Réviser et corriger un texte: l’évolution de la perception des élèves dans le contexte des cours de français
Àla suite de l’ajout de l’élément de compétence « Réviser et corriger le texte » dans les devis ministériels des cours de la formation générale en français, les enseignants ont cherché des façons d’amener les élèves à développer des stratégies de révision et de correction appropriées. Le présent article rend compte de quelques données qui ont alimenté notre propre réflexion sur ce sujet. Qu’en est-il de la perception des élèves par rapport au temps idéal à consacrer aux différentes tâches que sont la planification, la rédaction, la révision et la correction? Qu’en est-il de leur opinion à l’égard de l’efficacité de différentes stratégies? Voilà des questions auxquelles nous tenterons de répondre.
Quelques précisions sur les notions de stratégie et de révision
Dans l’énoncé des buts disciplinaires de la formation générale en français, le Ministère ne précise pas le sens accordé au mot « stratégie ». Une équipe ministérielle a toutefois produit un document qui « s’inscrit dans la démarche d’appropriation du nouvel élément de compétence portant sur la révision et la correction à l’écrit » et qui précise la notion de stratégie de la façon suivante : « Généralement, on considère une stratégie comme une façon de faire, un moyen qu’une personne se donne pour accomplir une tâche. Elle permet l’exécution d’une tâche donnée et comporte un choix parmi différentes façons d’exécuter la tâche » (MELS, 2010 : 2). Les stratégies générales (par exemple : utiliser le dictionnaire) conviennent à plusieurs tâches alors que les stratégies spécifiques (par exemple : utiliser le dictionnaire pour vérifier le genre des noms qui commencent par une voyelle) conviennent à une tâche en particulier. S’appuyant sur une recherche de Bisaillon[1], l’équipe ministérielle affirme que les stratégies spécifiques sont celles qui donnent les meilleurs résultats. La même équipe désigne la révision comme « un processus qui évolue tout au long de la rédaction » (MELS, 2010 : 3), suggérant un modèle d’écriture non linéaire, où la révision peut s’effectuer en cours de texte (révision d’ajustement) ou à la toute fin (relecture)[2]. Toutefois, comme les élèves, et en particulier ceux qui éprouvent des difficultés à l’écrit, ne peuvent se concentrer sur toutes les tâches en même temps, l’équipe ministérielle suggère que la révision en cours de route porte sur le contenu et l’organisation des idées, et que la révision finale mette l’accent sur les erreurs de langue. Le processus de la révision comporte deux sous-processus : la détection et la correction. Les stratégies en lien avec la détection sont des moyens que les élèves mettent en action, selon le contexte, pour atteindre leur objectif de repérer les erreurs réelles ou potentielles contenues dans leurs textes. Cela peut être, pour un élève en particulier, de se donner un objectif précis au moment de la relecture finale de son texte, par exemple vérifier l’accord des verbes avec leurs sujets. C’est ce que nous appellerons plus loin la « relecture ciblée ». Les stratégies en lien avec la correction permettent par ailleurs aux élèves de résoudre des problèmes et de justifier les modifications apportées à leurs textes.
L’échantillon
Le présent article est le résultat de réflexions qui ont été menées dans le contexte des discussions départementales entourant la mise en œuvre de l’élément de compétence « Réviser et corriger le texte ». Les données discutées proviennent d’une enquête réalisée auprès de 182 élèves répartis en deux groupes. Le groupe A est composé de 99 élèves dont la moyenne générale (MELS) au secondaire est inférieure ou égale à 69,4 % et le groupe B, de 83 élèves dont la moyenne générale (MELS) au secondaire est supérieure ou égale à 79,5 %[3]. Les filles composent 53,5 % du groupe A et 67,5 % du groupe B. Les élèves ont répondu aux mêmes questions à deux reprises, au début (temps 1).
Une question et des réponses… inattendues
Pour juger de l’importance que les élèves accordent à la révision et à la correction de leur texte, nous leur avons demandé de diviser un rectangle donné de façon à illustrer le temps idéal qui devrait être consacré aux différentes étapes de la production d’un texte que sont la planification, la rédaction, la révision et la correction. Les valeurs obtenues, traduites en pourcentage dans le tableau 1, ont été calculées en mesurant les espaces entre les frontières sur chacun des rectangles (un rectangle = valeur de 100 %). Un exemple illustrait que le temps idéal pour l’une ou l’autre des trois étapes pouvait être nul. Les réponses des élèves traduisent donc leur perception par rapport au temps qu’ils devraient idéalement consacrer à chacune des étapes. Il importe de remarquer que, pour éviter certains biais expérimentaux liés à la désirabilité sociale[4], nous n’avons pas demandé aux élèves quelle proportion de temps ils consacraient réellement à chacune des étapes. D’une part, nous avons souvent constaté que le temps que les élèves estiment consacrer à une activité ne reflète pas nécessairement la réalité de leurs pratiques; d’autre part, pour toutes sortes de raisons, dont le manque de temps, il apparait que le temps réel consacré à une activité n’est pas nécessairement en lien avec l’importance que les élèves y accordent. Notre projet visait d’abord à décrire la perception des élèves dont la moyenne générale est faible (groupe A), puisque ce sont ceux pour qui la réussite du premier cours de français est la plus incertaine. Les réponses des élèves dont la moyenne générale est élevée (groupe B) ont été considérées plus tard, parce que nous avions besoin d’éclairages supplémentaires pour comprendre les tendances observées chez les élèves qui ont une moyenne générale faible.
Le contexte des cours de français
Au temps 1, les élèves du groupe A perçoivent qu’ils devraient idéalement consacrer une partie importante du temps donné à la production d’un texte à l’étape de la révision et de la correction (35 %). Nous nous serions toutefois attendue, dans le contexte où la qualité du français joue un rôle primordial dans la réussite du premier cours, à ce que ces élèves estiment qu’ils devraient y consacrer encore plus de temps à la fin de la session. Nous observons plutôt le contraire. À la fin de la session, les élèves du groupe A estiment qu’ils devraient y consacrer 29 % du temps, soit une baisse de 6 %. Par ailleurs, nous avons également été étonnée de constater que les mêmes élèves jugeaient devoir consacrer plus de temps à l’étape de la rédaction au temps 2 (53 %) qu’au temps 1 (50 %). Ce sont ces résultats un peu inattendus qui nous ont amenée à nous intéresser à la perception des élèves du groupe B, des élèves qui ont réussi leurs cours de français au secondaire dans une proportion de 98,8 %. La compilation des données pour le groupe B révèle que les élèves considèrent, à la fin de la session, qu’ils devraient idéalement consacrer 10 % plus de temps à l’étape du plan (15 % au temps 1; 25 % au temps 2) et 4 % moins de temps à l’étape de la rédaction (53 % au temps 1; 49 % au temps 2). Ces changements vont dans le sens du discours (implicite ou explicite) des enseignants à l’effet que la conception d’un plan (choisir les idées, les exemples, et dans quel ordre les présenter) constitue une opération rentable, puisque le temps investi dans l’exercice peut être récupéré, au moins en partie, à l’étape de la rédaction. De façon plus théorique, en référence à la démarche d’enseignement stratégique en lecture-écriture[5], Grégoire postule que l’organisation du contenu avant la rédaction soulage la mémoire de travail de l’élève à l’étape de la rédaction. Il va même plus loin en ajoutant que « [c]ette libération des ressources cognitives laisserait au scripteur tout le loisir de se concentrer sur des stratégies de révision (consultation d’ouvrage de référence, protocole de révision, etc.) lors des phases d’écriture, de révision et de mise au propre » (Grégoire, 2011 : 26). Dans cette perspective, le temps idéal à consacrer à l’étape de la révision finale pourrait être plus court, et c’est ce qui expliquerait l’évolution de la perception des élèves du groupe B entre le temps 1 (32 %) et le temps 2 (25 %). Pour le groupe A, l’évolution de la perception des élèves ne suggère pas que ceux-ci ont une bonne compréhension de l’utilité du plan. De telles données fournissent des pistes d’intervention pour les enseignants, comme rendre plus explicites les liens que les élèves doivent établir entre l’étape du plan et celle de la rédaction.
L’opinion des élèves sur l’efficacité de différentes stratégies
Pour juger de la façon dont les élèves abordent la révision et la correction d’un texte, nous leur avons demandé d’attribuer une note à l’efficacité de différentes stratégies en lien avec la détection ou la correction des erreurs contenues dans leurs productions écrites. Les stratégies étaient, pour la plupart, des stratégies générales formulées dans un langage simple, sous la forme d’actions comme : « je vérifie […] », « j’utilise […] », etc. Les élèves devaient donner une note sur une échelle de 1 (pas efficace du tout) à 5 (très efficace). Ils ont répondu aux mêmes questions à deux reprises, au début (temps 1) et à la fin (temps 2) de la session d’automne 2011. Les stratégies reconnues comme efficaces correspondent à celles pour lesquelles les élèves ont donné une note de 4 ou de 5. Au cégep de Drummondville, dans l’esprit des nouveaux devis, l’enseignement de la « relecture ciblée » est inscrit comme une activité obligatoire dans tous les groupes du premier cours de français. Nous avions donc un intérêt particulier à mesurer si cette pratique avait eu un quelconque impact sur l’évolution de la perception des élèves. Rappelons que la relecture ciblée est un exercice où l’élève se donne un objectif précis au moment de la relecture finale de son texte – par exemple, vérifier l’accord des verbes avec leurs sujets. Le tableau 2 montre que pour les élèves du groupe A, la relecture ciblée est considérée comme une stratégie beaucoup plus efficace à la fin de la session (4e rang) qu’au début (10e rang). Il apparait ainsi que leur confiance par rapport à la relecture ciblée comme stratégie de détection s’est développée de façon favorable en cours de session. À l’opposé, l’opinion des élèves du groupe B par rapport à l’efficacité de cette stratégie n’a pas changé entre le début et la fin de la session : la stratégie occupe toujours la 10e place. Ces résultats ne sont pas vraiment surprenants. La relecture ciblée prend tout son sens si un élève est capable, en raison d’un assez grand nombre d’erreurs de même nature (par exemple : accord dans le groupe nominal), de se donner certains objectifs de relecture au moment de réviser son texte. C’est le cas de plusieurs des élèves du groupe A, et le fait que ceux-ci perçoivent qu’ils pourraient consacrer moins de temps à l’étape de la révision et de la correction peut être lié au fait qu’ils ont développé des stratégies à cet effet et qu’ils se sentent plus compétents pour cette tâche. L’exercice est beaucoup moins productif pour les élèves du groupe B, puisque leurs textes ne révèlent généralement pas une difficulté spécifique qui pourrait devenir une cible de relecture. Mentionnons en terminant qu’à la fin de la session, les élèves des deux groupes s’entendent en tout point sur les stratégies de révision jugées les plus efficaces : 1) j’utilise des ouvrages de référence comme le dictionnaire pour corriger les erreurs de français; 2) je vérifie que le contenu est compréhensible; 3) je vérifie que le contenu est complet. Nous pouvons dégager de ces résultats une convergence par rapport à ce que les enseignants reconnaissent généralement comme un bon texte. Essentiellement, il s’agit d’un texte qui présente des qualités dans son contenu (incluant l’organisation du contenu, révélée par la structure du texte) et dans sa forme (révélée par la qualité de l’expression écrite). Ces données fournissent des pistes d’intervention pour les enseignants. À titre d’exemple, au cégep de Drummondville, le Département de français a pris la décision d’inscrire une formation à l’utilisation du dictionnaire parmi les activités obligatoires du premier cours de français.
Quelques réflexions complémentaires
Pour des raisons contextuelles, les stratégies de révision et de correction linguistique que les enseignants proposent aux élèves reflètent le plus souvent des choix qui tiennent compte des difficultés les plus communes aux groupes, même si les stratégies proposées aux élèves faibles n’ont pas la même pertinence pour les élèves forts. Un contexte idéal permettrait aux enseignants d’amener les élèves à s’approprier les stratégies qui correspondent le mieux à leur situation. La double posture « écrivant et réviseur » réclame un détachement de l’écrit et donc, du sens du texte. Dans cette perspective, la démarche d’enseignement stratégique en lecture-écriture présente des avantages, dont celui de « segmenter la tâche d’écriture » pour mettre l’accent sur l’organisation du texte dès le début du processus, de telle façon que « [l]ors de la rédaction, l’attention du scripteur [porte] davantage sur la qualité linguistique » (Grégoire, 2011 : 26). Une meilleure compréhension du travail à réaliser à chacune des étapes de la production d’un texte permettrait sans doute aux élèves qui éprouvent des difficultés en français d’éviter de se retrouver dans la situation de devoir penser à tout, en même temps, à toutes les étapes, et de se placer, malgré eux, en situation de surcharge mentale.
- J. BISAILLON, Enseigner une stratégie de révision de textes à des étudiants en langue seconde faibles à l’écrit : un moyen d’améliorer les productions écrites, Québec, Centre international de recherche en aménagement linguistique,1991. [Retour]
- NDLR : À ce sujet, voir aussi l’article de S.-G. CHARTRAND, « Enseigner la révision-correction de texte du primaire au collégial », aux pages 7 à 9 du présent numéro. [Retour]
- Une partie des élèves du groupe A ont participé à une expérimentation dans le contexte d’une activité de recherche plus vaste (projet PAREA) dont les objectifs ont été présentés dans un article précédent (Correspondance, vol17, n°1). Le regroupement des élèves n’affecte pas l’orientation des tendances statistiques. [Retour]
- Nous avons voulu éviter que les élèves nous disent ce qu’ils pensent que nous aimerions entendre. [Retour]
- Grégoire fait référence à un document de J. LECAVALIER et A. BRASSARD, L’enseignement stratégique en lecture-écriture, Valleyfield, Collège de Valleyfield, 1993. [Retour]
RÉFÉRENCES
GRÉGOIRE, P. (2012). L’impact de l’utilisation du traitement de texte sur la qualité de l’écriture d’élèves québécois du secondaire, Thèse (Ph. D), Université de Montréal.
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT (2010). « Réviser et corriger le texte. » [En ligne], http://www.grasset.qc.ca/eslcoordination/ REPORTS_ DOCS/Information-STRATEGIES-DECmars2010.pdf, réf. du 16 novembre 2012.
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