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Comprendre pour mieux aider

Comprendre pour mieux aider

Les troubles de l’apprentissage sont des handicaps invisibles. Or, ces handicaps ont un impact important dans la perception que les individus atteints ont d’eux-mêmes et de leur rapport aux autres. L’impression d’inadéquation, le manque de confiance en soi, le retrait, parfois l’arrogance et l’agressivité ont pour effet de rendre ardues non seulement la communication, mais également la rencontre de l’autre et, bien entendu, la réussite scolaire, sociale et personnelle. Chaque jour, je vois ces conséquences chez certains de mes élèves. Leur handicap invisible leur a souvent valu les qualificatifs de « paresseux », « peu motivés », « indifférents », « arrogants », alors qu’il s’agit, d’abord et avant tout, d’une blessure importante à leur estime d’eux-mêmes. Ce qui me semble le plus révoltant, c’est que des outils qui leur permettraient de réussir et ainsi de corriger un peu cette fausse vision d’eux-mêmes existent. Les cours de mise à niveau sont, à ce sujet, très révélateurs, et les enseignants qui les dispensent doivent être sensibles à cette réalité.

Depuis quelque temps déjà, nous offrons au collège Grasset le cours de mise à niveau joint au cours Écriture et littérature et, depuis l’automne 2004, nous avons augmenté le nombre d’heures en mise à niveau, passant du cours de 45 heures à celui de 60 heures. Les deux cours sont donnés par le même enseignant et les classes sont réduites à un maximum de 25 élèves (rêvons encore de faire descendre ce chiffre à moins de 20…). Pour les ateliers, un tuteur du Service d’aide en français écrit est présent en classe et circule, comme l’enseignant, d’une personne à l’autre. Un enseignant à temps plein n’offrant que les cours de mise à niveau peut ainsi obtenir une aide importante et n’être responsable que d’une cinquantaine d’élèves plutôt que la centaine habituelle. La lourdeur de la tâche est notoire, mais avec elle, deux luxes apparaissent : le temps, bien entendu, mais également, et surtout, la rencontre non pas d’une classe, mais d’individus. Force est ainsi d’admettre qu’une bonne part des élèves du cours de mise à niveau éprouve des problèmes bien autres qu’une mauvaise compréhension de la langue française. Plusieurs parmi eux peuvent réciter par cœur les règles les plus complexes, ont accumulé de nombreux cours de grammaire, accomplissent machinalement les exercices de langue et font, même après 11 ans de scolarité, un nombre inquiétant de fautes. Dans leur cas, impossible de nier que tous ces cours, cet acharnement pourrait-on dire, n’ont pas donné les résultats escomptés.

Au moment des premiers cours, je demande aux élèves de rédiger un texte d’environ 500 mots et de remplir un questionnaire, en leur disant bien que celui-ci est parfaitement confidentiel et qu’ils ont une totale liberté d’expression. Je peux ainsi connaître leurs champs d’intérêt, leur rapport à la langue (écriture et lecture), leur cheminement scolaire. À la fin de tout cela, s’ajoute une simple question à laquelle ils peuvent répondre ou non : « Avez-vous déjà rencontré un orthopédagogue ? » Je rencontre ensuite individuellement chacun des étudiants. La première constatation est qu’ils sont étonnamment conscients de leurs difficultés (autocorrection, participes passés, homophones, concentration en lecture, etc.). La deuxième : plusieurs ont été suivis en orthopédagogie au primaire, ont pris du méthylphénidate (Ritalin), se sont sentis humiliés, car mis à l’écart de certaines classes pour obtenir des cours spécialisés. Dès leurs premières années se sont installés le sentiment de l’échec et la honte. Plusieurs diront d’eux-mêmes qu’ils sont paresseux et incapables de voir leurs fautes, alors que la paresse est le dernier de leurs défauts et que le fait de donner l’impression de la paresse, une muraille de protection qu’il faudra lentement leur enlever. Bien entendu, le premier travail à faire est de leur donner confiance. Ils ne sont pas en mise à niveau pour être jugés, mais simplement pour être mieux suivis afin que nous choisissions des méthodes favorisant leur réussite.

De fait, il apparaît logique d’utiliser le temps et la rencontre permise par les cours de mise à niveau pour travailler non seulement la langue, mais également, et surtout peut-être, le besoin de chaque individu. Or, certains élèves du collégial camouflent souvent leur fragilité et la transforment en indifférence ou en arrogance. Un élève qui fait tout pour passer inaperçu ou, au contraire, pour provoquer devrait pousser l’enseignant à s’interroger, d’où l’importance des rencontres en tête-à-tête. Se concentrer sur ces symptômes plutôt que sur les véritables problèmes, c’est, à mon avis du moins, nuire encore une fois à leur estime d’eux-mêmes ou entretenir l’aveuglement. Une fois la confiance établie, une recherche des solutions peut commencer.

« Les phrases se mélangent », « je ne sais plus ce que j’ai lu il y a deux pages », « lire me donne mal à la tête », « j’ai plus de difficulté à lire lorsque la graphie est trop petite », toutes ces phrases qu’ils nous lancent à la veille d’un contrôle de lecture sont souvent de véritables constatations de ce qu’ils vivent. Les élèves dyslexiques ou souffrant de dysorthographie que j’ai rencontrés étaient souvent de bons élèves, calmes. Ils réussissaient, oralement, à faire des analyses étonnantes en sensibilité littéraire, avaient un esprit logique et comprenaient aisément la matière, mais se butaient constamment aux difficultés linguistiques et à la fatigue devant la lecture. Ils faisaient également tout pour passer inaperçus. On a parfois l’impression qu’ils trimbalent depuis des années la croyance selon laquelle l’école n’est pas faite pour eux, que la langue leur est inaccessible et que les efforts, même nombreux, sont inutiles. Avec un peu de connaissance des symptômes de la dyslexie et de la dysorthographie, leur problème est facilement identifiable, les solutions le semblent moins. Pourtant, certaines mesures d’aide sont très efficaces. Le site de l’Association québécoise des troubles de l’apprentissage (AQETA) regorge d’informations au sujet de ces troubles. On y trouve un tableau diagnostique qui peut permettre à l’enseignant de confirmer ou d’infirmer ses premiers doutes en cas d’absence de diagnostic. Le temps supplémentaire pour les examens, l’isolement pour les passer, l’accès aux ordinateurs et aux correcteurs informatiques, le droit à un preneur de notes (difficile pour un dyslexique d’écouter un cours et d’écrire en même temps) et à un correcteur au moment des examens donnent d’étonnants résultats. Ces mesures sont reconnues dans plusieurs universités et, ce qui me semble assez troublant pour le milieu de l’éducation, souvent facilement applicables en milieu de travail. Un employé dyslexique[1], s’il a confiance en lui et connaît les outils dont il a besoin pour rédiger, peut très bien en faire la demande auprès de ses supérieurs et travailler plus qu’adéquatement, que ce soit comme technicien ou comme professionnel. N’est-ce pas la tâche des éducateurs de le lui expliquer ?

Les troubles de l’attention sont également importants chez les élèves de mise à niveau. Difficiles à diagnostiquer, ils ouvrent la porte à bien des jugements. Ces élèves, et ils sont souvent plusieurs dans une même classe, restent difficilement en place, éprouvent de la difficulté à structurer logiquement leurs idées, à suivre des instructions et à organiser un travail. De plus, les symptômes classiques de l’hyperactivité changent à l’adolescence et sont remplacés par l’impulsivité. Les élèves sont ainsi plus souvent revendicateurs, remettent les choses en question (et pas toujours de façon constructive), refusent parfois l’autorité, comme si leur trop-plein d’énergie trouvait une échappatoire dans les remises en question. « Pourquoi faire cet exercice ? » « Pourquoi l’analyse littéraire ? » « Pourquoi avons-nous l’examen aujourd’hui ? » « Pourquoi pas le reporter ? » Les questions (et remises en question) s’enfilent les unes aux autres sans parfois laisser le temps à l’enseignant de répondre. Bien entendu, de tels comportements rendent parfois les choses chaotiques et, plus important, compromettent la réussite. Pourtant, ces élèves sont également des gens intelligents, dynamiques et imaginatifs. Avec leur accord, et parfois même à leur demande, je tends de plus en plus à les isoler pour les examens. De plus, les travaux d’équipe, les recherches semblent leur plaire plus que le travail scolaire classique, et ces travaux sont faciles à appliquer en mise à niveau. Il m’est également arrivé de suggérer à un élève de quitter les derniers bancs pour s’asseoir à l’avant, dans les coins plus paisibles de la classe. Ici encore, ce sont les rencontres individuelles qui permettent d’aborder ces questions de façon délicate. Les élèves concernés se montrent souvent très ouverts.

Bien que ce ne soit pas le sujet ici, je ne peux passer sous silence les troubles émotifs. Ils sont nombreux et particulièrement désarmants. Il est étonnant de voir ce que certains élèves traînent sur leurs épaules, sans parler de la solitude qui les entoure. Les plus petites classes ont l’avantage de développer une intimité qui peut être très saine, si elle est bien utilisée. Les confidences sont nombreuses et parfois inquiétantes. Les psychologues scolaires sont donc essentiels. Or, les élèves en difficulté semblent être ceux qui fréquentent le moins les services aux étudiants alors que ce sont ceux qui en ont le plus besoin. Cette année, j’ai demandé aux professionnels non enseignants de venir en classe au début, au milieu et à la fin de la session, question de faire voir aux élèves que ces intervenants sont d’abord et avant tout des humains qui désirent leur réussite et sont prêts à beaucoup pour les aider à l’atteindre. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette mesure, mais les premières impressions sont positives.

Pour tout ceci, la collaboration est essentielle. Non seulement les enseignants doivent-ils être ouverts et sensibles, mais le personnel non enseignant et la direction des établissements également. Chaque session, je me retrouve deux ou trois fois dans mon bureau avec des élèves chez qui je soupçonne un de ces troubles et à qui je dois en parler. Leur réaction est souvent positive, ils ressentent même parfois un soulagement et perçoivent une confirmation de leur intelligence, une infirmation de leur paresse et de leurs incapacités. Ils se frappent toutefois malheureusement rapidement à certains obstacles. Les élèves atteints de troubles de l’apprentissage non diagnostiqués se retrouvent souvent aux prises avec de sérieuses difficultés afin d’entrer en contact avec un spécialiste. Compte tenu du temps qui risque de s’écouler entre cette discussion et l’obtention d’un diagnostic, la compréhension de tous est nécessaire. Je tends de plus en plus à demander que, dans l’attente d’un diagnostic complet, on reconnaisse le premier avis d’un non-spécialiste, par exemple d’un psychologue, et qu’on offre le plus rapidement possible l’aide adéquate à l’élève, et ce dans tous les cours. À mon avis, les cas d’erreurs ne sont rien à côté des avantages. De plus, certains élèves réagissent moins bien à nos rencontres. Bien qu’il s’agisse d’une minorité, de plus en plus d’élèves ayant un ou plusieurs troubles de l’apprentissage diagnostiqués semblent avoir été épuisés par les nombreux intervenants rencontrés auparavant. Ils admettent souvent leurs difficultés, mais se défilent constamment lorsqu’il s’agit de remettre leur diagnostic déjà existant pour choisir les méthodes de soutien. La sensibilité et le respect de leur volonté semblent ici incontournables. Alors qu’avec d’autres élèves, il est possible de présenter le cours de mise à niveau comme un laboratoire où nous chercherons les solutions à ces difficultés, je doute encore qu’il soit un milieu stimulant pour ces personnes. En somme, bien du travail reste à faire, mais une certaine conscientisation naît lentement dans le milieu collégial. Les élèves concernés y ont beaucoup à gagner, et pas uniquement dans leur réussite scolaire.

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  1. Tout dépendant, bien entendu, de la gravité de cette dyslexie. Retour

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