À l’abordage! Les enfants du renouveau pédagogique débarquent au cégep!
La réforme de l’éducation amorcée en 2000 dans les écoles primaires a fait son entrée au secondaire en septembre 2005. À l’automne 2010, la première cohorte d’élèves qui auront étudié dans les programmes révisés durant toute leur formation obligatoire arrivera au collégial. Suzanne Lemay, une jeune enseignante d’un cégep anglophone de Québec, envisage avec optimisme la venue de ces « enfants du renouveau pédagogique ».
On les fustige de tous bords tous côtés avant même qu’ils ne se trouvent dans nos salles de classe. Pas assez attentifs, trop dispersés, mauvais en français, toujours prêts à critiquer, et j’en passe. Et si nous mettions nos préjugés de côté pour laisser la chance à ces enfants du renouveau pédagogique de nous montrer de quoi ils sont capables ?
Espoir et réalité
Dans un article sur l’apprentissage du français avant l’entrée au cégep[1], Jacqueline Charbonneau, corédactrice du programme de français, langue d’enseignement, au secondaire, concluait son propos en citant Confucius : Celui qui aime apprendre est bien près du savoir. Les études sur les effets du renouveau pédagogique se font attendre, mais j’aime croire que les élèves de la réforme ont développé ce gout[2] pour l’apprentissage. Je les souhaite également attachés à leurs enseignants, et à l’école de façon générale. Lors d’un reportage sur les « cobayes de la réforme » réalisé par l’équipe d’Enjeux de Radio- Canada à l’été 2006[3], TOUS les jeunes interrogés s’accordaient pour dire qu’ils aimaient l’école ! Oui, il nous est permis de rêver : les élèves qui se trouveront devant nous à l’automne 2010 auront vraisemblablement développé un respect sincère envers nos établissements d’enseignement !
Bien évidemment, le changement d’attitude à l’égard de l’école ne se manifestera pas de manière spectaculaire dès l’automne 2010 : les enseignants de l’ordre secondaire sont encore en train de s’adapter aux nouveaux programmes et au Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire[4]. Ce plan, adopté en 2008, comprend 22 mesures, notamment l’obligation de faire écrire au moins un texte par semaine, l’ajout de temps alloué à la lecture et la révision du contenu linguistique des programmes de formation des enseignants de français. En outre, le renouveau pédagogique accorde réellement une place plus importante à la littérature. Ainsi, dès l’automne 2010, nous enseignerons à une nouvelle génération de jeunes qui auront lu au minimum une trentaine d’œuvres littéraires de qualité et auront appris, à en croire les programmes d’études secondaires, à poser un regard critique sur ces mêmes œuvres, à discuter de leurs lectures, à synthétiser leur pensée, et ce, dans une langue claire. Qui dit mieux ?
En naviguant sur le site Livres ouverts du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), j’ai pu me rendre compte avec bonheur du vaste choix d’œuvres littéraires portées à l’attention des enseignants pour les élèves du secondaire. De Maria Chapdelaine aux Lettres chinoises, en passant par Gargantua et L’écume des jours, les jeunes se font proposer des œuvres reconnues pour leurs qualités littéraires, si l’on se fie à la liste établie par le MELS. Ma génération, celle des 30-40 ans, du moins celle qui a fréquenté l’école publique, n’a pas eu la chance de se faire offrir un tel buffet littéraire. Je me souviens qu’à mon école secondaire, un des rares livres qu’on m’avait fait lire au complet s’intitulait La nuit du renard, de Mary Higgins Clark ! Vous devinez dans quel état d’anémie littéraire je suis arrivée au cégep…
Nous pouvons donc espérer que les jeunes Québécois issus de la réforme auront développé un attachement à la langue française. Si nos élèves naviguent sur ces eaux, il ne nous reste plus qu’à nous pomponner, à nous mettre bien beaux, nous, enseignants de français du collégial, pour les accueillir et les accompagner dans la poursuite de leur apprentissage de la langue et de la littérature.
Un nouveau profil
Même si, parait-il, les jeunes arrivent au collégial avec de moins en moins de connaissances de base, les « savoir-agir » qu’ils auront développés durant leurs études primaires et secondaires nous permettent d’espérer de la part de ces nouveaux élèves motivés et engagés une adaptation rapide aux exigences du monde collégial. Par « savoir-agir », j’entends bien sûr les fameuses compétences transversales, utiles dans tous les domaines d’apprentissage – par exemple, exploiter l’information, communiquer efficacement, faire preuve d’autonomie, de jugement critique et de créativité. Certains enseignants de langue et de littérature craignent de devoir s’ajuster à ces nouveaux étudiants, d’être obligés de diminuer le niveau de difficulté des cours, etc. Mais pourquoi ne pas y voir une occasion unique de réfléchir à notre rôle d’enseignant, aux objectifs de nos cours, à nos méthodes d’enseignement ? De toute manière, ne devons-nous pas nécessairement nous adapter, chaque nouvelle session, à de nouveaux groupes d’étudiants ?
Par ailleurs, on appréciera, chez cette nouvelle cohorte, l’aptitude à prendre des initiatives et à travailler en groupe. Le Québec de demain ne pourrait rêver mieux : des jeunes ouverts sur le monde et conscients de leur rôle dans la collectivité ; des jeunes capables de travailler en coopération pour améliorer leur société ; enfin, des jeunes branchés maitrisant les nouvelles technologies.
La fiction devenue réalité
Justement, ces nouvelles technologies sont si étroitement liées aux jeunes de la génération C que nous accueillerons bientôt – génération ainsi nommée pour ses capacités à communiquer, à créer, à collaborer – que les professeurs de l’ordre collégial devront sans plus tarder se familiariser avec les nouveaux outils de communication. Si les universités du Québec se préparent à l’arrivée de ces jeunes technos multitâches, force est d’admettre que les cégeps doivent mettre les bouchées doubles pour accueillir la génération piton[5]. À titre d’exemple, 7000 étudiants de l’Université McGill ont utilisé un télévoteur dans les facultés de sciences, d’éducation, de génie et d’agriculture en 2009. Les enseignants ne pourront plus se contenter de mettre leurs notes de cours sous forme de présentations PowerPoint, mais devront plutôt susciter l’interactivité dans ces présentations et dans leurs cours. Un défi de taille, assurément, mais un défi stimulant qui va les pousser à s’adapter aux nouvelles formes de communication. Pas toujours évident de se faire corriger par un élève qui vérifie tout ce que l’on dit sur son iPhone ! Voilà pourtant le type d’« exploit » que les jeunes réalisent d’ores et déjà. Un ordinateur portable sous la main, un iPod pas trop loin, un téléphone cellulaire branché sur Internet… autant d’avancées technologiques qui font maintenant partie de leur vie, comme les premiers jeux vidéo et la télévision ont fait partie de la nôtre à leur âge.
À l’abordage !
Quelle chance fantastique nous avons d’exercer un métier qui nous permet de fréquenter et de former les jeunes qui façonneront le Québec et le monde de demain ! Les fameux enfants terribles de la réforme monteront dans notre bateau d’ici quelques mois. Je vous invite donc, chers collègues, à vous remplir d’espoir et à revoir vos cours avec enthousiasme !
- Correspondance, vol. 14, no 4, p. 10 à 15. [Retour]
- Ce texte est rédigé conformément aux rectifications orthographiques en vigueur. [Retour]
- On peut visionner ce reportage, intitulé Les cobayes de la réforme, sur le site de Radio-Canada, à l’adresse suivante : www.radio-canada.ca/actualite/v2/enjeux/ niveau2_10541.shtml [Retour]
- Le Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire est disponible sur le site Internet du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport à l’adresse suivante : www.mels.gouv.qc.ca/ministere/info/index.asp?page=communiques&id=172 [Retour]
- Expression tirée d’un article paru dans la revue L’actualité du mois de novembre 2009 et intitulé : « Génération piton ». [Retour]
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