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La continuité des apprentissages en lecture et en écriture: un objet de recherche partagé entre les milieux collégial et universitaire

La continuité des apprentissages en lecture et en écriture: un objet de recherche partagé entre les milieux collégial et universitaire

Si le développement de la recherche au collégial n’est pas un enjeu nouveau[1], l’engouement pour la question s’est considérablement accru ces dernières années. En témoignent, entre autres, les échanges qui ont eu lieu lors du Congrès 2012 de la Fédération des cégeps, à Québec, les 24 et 25 octobre derniers, placé sous le thème « Les cégeps, moteurs de recherche ». Or, bien au-delà d’une mode passagère ou d’une affirmation simplement plus marquée de l’ancrage des cégeps au sein de l’enseignement supérieur, la volonté de mettre à contribution le milieu collégial dans la recherche se confirme de plus en plus, notamment à travers la création de partenariats entre les établissements collégiaux et universitaires. Ces collaborations interordres sont d’autant plus pertinentes que certaines questions de recherche invitent tout particulièrement au partage des points de vue et des expertises. C’est le cas de la question du développement des compétences en lecture et en écriture – essentielles à la réussite à tous les ordres d’enseignement, de la maternelle jusqu’à l’université –, qui interpelle une multitude d’acteurs issus des milieux de l’éducation.

Un regroupement inédit de chercheurs et de chercheuses

Différents partenaires sensibilisés aux enjeux de la lecture et de l’écriture, et désireux de développer les connaissances scientifiques dans ce domaine ainsi que de s’engager dans la mobilisation de ces connaissances au sein des milieux de pratiques, ont contribué à la mise sur pied, au printemps 2011, du Collectif CLÉ, le Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture. Bénéficiant du soutien de l’Université de Sherbrooke, de l’Université Bishop’s, du cégep de Sherbrooke et de la Table estrienne de concertation interordres en éducation, ce groupe de recherche, récemment reconnu comme équipe en émergence par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQ-SC), est codirigé par deux spécialistes de la didactique du français à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, le professeur Olivier Dezutter et la professeure Julie Myre-Bisaillon. À ce jour, une quinzaine de professeurs-chercheurs provenant de l’Université de Sherbrooke, de l’Université Laval, de l’Université Bishop’s, de l’Université du Québec à Montréal, du Dartmouth College (États-Unis) et de l’Université Simon-Fraser (Colombie-Britannique), se sont joints au Collectif. Trois enseignants et un conseiller pédagogique du cégep de Sherbrooke contribuent aussi activement aux travaux du groupe de recherche. Enfin, une vingtaine d’étudiantes et étudiants de maîtrise et de doctorat y ont officiellement adhéré et gravitent autour de ce noyau de chercheurs et de chercheuses. À l’heure actuelle, les membres du Collectif sont engagés dans plusieurs projets de recherche subventionnés qui portent sur les premiers apprentissages en lecture et en écriture, sur le développement des compétences de lecture et d’écriture dans l’ensemble des disciplines aux ordres collégial et universitaire, sur l’évolution du rapport à l’écriture et à la lecture de plusieurs catégories de publics (étudiants universitaires, élèves du collégial, élèves du primaire), sur le recours à la littérature jeunesse pour développer la compétence en lecture, ou encore, sur le recours aux technologies dans les activités d’écriture.

Le partenariat inédit instauré dans le cadre de la constitution de ce regroupement offre l’occasion de croiser les regards sur une question majeure trop souvent abordée en vase clos : comment assurer un apprentissage continu et efficace de la lecture et de l’écriture pour favoriser la réussite du plus grand nombre aux différents ordres d’enseignement? La preuve d’une corrélation significative entre le développement des compétences en lecture et en écriture et la réussite scolaire n’est certes plus à faire. Plusieurs études démontrent en effet que ces compétences jouent un rôle essentiel dans l’obtention d’un diplôme d’études secondaires et dans la poursuite d’études postsecondaires[2].

La continuité considérée sous plusieurs angles

Facteur déterminant de la réussite, le développement des compétences en lecture et en écriture constitue un enjeu social et éducatif majeur dont l’importance dépasse le stade, non moins capital, des premiers apprentissages. L’acquisition de connaissances et d’habiletés fondamentales de même que l’enracinement précoce de l’individu dans un rapport positif à la lecture et à l’écriture sont d’une importance cruciale[3], mais tout n’est pas encore gagné dès lors que ces conditions favorables sont réunies. S’il y a une conviction primordiale sous-jacente aux travaux du Collectif CLÉ, c’est bien que les compétences en lecture et en écriture se développent de manière continue tout au long de l’existence. Il ne s’agit pas d’un bagage fini de connaissances que l’on acquiert à un moment déterminé et que l’on peut par la suite opérationnaliser en toutes circonstances avec une garantie de succès. La complexité et la spécificité des situations de lecture et d’écriture, la diversité des textes à lire ou à écrire, la multiplication des supports de l’écrit à l’ère du numérique sont autant de variables qui placent l’individu au cœur d’une expérience chaque fois nouvelle (et potentiellement déstabilisante) de lecteur ou de scripteur. En d’autres mots, on ne finit jamais d’apprendre à lire et à écrire.

Cette réalité s’accompagne a fortiori d’une conception étendue de cet apprentissage qui ne se limite pas simplement, rappelons-le, à la maîtrise du code grammatical et orthographique. L’acte de lecture, par exemple, suppose à lui seul « le décodage des mots et des phrases, mais aussi des stratégies liées à l’anticipation et à la compréhension fine des textes ainsi qu’à leur interprétation. La compétence en lecture est composée d’un dosage entre un ensemble de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes[4]. » Partant, on ne peut que reconnaître toute la complexité de cet acte et l’exigence des habiletés qui sont nécessaires à sa réalisation. En abordant le développement de ces compétences sous l’angle de la continuité, c’est précisément cette complexité dont on parvient à rendre compte, notamment à travers l’étude des interactions qui existent (mais également des fossés qui tendent parfois à se creuser) entre les différents contextes de lecture et d’écriture, de même qu’entre les différents acteurs impliqués dans ces apprentissages. Pour circonscrire son ambitieux programme de recherche, le Collectif CLÉ a déterminé quatre axes autour desquels s’articule principalement cette notion de continuité.

AXE 1 : La continuité à travers les différents ordres d’enseignement

Qu’il s’agisse du passage des ordres préscolaire à primaire, primaire à secondaire, secondaire à collégial ou collégial à universitaire, ces bonds successifs s’accompagnent de difficultés accrues qui ne sont pas toujours prises en compte lorsque l’élève est invité à aborder de nouveaux genres de textes et à maîtriser de nouvelles conventions d’écriture. Or, les écarts qui existent entre les différentes situations d’écriture vécues tout au long du cursus scolaire sont parfois source de problèmes et nécessitent un apprentissage continu. Chose certaine, en ce qui a trait à la transition cégep-université, il ne semble pas que le remède unique soit à attendre du côté des cours d’initiation à l’écriture offerts parfois en début de cycle. C’est ce qu’évoquaient récemment Christiane Blaser et Roselyne Lampron, dans le dernier numéro de Correspondance[5], en rappelant les travaux de Christiane Donahue sur le sujet[6]. En plus de ne pas permettre un véritable transfert des apprentissages, cet enseignement d’habiletés générales d’écriture perpétuerait le désengagement de certains professeurs non spécialistes de la langue, qui, se trouvant en quelque sorte dispensés de l’enseignement des genres propres à leur discipline, ne prendraient pas la peine d’expliciter les caractéristiques des textes qu’ils donnent à lire et à écrire.

AXE 2 : La continuité à travers l’ensemble des disciplines scolaires

Nous en venons à une nouvelle problématique, qui concerne la question de la continuité des apprentissages en lecture et en écriture d’une discipline à une autre. Comment peut-on envisager, en effet, que l’apprentissage de ces compétences s’arrêterait à la porte de la classe de français? Sur ce plan, il faut le souligner, des efforts voués à susciter un engagement des enseignants non spécialistes de la langue se sont multipliés ces dernières années. Les ressources pour améliorer la maîtrise de la langue dans les cours de sciences humaines (Réseau Fernand-Dumont) et les fascicules Stratégies d’écriture dans la formation spécifique (CCDMD) en sont de bons exemples. Le projet de collaboration universités-collèges chapeauté par Christiane Blaser et présenté dans ce numéro (p. 18 à 20) poursuit les mêmes visées. Au-delà de toutes ces initiatives qui cherchent à camper les compétences en lecture et en écriture dans les différents champs disciplinaires, c’est la nature proprement transversale de ces compétences qu’il importe de reconnaître. Notons par ailleurs que le Collectif CLÉ intègre également à ce deuxième axe toutes les réflexions entourant la continuité des apprentissages effectués d’une langue à une autre (langue première, langue d’enseignement, langue seconde). Cette dimension concerne à la fois la continuité entre les langues apprises en contexte scolaire et celle entre les langues d’usage en contexte familial et en contexte scolaire.

AXE 3 : La continuité entre les apprentissages scolaires et extrascolaires

De la même façon que les apprentissages en lecture et en écriture ne se font pas uniquement dans la classe de français, ils ne sont pas non plus l’apanage du milieu scolaire. À travers ce troisième axe de recherche, le Collectif s’intéresse donc à la continuité qui existe entre des contextes d’apprentissage formels (milieu scolaire) et informels (famille, communauté d’appartenance, etc.). Si l’on conçoit assez bien que les parents jouent un rôle primordial de soutien à l’égard de leurs enfants, notamment à l’étape de l’entrée de ces derniers dans l’écrit, les relations qu’entretiennent la cellule familiale et l’établissement d’enseignement quant au développement des apprentissages en lecture et en écriture ne sont pas toujours clairement définies. Un autre volet important de cet axe de recherche est lié aux transformations importantes que connaissent actuellement les pratiques de lecture et d’écriture des jeunes dans le contexte de la généralisation des usages des technologies de l’information et de la communication. Il s’agit en ce sens, par exemple, de réfléchir à l’influence que peut avoir l’acquisition d’une compétence en lecture hypertextuelle, impliquant la superposition et la juxtaposition de différents niveaux d’informations textuelles, visuelles et sonores, sur le développement de la compétence à lire de façon soutenue un texte scolaire dense et « statique », qu’il s’agisse, par exemple, d’un roman ou d’un texte informatif.

AXE 4 : La continuité dans l’accompagnement des élèves en difficulté d’apprentissage

Le quatrième axe de recherche du Collectif cible spécifiquement le soutien offert aux élèves en difficulté d’apprentissage, dont le nombre ne cesse de croître au niveau de l’enseignement supérieur[7], et pour qui la continuité et la cohérence des interventions sont peut-être encore plus déterminantes du point de vue de la réussite scolaire. Le repérage et l’accompagnement des élèves en difficulté de lecture et d’écriture exigent en effet une collaboration interprofessionnelle à travers laquelle la continuité se réalise de façon concrète par la nécessité d’une coordination efficace du travail des enseignants et des spécialistes. Au collégial, il serait tout à fait pertinent d’étendre cette réflexion au fonctionnement des centres d’aide en français (CAF), où les tuteurs se trouvent engagés auprès des « tutorés » dans un accompagnement à l’écriture qui prolonge en quelque sorte le travail effectué en classe par l’enseignant ou l’enseignante. À ce propos, les différentes pratiques de tutorat feront l’objet des discussions de la prochaine rencontre Intercaf, qui se tiendra au cégep de Sherbrooke, le 31 mai prochain. Or, il semble bien qu’à travers cette formule d’aide par les pairs, adoptée par la plupart des CAF, se problématisent une fois de plus de nombreux enjeux liés à la continuité des apprentissages en lecture et en écriture.

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L’ensemble des préoccupations que suscite la question du développement des compétences en lecture et en écriture n’est évidemment pas couvert de façon exhaustive par ces quatre axes, mais ceux-ci permettent à tout le moins d’orienter de façon très concrète la réflexion sur la continuité de ces apprentissages. Le Collectif CLÉ, s’il aborde ces enjeux à travers la recherche scientifique, compte lui-même se faire acteur d’une certaine forme de continuité, notamment avec les milieux scolaires, et entend favoriser le transfert des connaissances auprès des différents professionnels et professionnelles de l’éducation. La programmation du Collectif, consultable sur le site Internet de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke[8], comprend en ce sens un cycle de conférences et des journées de formation continue ouverts aux professionnels des milieux de pratique. À titre d’exemple, une conférence récente qui pourra être visionnée sur le site du Collectif porte sur l’impact d’un entraînement de la mémoire de travail sur les capacités en lecture et en écriture d’élèves du primaire. Deux colloques ayant pour thèmes « Les enseignements de la lecture et de l’écriture au postsecondaire dans différents contextes » et « Littérature jeunesse, du primaire au secondaire : Perspectives didactiques » sont envisagés dans le cadre du prochain congrès de l’Acfas (Université Laval, 6-10 mai 2013). Les experts membres du Collectif sont également disponibles pour répondre à des demandes spécifiques d’intervention, qu’il s’agisse de contribuer à mieux comprendre une problématique locale, à valider un dispositif ou un outil, ou encore, à répondre à un besoin de formation.

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  1. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter l’ouvrage de S. PICHÉ, La recherche collégiale :
    40 ans de passion scientifique
    , Québec, Presses de l’Université Laval, 2011. [Retour]
  2. À ce titre, mentionnons au moins deux études récentes : (1) T. KNIGHTON, P. BROCHU et T. GLUSZYNSKI, À la hauteur : Résultats canadiens de l’étude PISA de l’OCDE. La performance des jeunes du Canada en lecture, en mathématiques et en sciences. Premiers résultats de 2009 pour les Canadiens de 15 ans, Ottawa, Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) et Statistique Canada, 2010. (2) D. SHAIENKS et T. GLUSZYNSKI, Transitions entre les études et le marché du travail chez les jeunes adultes, Ottawa, Ministère de l’Industrie et Statistique Canada, 2009. [Retour]
  3. S. BURNS, L. ESPINOSA et C. E. SNOW, « Débuts de la littératie, langue et culture : perspective socioculturelle », Revue des sciences de l’éducation, vol. 29, n° 1, 2003, p. 75-100. [Retour]
  4. O. DEZUTTER et J. MYRE-BISAILLON, « Des pistes pour améliorer les compétences en lecture des élèves », Vivre le primaire, vol. 25, n° 2, printemps 2012, p. 24. [Retour]
  5. C. BLASER et R. LAMPRON, « La maitrise des compétences langagières dans la formation postsecondaire : regard sur les pratiques étatsuniennes », Correspondance, vol. 18, n° 1, octobre 2012, p. 7-11. [Retour]
  6. C. DONAHUE, Écrire à l’université : analyse comparée en France et aux États-Unis, Villeneuve-d’Asq, Presses universitaires du Septentrion, 2012. [Retour]
  7. Jean Beauchesne, président de la Fédération des cégeps, sonnait récemment l’alarme en soulevant que le nombre d’étudiants en difficulté dans les collèges avait connu une augmentation fulgurante au cours des deux dernières années, passant d’environ 3000 en 2009-2010 à près de 9000 en 2011-2012. Voir D. DION-VIENS, « Le nombre d’élèves en difficulté explose dans les cégeps », Le Soleil, Québec, jeudi 8 novembre 2012, p. 21. [Retour]
  8. http://www.usherbrooke.ca/education [Retour]

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