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Les mettons-nous vraiment «à niveau»?

Les mettons-nous vraiment «à niveau»?

Thérèse Belzile est enseignante de français au collège de Rosemont depuis l’automne 1971. Après avoir mené une recherche sur la lecture, elle a organisé des ateliers d’aide en français écrit. Coordonnatrice du Département de lettres, elle a participé à la création de deux projets de programmes de français. Elle donne le cours de mise à niveau depuis huit ans.

Même si le programme de français comporte maintenant des heures d’enseignement consacrées à aider les élèves à parfaire leur connaissance de la langue au moment du premier cours de littérature, il est encore nécessaire d’offrir un cours supplémentaire de langue à certains élèves qui arrivent au collégial. On peut se poser des questions sur l’efficacité de ce cours de mise à niveau en français écrit.

Est-il normal qu’un élève tienne en main un diplôme d’études secondaires décerné par le ministère de l’Éducation du Québec alors qu’il n’a jamais réussi à écrire un paragraphe de quinze lignes sans erreur ?

Depuis trente ans, les collèges reçoivent à l’automne des élèves qui arrivent de l’école secondaire et, chaque année, les enseignants espèrent rencontrer des élèves mieux formés, des élèves capables de s’exprimer dans leur langue maternelle et de la comprendre. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Mais ces jeunes ne semblent pas trop en souffrir : victimes du système, ils jouent les « assistés sociaux du langage ». Ils en viennent même à croire qu’on leur doit quelque chose. Et ils ont raison. Là où ils ont moins raison, cependant, c’est lorsqu’ils se laissent aller et qu’ils croient pouvoir récupérer sans effort ce qu’on leur doit.

Le problème est que les élèves ne savent même plus où leurs études vont les mener. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ont perdu de vue leurs véritables objectifs d’apprentissage. Ils ne désirent pas réellement se perfectionner, mais plutôt satisfaire « le système » pour pouvoir continuer leur route dans ce même système, dans la société d’aujourd’hui. Leur motivation ne nourrit donc pas leur ambition personnelle, mais se réduit plutôt à intégrer le système passivement.

Par opposition, les groupes sont parsemés d’allophones qui veulent à tout prix apprendre cette nouvelle langue et pour qui un cours de langue seconde serait peut-être plus approprié.

Quant au professeur, il doit envisager une nouvelle session avec tout ce beau monde en espérant le faire progresser à un même rythme et ce, avec optimisme !

Quel a donc été le cheminement de ces élèves durant ces onze années d’études pour qu’ils n’aient pas dépassé ce niveau ?

On a longtemps parlé de l’école occupationnelle, celle qui a fait si bien passer le temps aux enfants jugés incapables de suivre des cours « normaux ». Pendant onze ans, assis sur les bancs de l’école, ils ont écrit des textes dans lesquels il était surtout important d’exprimer leur « moi », sans se soucier de la façon de le faire.

Notre jeunesse d’aujourd’hui est soumise à la loi du moindre effort. D’abord, celui des professeurs du secondaire qui ne veulent pas corriger parce qu’ils ont trop d’heures d’enseignement et trop d’élèves ; ensuite, celui des jeunes eux-mêmes à qui l’on croit avoir tout donné, mais qui, en fait, n’ont rien reçu d’autre que des biens matériels et le désir d’en avoir toujours plus, le plus rapidement possible. Phénomène de société !

Comment peut-on arriver en 45 heures à « récupérer » ce qui aurait dû être acquis en onze années de formation ?

On ne résout pas en quatre mois de cours les lacunes qui ont été semées tout le long d’une dizaine d’années d’études. Le « miracle » reviendrait au professeur de mise à niveau en français écrit ! Même si ce dernier s’évertue à se spécialiser en rafistolage, il n’a pas la conscience tranquille. Quarante-cinq heures pour expliquer et faire saisir la nature et la fonction des mots, la syntaxe de la phrase française, l’accord du verbe, de l’adjectif, du participe passé … et j’en passe ! C’est mission impossible !

Les élèves avouent que, plus souvent qu’autrement, ils n’ont qu’effleuré ces règles au secondaire et n’ont pas eu le temps de les comprendre. Pour eux, c’est du chinois ! Et maintenant, on les oblige encore à « sprinter », à survoler tous ces caprices de la langue, mais cette fois, c’est l’échéance ultime qui les menace : 45 heures ! S’ils n’y arrivent pas, ils seront condamnés à ne jamais réaliser leur rêve de travail puisque ce « français » les empêchera d’obtenir un diplôme d’études collégiales, un simple DEC !

Le système les bloquera alors à ce niveau à moins qu’ils n’« investissent » personnellement, qu’ils ne se contentent pas de la base ni des rudiments que leur fournit le système. Quant aux plus débrouillards, ils parviendront au succès sans attestation officielle de leur maîtrise de la langue.

Même si l’élève arrive à maîtriser suffisamment de règles pour décrocher un 60 p. 100, comment arrivera-t-il à fonctionner lorsqu’on exigera de lui l’aptitude à comprendre des textes littéraires, à les analyser, à les critiquer logiquement et à produire lui-même des analyses, des dissertations faisant état de ses capacités et de son jugement logique ?

Pour que l’élève arrive enfin à lire et à écrire correctement, il faudrait sérieusement penser à instaurer un système qui permette d’accomplir de véritables progrès, et cela demande du temps ! Il est illusoire de penser que, en 45 heures, on puisse passer du primaire au collégial. Les élèves qui sont arrivés à écrire un texte qui leur permet de passer la frontière de la littérature se voient souvent dans l’impossibilité de courir assez vite pour réussir toute la gymnastique mentale requise par l’analyse et la dissertation.

Il serait fort à propos de créer un cours intermédiaire qui permette aux jeunes de comprendre des textes de plus haut niveau, de les interpréter pour pouvoir enfin arriver à les analyser, à les critiquer et à les comparer avant d’aborder les textes littéraires du cours régulier.

L’idéal, en mise à niveau, serait d’amener l’élève à une plus grande maîtrise de la langue afin de le préparer à l’utiliser pour développer et former sa pensée. Ne dit-on pas que la formation, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ?

À plus grande échelle, la maîtrise de la langue française ouvrirait pour l’élève une porte sur l’univers des connaissances et des idées, afin de l’amener à conquérir le monde de demain. C’est la société au complet qui se remettrait à niveau.

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