Clés pour la relation d’aide en syntaxe
Gaëtan Clément enseigne la langue et la littérature au collège de Valleyfield depuis 1961. Il a été responsable du centre d’aide pendant près de dix ans. Il vient de publier, chez Modulo éditeur, Clés pour la relation d’aide en français écrit, un ouvrage destiné à servir de guide pour les assistants oeuvrant dans les centres d’aide en français. Le présent article rapporte, de façon abrégée, les notions élaborées dans le chapitre qui traite de la syntaxe.
Les assistants des centres d’aide en français sont généralement des étudiants enthousiastes qui adorent leur travail. Lorsque, en début de session, ils imaginent la tâche qui les attend, ils se voient déjà montant à l’assaut pour réduire à néant les erreurs d’orthographe et les ignorances grammaticales de leurs élèves. Dans cette anticipation euphorique, c’est à l’accord des mots qu’ils pensent, rarement à la syntaxe ou à la rédaction de texte.
Arrive le jour, pourtant, où leurs élèves, saisis de panique après avoir reçu leur première analyse ou leur première dissertation, réclament d’eux qu’ils les aident en syntaxe. Et voilà nos assistants pris au dépourvu, démunis, ne sachant comment intervenir dans un domaine qui, soudainement, leur apparaît complexe, sinon compliqué. Tout en identifiant les erreurs sur les copies, ils se demandent bien « comment enseigner ça », d’autant qu’en cette matière ils n’ont plus l’outil rassurant de la règle de grammaire entraînant une réponse unique (le participe passé conjugué avec ÊTRE s’accorde toujours avec le sujet). Il n’existe, en effet, ni réponse ni modèle uniques en syntaxe : la personne qui écrit est toujours placée devant des choix à faire, devant plusieurs formes syntaxiques possibles et correctes pour traduire le même message. Ne pouvant comparer les phrases de son élève à un quelconque point de repère et se voyant dans l’obligation d’évaluer, d’interpréter, l’assistant doute alors de l’exactitude de son évaluation — et de l’intervention à faire –, ce qui entraîne chez lui une grande insécurité. On l’entendra souvent faire la réflexion suivante : « Il me semble que ça se dit mal… Il me semble que je n’aurais pas écrit ça comme ça… » Mais il ne peut aller plus avant dans sa pensée.
Peu rassurante, la syntaxe
Il est vrai qu’on ne dispose pas, en syntaxe, de la tranquille certitude de la règle de grammaire, qui commande une seule et unique réponse : les erreurs syntaxiques sont imprévisibles, variées à l’infini, et défient parfois l’imagination la plus débridée. Cependant, pour peu qu’on ait l’expérience de la correction, on arrive à faire un certain classement des erreurs syntaxiques les plus courantes, classement qui permet aux assistants de voir un peu plus clair dans ce qui leur apparaît d’abord broussailleux. Il est possible, par exemple, de regrouper les problèmes de syntaxe en trois catégories : le syndrome « Luc et Martine », l’absence de proposition principale et les erreurs syntaxiques tous azimuts. Voyons de quoi il s’agit.
Le syndrome « Luc et Martine »
Nous appelons syndrome « Luc et Martine » le fait de rédiger un paragraphe en n’utilisant que des phrases courtes — des propositions indépendantes pour la plupart –, construites invariablement selon la séquence sujet-verbe-complément. Des paragraphes, en somme, qui imitent les textes écrits pour les enfants du primaire, comme ceux de la série Luc et Martine, petits livres de lecture très populaires dans les écoles il y a une vingtaine d’années. Il ne s’agit pas, en réalité, d’une erreur syntaxique, mais plutôt d’une pauvreté syntaxique, que l’élève doit s’employer à corriger s’il veut satisfaire aux exigences d’écriture requises par les études collégiales. Rappelons un exemple :
Tout le monde part
Toute la famille part de la maison.
Fido court.
Il saute dans l’auto.
Martine monte avec un jeu.
Luc apporte sa balle rouge.
Maman arrive avec un livre.
Papa fait reculer l’auto.
La voiture roule, roule, roule[1].
De telles phrases, grâce à la simplicité de leur construction, favorisent l’apprentissage des écoliers à qui elles s’adressent : ces derniers peuvent saisir facilement les fonctions minimales (sujet, verbe et complément) qui caractérisent la phrase française ainsi que l’ordre habituel ou standard des fonctions dans la phrase. Et comme ils n’en sont pas encore au grand jeu des relations, on ne s’encombre pas des liens à assurer entre les phrases : aucun élément de liaison, aucune charnière ; tout juste un pâle rapport sémantique d’une phrase à l’autre.
Si ces phrases sont syntaxiquement correctes et utiles pour les jeunes écoliers, on conviendra, cependant, qu’on ne peut se contenter d’aussi peu dans des travaux de niveau collégial. C’est pourtant ainsi que plusieurs cégépiens écrivent, croyant probablement éviter par là les écueils d’une écriture trop complexe. On s’en convaincra à la lecture de l’extrait suivant, tiré du texte d’un cégépien, dans lequel certains reconnaîtront sans doute le « style » de quelques-uns de leurs élèves.
Don Juan, le grand seigneur espagnol, interprété par Fabrice Pierre, est le personnage principal de la pièce. Il est un personnage extrêmement hypocrite. Il pense seulement à son petit bonheur. Il n’a aucune sensibilité envers les autres. Il a une attitude de supériorité avec son valet. On le voit bien dans son expression d’assurance. Le comédien est vraiment entré dans la peau de son personnage.
Point n’est besoin de reprendre chaque phrase pour démontrer son appartenance au syndrome « Luc et Martine ». Notons cependant qu’une telle invariabilité de la forme syntaxique conduit à une expression plutôt décousue de la pensée, qui se trouve ainsi dépouillée de son fil conducteur, de tout principe d’intelligibilité et d’unité. Dans un cas comme celui-là, l’intervention appropriée nous semble être à la portée de tout assistant prêt à fournir un minimum d’efforts.
On constate que le paragraphe cité présente une série de caractéristiques énumérées dans une suite de petites phrases détachées, sans liens véritables entre elles, ce qui entraîne un rythme des plus monotones et constitue pour les lecteurs une invitation à « décrocher ». Pour le faire sentir à l’élève, il suffit de lui lire son texte à haute voix sur un ton qui ne laisse aucune place à l’agrément.
Maintenant qu’on connaît bien le syndrome décrit ci-dessus, on devrait être en mesure de détecter facilement la difficulté. Et le remède qui convient correspond à la nature de cette difficulté : il s’agit d’allonger les phrases en fusionnant certaines d’entre elles et en les reliant convenablement. En français, l’un des moyens efficaces et naturels de relier deux éléments est la proposition relative. C’est celui que nous avons retenu pour transformer le texte cité :
Le personnage principal de la pièce, Don Juan, est un grand seigneur espagnol, hypocrite, qui ne pense qu’à son petit bonheur et (qui) ne fait montre d’aucune sensibilité envers les autres. De plus, il affiche envers son valet une attitude de supériorité et une assurance que le comédien Fabrice Pierre réussit à rendre avec beaucoup de vérité.
On voit que les sept phrases du paragraphe d’origine ont été réduites à deux. Le nombre de phrases a donc considérablement diminué, mais chacune d’elles a gagné en richesse. Le nouveau texte fait une meilleure synthèse du personnage, car il montre que toutes ces caractéristiques sont en parenté, en lien logique, et qu’elles constituent un tout solidaire chez le personnage. Pour les lecteurs, la cohésion du texte et celle du personnage sont maintenant beaucoup plus perceptibles.
L’absence de proposition principale
En plus du syndrome « Luc et Martine », l’une des erreurs syntaxiques les plus répandues est l’omission (involontaire, s’entend) de la proposition principale. Les facteurs qui expliquent ce phénomène sont plus ou moins clairs, mais on doit tenir compte de l’influence de la langue parlée, qui s’accommode facilement de la phrase nominale (où le nom, plutôt que le verbe, sert de pivot). Le problème se présentant de la façon la plus simple, nous nous contenterons d’étudier un seul exemple :
Cette comédie écrite au temps de l’idéal classique, où la production d’une oeuvre était éternelle et universelle.
Pour faire comprendre à l’élève son erreur, on lui rappellera que toute phrase doit contenir un verbe principal, donc une proposition principale (ou indépendante dans le cas d’une phrase simple), à laquelle une ou plusieurs subordonnées peuvent être rattachées. Ici, l’absence du verbe principal est évidente, et tout assistant devrait être en mesure de la signaler à son élève. Il s’y prendra en lisant d’abord la phrase lacunaire, puis en demandant : « Alors, qu’est-ce qui arrive à cette comédie ? Que veux-tu dire d’elle ? Tu ne trouves pas qu’il manque quelque chose, que le message est inachevé ? » On devine aisément que le mot « comédie » pourrait être le sujet d’un verbe que l’élève a omis d’écrire dans la phrase, par exemple a connu (un grand succès). On fera entrevoir cette possibilité, et si l’élève ne saisit pas encore vraiment où est le problème, on peut user de son imagination (constamment sollicitée dans l’enseignement) et imiter la structure fautive, mais à l’aide d’un propos encore plus familier. Par exemple :
Maurice Richard, choisi par l’équipe des Canadiens dans les années 50, où les joueurs étaient très mal payés.
Impossible de ne pas voir la faute : l’élève se demandera ce qui arrive à Maurice Richard, ce qu’on veut dire de lui. Il est évident que la phrase est incomplète. Après avoir pris clairement conscience de sa propre erreur, l’élève ne devrait plus la répéter.
Remarquons que l’exemple étudié est présenté à titre indicatif et que d’autres difficultés du même type pourraient appeler des solutions différentes. Ce que les assistants doivent retenir, c’est qu’il leur revient de trouver (ou de faire trouver par l’élève) les correctifs appropriés à la phrase fautive, car on ne trouve pas ce genre de réponse dans un manuel. Dans un tel « travail de terrain », il faut aussi insister auprès des assistants pour qu’ils consultent le responsable du centre d’aide, qui est la personne-ressource tout indiquée pour les appuyer.
Les erreurs syntaxiques tous azimuts
Nous regroupons sous cette troisième catégorie toutes les erreurs qui ne sont pas comprises dans les deux catégories précédentes et qui sont toutes aussi imprévisibles et différentes les unes que les autres. C’est pourquoi nous parlons d’erreurs « tous azimuts ». Et comme il est évidemment impossible de suggérer un diagnostic commun, c’est une à une qu’il faut plutôt les traiter. Il va sans dire — nous ne le répéterons jamais assez — que l’aide du responsable se révèle particulièrement précieuse pour cette catégorie d’erreurs. Il appartient au responsable de suggérer les pistes les plus fécondes et les plus efficaces, de façon à rassurer les assistants sur la faisabilité de l’entreprise. Cette intervention du responsable présente un double avantage : elle permet non seulement la poursuite d’un travail de qualité auprès de l’élève en difficulté, mais elle contribue aussi à consolider les connaissances des assistants dans un chapitre de la langue qui reste naturellement difficile.
Reproduisons d’abord quelques exemples de ces erreurs de syntaxe « tous azimuts » :
- Selon lui la réalité est en changement constant, qu’elle est en devenir. L’être est en réalité intelligible, rationnel et qui n’accepte pas la contradiction.
- Le déroulement de l’histoire de cette pièce a lieu au XVIIe siècle, dont le courant littéraire est le classicisme et qui est écrit par Molière.
- Le prestige d’un héros est très bien décrit par le champ lexical qui sont « héros », « privilège », « plaisirs » démontre tout l’héroïsme que Candide interpellait face à ses camarades.
- Sassa qui, au début du roman, nous révèle une personnalité forte, prête à tout pour poursuivre son amour qu’elle a avec Yuan, le temps viendra modifier le cours de l’histoire et nous prouvera une personnalité bien différente de celle qu’elle nous laissait entrevoir au début du roman.
- C’est à partir de l’oeuvre intitulée « Le Colonel Chabert » que Balzac nous raconte l’histoire d’un homme qui est à la recherche d’une ancienne identité militaire et d’une fortune, qu’un film fut réalisé.
On pourrait allonger sans peine cette liste, tellement les exemples semblables abondent. On constate aisément que chaque phrase doit être traitée séparément, selon ses particularités. L’intervention de l’assistant exige, il faut l’admettre, beaucoup de patience et de volonté ; il serait tellement plus facile de corriger une dictée ! À y regarder de près, cependant, l’assistant tirera peut-être plus profit de cet exercice que d’une dictée.
Pour donner un aperçu du travail que l’assistant est appelé à faire au coeur d’une phrase syntaxiquement fautive, examinons la phrase suivante :
De plus, Maupassant illustre bien ce que représente le malheur des gens, et souvent par la mort comme dans le conte de « La rempailleuse » où la vieille terminera sa misérable vie par la mort sans que personne n’y attache de l’importance et qui démontre toute cette catégorie de personnes qui ne peuvent pas s’en sortir et qui n’auront jamais un bon avenir.
L’inventaire des difficultés nous amène à faire les constatations suivantes :
- La première impression qui se dégage de cette phrase est la confusion. La syntaxe est telle qu’on n’arrive pas à distinguer ce qui est important de ce qui est secondaire. On cherche en vain une proposition clé, principe d’unité autour duquel seraient regroupées les autres idées.
- On a du mal à saisir le sens de l’expression ce que représente le malheur des gens. L’élève semble vouloir parler simplement du malheur des gens, non pas de ce qu’il représente.
- On doit écrire le conte « La rempailleuse », et non pas le conte de…
- C’est un truisme de dire que la vieille terminera sa vie par la mort.
- Dans l’expression et qui démontre, on se demande quel mot le pronom relatif qui remplace. S’agit-il de l’importance, de la mort ? Ni l’un ni l’autre ne peut avoir le moindre sens ici.
Le travail sur cette phrase nous permet de saisir une réalité essentielle : améliorer la syntaxe oblige à déborder les limites strictes de la syntaxe elle-même ; il faut faire des incursions dans le domaine du vocabulaire, de la pensée, de l’organisation des idées. Travailler la syntaxe, c’est fondamentalement apprendre à penser.
Transformons maintenant la phrase fautive :
Dans le conte « La rempailleuse », c’est la mort que choisit Maupassant pour illustrer le malheur des gens : après avoir mené une vie misérable, la vieille meurt sans que personne y attache de l’importance. Par le fait même, la pauvre rempailleuse représente ces personnes qui ne peuvent pas s’en sortir et qui ne connaîtront jamais un avenir prometteur.
Notons les nouvelles caractéristiques :
- La phrase d’origine a été transformée en deux phrases.
- Cette fois-ci, nous avons eu recours au gallicisme c’est … que pour renforcer la présence de la mort, qui joue ici un rôle important.
- La confusion d’origine a laissé place, dans le nouveau paragraphe, à trois idées très claires et logiquement enchaînées. Maupassant choisit la mort pour l’associer au malheur des gens ; vient ensuite l’illustration, l’exemple fourni dans le conte ; enfin, la vieille représente, dans son malheur, tous les laissés-pour-compte de la société.
Satisfaisant, l’enseignement de la syntaxe
Le travail de transformation des phrases ne se fait certes pas sans efforts ; il faut inévitablement passer par une période de tâtonnements et d’essais, raturer et corriger ses propres trouvailles. Mais ce travail, s’il est soutenu, peut devenir très agréable et profiter non seulement aux élèves, mais aussi aux assistants eux-mêmes.
- Luc et Martine s’amusent, Montréal, Les Éditions Projets inc., 1977, p. 19. Retour
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