluation, je l’invite à faire un bilan écrit de ses apprentissages, de ses réussites, de ses défis et à faire part de sa vision de la littérature, de la rédaction, de ses méthodes de travail, etc. Cela permet d’ancrer en chaque personne l’idée qu’elle est dans un processus pédagogique, de normaliser l’erreur, de mesurer ses efforts et de formuler ses besoins. Être capable de cerner son niveau d’apprentissage de façon objective, en se mettant à distance, en donnant des détails concrets et des exemples précis, en nuançant son propos, en utilisant le métalangage cognitif et grammatical, amène l’étudiante ou l’étudiant à se responsabiliser et à constater ses progrès, ce qui lui est certainement bénéfique. On l’accompagne du même coup sur la voie de l’autonomie.

Réviser ou consolider les savoirs essentiels en écriture et en lecture : le problème de la perspective d’enseignement

La redéfinition de l’objectif du cours nous a amenées, au sein de la communauté de pratique, à opérer un changement de paradigme en ce qui a trait à la manière d’envisager les notions de grammaire. Après des années à observer les difficultés des étudiantes et étudiants, il nous semblait que leurs lacunes étaient surtout liées au fonctionnement de base de la grammaire, comme identifier le verbe conjugué dans la phrase, distinguer une phrase simple d’une phrase complexe ou déterminer les étapes à suivre pour corriger une phrase. Mais si les règles ont déjà été vues par le passé, que pouvons-nous faire différemment pour assurer une appropriation profonde des savoirs? Si nous restons dans une logique théorie-exercice, ne contribuons-nous pas à reproduire les mêmes difficultés chez la personne?

Pour ma part, j’avais l’habitude d’aborder la grammaire dans une perspective de révision des notions, c’est-à-dire revoir, assez rapidement, les règles apprises auparavant; puisqu’elles seraient en latence quelque part dans la mémoire, leur réactivation entrainerait une meilleure maitrise de la langue. Comme les autres membres de la communauté de pratique, j’ai plutôt choisi d’envisager le problème dans une perspective de consolidation des notions, c’est-à-dire de travailler à une réappropriation des savoirs en grammaire, un processus lent et graduel relevant davantage du remodelage que du rappel. La consolidation amène en effet à repenser les savoirs et à les assimiler en profondeur.

Concrètement, cela implique de développer, en classe, un langage commun propre à la grammaire actuelle, entre autres grâce à l’enseignement explicite et aux manipulations syntaxiques. Partir des savoirs des étudiantes et étudiants permet de mieux cerner leurs besoins et de déterminer ce qu’il y a à consolider au juste. Cette logique invite aussi à limiter le plus possible les nouveaux apprentissages (ex. : la maitrise des pronoms relatifs ou les règles de l’accord du participe passé suivi d’un infinitif) afin d’éviter la surcharge cognitive et de respecter l’énoncé de compétence de ce cours, ce qui veut dire que le niveau attendu n’est pas le même, par exemple, que celui du cours 601-101-MQ. Nous en sommes également venues à restreindre le nombre de lectures à une œuvre récente ou à des textes littéraires brefs sur un thème donné, accompagnés de textes courants, à réduire à une heure par semaine le travail réalisé à l’extérieur de la classe et à revoir le type ainsi que la longueur des textes à faire rédiger pour respecter une logique progressive.

Participation active et engagement : repenser les activités d’apprentissage

La communauté de pratique a ensuite cherché des activités d’apprentissage cohérentes avec les volets abordés précédemment, et ce, pour chacune des trois dimensions du cours (rédaction, révision et lecture). Pour ce faire, nous nous sommes tournées vers l’enseignement explicite et l’apprentissage par problème, étant donné que l’enseignement magistral ne nous semblait pas respecter l’esprit de la consolidation des savoirs. Nous avons expérimenté, entre autres, les dictées métacognitives (comme la phrase du jour[4] et la dictée négociée), fréquemment utilisées au primaire. Celles-ci consistent à relever et à confronter, dans la ou les phrases dictées par l’enseignant ou l’enseignante, différentes graphies choisies pour un même mot par les scripteurs et scriptrices du groupe, puis à déterminer laquelle est la bonne en se basant sur des critères objectifs. Le but est d’amener chaque personne à justifier ses raisonnements en s’appuyant sur ses savoirs en langue, sur les manipulations syntaxiques, sur les outils à sa disposition (les dictionnaires – papier ou électroniques –, le site Alloprof, la Vitrine linguistique, etc.) et sur les échanges avec les pairs. La collaboration est ainsi encouragée et un certain plaisir intellectuel découle de cette façon dynamique de jouer avec la langue. Les étudiantes et étudiants sont poussés à réfléchir individuellement, en petit ou en grand groupe, à argumenter et à développer leurs raisonnements grammaticaux basés sur les manipulations syntaxiques, ce qui encourage une démarche méthodique et les amène à apprendre au contact des autres.

Les avantages de ce type de formule sont nombreux. Formuler et expliquer des hypothèses (par exemple, « Le verbe s’accorde de telle manière parce que… ») fait partie des défis de ce type d’atelier, mais incite également les personnes participantes à se concentrer sur la logique de la phrase et suscite leur curiosité pour la résolution de problèmes. On reproduit ainsi une situation authentique où la personne qui écrit doit appliquer des stratégies pour surmonter les obstacles inhérents à la rédaction et à la correction de texte et où la phrase, pour être révisée adéquatement, doit faire l’objet d’un examen réfléchi et méthodique impliquant des connaissances justes dont la plausibilité doit être démontrée. Qui plus est, ce type d’activité valorise l’erreur et le doute orthographique, des postures intellectuelles précieuses. L’action de formuler à voix haute leurs interrogations à partir d’exemples concrets (tirés d’une phrase de leur rédaction ou d’une des lectures de la session, notamment) favorise l’amélioration continue des savoirs en grammaire et des savoir-faire en correction. Nous avons aussi enseigné aux étudiantes et étudiants à laisser des traces écrites de leurs raisonnements grammaticaux, comme on peut le faire dans une démarche mathématique.

Dans ce contexte, l’enseignante ou l’enseignant ne tient pas le rôle de spécialiste vers qui se tourner pour avoir la bonne réponse. Elle ou il remplit un rôle d’accompagnement. Par exemple, la personne enseignante invite quiconque émet une réponse basée sur des critères intuitifs ou subjectifs (par exemple, « Je trouve que ça sonne bien. ») à l’enrichir par un raisonnement précis et cohérent. Tout cela relève d’un ensemble de pratiques enseignantes valorisant un processus cognitif authentique, fait de tâtonnements, d’hésitations et de recherche de solutions propre à la mentalité de croissance. Entendre et lire les réflexions des étudiantes et étudiants qui pensent à voix haute ou par écrit m’a beaucoup aidée, comme enseignante, à mieux comprendre leurs difficultés[5] et leurs méthodes de correction, puis à ajuster mes interventions ainsi que les ateliers à leurs besoins.

L’évaluation en soutien à la consolidation des savoirs : le problème de la correction de la langue

La communauté de pratique a relevé plusieurs interrogations au sujet de la langue, notamment en ce qui a trait à son évaluation. Si nous souhaitons consolider les apprentissages de façon lente et graduelle, si le rapport affectif à l’écrit est un enjeu important, pourquoi devrions-nous mesurer la maitrise de la langue selon un nombre de fautes? Pourquoi jugerions-nous avec la même exigence tous les textes de la session si l’apprentissage n’est pas terminé? Ce type de questionnement m’a amenée à revoir l’évaluation de la langue : sa progression, ses critères, etc. J’ai donc conçu une grille descriptive de correction du français adaptée aux savoirs abordés en classe. Par exemple, à la première rédaction – effectuée à l’ordinateur en classe à la semaine 7 et surveillée à l’aide du logiciel LanSchool –, ce qui est évalué est ce qui a été enseigné jusque-là, soit l’accord du groupe nominal et du groupe verbal, la construction du groupe prépositionnel de même que l’orthographe. Au fil de la session, d’autres dimensions de l’écrit s’ajoutent à la grille pour en arriver, lors de l’épreuve finale, à corriger l’ensemble des savoirs enseignés (soit les groupes nominaux, verbaux et prépositionnels, l’orthographe, la construction de la phrase simple et complexe, la ponctuation, la concordance des temps et la richesse du vocabulaire). Cette façon de corriger la langue respecte davantage l’esprit de la consolidation parce qu’elle suit la progression des apprentissages et permet de s’ajuster plus aisément au rythme du groupe. On s’éloigne, par la même occasion, d’une correction où tous les types de fautes sont comptabilisés et ont le même poids. On évite également de cibler des erreurs qui n’ont jamais fait l’objet d’un apprentissage en classe. Le choix d’une grille descriptive facilite aussi l’association de chaque critère de correction à une solution précise (exercices interactifs, atelier de rattrapage, etc.) selon les besoins de l’étudiant ou de l’étudiante et son niveau de maitrise des notions à consolider.

Après deux années passées à repenser le cours Renforcement en français, je constate que plusieurs transformations ont marqué en profondeur mon enseignement. Je me suis formée à la grammaire actuelle (comme l’ensemble du département, d’ailleurs). Prendre en compte le rapport à l’écrit des étudiantes et étudiants m’a permis de porter attention à la charge sociale et émotive associée à la langue, ce qui m’a amenée à traiter les personnes dans ma classe de façon plus délicate. Ma relation avec les étudiantes et étudiants a également changé, étant donné que j’ai développé une meilleure compréhension de leurs défis et de la place du cours dans leur cheminement scolaire et personnel. J’en suis venue à m’approprier des concepts comme l’éducabilité[6] et l’altruisme en pédagogie. Participer à cette communauté de pratique a par ailleurs eu des retombées sur ma manière d’enseigner et d’évaluer la rédaction, la révision et la lecture, en poursuivant un objectif mieux défini et une progression adaptée aux besoins de la classe. Je perçois maintenant avec une plus grande clarté les savoirs essentiels du cours. Je considère que ma nouvelle méthode de correction respecte davantage l’esprit du cours et m’amène à mieux cerner les notions acquises et celles à retravailler. Cette cohérence accrue entre les savoirs enseignés, leur niveau d’intégration et ma méthode de correction m’assure un meilleur alignement pédagogique. Par conséquent, j’estime être plus habile pour accompagner les étudiantes et étudiants dans le développement de leur autonomie.

C’est mon sentiment d’efficacité personnel que je pense avoir le plus significativement amélioré. Si, avant ce travail en communauté de pratique, je peinais en fin de session à mesurer la portée des apprentissages des personnes étudiantes, je suis dorénavant plus à même de constater ce qui reste ancré chez elles, notamment grâce aux bilans réflexifs qu’elles rédigent tout au long de la session. J’arrive plus facilement à juger de leurs compétences en grammaire ainsi que de la qualité de leurs stratégies de révision et de lecture, et à percevoir des progrès marqués dans leur rapport à l’écrit.

Le travail d’équipe effectué dans le cadre de cette communauté m’a en outre permis de discuter régulièrement avec mes pairs et de développer ma propre réflexivité en tant qu’enseignante. Toute cette démarche m’a mieux outillée face aux différents défis inhérents à l’enseignement du cours Renforcement en français. Avant ce projet, j’étais persuadée que la mentalité de croissance était la clé de tous les succès chez l’étudiant ou l’étudiante. Désormais, je réalise que cette posture est tout aussi essentielle pour moi en tant qu’enseignante.

Références

ARCOUETTE, Laurence (2024). « La mentalité de croissance : un levier pour la persévérance! », [En ligne], Institut des troubles d’apprentissage. [https://www.institutta.com/s-informer/la-mentalite-de-croissance-un-levier-pour-la-perseverance] (Consulté le 21 juin 2024).

BÉLEC, Catherine, Roxane DORÉ et Hélène CHABOT (2023). Une recherche collaborative pour renouveler l’enseignement de la littérature au collégial dans une optique de cohérence disciplinaire : l’intérêt d’une approche par compétence de la lecture, [En ligne], Rapport de recherche PAREA, Cégep de Drummondville et Cégep Gérald-Godin. [https://eduq.info/xmlui/handle/11515/38757] (Consulté le 11 octobre 2024).

CHARTRAND, Suzanne, et Michèle PRINCE (2009). « La dimension affective du rapport à l’écrit d’élèves québécois », Revue canadienne de l’éducation/Canadian Journal of Education, vol. 32, no 2, p. 317-343. Également disponible en ligne : https://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/3044/2332.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (2018). Activités de mise à niveau et activités favorisant la réussite, Québec, Gouvernement du Québec, 40 p.

TERRAZ, Tommy, et Amandine DENIMAL (2018). « Construire la relation éducative : postulat d’éducabilité, bienveillance et altruisme », [En ligne], Questions vives, no 29. [http://journals.openedition.org/questionsvives/3409] (Consulté le 12 mai 2024).

  1. « [La] mentalité de croissance est basée sur l’idée que nos capacités peuvent se développer et évoluer grâce à nos efforts, notre apprentissage et notre persévérance » (Arcouette, 2024). [Retour]
  2. La lecture a fait partie des réflexions de la communauté de pratique, mais cette dimension n’est que survolée dans le présent article, car il s’agit d’un sujet complexe qui aurait pu faire l’objet d’un article distinct. [Retour]
  3. « La réflexivité est l’aptitude d’un individu à réfléchir sur lui-même (sur ses actions, pensées et sentiments) dans le cadre d’une action faite dans un contexte donné, ceci afin de tirer des enseignements sur lui-même dans cette action et de valider ou modifier son approche de cette action » (Bélec, Doré et Chabot, 2023, p. 282). [Retour]
  4. Pour en savoir plus sur les dictées métacognitives comme la phrase du jour, il est possible de consulter un article de Carole Fisher, Mélanie Huneault et Marie Nadeau paru en 2015 dans la revue Correspondance. [Retour]
  5. Par exemple, c’est grâce à ce genre d’atelier que nous avons compris que plusieurs étudiantes et étudiants confondaient l’orthographe d’un mot et le fait qu’il soit variable. Un nom propre comme Drummondville s’écrit toujours pareil, mais il fait partie des mots variables parce qu’il a un genre et un nombre. Si l’étudiant ou l’étudiante ne sait pas ce que signifie le terme variable, comment peut-on l’amener à vérifier avec attention l’accord des mots? [Retour]
  6. « Le postulat d’éducabilité repose sur la croyance, chez l’éducateur, que tout sujet dont il a la responsabilité peut être éduqué, qu’il peut apprendre, progresser – et s’émanciper comme personne relationnelle, aussi libre, autonome et heureuse que possible. Ce postulat, par définition non observable, non mesurable et non quantifiable, demande de créditer de façon aprioriste et gratuite le sujet comme éducable; une démarche au rebours des dynamiques économiques mondiales, qui ont tendance à concevoir les éduqués comme des placements pour l’avenir, des capitaux à faire fructifier. L’éducabilité, si elle est postulée de façon universelle et inconditionnelle, ne présuppose ni n’attend de résultat ni de progrès obligatoire; elle repose au contraire, pour pouvoir s’exercer, sur un renoncement vis-à-vis de l’attente personnelle démesurée de la réussite de l’autre, donc sur un certain décentrement de l’éducateur par rapport à son ego » (Terraz et Denimal, 2018, p. 1). [Retour]

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