L’écriture en français langue seconde ou étrangère à l’ère du numérique
Les modalités de formation et d’évaluation courantes dans l’enseignement collégial et universitaire accordent une place prépondérante à la production d’écrits par les étudiantes et étudiants. Si la réalisation de ces travaux écrits représente un défi particulier pour un nombre important de francophones, on devine aisément que le niveau de difficulté est plus grand encore pour celles et ceux dont le français n’a pas été la langue première de scolarisation. Le dernier numéro de Correspondance (vol. 21, no 2, janvier 2016) mettait encore en lumière récemment l’attention qui est aujourd’hui réservée à cette catégorie d’étudiants dont le nombre est en progression nette depuis les 15 dernières années (Conseil supérieur de la langue française, 2011; Langlois, 2012).
L’enjeu de la maitrise du français écrit et en particulier des genres écrits propres aux études postsecondaires est en effet crucial pour la réussite de ces apprenants. C’est pourquoi les initiatives telles celles présentées dans les pages de Correspondance se multiplient afin de leur offrir un soutien de qualité et de nature à rehausser leur niveau de compétence. Pour donner les meilleures chances de succès à de telles initiatives, il nous parait important de chercher aussi à mieux connaitre la manière dont ces étudiantes et étudiants produisent leurs écrits, sachant que le développement continu des technologies de l’information et de la communication est venu bouleverser nos pratiques de communication ainsi que nos formes d’apprentissage (Serres, 2012). La masse d’informations disponible sur Internet et les multiples ressources directement accessibles (correcteurs, dictionnaires en ligne, traducteurs, etc.) transforment en effet les manières d’écrire et d’apprendre à écrire tant en langue première qu’en langue seconde ou étrangère.
Dans la présente contribution, nous exposons le résultat d’une recherche récente, financée par l’Agence universitaire de la Francophonie et impliquant des partenaires issus d’établissements universitaires du Québec, de Belgique, du Mexique et du Liban, tous actifs dans l’enseignement du français à des étudiants non francophones, en contexte d’immersion dans des universités francophones ou au sein de leurs universités d’origine[1]. Centré sur le développement de la compétence d’écriture en français des étudiants allophones à l’ère numérique aux quatre coins de la francophonie universitaire, ce projet international avait pour objectifs, d’une part, de mieux connaitre les usages que font les étudiants universitaires apprenant le français langue seconde ou étrangère des ressources en ligne soutenant leurs pratiques d’écriture en français (traducteurs, correcteurs, outils de planification des textes, etc.), et, d’autre part, de voir comment les enseignants des cours de français écrit pourraient davantage tenir compte des nouvelles pratiques des apprenants et les guider dans l’utilisation des ressources. Le projet, réalisé de 2010 à 2015, a abouti à la création d’un blogue destiné à l’autoformation des enseignantes et enseignants, blogue que nous présentons plus loin et qui est en libre accès sur la toile.
Les pratiques d’écriture en ligne des étudiants allophones
Les enquêtes que nous avons réalisées auprès de plus de 300 étudiants universitaires non francophones de niveau intermédiaire et avancé inscrits à des cours de français dans les quatre établissements participant au projet, ont fait ressortir deux points essentiels. Premièrement, en particulier par les échanges sur la toile, ces étudiantes et étudiants ont des pratiques d’écriture en français bien plus nombreuses et diversifiées que ne pouvaient le penser leurs enseignantes et enseignants. Les pratiques liées au développement de contacts sur les réseaux sociaux ainsi que les communications avec les membres de communautés de jeux en ligne sont régulières pour plus de la moitié des étudiants (56 %). Deuxièmement, ces étudiantes et étudiants connaissent et utilisent un grand nombre de ressources en ligne qui les aident lorsqu’ils doivent écrire en français : outils de traduction, correcteurs automatiques, dictionnaires unilingues ou bilingues, outils de schématisation, conjugueurs, etc. Parmi les ressources évoquées par nos répondants, citons, à titre d’exemples, Bon Patron, Le conjugueur et Lexilogos. Ils estiment que ces outils facilitent leur travail d’écriture et qu’ils contribuent à l’amélioration de leur compétence. Ces ressources sont surtout utilisées à la phase de mise en texte et pour le traitement de micro-unités (mots, tournures de phrases). Seuls 10 % des étudiants ont déclaré y avoir recours à la phase finale de révision de leurs textes.
L’accès aisé à ces ressources vient modifier la dynamique d’apprentissage et par conséquent le rôle des enseignants, qui ne constituent désormais plus les seules personnes de référence quand les étudiants se posent des questions d’ordre linguistique. Selon les entrevues réalisées auprès des personnes formatrices (Eid et autres, 2013), celles-ci éprouvent le besoin de mieux connaitre les outils qu’utilisent spontanément leurs étudiantes et étudiants afin d’en assurer une utilisation optimale et de décider lesquels pourraient être intégrés aux activités d’écriture proposées en classe (à condition bien sûr que l’infrastructure soit disponible et fiable dans les lieux d’enseignement). Les formatrices et formateurs ont également constaté que les textes produits par leurs étudiantes et étudiants en dehors de la salle de classe comprennent de plus en plus de passages empruntés sur la toile sans que ces emprunts soient correctement signalés, ce qui éclaire la nécessité d’un travail de sensibilisation autour du plagiat.
Scriptur@les : une nouvelle ressource
C’est pour répondre aux besoins exprimés par les enseignants et en nous basant sur les informations transmises par les étudiants à propos de leurs pratiques que nous avons élaboré un espace d’autoformation pour les enseignants de français baptisé Scriptur@les, accessible via la plateforme Le Web pédagogique : http://lewebpedagogique.com/scripturales. Cet espace comprend :
- des capsules, sous la forme de diaporamas animés, à propos de quelques notions théoriques de base : la compétence d’écriture et les modèles cognitifs de l’écriture en langue première et en langue seconde ou étrangère, les enjeux de l’écriture dans l’enseignement supérieur et universitaire, les caractéristiques de la communication écrite médiée par la technologie (Dezutter et autres, 2014) et la transformation des pratiques d’écriture sous l’influence des technologies de l’information et de la communication (TIC);
- un répertoire de fiches détaillées présentant de manière critique et illustrée une gamme d’outils accessibles via la toile (logiciels et applications) et pouvant servir au développement de la compétence scripturale : correcteurs, dictionnaires en ligne, traducteurs, idéateurs (cartes mentales), analyseurs de textes, outils multiressources, etc.;
- des mini-questionnaires permettant aux enseignants de réfléchir sur leurs propres pratiques et représentations, et de recueillir de l’information à propos des pratiques et représentations de leurs étudiants;
- des exemples de séquences didactiques intégrant les outils TIC utilisés pour le développement de la compétence scripturale, toutes testées en situation réelle d’apprentissage avec des apprenants de niveau intermédiaire à avancé (à partir du niveau B2 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues). Les genres traités dans ces séquences sont le courriel de présentation personnelle, la lettre de motivation ou de présentation dans le cadre de la recherche d’emploi, le résumé, la chronique culturelle et l’avant-projet de recherche;
- une matrice d’aide à la conception de séquences portant sur la production d’écrits, intégrant les TIC.
Pour tenir compte des réalités rencontrées par les étudiantes et étudiants fréquentant les collèges et universités du Québec, nous avons choisi de présenter dans le répertoire, d’une part, Antidote, mis souvent à disposition dans de nombreux établissements, et, d’autre part, le dictionnaire Usito, dictionnaire électronique du français standard en usage au Québec, auquel les étudiants ont aussi accès librement au sein de notre propre université.
À côté des outils connus et fréquemment utilisés par les étudiantes et étudiants, dont surtout les correcteurs et les traducteurs, nous tenons à présenter deux autres catégories de ressources qui offrent l’intérêt de soutenir les opérations de planification et de révision d’un texte plus largement que sur le plan orthographique et syntaxique.
Dans la rédaction de certains genres textuels, en particulier pour les genres argumentatifs – très présents dans les cours de français au collégial –, l’élaboration d’un plan est une étape considérée comme essentielle. Or, une série de logiciels et d’applications qu’on regroupe parfois sous l’appellation générale d’ « idéateurs » ou de « générateurs d’idées » peuvent être utilisés avec succès à cette étape. C’est le cas d’outils comme CMaptools ou Freemind, qui servent à élaborer des cartes mentales (aussi appelées « cartes conceptuelles » ou « cartes heuristiques »). On pense moins souvent à proposer par ailleurs aux étudiantes et étudiants de réaliser une forme de schématisation de leur texte une fois celui-ci écrit. Les expériences que nous avons menées avec plusieurs groupes d’apprenants ont toutefois bien démontré la pertinence d’une telle démarche pour une révision de texte sur le plan de l’organisation et de la progression des idées.
Les analyseurs de textes, qui fonctionnent sur le principe de l’analyse lexicométrique, constituent un autre type d’outils que nous proposons pour la révision. Une des formes qu’ils prennent aujourd’hui permet de générer des « nuages de mots ». Certains d’entre eux, tels Tagxedo ou Wordle, sont très simples à utiliser. En une seule opération, il est possible de découvrir les mots les plus fréquemment employés dans son propre texte (voir la figure 1). Grâce à cette image lexicale, les étudiantes et étudiants ont la possibilité de vérifier aisément s’ils ont bien traité du thème imposé dans la consigne et de se questionner sur l’utilité d’élargir le champ lexical en ayant recours à des synonymes appropriés.
Nuage de mots généré par l’outil Tagxedo à partir du texte du présent article
Même si le blogue Scriptur@les a été initialement pensé pour l’enseignement du français aux allophones, cette ressource a un potentiel d’utilisation plus vaste. En effet, dans un contexte où les apprenants développent de nouvelles pratiques d’écriture et des modes d’apprentissage de plus en plus autonomes, la réflexion proposée sur le renouvellement de la didactique de l’écrit, de même que la variété des outils présentés pour servir le développement de la compétence scripturale, pourraient aussi intéresser les enseignantes et enseignants qui travaillent avec des publics majoritairement francophones natifs.
- Accompagner le développement de la compétence scripturale en français langue seconde et étrangère à l’aide des TIC aux quatre coins de la francophonie universitaire, Agence universitaire de la Francophonie, 2010-2015, chercheur principal : O. Dezutter (Université de Sherbrooke); cochercheurs : J.-M. Defays et A. Thonard (Université de Liège), C. Eid (Université de Balamand et Université de Montréal), H. Silva (Université nationale autonome de Mexico), Y. Cansigno (Université autonome métropolitaine de Mexico), F. Bleys (Université de Sherbrooke), avec la collaboration de V. Poirier et R. Eid (Université de Sherbrooke). [Retour]
RÉFÉRENCES
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA LANGUE FRANÇAISE (2011). La langue d’enseignement au cégep, Québec.
DEZUTTER, O., A. THONARD et C. EID (2014). « La communication écrite médiée par les technologies (CÉMT) en contexte universitaire : un défi pour les enseignants de FLE/S », Le langage et l’homme, vol. XLIX, no 1, p. 57-65.
EID, R., O. DEZUTTER, F. BLEYS, H. SILVA, Y. CANSIGNO, C. EID, J.-M. DEFAYS et A. THONARD (2013). « Les pratiques déclarées par les enseignants universitaires au regard de l’usage des TICs dans l’enseignement de l’écriture en français langue étrangère ou seconde », Cahiers de l’ILOB, vol. 5, p. 123-134.
LANGLOIS, S. (2012). La langue française et les études postsecondaires au Québec, les blogues de Contact, [Blogue], Université Laval. [http://www.contact.ulaval.ca/article_blogue/la-langue-francaise-et-les-etudes-postsecondaires-au-quebec/]
SERRES, M. (2012). Petite Poucette, Paris, Le Pommier.
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